Jean-Paul Brighelli avait attiré l’attention il y a quelques années en publiant un livre au titre provocateur : La fabrique du crétin[1]. Il caractérisait ainsi l’Éducation nationale. L’auteur s’alarmait du fait qu’on n’en voit plus sortir désormais que des demi-instruits ou des demi-illettrés ne sachant rien ou presque, du moins ne sachant rien à fond, de plus en plus faibles en mathématiques et autres sciences exactes, incapables d’écrire le français sans faire un nombre décourageant de fautes d’orthographe et de grammaire, n’ayant en histoire et en géographie que des demi-connaissances impressionnistes sans cadres spatio-temporels établis, ne sachant pas très bien si Napoléon a vécu avant Louis XIV ou l’inverse… Toutes contre-performances éducatives sèchement sanctionnées désormais par les classements internationaux où les jeunes Français se voient régulièrement décerner le bonnet d’âne.
Admettons qu’un certain nombre de nos jeunes compatriotes échappent à ce désastre. Mais cette exception confirme la règle, puisque les élèves qui sont encore correctement formés en France le doivent au fait qu’ils ont la chance d’avoir des parents et des professeurs révoltés contre la nouvelle Éducation nationale et décidés à employer, pour remédier aux folies de celle-ci, des moyens exorbitant du droit commun : emploi discret ou clandestin de méthodes traditionnelles, leçons particulières et, de plus en plus, recours à des établissements privés et même, désormais, étrangers. On ne saurait donc mettre le fait qu’il reste encore en France quelques cohortes de non-crétins au crédit de l’institution officielle d’enseignement qui mérite pleinement la formule infâmante par laquelle Brighelli la caractérise[2].
Cependant il demeure un mystère. Fabriquer des crétins, après tout, ce n’est pas si simple. Les enfants et adolescents ne sont évidemment pas a priori des crétins. Ce n’est pas faire preuve d’un optimisme béat que de dire qu’il n’y en a, à chaque génération, qu’une très petite minorité. Donc, si une majorité d’élèves sortant des mains de l’Éducation Nationale nouvelle peuvent être qualifiés de « crétins » (du point de vue scolaire, s’entend), c’est qu’on les a faits tels, c’est qu’on les a fabriqués. Or, pour y parvenir, il a fallu mettre au point des techniques efficaces.
Je crois avoir repéré un de ces procédés, un des secrets de fabrication de la « fabrique du crétin ». C’est la méthode d’enseignement appelée « séquence ». Ce phénomène est peu connu à l’extérieur du mammouth, peu de parents savent qu’on emploie cette méthode pour instruire leurs enfants au collège et au lycée. C’est, en somme, un secret bien gardé, élaboré au sein du système à l’abri des regards extérieurs. Il n’a donc pas suscité, jusqu’à présent, les analyses critiques qu’il aurait méritées, tant dans les grands médias que de la part d’intellectuels. D’où l’éclairage sommaire que je crois devoir apporter par le présent article.
Origines et diffusion de la notion
La notion est ancienne et paraît provenir de travaux de pédagogues anglo-saxons. On cite couramment, dans la littérature spécialisée, un ouvrage de W.J. Popham et E.L. Baker, Planning an instructional sequence, datant de 1970, traduit en français en 1981 sous le titre : Comment programmer une séquence pédagogique (Bordas). La notion est vite passée ensuite dans la culture des pédagogistes du Ministère, puisque qu’un arrêté ministériel du 27 août 1992 relatif à la terminologie de l’éducation reconnaît déjà le mot et lui donne une définition : « Ensemble continu ou discontinu de séances, articulées entre elles dans le temps et organisées autour d’une ou plusieurs activités en vue d’atteindre des objectifs fixés par les programmes d’enseignement ».
Puis son emploi est devenu officiel. Un arrêté ministériel du 12 mai 2010 sur les compétences des professeurs (rédigé par, ou sous l’autorité de, un certain Jean-Michel Blanquer, alors Directeur général de l’enseignement scolaire) énonce qu’une des principales compétences attendues d’un professeur est de savoir « construire des séquences d’enseignement qui visent des objectifs de développement de l’expression orale et écrite des élèves »[3]. Selon un autre arrêté ministériel, daté du 25 janvier 2021 et portant réforme du CAPES, les épreuves de ce concours consisteront désormais, pour le candidat, à montrer qu’il est capable de concevoir et de mettre en œuvre des « séquences pédagogiques ». Cette pratique est donc devenue l’alpha et l’oméga du métier de professeur.
