Partie 1 : la physique du climat[1]

Comme chacun sait, le climat est sans doute la grande passion idéologique de notre époque : un objet scientifique devenu politique. Toute l’éco-anxiété contemporaine s’articule autour de cette thématique, à laquelle on finit même par réduire la problématique écologique tout entière. « Il faut sauver la planète ». « Il y a urgence climatique ». « Plus que trois ans avant que le réchauffement soit irréversible ». Autant de slogans dont les médias font régulièrement leurs choux gras.

D’un point de vue scientifique, le climat est un objet composite, à la fois physique, social, économique et politique. En cela, il colle à l’idéal de la « science post normale » : devenu cause d’intérêt général, le climat prête le flanc à une sorte de dessaisissement scientifique dont, malgré elle peut-être, la climatologie a favorisé l’avènement, en dépit des menaces qu’il recèle. Sans doute une part importante de la climatologie se rêve-t-elle en science d’autorité pourvue d’une mission de conseil politique : c’est exactement ce dont procède le GIEC, dont les travaux et les concepts guideront cette promenade climatique. Pour autant et tout à l’inverse, la politisation du climat invite aussi à la vigilance citoyenne (et scientifique), de manière à apporter la contradiction. Pour la climatologie mainstream, cela revêt nécessairement un aspect agaçant car tout discours parascientifique peut effectivement énoncer de grosses bêtises (en fait, le discours scientifique aussi, on y reviendra). Mais si l’on admet que certains climatologues ont œuvré à la politisation de leur objet de recherche, ils ne font alors que récolter le Frankenstein scientifique dont ils ont semé le germe.

Le GIEC – en anglais, IPCC[2] – est un organisme de l’ONU (Organisation des Nations Unies) – créé en 1988 pour faire périodiquement le point sur l’état des connaissances climatiques et ce qu’elles impliquent en matière de politique publique. Le GIEC produit périodiquement (tous les six ans environ) un rapport abondamment commenté, divisé en trois volets qui correspondent à autant de groupes de travail : la physique du climat (groupe de travail n°1, WG1), les impacts socio-économiques du réchauffement (WG2), les politiques publiques d’atténuation du réchauffement (WG3). C’est donc l’incarnation du climat pensé en tant qu’objet conceptuel composite, évoqué plus haut. Dans cet article, on s’appuiera largement sur le résumé technique de WG1 (la physique du climat) du cinquième rapport du GIEC (AR5), paru en 2013-2014.

La littérature giéciste est de maniement délicat pour au moins deux raisons. La première vient de ce qu’elle produit, dans chacun de ses domaines d’investigation, trois documents : un rapport complet (plusieurs milliers de pages), un résumé technique (182 pages, hors annexes mais foire aux questions incluse, pour ce qui concerne WG1, AR5) et un résumé pour les décideurs, de quelques dizaines de pages. Il est vraisemblable que la plupart des commentateurs se targuant d’avoir lu « le rapport du GIEC » n’aillent pas au-delà de ce dernier, dont la lecture est aussi simple que la fonction est prosélyte. La deuxième précaution de lecture vient de ce que la climatologie, à l’instar de n’importe quelle science, est nettement moins consensuelle qu’on ne le dit souvent. Le GIEC étant commis à un état de l’art aussi rigoureux que possible, il lui faut tenir compte de quantité de désaccords et incertitudes. Ainsi, sur chaque thème abordé, le GIEC agrémente son propos de jugements en probabilité (« il est extrêmement probable que » ; « il est aussi probable qu’improbable », etc.) et de niveaux d’accord scientifique (« degré de confiance élevé, moyen, faible », etc.) dont l’omission peut facilement tronquer le compte rendu. Les expressions byzantines auxquelles ces précautions donnent lieu obscurcissent la lecture du document mais s’avèrent indispensables à son objectivité recherchée.

Précisons enfin que si le GIEC est l’objet de critiques sur lesquelles on reviendra, le travail de fond auquel il se livre, dans sa partie scientifique, me semble remarquable. Et pour qui daigne faire l’effort que cela implique, ce travail titanesque permet au lecteur profane d’accéder à un inestimable gisement de connaissances.

On tâchera donc de proposer une sorte de panorama du climat largement inspiré de cette littérature giéciste. Cette première partie de notre promenade intellectuelle se concentre sur la physique du climat. Dans un deuxième article, on abordera quelques questions d’ordre épistémologique, économique et politique.

