Chers lecteurs,

 

Ce premier numéro du Journal des Libertés ouvre, comme il se doit, avec les articles des Présidents des deux associations à l’initiative de ce projet : l’ALEPS (Association pour la Liberté Economique et le Progrès Social) et l’IREF (Institut européen de Recherches Economiques et Fiscales). Jean-Philippe Delsol exprime notre désir de nous inscrire dans une longue tradition, celle des promoteurs et défenseurs de la liberté. Mais quelle liberté ?  La question est évidemment fondamentale et Jean-Philippe Delsol précise la direction dans laquelle nous cherchons nos réponses tout en précisant qu’il nous faut rester humbles dans cette quête dont les chances de succès seront d’autant plus grandes qu’elle saura associer les réflexions venues de plusieurs champs disciplinaires (des sciences humaines comme des sciences « exactes »), de plusieurs horizons (académique, professionnel) et, lorsque le sujet devient épineux, de plusieurs points de vue. Pascal Salin insiste quant à lui sur la nécessité d’associer dans ces pages la théorie et la pratique. Rejeter la théorie serait une erreur grave qui équivaudrait à ne pas penser avant d’agir. La mission du Journal, écrit-il, consiste à « remplir un vide qui existe entre une littérature trop sophistiquée et difficile à comprendre, d’une part, et un amoncellement excessif d’informations brutes et souvent peu utiles d’autre part. »

Pierre Garello est économiste, Professeur des Universités et Président de l’Institute for Economic Studies-Europe.

La structure de ce premier numéro est à l’image de ce que nous ferons dans les numéros à venir: rappeler et discuter les principes fondamentaux du libéralisme (les fondements) ; aborder des thèmes d’actualité et présenter ce que pourrait être une lecture libérale de ces thèmes (rubrique actualité) ; approfondir des questions complexes en demandant à plusieurs personnes de donner leur éclairage (les dossiers) ; enfin partager des notes de lecture sur des ouvrages qui, pour différentes raisons, ont attiré à notre attention.

 

Les fondements

Dans la rubrique « Fondements » vous trouverez dans ce numéro une première contribution du constitutionnaliste Jean-Philippe Feldman. Jean-Philippe Feldman part ici des écrits de Benjamin Constant pour réfléchir sur le rôle de la Constitution dans une société de libertés. Organiser la séparation des pouvoirs est une nécessité mais bien loin d’être suffisante pour protéger les individus des abus de pouvoir de nos gouvernants. La deuxième contribution dans cette rubrique nous est offerte par Pascal Salin qui rappelle ce qui a toujours été la position des libéraux sur l’Europe. Bien entendu, il faut rechercher une entente harmonieuse entre les différents pays du continent européen, mais cette recherche aura d’autant plus de chances d’aboutir qu’on laissera les pays membres choisir leur rythme d’évolution dans une Europe ouverte aux échanges et où une véritable « concurrence entre institutions » prévaut. L’harmonie ne s’impose pas d’en haut, de Bruxelles et « l’harmonisation » que l’on nous propose serait plus justement appelée unification ou standardisation.

Toujours dans la rubrique « fondements », nous n’avons pas résisté à la tentation de reprendre un article de Jean-François Mattéi, philosophe français et membre de l’Institut universitaire de France, qui nous a malheureusement quittés en 2014. Dans ces pages, il abordait la question difficile de la légitimation du droit de propriété : « Comment passer de la possession de soi-même à la propriété des biens sans que cette possession ne vienne à posséder l’homme lui-même, à l’image de l’avare qui, d’Aristote à Molière ou Balzac, est plus possédé par son argent qu’il ne le possède véritablement ? » Vous trouverez dans ces pages la réponse qu’il apporte en partant des réflexions de Platon, Aristote, Locke et Rousseau. Enfin, la section « fondements » se termine avec un délicieux papier de Sylvain Trifilio qui nous fait tout à la fois découvrir la pensée et le contexte dans lesquels écrivaient les scolastiques des Xe – XVe siècles mais encore la façon dont ils pensaient les interactions économiques à partir de l’idée de justice dans le contrat, une idée qui trouvait sa source en partie, mais en partie seulement, dans l’Ethique d’Aristote.

 