Pour qu’on ne mécomprenne pas ce qui va suivre, je précise que je ne nie pas l’intérêt de la réflexion pédagogique qui a conduit à l’élaboration de la notion de « séquence », si l’on entend pratiquer cette méthode dans l’enseignement primaire et dans certains enseignements techniques et professionnels. Car ce sont là deux types d’enseignement qui ont en commun de ne pas viser, en principe, l’acquisition de savoirs de type théorique et scientifique. Mais je soutiens qu’elle n’a pas sa place dans l’enseignement secondaire qui vise, lui, à enseigner aux adolescents les rudiments des sciences et des lettres, ce qui implique un cursus d’études continu et cohérent programmé sur plusieurs années. Or c’est ce cursus qu’une pédagogie par séquences indépendantes fait voler en éclats.
Si la pédagogie par séquences n’est pas adaptée à l’enseignement secondaire, comment se fait-il qu’elle ait été imposée dans nos collèges et lycées ? Ceci est lié à l’évolution désastreuse qui a conduit depuis une trentaine d’années à ce qu’on peut appeler une primarisation du secondaire. Analyser les causes et les modalités de cette dérive n’est pas le sujet du présent article, et je ne peux y faire ici qu’une brève allusion[4]. Ce fut la conséquence inéluctable du choix politique qui a été fait en France de l’ « école unique » (devenue collège unique puis, partiellement, lycée unique et baccalauréat pour 90% d’une classe d’âge), choix sur lequel on n’a jamais voulu revenir pour des raisons idéologiques aussi obstinées qu’absurdes, et ceci malgré les échecs constatés année après année. En effet, dès lors qu’on faisait ce choix, c’est-à-dire qu’il n’y avait plus de filières, plus de véritable secondaire long visant dès la 6ème l’accès aux études supérieures, et que tous les élèves étaient mis dans un même bocal entre 11 et 17 ans, il était fatal que les classes devinssent « intellectuellement hétérogènes » (et d’ailleurs on les voulait telles). Y étaient présents désormais nombre d’enfants de niveaux différents, dont beaucoup n’avaient pas encore atteint le stade de l’intelligence abstraite et désintéressée qu’il faut avoir atteint, selon Jean Piaget, pour pouvoir commencer valablement l’étude des sciences. À ces classes disparates, on ne peut plus faire les cours théoriques des lycées traditionnels, qui impliquent que trente ou quarante élèves comprennent à peu près de la même manière, et au même rythme, ce que le professeur leur enseigne. Pour elles, il faut inventer une pédagogie sui generis basée sur des méthodes « actives », « inductives » (c’est-à-dire qui « partent du concret »), comportant des « activités » attrayantes et même ludiques qui puissent capter l’attention des élèves. Ce seront nécessairement des activités courtes et variées, tant par leurs sujets que par les moyens pédagogiques employés[5]. C’est dans ce contexte que prend sens la « séquence ».
Séquence versus programme
Notons d’emblée une ambiguïté de ce mot. Il semble signifier une suite, et même une suite ordonnée, ce qui pourrait faire croire qu’il s’agit d’une reformulation de la démarche pratiquée dans tous les systèmes d’enseignement secondaire traditionnels, où il était entendu que l’élève venait au collège pour y suivre un cursus ordonné d’étape en étape de la 6ème au baccalauréat et, chaque année, de septembre à juin, suivant une progression précise et, dans bien des disciplines, strictement linéaire (par exemple, en histoire, un ordre chronologique ; en mathématiques, la présentation successive et sans lacune des éléments de l’arithmétique, de la géométrie, de l’algèbre). Ce programme était établi par l’autorité académique compétente dans chaque discipline, qui veillait en outre à ce qu’il y eût compatibilité et complémentarité d’une discipline à l’autre (par exemple : que ne soient pas inscrites au programme d’une classe de physique des notions impliquant la possession d’outils mathématiques qui n’auraient pas été présentés préalablement dans la classe de mathématiques). Du but à atteindre, la possession d’un certain niveau scientifique dans chaque discipline au niveau du baccalauréat, on déduisait les étapes par lesquelles il fallait commencer puis progresser pas à pas, de sorte que tout élément nouveau venait prendre sens dans un ensemble structuré[6].