  1. La physique du climat : forçage radiatif et conséquences climatiques

Cette première partie du propos est celle d’un béotien ayant simplement tenté d’appréhender la trame de la thèse « carbocentriste » (parfois qualifiée de « climato-réchauffiste » ou encore de « giéciste », terme que je retiendrai), imputant la majeure partie de l’actuel réchauffement de la Terre aux émissions anthropiques de dioxyde de carbone (CO2). Le compte-rendu qui suit est le fruit de plusieurs mois de lecture attentive, non seulement dédiée au résumé technique du groupe de travail n°1 du GIEC (WG1, AR5) mais à plusieurs liens ou articles allant dans le sens ou à l’encontre du paradigme giéciste.

Sa finalité est quasi-exclusivement didactique ; je ne ferai d’ailleurs que mentionner les points rencontrés de controverse, sans en inférer d’autre commentaire qu’intuitif (et encore, rarement). Sans surprise, la physique du climat est un sujet d’une fascinante complexité, appelant questions, doutes et controverses à quasiment tous les étages de sa conception. La complication principale vient, selon moi, de ce que la climatologie est une science de l’intimité de la Terre, envisagée à la fois comme corps (matière) et comme système climatique. Trois thèmes-clés me semblent devoir jalonner cette promenade intellectuelle au centre du climat : le forçage radiatif, le rôle du CO2 et la variabilité naturelle.

1.1. Le forçage radiatif

Pour commencer, deux tendances semblent acquises : depuis 1880, la Terre s’est réchauffée[3] et le contenu de l’atmosphère sèche en CO2 a augmenté de 40% depuis l’ère préindustrielle (selon les chiffres les plus récents, cela représente 410 parties par million de molécules d’air – ppm – autrement dit, 0,04% de l’atmosphère sèche). De là à présumer que la hausse du CO2 atmosphérique rend la Terre fiévreuse, il n’y a qu’un pas qui sera franchi dans une théorie formulée au début du vingtième siècle par le chimiste suédois Svante August Arrhenius. Celle-ci donne aujourd’hui lieu au paradigme giéciste (que je qualifierai aussi de théorie mainstream).

Comment la Terre se réchauffe-t-elle ? En recevant et absorbant le rayonnement solaire. Le soleil donne à la planète bleue son énergie vitale (mesurée en joules), l’illumine et la réchauffe. Pour simplifier à l’extrême, la Terre reçoit du soleil une certaine quantité de rayonnement. Une partie de ce rayonnement est accueillie par la Terre et l’autre est « immédiatement » rejetée, c’est-à-dire renvoyée dans l’espace. Dans ce qui est accueilli, 240 watts/m2 en moyenne, une partie est conservée (principalement dans les océans, véritable régulateur thermique de la planète) et l’autre renvoyée à son tour, sous forme de rayonnement infrarouge. C’est à ce stade que le CO2 fait son œuvre : il s’agit d’un gaz triatomique ayant, en tant que tel, la propriété d’absorber les rayons infrarouges (comme une vitre, d’où le terme de « gaz à effet de serre »). Dès lors, ce gaz contrarierait le « voyage » du rayonnement terrestre sortant vers l’espace, ce qui contribuerait à réchauffer la basse atmosphère (troposphère) et refroidir la haute atmosphère (stratosphère)[4].

La climatologie mainstream se base donc sur des principes physiques qui ne sont pas discutés : (i) la loi radiative d’une part (donnant lieu aux notions de forçage et bilan radiatifs), c’est-à-dire la physique de la relation rayonnement-chaleur, capturée par la fameuse équation de Stephen-Bolzmann[5] ; (ii) les lois de la thermodynamique, d’autre part, c’est-à-dire les lois de conservation et de comportement de l’énergie. Pour le dire simplement, toute variation chronique de la température terrestre ne peut venir que d’une rupture d’équilibre thermique dont la cause est exogène (rayonnement solaire, production anthropique de CO2) ou endogène (vapeur d’eau atmosphérique, par exemple) au système terrestre : c’est que qu’on appelle le forçage radiatif, mesuré en watts par mètres carrés.