L’actualité

Côté « Actualité » nous revenons sur deux réformes, récemment actée pour l’une et à venir pour l’autre, du droit français. La première est celle du droit du travail. Alexis Bugada souligne le caractère innovant de ces nouveaux textes qui s’éloignent de l’opposition capital-travail qui a trop longtemps caractérisé l’approche française sur ce terrain. Le but avec cette réforme, explique-t-il est de faire en sorte que « l’entreprise et ses déclinaisons … soient placées au cœur des procédures d’adaptations sociales. » Une approche donc bien différente de celle des « avantages acquis » ; approche qui devrait conduire à une nette amélioration des conditions de travail, si toutefois la mise en œuvre de ces nouveaux textes est satisfaisante… La seconde réforme discutée ici est le projet de loi Pacte. On trouve en particulier dans ce projet une proposition de redéfinition de « l’objet de l’entreprise ». La proposition consiste, de fait, à élargir cet objet : les gestionnaires d’entreprises ne devraient plus se contenter d’assumer leurs responsabilités envers les propriétaires de l’entreprise, mais aussi envers la société. Ainsi que l’explique Jacques Garello, ces discours sur la « responsabilité sociale des entreprises, » prennent le plus souvent racine dans une mauvaise compréhension de ce qu’est une entreprise, de la nature du profit et de la nature de l’actionnariat. A propos du profit il écrit : « Ni profit-rente, ni profit-intérêt, ni profit-risque : le profit est bien le fruit de l’art d’entreprendre. » Et l’art d’entreprendre—dans un marché libre en tout cas—n’est rien d’autre que l’art de satisfaire les besoins de ses concitoyens tout en dégageant une marge, et cela ne peut se faire sans une intelligente collaboration—par le biais d’engagements contractuels—avec ses employés et fournisseurs. Cet art est donc « social » par essence et le fait qu’il soit exercé par des actionnaires plutôt que par le patron d’une PME ne change rien à l’affaire sur le fond.

La section « Actualité » offre également deux réflexions, celle d’Henri Lepage et celle de Jean-Pierre Centi, sur les politiques monétaires en vigueur ces dix dernières années et leur lien avec la « Grande Récession » de laquelle nous peinons à sortir. Pour être plus précis, Henri Lepage part d’une question simple que vous vous êtes peut-être déjà posée : où est passé l’argent du quantitative easing ? Pourquoi n’avons-nous — du moins en apparence — ni inflation ni relance ? A cette question Henri Lepage apporte une réponse originale : si la masse monétaire au sens étroit du terme a effectivement augmenté (en particulier la « monnaie banque centrale »), la masse monétaire définie dans un sens plus large n’a guère bougé car la création monétaire par les banques de second rang, mais aussi par les établissements non bancaires (shadow banking) s’est plutôt contractée. Et cette contraction est imputable, selon Henri Lepage, aux nombreuses réglementations que nos gouvernements se sont empressés de mettre en place après 2008 ; réglementations qui ont, c’est son expression, « déglingué » le marché monétaire mondial, empêchant ainsi la création de capital fixe. Jean-Pierre Centi de son côté, tout en acceptant le constat d’un marché « déglingué » et la validité du débat sur les différentes façons de mesurer la masse monétaire, attire l’attention sur d’autres facteurs plus « classiques » qui donnent d’excellentes raisons pour expliquer la situation présente: les réglementations antérieures (l’assurance des dépôts, par exemple), la stratégie du too big to fail qui déresponsabilise, ou tout simplement la pratique de taux longs absurdement réduits qui brouillent les signaux envoyés aux investisseurs.

 

Le dossier

Autre actualité brûlante : le statut de la Catalogne. L’Espagne compte parmi les plus anciens et les plus importants Etats d’Europe—un peu à l’instar de la France. Comment recevoir dans un tel contexte les revendications des indépendantistes ? Sont-ils dans leur droit ? L’Etat peut-il utiliser au besoin la force physique pour éviter une sécession ? Ces interrogations sont d’autant plus brûlantes qu’elles ne concernent pas uniquement la Catalogne : nombreuses sont les régions en Europe dans lesquelles une majorité des habitants se rangerait volontiers parmi les sécessionnistes. Serions nous en train de vivre la fin des Grands Etats ? Les analyses se font ici plus nuancées, voire divergentes. Aussi avons-nous décidé d’ouvrir « un dossier sécession ». La première contribution au dossier est celle de Carlo Lottieri qui porte un regard plutôt favorable sur ces mouvements indépendantistes, au nom de la nécessité de limiter les pouvoirs de nos gouvernants et de favoriser la concurrence institutionnelle. Jean-Philippe Feldman corrige quelque peu cet enthousiasme. Pour lui les choses ne sont pas si simples ne serait-ce que parce qu’il y a rarement unanimité pour faire sécession. Les sécessionnistes commettraient ainsi les mêmes crimes contre la liberté que l’Etat dont ils veulent faire sécession. Une troisième contribution—au moins—sera ajoutée au dossier dans le prochain numéro.

 

Pour terminer, Jean-Pierre Ivaldi et Jacques Garello nous offrent deux notes de lecture sur des ouvrages récemment publiés. Dans les deux cas il s’agit de recueils d’articles. Ceux d’un philosophe, Jean-François Mattéi, que le lecteur aura pu mieux découvrir grâce à ce premier numéro, et ceux d’un économiste espagnol, Jésus Huerta de Soto, que l’on rattache bien volontiers à l’école autrichienne d’économie.

 

Bien qu’un peu long, cet avant-propos peine à rendre compte de la richesse et de la diversité des analyses présentées ici. Le mieux est d’ailleurs que je vous laisse en juger par vous-même.

 

Je souhaite, avec toute l’équipe du Journal, que celui-ci devienne votre habitas, votre « chez moi », que vous vous l’appropriez, pour reprendre des termes utilisés par Jean-François Mattéi. Que vous partagiez par votre propre réflexion — et pourquoi pas par vos contributions au Journal — notre recherche pour un monde plus libre, plus responsable, plus prospère et plus harmonieux.

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