Il est essentiel de noter qu’une telle structuration par étapes et selon un plan d’ensemble est la condition sine qua non d’une formation des élèves à la rationalité. Car ils sont ainsi habitués à comprendre que chaque étape n +1 vient à la suite de l’étape n et ne naît pas ex nihilo. Voyant clairement le fil conducteur, ils comprennent ce qu’on leur apprend et, par suite – c’est là l’essentiel – ils savent ce que veut dire comprendre. Désormais, dans les problèmes qu’ils rencontreront, ils rechercheront une intelligibilité comparable à celle que les cours leur auront offerte tout au long de leur scolarité. Ils ne se contenteront donc pas d’approximations, ou du moins, lorsqu’un sujet difficile se présentera, ils éprouveront le besoin intellectuel de l’approfondir et d’en chercher les tenants et aboutissants.
La « séquence » imposée par les instructions officielles est tout autre chose. C’est même le contraire : les professeurs sont sommés de transformer leurs cours en une suite de « séquences » qui… ne se suivent pas.
On comprend, par ce que nous avons dit plus haut, pourquoi ils doivent procéder de cette manière. Nombre d’élèves de notre école massifiée ne se vivent pas comme engagés dans un cursus intellectuel de long terme qui ne portera tous ses fruits qu’une fois parachevé, persuasion qui permet de supporter la relative aridité de chaque étape. L’attention de ces élèves est donc limitée, flottante. Il faut rendre le cours « attrayant » tout de suite, et pour cela changer de sujet autant de fois que nécessaire, ne procéder que par petites touches. « Séquence » ne veut donc pas dire, ici, progression de long terme, mais, au contraire, cassure du cursus au profit de morceaux épars dont chacun sans doute sera intérieurement ordonné (d’où l’emploi du mot « séquence », justifié en ce sens), mais qui ne prendront plus une place déterminée dans une suite rationnellement ordonnée (d’où le paradoxe d’employer ce mot).
On admet certes, dans les instructions officielles, qu’il y ait quelques relations entre les séquences. S’il faut plusieurs séquences pour « atteindre en partie ou totalement une compétence ciblée », les professeurs pourront placer leurs séquences dans une « programmation » ou « progression » s’étendant sur plusieurs mois. Mais ce n’est pas obligatoire. Et d’une année à l’autre, il n’est plus question, semble-t-il, que de « répartition » (« La répartition répartit les séquences ou les activités sur plusieurs années »). L’objectif de construction méthodique d’une compétence disciplinaire sérieuse est perdu de vue[7].
Ceci est lié, bien entendu, à la philosophie générale des pédagogistes (là encore, c’est un point que je ne peux qu’évoquer ici). Celui qu’ils appellent l’ « apprenant » ne doit pas se voir imposé un savoir jugé arbitraire et aliénant, mais il doit construire lui-même ses savoirs. Il serait donc inapproprié de lui imposer de l’extérieur un programme, encore moins un programme ordonné en une série d’étapes se suivant rigoureusement selon un certain ordre qu’on ne peut changer. Cela brimerait sa « créativité ». S’il doit y avoir quelque forme d’ordre dans ses études, ce sera un ordre auto-organisé, imprévisible par définition, que brimerait un programme apporté de l’extérieur. D’autre part, la démarche d’ « auto-apprentissage » étant individuelle, il y aura sans doute autant d’ordres différents que d’élèves. Donc, là encore, ce processus inductif serait compromis par un programme déjà écrit et imposé à tous. En d’autres termes, on se résout à ce que les études deviennent ce qu’il faut bien appeler un désordre, et un désordre croissant d’année en année, puisque les élèves, à mesure qu’ils s’habitueront à ne rien comprendre en profondeur, à ne pas avoir les tenants et aboutissants des savoirs reçus dans les séquences, chercheront de moins en moins à mettre de l’ordre dans ce kaléidoscope.
Qu’est-ce qu’une séquence ?
Mais venons-en à la séquence même. A défaut de s’insérer dans une progression de long terme, apporte-t-elle au moins, fût-ce sur des sujets à la fois limités et isolés, des savoirs solides ? Nous allons voir que non.