Ce premier étage théorique de la climatologie revêt un aspect conceptuel fondamental, à mon sens totalement occulté par le débat public : le forçage radiatif ne se traduit pas par un réchauffement du « climat », comme on l’entend ou le lit tout le temps mais bien de la Terre envisagée en tant que corps noir. C’est d’ailleurs ce dont rend compte l’expression global warming (réchauffement global donc « du globe »). Ainsi, la question n’est pas de savoir si le CO2 réchauffe « le climat » (je crains que cette formule ne soit à peu près insignifiante). La question est de savoir si le CO2 réchauffe la Terre et ce qu’est l’impact de ce réchauffement global sur le système climatique (en cela, l’expression parfois rencontrée de « dérèglement climatique » me semble correcte). Cette subtilité conceptuelle n’a l’air de rien et pourtant, elle implique quelque chose d’important : il n’y a pas de contradiction nécessaire entre forçage radiatif d’une part, variabilité naturelle du climat d’autre part. Ce sont deux phénomènes différents quand bien même sont-ils liés. Or, le rapport du GIEC est effectivement péremptoire sur le forçage radiatif mais nettement moins pour ce qui concerne ses effets sur le climat. 

Alors, à ce point du compte rendu, y-a-t-il actuellement (et depuis 1850) un forçage radiatif « réchauffant » ? Précisons d’abord que l’équation de Stephen-Bolzmann, présentée en note 5, s’applique à un corps noir, c’est-à-dire un corps totalement absorbant du rayonnement incident (on sait que le noir absorbe le rayonnement – réchauffe – et que le blanc le rejette). La mesure du degré de clarté d’un corps s’appelle l’albédo. Un albédo de 0 (de 1) correspond au corps noir (blanc). La Terre a un albédo de 0,3 (c’est donc un corps sombre) qui peut varier en fonction de ses sols et de son atmosphère (forêts, déserts, banquise, nuages, etc.). L’équation de Stephen-Bolzmann doit donc être ajustée en fonction de ce paramètre, dont l’appréciation ne me semble cependant pas susciter de controverse.

Une autre question importante porte sur la mesure des températures. On l’a vu, la Terre aurait « pris » environ 1°C en un siècle et demi. Ce chiffre provient de relevés enregistrés par des stations locales (précis mais… locaux) et, depuis 1979, par les relevés satellitaires (globaux mais moins précis). À ce stade, deux points de contention, l’un empirique, l’autre méthodologique, se font jour. Sur le plan empirique, certaines voix allèguent que le réchauffement nocturne est surévalué : il procèderait d’un phénomène de convection (donc de distribution) plutôt que d’adjonction de chaleur (c’est un argument avancé par John Christy, savant giécosceptique ayant joué un rôle pionnier dans les relevés de températures satellitaires). D’autres arguments interrogent les méthodes de redressement de ces relevés de température (il ne s’agit pas de données brutes – constatées – mais travaillées). Tout ceci peut expliquer que l’évaluation du réchauffement terrestre tolère une certaine approximation.

D’un point de vue plus conceptuel, certains mathématiciens ont pu mettre en question la notion de « température moyenne ». Pour ma part, je m’interroge plutôt sur la notion de « température normale », a fortiori si l’on tient compte des approximations de mesure susmentionnées. En effet, la hausse des températures n’est pas constatée mais mesurée en anomalies par rapport à une période de référence de trente ans considérée comme représentative du climat contemporain. C’est ce qui permet notamment au GIEC d’affirmer que les trois dernières décennies sont les plus chaudes de ces 800 dernières années. Pour le béotien que je suis, trente ans paraissent bien courts pour établir une « norme ». Ne risque-t-on pas d’attribuer à un facteur de forçage (en particulier le CO2) ce qui relève, en réalité, d’une cyclicité naturelle, éventuellement plus versatile et plus autonome que ce que prévoient les modèles ?

Le temps climatique me paraît ainsi constituer une ligne de fracture scientifique. Un réchauffement d’1°C sur un siècle et demi n’est pas forcément déconcertant, dès lors qu’il succède à quatre siècles « froids » – le « petit âge glaciaire » (1450-1850) – eux-mêmes imputables, selon le GIEC, à un forçage refroidissant. À cette aune, il n’est pas étonnant que la climatologie hétérodoxe se réfère plus volontiers à la paléoclimatologie que son adversaire mainstream[6]. A contrario, l’importance que donne le giécisme au réchauffement contemporain s’appuie sur une théorie radiative permettant non seulement de l’expliquer mais de l’extrapoler.

