Notre Revue entre dans sa sixième année et nous pouvons nous réjouir de la bonne santé de cette plateforme où les idées libérales peuvent être présentées, explorées et discutées. Malheureusement, depuis le début de cette aventure intellectuelle et humaine, nous avons dû déplorer le départ de quelques-uns de nos plus fidèles co-équipiers. C’est ainsi que, dans les pages de ce numéro, Jacques Garello rend hommage à l’œuvre et à la vie de Florin Aftalion qui nous a quittés il y a quelques jours à peine.

En retraçant le parcours riche de notre ami économiste, un trait de caractère a retenu particulièrement l’attention de Jacques Garello : Florin était « un chercheur de vérité ». Chercher la vérité doit, bien entendu, être la motivation première du scientifique – comme de tout individu qui se respecte. Mais l’on ne peut mener à bien cette quête sans cultiver certaines vertus au premier rang desquelles se trouve l’humilité. Plusieurs articles dans ce numéro nous rappellent, chacun à sa manière, cette nécessité.

On peut, par exemple, s’accorder sur les mérites d’un état de droit. La Rule of Law – ainsi que disent les anglosaxons – est sans doute un pilier fondamental de toute société civilisée. Mais ce savoir est insuffisant car, ainsi que l’explique Vladimir Dobrovsky dans son article sur l’Ukraine, le Droit ne se proclame pas, il vit sa propre vie. Alors pour mettre fin à la corruption et « faire régner » l’état de droit, il ne suffira pas de voter des lois anti-corruption ; il faudra aussi, humblement, étudier la situation dans laquelle se trouve le pays ou la région, afin de donner toutes ses chances à une évolution vers l’état de droit.

De même nous savons combien liberté et sécurité sont deux aspirations naturelles des êtres humains. Mais ce savoir, une fois encore, est insuffisant car, dans la pratique, on aura vite fait de sacrifier l’une pour l’autre. Gérard Dubey nous en donne une splendide illustration à travers la problématique très actuelle de l’identification biométrique qui, dans notre monde digitalisé, est censé protéger nos libertés mais qui pourrait aussi s’avérer leur pire ennemi. Ce qui le conduit à nous mettre en garde contre « la tentation d’une technique, ou plutôt d’un fonctionnement automatique, qui nous dispenserait d’avoir à faire des choix, à délibérer, à penser, bref qui nous débarrasserait du fardeau d’être libre ».

Une troisième illustration de la nécessité de rester humble dans notre recherche de la vérité nous est offerte par Philippe Nemo dans son introduction à l’ouvrage du philosophe italien Enzo Di Nuoscio. L’humilité en l’occurrence consiste à ne pas négliger l’apport essentiel des humanités : philosophie, philologie, histoire, économie, sciences sociales, arts et littérature. Négliger cet apport appauvrit considérablement notre compréhension du monde, nous pousse à élaborer des théories « simplistes » sur le fonctionnement de nos sociétés et, in fine, nous expose immanquablement à des frustrations, voire à des catastrophes. Si l’on sait, à l’opposé, humblement puiser dans les immenses ressources que renferment les humanités, on saura éviter de tomber dans le piège résultant de ce que Di Nuoscio appelle « le paradoxe des attentes » et que Nemo présente ainsi : « La société démocratique libérale suscite, par ses succès mêmes, toujours plus d’attentes et d’espérances qu’elle n’en peut satisfaire ; plus elle tient ses promesses, plus, donc, elle en génère d’autres qu’elle ne peut réaliser dans l’immédiat. Mais si, pour surmonter cette frustration, on met en cause la démocratie libérale elle-même, on sera bientôt privé des moyens de conserver ce qu’on croyait avoir définitivement acquis ».

Nous sommes donc reconnaissants à Florin Aftalion parce qu’il a contribué à tracer la route de cette recherche humble de la vérité – route que parcourent à présent celles et ceux qui contribuent à cette Revue. Mais il y a une autre chose que nous avons apprise à son contact et pour laquelle nous lui sommes également reconnaissant, c’est que cette humilité ne se traduit pas par un manque d’assurance. Car être humble ne signifie pas que l’on doit douter de tout, sinon l’humilité serait irréconciliable avec une démarche scientifique, ou plus généralement avec l’usage de la raison. Être humble c’est plutôt rester conscient des limites de son savoir. C’est aussi une certaine attitude d’ouverture, de respect pour ceux qui, honnêtement et à leur façon, sont aussi des chercheurs de vérité. En agissant de la sorte, en continuant à chercher la vérité et en se gardant de toute arrogance, nous n’affaiblirons donc pas notre discours, bien au contraire, nous le rendrons plus fort et plus convaincant.

About Author

Pierre Garello

Pierre Garello est Professeur d’économie à Aix-Marseille Université (AMSE) où il co-dirige un Master d’économie du droit. Il est éditeur du Journal des économistes et des études humaines (www.degruyter.com/view/jeeh) et Président de l’Institute for Economic Studies – Europe (www.ies-europe.org)

1 Commentaire

    Cet article est saisissant de « vérité ». Nos vies et sociétés doivent être conduites dans ce sens , tout en admettant que les composantes de la vérité sont les socles premiers pour se connaitre et reconnaitre les Autres…

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