D’après les textes que j’ai pu consulter sur divers sites du ministère et des académies, l’enseignant, pour préparer une séquence, doit se poser les questions suivantes :
- Quelles sont les compétences que les élèves doivent développer à la fin de la séquence ?
- Quels sont les objectifs intermédiaires qui permettent d’atteindre l’objectif général ?
- Quels savoir-faire et savoirs associés doivent être mis en œuvre ?
- Quels supports et quelles activités peut-on choisir ?
- Quel est le volume d’heures nécessaires au déroulement de la séquence ?
- Quelles sont les évaluations à prévoir ?
Les « objectifs », est-il précisé dans tous ces documents, doivent être formulés par des verbes d’action, décrivant une action observable. La démarche vise ainsi à créer des habitus, des savoir-faire, plus qu’à apporter des savoirs, même si ceux-ci sont évoqués au passage. Mais que diable doit « savoir faire » un élève qui vient de suivre un cours sur la Guerre de Cent Ans ou sur le règne de Louis XIV, sinon satisfaire à une interrogation écrite ou orale sur ce sujet ? Comprendre un chapitre de biologie ou une démonstration mathématique est fort différent de savoir accomplir une tâche technique ou professionnelle. On voit qu’il y a, dès le départ, confusion des genres. La dimension intellectuelle de l’enseignement est minorée ou déniée. C’est ce sur quoi insiste, non sans un involontaire humour, une de ces instructions émanant de l’autorité académique[8] : « L’énoncé de l’objectif doit être écrit de telle sorte que la performance soit observable. Ne pas utiliser de verbes dont les significations sont multiples, imprécises ou abstraites : savoir, connaître, comprendre, observer, apprécier, saisir le sens, réfléchir… Employer des verbes qui illustrent ce que l’élève doit faire ». On a bien lu l’injonction adressée aux jeunes stagiaires : ils devront abjurer ces termes affreusement réactionnaires que sont « savoir », « connaître », « comprendre », « saisir le sens », « réfléchir » …
La séquence, explique-t-on encore, doit se présenter comme une résolution de problème. Sinon, le savoir qu’elle apportera éventuellement ne sera pas le fruit propre de la réflexion personnelle de l’élève, il lui viendra de l’extérieur de façon normative. C’est contraire au principe des pédagogistes qui veulent mettre l’ « apprenant » toujours « au centre ». Toute la démarche d’apprentissage doit venir de lui. Précisément, l’intérêt de partir systématiquement d’un problème est que cela pourra être la source d’une « dynamique », passant par divers types d’activités de l’élève : recherche personnelle d’une solution par celui-ci, puis discussion de groupe, puis recherche de documents… C’est seulement ensuite que l’animateur (jadis appelé professeur) pourra éventuellement intervenir pour donner quelques pistes.
Il faut donc, au départ, identifier un problème que la séquence (ou l’une des séances) ait pour fonction de solutionner. Étrange démarche : le jeune élève, en principe, ignore tous les problèmes qui peuvent se poser dans le vaste monde. Comment la chute de l’Empire romain peut-elle être un problème pour quelqu’un qui n’a pas appris l’histoire de Rome ? Comment un élève qui n’aurait pas bénéficié de cours approfondis sur Corneille et Racine pourrait-il se demander s’il est vrai que Corneille peint les hommes comme ils doivent être, et Racine comme ils sont ? Comment peut-on se poser le problème de l’imparfait passage d’une forme d’énergie à une autre sans avoir suivi un cours de thermodynamique ? Etc. D’une manière générale, il n’y a pas de début d’apprentissage possible sur un sol intellectuel vierge. Il faut d’abord que ce sol soit semé et cultivé, et il le sera par une instruction qui sera nécessairement au début unilatérale, ou du moins asymétrique, allant du professeur qui sait à l’élève qui ignore. Toute la pédagogie des séquences est bâtie sur des présupposés inverses.