En tout état de cause, le forçage radiatif est un phénomène permanent, inhérent à la nature même de la planète Terre. Une stabilité multi-décennale des températures signalerait donc moins une absence de forçage qu’un équilibre des facteurs permettant de le décrire. En entérinant la hausse, tendancielle et significative, de la température terrestre depuis un siècle et demi, on est donc amené à présumer la prépondérance d’un facteur réchauffant dans l’action du forçage radiatif. Celui-ci est-il endogène ou exogène au système Terre ? C’est là qu’intervient le CO2.

1.2. Le rôle du CO2

Selon le GIEC, la Terre se réchauffe principalement du fait des émissions mondiales de CO2 liées à la production d’électricité et de ciment. Selon les giécosceptiques, ce sont les facteurs naturels relevant de l’astrophysique – changement d’axe orbital de la Terre, cycles solaires longs et courts – ou de la variabilité naturelle du climat, qui dominent. CO2 et astrophysique renvoient aux causes exogènes du forçage radiatif (respectivement anthropiques et naturelles)[7] tandis que la variabilité naturelle évoque la notion de cause endogène. Cette dichotomie exogène-endogène, je l’espère didactique, ne rend cependant pas justice aux interactions climatiques en jeu, d’abord parce qu’une cause exogène (le CO2 anthropique) peut activer des facteurs endogènes (les rétroactions climatiques) tandis qu’à l’inverse, les éléments-clés du système climatique (endogènes) peuvent être influencés par des facteurs astrophysiques (exogènes) : l’activité du soleil pourrait ainsi expliquer une part substantielle du comportement de l’océan et des nuages. Le GIEC ne fait d’ailleurs pas mystère que ces derniers, en particulier, sont la grande inconnue de la science du climat (on considère généralement que les nuages de haute altitude sont réchauffants car ils contrarient la course des infrarouges vers l’espace ; les nuages de basse altitude seraient refroidissants car ils renvoient vers l’espace une part du rayonnement solaire incident).

En tout état de cause, il n’y a jamais « une » cause du forçage radiatif. Celui-ci est multifactoriel. Pour citer rigoureusement le GIEC, les émissions anthropiques de CO2 expliqueraient « plus de la moitié » du réchauffement contemporain ce qui, en toute rigueur, apporte un peu de nuance au mot d’ordre habituel de l’alarmisme climatique.

Il revient donc à la recherche scientifique d’identifier la contribution des diverses composantes du forçage radiatif, au réchauffement contemporain. Les causes astrophysiques de long terme (les changements orbitaux de la Terre) semblent en peine d’expliquer un réchauffement anormalement rapide (voire rapidement anormal). Et l’irradiance solaire est relativement faible sur la période étudiée (je n’ai pas vu de controverse sur ce point). La relation complexe entre activité solaire et régulateurs climatiques – nuages et « ondes baroclines » de l’océan – peut en revanche fournir une part d’explication. Mais le « solarisme climatique » relève de l’hétérodoxie scientifique.

Le GIEC y préfère deux autres candidats : les gaz à effet de serre (GES, principalement le CO2) et les aérosols, à savoir les poussières atmosphériques d’origine naturelle – principalement volcanique – ou anthropique. Les premiers sont réchauffants, les seconds sont refroidissants[8]. Par exemple, c’est aux aérosols volcaniques que le GIEC impute l’essentiel du léger refroidissement terrestre relevé sur la période 1940-1970. J’avoue que cet argument me laisse perplexe dans la mesure où l’effet refroidissant des aérosols est puissant et de courte durée alors que l’effet du CO2 est modéré mais tenace (rappelons cependant que ma perplexité de béotien ne vaut pas contre-argument).

Les divergences scientifiques susmentionnées se retrouvent jusque dans la représentation mathématique de la dynamique du climat qu’entretiennent chacune des écoles de pensée : pour la science mainstream, il existe une relation linéaire entre émissions de GES et hausse de la température terrestre, une fois paramétrés les autres facteurs de réchauffement ; on peut même supposer que cette relation linéaire tourne à l’exponentielle, dans le cas des modélisations climatiques les plus alarmistes. Pour les giécosceptiques, au contraire, le climat présente une dynamique cyclique (c’est notamment la posture des tenants de l’astrophysique) ou chaotique (tenants de la variabilité naturelle). Aucune modélisation n’est pleinement satisfaisante : du fait de son aspect multifactoriel, la « linéarisation » de la relation GES-température se heurte à des ruptures de trend. Ainsi, comme susmentionné, la période 1940-1970 présente un profil contrariant. Et le « hiatus » relevé depuis le début des années 2000 – une hausse des températures moindre que prévue par les modèles – est une autre contrariété abordée par WG1 (normalisée depuis lors)[9]. Ces contrariétés peuvent cependant être expliquées, dès lors qu’elles ne dérogent pas à la théorie du forçage radiatif.