Puisqu’on ne doit réfléchir qu’à partir de problèmes que l’élève se pose effectivement, il y a grand danger qu’on ne traite au fil des mois et des années que les thèmes sur lesquels les élèves se seront d’eux-mêmes posé des questions. L’enseignement sera ainsi rétréci à la sphère intellectuelle et affective des élèves, à leurs intérêts plus ou moins immédiats. Le rejet d’un programme continu imposé à toutes les classes de la 6ème au baccalauréat aboutit ainsi à restreindre drastiquement l’accès des élèves au vaste champ des lettres et des sciences. Pour avoir voulu les mettre au centre de leurs études, on les prive, en réalité, d’un accès véritable à la culture[9].
« Supports », « moyens », et « activités »
Mais revenons à la séquence. On doit maintenant identifier les « moyens », « supports », « activités » à mettre en œuvre pour permettre à la séquence d’atteindre ses « objectifs ». Parmi eux, un cours suivi du professeur sera un moyen peu recommandable qu’on raréfiera autant que possible. On préférera les travaux de groupe ou de « binômes », l’examen de photographies, diapositives et tous autres documents écrits ou audiovisuels qu’on ira chercher au CDI[10] (ce qui sera, en soi, une « activité »), les recherches sur Internet ; on sortira éventuellement de l’établissement pour aller faire des visites ; on fera intervenir des professeurs d’autres disciplines, car on croit aux éminents mérites de l’interdisciplinarité ; on ira même travailler avec des élèves d’autres classes (on en verra ci-dessous un exemple). Il faut en tout cas, insiste-t-on, que les moyens pédagogiques soient suffisamment « diversifiés ». Car il faut que l’enseignant résolve, lui aussi, un épineux « problème » : « Quelle dynamique pédagogique vais-je mettre en œuvre ? Quelles stratégies pour faire participer tout le monde ? Comment faire pour que tous les élèves travaillent ? ». Ceci n’allant pas de soi, apparemment, dans les classes hétérogènes, il faut faire feu de tout bois.
Je donnerai en annexe quatre exemples de séquences. Le lecteur pourra se rendre compte qu’elles portent très mal leur nom, parce qu’elles sont faites de pièces et de morceaux, ce sont des assemblages incertains plus que des suites ordonnées.
Les effets pervers de la pédagogie par séquences
Demandons-nous, pour conclure, quels peuvent être les effets de ce type de pédagogie. Il est à craindre, nous l’avons déjà suggéré, que la pédagogie par séquences ne compromette gravement la rationalité de la démarche éducative. En effet, elle habitue les élèves à voir se succéder des « thèmes » surgis chaque fois on ne sait d’où, en lieu et place de savoirs anticipés dans un parcours établi et présentés méthodiquement. Elle les accoutume donc à croire normal que les savoirs soient toujours mal joints entre eux, voire incohérents, et que, par suite, le fait de ne comprendre les choses qu’à moitié soit la norme. Le message envoyé par l’institution à l’élève est qu’en suivant une séquence il a véritablement traité un sujet, alors qu’en réalité il n’a fait que le survoler. L’institution valide ainsi au fil des ans une sorte de connaissance journalistique, impressionniste, irrationnelle.
« Journalistique ». Le mot n’est pas péjoratif en lui-même, puisque le journalisme n’est nullement superficiel par construction. Il est dans l’ordre des choses que les médias donnent à leurs lecteurs des informations brutes et mal liées entre elles, puisque c’est ainsi que l’actualité les fournit. Il reviendra ensuite au lecteur, qui est un adulte à l’esprit déjà formé, d’interpréter correctement ce qu’on lui transmet en le situant dans les cadres intellectuels qui structurent sa vision du monde. Ce qui est problématique, c’est d’utiliser à l’école des procédés analogues, puisque, là, on a affaire à des jeunes ne possédant pas encore lesdits cadres. En réduisant l’enseignement à une suite de séquences conçues comme des sortes de reportages, attrayants, certes, mais sans tenants et aboutissants, on compromet la mise en place des repères qui permettent de penser, on fabrique des crétins.