De manière générale, la climatologie n’est pas une science de confirmation (un privilège réservé aux sciences expérimentales) mais d’argumentation et de contre-argumentation. Ainsi, le giécisme oppose au solarisme, l’invisibilité (ou l’aspect hautement conjectural) des causes dont il se prévaut. Pour autant, le CO2 doit lui-même affronter quelques objections. J’identifie ici quatre points de contention.

Avant de les aborder, une précision s’impose : selon le GIEC lui-même, le rôle direct du CO2 sur le réchauffement est relativement modéré. D’autres GES sont nettement plus calorifiques – à commencer par le méthane, 28 fois plus réchauffant que le CO2 – mais ils sont émis en moindre quantité et/ou restent moins longtemps dans l’atmosphère[10]. La fonction perturbatrice du CO2 résiderait donc dans les « rétroactions positives » qu’il provoque, à savoir ses effets d’amplification du réchauffement endogène. En termes plus simples, plutôt que de neutraliser l’effet du CO2 – à l’instar d’un système homéostatique – le climat s’emballerait de son fait. L’exemple le plus clair de cette rétroaction positive réside en l’évaporation de l’eau des océans : la chaleur augmentée de la Terre provoque de l’évaporation, qui augmente la teneur atmosphérique en vapeur d’eau, laquelle est un GES très réchauffant. Et ainsi de suite, s’il n’y a bien entendu pas de contre-feu climatique, dans un sens refroidissant.

La théorie des rétroactions positives est plus conjecturale que celle du forçage radiatif, ne serait-ce que parce que l’on sort de la science physique stricto sensu pour entrer dans celle des systèmes complexes. Or, elle joue un rôle fondamental dans la théorie mainstream de l’interaction CO2-climat.

Mais revenons à nos quatre points de contention. Fidèle à l’esprit didactique de cette promenade climatique, je ne mentionne les trois premiers que pour mémoire : (i) les émissions de CO2 pourraient être une conséquence et non une cause du réchauffement global (le CO2 piégé dans les calottes glaciaires de Vostock est souvent invoqué à l’appui de cet argument) ; (ii) les émissions anthropiques de CO2 ne contribuent que pour une toute petite partie au surcroît de CO2 atmosphérique (les sources naturelles d’émission étant prépondérantes) ; (iii) passé un seuil d’émissions (déjà franchi), l’effet d’une quantité additionnelle de CO2 sur les températures serait nul ou insignifiant, du fait d’une saturation de son pouvoir d’absorption des infrarouges. J’ai pu vérifier que certains de ces arguments (peut-être tous) avaient donné lieu à publications scientifiques[11]. Certains d’entre eux – notamment le second – me laissent cependant perplexe sans qu’il y ait lieu de s’appesantir.

Je me permets de soulever un dernier point bien que je ne l’aie pas souvent rencontré. Il porte sur l’historique des émissions de CO2. Celles-ci sont bien mesurées depuis 1958 et le GIEC postule une réaction relativement rapide des températures à ces émissions (« sensibilité climatique » et « réponse transitoire du climat »). Or, on considère qu’historiquement, les émissions de CO2 ont crû de manière exponentielle, ce qui se comprend aisément au regard du sentier de développement économique de la Chine et de l’Inde, dont la production d’électricité est essentiellement thermique. Toutefois, on peut se demander si les émissions des années 1940-1970 (concomitantes d’un refroidissement terrestre) ne sont pas sous-estimées. Cette période de reconstruction économique est une sorte d’âge d’or de l’industrie lourde et du bâtiment, très fortement émetteurs. C’est aussi l’apogée économique de l’URSS, qui connaît une croissance rapide et dont l’industrie, faiblement efficiente, est très gourmande en matières premières. C’est enfin, rappelons-le, le temps de la deuxième guerre mondiale et d’une industrie de l’armement fonctionnant à plein. Les quelques recherches auxquelles je me suis livré à propos de l’histoire des émissions de CO2 semblent confirmer que les émissions contemporaines de la deuxième guerre mondiale, notamment, sont mal connues. Mais je ne livre cette interrogation qu’à titre de suggestion de recherche.

  1. Les effets du réchauffement terrestre sur le climat : la variabilité naturelle

Passons maintenant brièvement à l’impact du réchauffement terrestre sur le système climatique. Je retiens trois conséquences majeures : une variance croissante des températures (plus d’extrêmes chauds et froids, mais avec une prépondérance des canicules), l’acidification des océans (réduisant notamment leur capacité d’absorption du CO2), la hausse tendancielle du niveau de la mer, dont les évaluations varient sans donner lieu à prédiction catastrophique (la catastrophe résiderait en une fonte brutale, jugée très improbable, des inlandsis groenlandais et/ou antarctique). Bien sûr, le réchauffement se traduit aussi par des étés polaires plus longs et donc, une tendance à la fonte de la banquise arctique (en particulier) et de nombreux glaciers.

On peut sans doute qualifier ces phénomènes de « préoccupants ». Mais la littérature giéciste n’autorise pas à en concevoir de « catastrophe ». De ce point de vue, d’ailleurs, le rapport du GIEC présente un aspect équilibré, certains commentaires ayant pu lui reprocher sa… tiédeur.

Car, en particulier, le GIEC refuse d’imputer les catastrophes météorologiques (sécheresses, inondations, cyclones) au réchauffement terrestre, allant même jusqu’à considérer qu’en la matière, les dernières décennies sont moins dangereuses que nombre d’époques antérieures (en particulier pour ce qui concerne sécheresses et inondations)[12]. Sans doute le GIEC prend-il acte que si un événement de cet ordre est bien naturel, ses conséquences sont socio-économiques, un niveau de développement élevé permettant d’en parer les désagréments plus que ce n’est le cas d’une économie précaire. Par ailleurs, les catastrophes naturelles sont (encore) trop rares pour être capturées par la loi des grands nombres – probabilité et statistique – au fondement de la modélisation. Quand bien même cet enseignement n’est pas définitif, il reste étonnant que l’un des grands arguments du catastrophisme climatique ne soit pas avalisé par le GIEC. Curieusement (ou pas), cette information n’est d’ailleurs pas reprise dans le résumé pour les décideurs…

Pour le reste, le GIEC insiste sur les rétroactions positives qui devraient accentuer plutôt qu’atténuer certaines dynamiques climatiques : les régions les plus sèches devraient s’assécher ; les régions pluvieuses devraient l’être plus ; les océans salés (doux) devraient continuer de voir leur salinité augmenter (diminuer), etc. Mais ces prédictions sont généralement affectées de jugements en probabilité et/ou niveaux de confiance mitigés.

En somme, je ne lis rien (ou pas grand-chose) dans la littérature giéciste qui (i) dénie à la variabilité naturelle sa vocation du pilotage du climat et (ii) incite à l’alarmisme. La modélisation elle-même, si elle se targue de bien reproduire le climat du passé, débouche sur une gamme de prédictions plutôt large. Il est également vain, en l’état actuel des connaissances, de prédire le climat d’une région en particulier.

Il est raisonnable de considérer que, pour certaines régions (tropicales, en particulier), les conséquences climatiques du réchauffement terrestre sont à craindre. Il pourrait aussi s’agir d’une opportunité pour les régions les plus septentrionales du globe, dans la mesure où réchauffement et CO2 ont aussi pour qualité d’intensifier la photosynthèse végétale, plutôt propice à un… verdissement de certaines régions. Précisons d’ailleurs que la seule époque relativement récente tenue pour aussi chaude que la nôtre – en Europe seulement – s’étend de 950 à 1250 (« optimum médiéval »). Or, cela coïncide avec une ère de remarquable prospérité, tenue par certains historiens comme un premier âge du capitalisme occidental, dont le développement de nombreuses cités constitue l’indice le plus marquant.

Conclusion

Telle que je la perçois, la problématique du « réchauffement climatique » – expression regrettable s’il en est – convoque deux questions en une : les causes contemporaines du forçage radiatif, d’une part, les effets de ce dernier sur le système climatique, d’autre part. Le forçage radiatif réchauffant s’appuie sur des températures dont le comportement haussier déconcerterait la variabilité naturelle. Mais celle-ci ne voit pas ses propriétés de régulation météorologique radicalement prises en défaut, du moins pour l’instant.