« Impressionniste ». Une méthode qui a l’ambition d’aboutir à des connaissances synthétiques (comme l’indiquent les titres : « Les femmes dans la Révolution française », « Qu’est-ce qu’un écosystème ? », « La Shoah »), mais en faisant l’économie des approches analytiques nécessaires, ne peut donner à voir que des formes vagues, elle ne peut être qu’impressionniste. En privilégiant des moyens pédagogiques tels que l’image et en minorant le rôle du verbal et de l’écrit, elle rend difficile de descendre jusqu’au détail qui a valeur logique et qui fait preuve. En faisant grand usage des discussions entre élèves, qui peuvent certes être enrichissantes à certains moments du processus éducatif, mais qui consistent à faire s’affronter des logiques intellectuelles disparates dont aucune ne peut aller à son terme, elle habitue l’élève à se contenter de savoirs en suspens, jamais parachevés. En d’autres termes, elle contraint l’élève à rester toujours à mi-chemin de l’intelligibilité. En ce sens, elle fabrique des crétins.
« Irrationnelle ». Les « apprenants » qui ne sont confrontés qu’à des séquences sont peu à peu conduits à sortir de la rationalité. Si du moins la séquence ne se donnait que pour un divertissement, cependant qu’un vrai enseignement serait donné ailleurs, elle ne serait pas dangereuse. Mais si tous les enseignements se font sur ce mode, et que la séquence prétend être la norme du vrai, elle ne peut que créer chez l’élève un type de pensée pseudoscientifique ou, si l’on préfère, faire régresser les jeunes Français à un stade de pensée préscientifique. Il est profondément irrationnel de parler aux élèves, un peu n’importe quand, et sans que cela vienne logiquement à une certaine étape d’une progression dans une discipline, de sujets tels que la fatalité de l’arrivée prochaine d’immigrés climatiques, le caractère stéréotypé de la différence homme-femmes, le déséquilibre économique nord-sud, etc. Car ce sont là des sujets extrêmement complexes, que seuls des esprits ayant acquis les bases des sciences de la nature et humaines peuvent espérer traiter valablement, sans d’ailleurs parvenir à se mettre d’accord à leur sujet. Les aborder dès le collège et le lycée, au prétexte d’ « intéresser », de « motiver » les élèves qui en entendent parler dans les médias, c’est fabriquer des crétins.
Tout ceci prépare le terrain pour que reviennent en force les croyances naïves, les mythes, les superstitions, les rumeurs, les modes, les idéologies, tous les demi-savoirs et savoirs non étayés, susceptibles de nourrir en situation de crise, on le sait, les fanatismes et les violences. Et s’il est vrai qu’une démocratie ne peut fonctionner qu’avec un peuple éclairé, il faut avertir les Français que la démocratie est donc désormais en danger dans le pays, et – ce qui est un comble – qu’elle est mise en danger par l’école.
Ce qui est grave, c’est que cette déstructuration ou non-structuration des esprits ne concerne pas seulement les écoles des quartiers défavorisés, contrairement à ce que dit de bonne foi Jean-Paul Brighelli. L’auteur de la Fabrique du crétin a en effet longtemps enseigné dans les ZEP (« zones d’éducation prioritaire ») où il a pu observer tout à loisir l’œuvre du « crétin », mais il a cru que là-bas, très loin des ZEP, dans les lycées des centres-villes où est scolarisée la progéniture des catégories sociales privilégiées, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si c’était vrai ! Ce serait profondément injuste, certes, mais il y aurait du moins une partie de la population échappant au désastre. Or les nouvelles pédagogies sont désormais imposées dans tous les collèges et lycées de France publics et privés, et les contrevenants sont sévèrement sanctionnés par une armée d’inspecteurs dont beaucoup sont des militants engagés. Nous sommes tous embarqués dans le bateau ivre.
D’où une dernière réflexion. Je pense que pour qu’un peuple soit éclairé et se comporte comme tel, il est somme toute plus important qu’une fraction de ce peuple (la plus large possible, cela va sans dire) soit instruite véritablement et complètement, plutôt que de se résigner au fait que la totalité du peuple ne soit que demi-instruite. Car les instruits donnent le la et les autres suivent, ce qui fait que la communauté peut avancer. Alors que s’il n’y a que des demi-instruits, personne n’a de vrais repères, donc tous sont égarés, et la communauté régresse. C’est pourquoi il est urgentissime que l’on recrée dans notre pays un véritable enseignement secondaire qui prenne les moyens d’instruire réellement les élèves qui en ont les capacités.
Annexe
Exemples de sÉquences
1er exemple :
« La religion gréco-romaine »[11]
Objectif : faire connaître aux élèves la religion des Grecs et des Romains.
Déroulement : une séance sur l’Iliade, une sur le Panthéon grec, une sur les temples, une sur les sacrifices d’animaux, une sur Jupiter, une sur les vestales.
Pluridisciplinarité : un professeur de Lettres viendra faire une présentation de l’Iliade.
Moyens pédagogiques : collecte de photographies de statues et de temples, visionnage d’un documentaire sur le Parthénon, travaux de groupe, exposés d’élèves, dessin d’une colonne de temple, PPO[12] sur le Parthénon, commentaire de ces éléments par l’enseignant à la fin de chaque séance.
Bilan attendu : les élèves comprendront la religion gréco-romaine.
Les objections qu’on peut faire au procédé sont évidentes. On propose cet exercice aux élèves alors qu’on ne leur a rien appris sérieusement du déroulement chronologique de l’histoire de la Grèce ni de celle de Rome, qu’on n’a pas donné de notions précises sur l’organisation de ces sociétés, sur le rôle qu’y jouent respectivement l’élément religieux et l’élément politique. On parle de « la religion gréco-romaine », comme si les religions de la Grèce et de Rome étaient en tout point semblables. On ne donne aucun élément permettant de comprendre qu’il y a eu une notable évolution des pratiques et des croyances religieuses depuis Homère jusqu’à la christianisation de l’Empire romain. On ne parle pas des religions orientales et de leur influence à Rome (mithraïsme, manichéisme…). On mentionne l’Iliade, mais évidemment on n’aura pas le temps de présenter valablement cette grande œuvre. Ainsi, tout ce qu’on va dire intéressera un moment les élèves, puis, pour le reste de leur vie, ces morceaux de savoir flotteront dans les nuages.
2ème exemple :
« Repérer la présence des stéréotypes filles-garçons dans les publicités »[13]
« Par deux ou trois, les élèves de seconde prennent en charge un groupe d’élèves de sixième pour des ateliers qui se déroulent en trois temps. »
La vidéo proposée sur le site nous montre le deuxième atelier. Plusieurs catalogues de jouets ont été distribués : « Les élèves de sixième sont amenés à les observer et à s’interroger sur la répartition entre des jouets pour les filles et des jouets pour les garçons. On leur demande s’ils pensent que cela devrait changer et, si oui, ce qu’il faudrait faire pour cela. L’atelier se termine sur des exemples de catalogues ou de publicités qui renversent les stéréotypes pour montrer que les choses changent et que l’égalité se construit. »
Belle innovation dans la diversification des moyens pédagogiques : les élèves de seconde ne vont pas suivre un cours, mais… en faire un aux élèves de sixième. Tout cela sera charmant et interactif à souhait. Mais on voit clairement que l’important, ici, n’est pas d’apprendre quelque chose. Ce qui importe est l’exercice de piété qu’on va ainsi pouvoir réaliser avec les élèves en faveur de la nouvelle religion régnante. On vise les élèves de sixième, car on escompte que de jeunes enfants élevés dans la foi la garderont toute leur vie ; mais on vise aussi ceux de seconde, qui doivent être confortés dans la même foi. Tout ceci n’est que propagande. Ces jeunes, s’ils sont soumis à des modalités éducatives de ce type pendant des années, ne sauront rien sur rien, mais leur esprit vide de sciences sera plein de croyances.
Il va sans dire qu’on fournit aux protagonistes des supports pédagogiques adaptés à cette sainte tâche : un article d’un « cabinet de conseil et formation sur les questions d’égalité femmes-hommes », un autre de la revue « Cahier du genre », etc.