Au cours de ma promenade climatique, j’ai vu passer bien des objections adressées à la climatologie mainstream. Je ne les ai pas toutes évoquées et ne suis pas capable d’en évaluer la pertinence. Je regrette, en tant que profane aujourd’hui averti, qu’un débat scientifique expurgé de ses excès dogmatiques ne puisse avoir lieu, à des fins didactiques. Sur le climat, il existe une controverse scientifique ; on ne voit pas comment il en irait autrement puisqu’il n’est pas de science sans controverse. Il reste à définir les bornes de cette dernière, à distinguer ce qui relève de la théorie ou de l’observation, de la science physique ou de la science des systèmes, du concept ou de la mesure. Or, du fait de son extrême politisation, le débat climatique suscite trop de « bruit », comme si la science était sommée de dire rapidement le « vrai », plutôt que de patiemment et sereinement le découvrir.

Pour ma part et à l’instar de ce qu’en dit le statisticien Nassim Nicholas Taleb, je tiens le réchauffement terrestre contemporain pour un facteur de risque. C’est d’ailleurs ainsi que l’envisage une grande part de la littérature économique. Or, tout risque appelle une démarche d’assurance, d’autant plus efficace qu’elle peut s’appuyer sur une épargne abondante, donc un niveau important de développement économique. Le savoir climatologique peut aussi nourrir les stratégies d’adaptation des régions les plus exposées aux conséquences du réchauffement (on pense aux bandes côtières de l’Océan indien, entre autres exemples possibles).

Il convient cependant de se garder de l’hubris climatique, dont l’idéal de la décroissance constitue la face janséniste. Il faudrait réduire drastiquement (et rapidement) notre production et notre consommation – donc notre niveau de vie – de façon à stopper nos émissions de CO2 et, ainsi, sauver la planète. Ce message est dangereux à l’aune même de ce que nous dit la climatologie : même en stoppant nos émissions, l’inertie du CO2 dans l’atmosphère n’en modifierait pas substantiellement l’influence radiative. L’humanité ne serait pas moins confrontée au risque climatique mais serait plus démunie pour s’en prémunir. De surcroît, rappelons que la recherche climatologique est produite par les laboratoires des pays riches – « capitalistes » – à grands renforts de moyens financiers ; c’est une aporie supplémentaire du « dé-croissantisme » que d’ignorer que la recherche sur laquelle il s’appuie, est elle-même un produit du système qu’il dénonce.

À l’autre extrémité du spectre climato-idéologique, existe aussi une tentation de l’hyper technoscience qui ne laisse pas d’inquiéter. Nombre de traités internationaux fixant des objectifs de seuils d’émission des GES et/ou d’augmentation des températures, la tentation d’un interventionnisme géo-ingénierique « refroidissant » existe, qu’évoque le GIEC à la fin de son résumé technique. Si certaines modalités de cette géo-ingénierie semblent acceptables (piégeage du CO2 atmosphérique, augmentation de l’albédo terrestre), d’autres relèvent de techniques de diminution du rayonnement solaire dont la perspective confine à l’apprenti sorcellerie. Le GIEC, heureusement, se montre réservé à l’endroit de cet interventionnisme climatique, manifestation ultime de la « vanité fatale[13] » des gouvernements et autres institutions internationales, s’enivrant d’un pouvoir de « régulation » qui irait jusqu’à prétendre mettre notre planète au pas de ses fantasmes technocratiques. Ainsi, entre le mythe du bon sauvage et celui de Robocop, la passive soumission de l’homme à Mère Nature et l’illusion orwellienne du contrôle total, la recherche de la Raison perdue mène à la redécouverte de la seule ressource dont dispose réellement l’humanité : la liberté d’apporter des solutions locales à des problèmes locaux, tels qu’il est raisonnable de les anticiper.


[1]                                 La seconde partie de ces Réflexions sera publiée dans le numéro 18, automne 2022.

[2]                                 International Panel for Climate Change. On note que la notion d’expert, librement adoptée par la traduction française (Groupement International d’Experts sur le Climat) ne figure pas dans l’appellation anglo-saxonne.

[3]                 Sur la période 1880-2012, WG1 fait référence à une fourchette de 0,65°C-1,05°C, soit 0,85°C en « moyenne ». D’autres sources, remontant jusqu’à 1850, donnent le chiffre de 1,1°C.

[4]                                 De nombreuses sources indiquent que le rayonnement infrarouge sortant est « renvoyé » à la Terre par l’atmosphère, du fait des gaz à effet de serre. D’autres précisent qu’il est « piégé » (comme « bloqué »). Je ne suis pas capable de dire si les deux termes font allusion à un même processus. Quoi qu’il en soit, celui-ci est « réchauffant ».

[5]                 φ = σT4 où φ est le rayonnement et T la température d’un corps. Le paramètre σ est donc la constante qui permet de faire le lien entre les deux. En somme, la hausse de la température d’un corps implique qu’il reçoit ou stocke plus de rayonnement, donc d’énergie.

[6]                                 Sur ce point, voir F. Janko, N. Moricz et J. P. Vancso (2014), « Reviewing the climate change reviewers: Exploring controversy through report references and citations”, Geoforum, 56, pp. 17-34.

[7]                                 Cette formulation opposant anthropique et naturel correspond à la terminologie giéciste. Elle implique que le comportement humain consistant à se chauffer et s’éclairer ne serait pas… naturel (au sens de la nature humaine). On devine ce qu’un tel lexique recèle de potentiel dogmatique.  

[8]                                 Ceci comporte une conséquence aussi méconnue qu’intéressante : en effet, une grande partie des aérosols sont anthropiques (ils correspondent à la pollution atmosphérique d’origine industrielle : des particules carbonées, soufrées ou autres, plutôt nocives pour la santé humaine). À leur propos, le GIEC précise que « les rejets anthropiques d’aérosols devraient fléchir à terme, en raison de l’adoption de politiques sur la qualité de l’air, ce qui éliminerait leur effet de refroidissement à la surface de la Terre et amplifierait donc le réchauffement » (p. 148 du résumé technique WG1, AR5). Ainsi, la réglementation anti-pollution aurait un impact réchauffant sur le « climat » ! De nombreux commentaires tendent pourtant à mettre CO2 et pollutions atmosphériques dans le même « sac écologique », allant parfois jusqu’à confondre leurs effets sur la santé humaine…

[9]                                 Le réchauffement relativement modeste des années 1998-2013 pourrait être dû à un refroidissement océanique sous-estimé par les modèles (S-P. Xie et Y. Kosaka, « What Caused the Global Surface Warming Hiatus of 1998-2013”, Current Climate Change Reports, 3, pp. 128-140).

[10]                                L’évaluation des émissions de GES se mesure d’ailleurs, soit en gigatonnes de CO2, soit en gigatonnes « d’équivalent carbone », à savoir un tonnage de GES multiplié par un coefficient de réchauffement. Ainsi, une tonne de méthane équivaut à 28 tonnes de CO2.

[11]                                Certains articles, brandissant notamment le troisième argument, contestent que le CO2 contribue au forçage radiatif. Il s’agit naturellement de papiers hétérodoxes. Dans le seul travail francophone que j’ai pu identifier sur la controverse climatique, ces papiers sont mentionnés (in Lionel Scotto d’Apollonia, 2014, « Les controverses climatiques : une analyse socioépistémique », Thèse de doctorat en sociologie, Université Paul Valéry, Montpellier III).

[12]                                En matière de catastrophes naturelles, le diagnostic est plus ou moins assuré selon les régions. Pour ce qui est de la vision d’ensemble, le mieux est de s’en remettre à la lettre du rapport (résumé technique WG1 français, AR5, p. 50) : « La tendance observée des périodes de (…) sécheresse (…) à l’échelle du globe s’associe à un degré de confiance faible. Cela masque toutefois d’importantes variations au plan régional (…). Les épisodes de sécheresse du dernier millénaire étaient d’une plus grande ampleur et d’une durée plus longue que ceux observés dans de nombreuses régions depuis le début du XXè siècle (degré de confiance élevé). (…). Le degré de confiance reste faible pour ce qui est des variations à long terme (centennales) de l’activité cyclonique tropicale. (…). Un degré de confiance faible est associé aux tendances, à grande échelle, aux épisodes de tempête au cours du siècle dernier (…). Il apparaît avec un degré de confiance élevé que des inondations plus importantes que celles enregistrées depuis le XXè siècle se sont produites au cours des cinq derniers siècles (en Europe, Asie et Amérique du nord) ».

[13]                                F.A. Hayek (1988), The Fatal Conceit: the Errors of Socialism, Chicago, Chicago University Press.

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Journal des Libertés

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