« Réalité et fiction en question dans le roman : débat interprétatif »[14]
Objectif : « Développer chez l’élève les compétences nécessaires pour devenir un lecteur compétent et critique. »
Objectif intermédiaire : « Au cours de cette séance, les élèves manipulent les concepts de réalité et fiction dans le roman… En cela, cette séance interroge sur les passerelles possibles entre didactique du français et didactique de la philosophie. »
Moyen pédagogique : « Les élèves sont invités à entrer dans une démarche de “lecture sensible” de romans contemporains en lice dans le prix Goncourt des lycéens 2015. »
Vaste programme, pour une séquence qui ne durera que quelques jours… Je veux bien que le professeur puisse faire en sorte qu’il y ait, sur le sujet indiqué, d’intéressantes discussions entre élèves, et j’admets que littérature et philosophie pourront s’y rejoindre. Mais pourquoi choisir les derniers romans de l’année, qui ne sont pas nécessairement de la première qualité ? La littérature française classique n’est-elle pas assez riche en extraordinaires chefs-d’œuvre ? Et surtout, pourquoi se croire obligé de situer l’étude des textes dans le contexte d’une compétition, le « Goncourt des lycéens », ce qui va inévitablement faire intervenir des éléments sociaux étrangers à l’analyse littéraire ? Mais on compte sur l’attrait de ce jeu, sans lequel on craint que les élèves s’ennuient et ne daignent pas participer. Il y a néanmoins un grand risque que les élèves, sortant de ce petit psychodrame, loin d’être devenus « compétents » et « critiques », mélangent tout et ne retiennent rien. Comment être critique au sens vrai du terme quand on n’a pas acquis des références suffisantes d’histoire littéraire ? Le contraste entre l’ambition de l’objectif et les faibles chances de l’atteindre est inquiétant, pour ne pas dire qu’il rend vaine toute la démarche.
4me exemple :
Nom de la séquence : « Lecture analytique : renouveler les approches »[15]
« Ce module présente les étapes-clefs d’une séance de lecture analytique en 1ère L, conduisant à l’interprétation d’un extrait d’une pièce de Jean Genêt : Les Bonnes. Il vise à sensibiliser les enseignants aux modalités préconisées dans les nouveaux programmes de Français au Lycée, qui donnent une place essentielle à la réception de lecture des élèves et favorisent le travail collaboratif. Cette approche rompt avec celles qui s’appuient sur le plan préétabli du professeur ou sur des questionnaires parfois trop technicistes, faisant l’une et l’autre très peu de cas de la réception de l’élève. Elle permet de développer considérablement le rapport personnel au texte, la capacité à verbaliser sa lecture, et, mettant le sens du texte au cœur du processus, elle rend les élèves plus actifs, plus confiants et plus autonomes dans leur démarche d’interprétation. »
L’on précise ainsi l’objectif de la séquence :
« Compétences visées. Les élèves sont amenés à :
- s’exprimer et échanger collectivement sur leurs impressions de lecture ;
- motiver et nuancer leur jugement en dialoguant de pair à pair ;
- observer précisément les formes et systèmes de formes au sein d’un texte ;
- construire et formuler une interprétation fondée à l’oral et à l’écrit ;
- développer leur capacité d’analyse critique. »
On note que, conformément aux instructions officielles, tous ces objectifs sont formulés en « verbes d’action », même si l’on ne voit pas très bien comment les comportements acquis seront « observables ».
Le problème est que, si la classe de Français exclut tout « plan préétabli du professeur », si elle a pour but que les élèves puissent « verbaliser leurs lectures » de façon « collaborative », et si l’on ne s’intéresse pas tant à ce qui sera lu qu’à la « réception de lecture », c’est-à-dire à la manière dont chaque élève lira, à ses réactions, aux réactions du groupe, etc., on ne voit pas très bien ce que la classe apprendra en définitive de la littérature française ou universelle et des richesses infinies que contient ce patrimoine. Même Les Bonnes de Jean Genet, dont on ne lit d’ailleurs qu’un extrait, passe à l’arrière-plan. D’ailleurs, que fera-t-on dans les prochaines séquences de Français ? Recommencera-t-on la même auto-psychanalyse de groupe, et ainsi de suite ad nauseam jusqu’à la fin de l’année et jusqu’à la fin du lycée ? Là encore, cette méthode « centrée sur l’élève », selon une démarche apparemment généreuse (on s’intéresse donc à l’élève, à ce qu’il pense, à ce qu’il dit, on est tout à son écoute) a l’inconvénient majeur de restreindre son accès aux univers humains et sociaux dépeints par la littérature universelle. Le « plan pré-établi » d’un professeur soucieux de faire découvrir celle-ci à ses élèves à la faveur d’un parcours organisé, en les faisant se distancier d’eux-mêmes et de leur subjectivité, est peut-être plus généreux.
[1] Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin : la mort programmée de l’école, Ed. Jean-Claude Gawsewitch, 2005.
[2] Même si le préfacier du livre suggère que ce que Brighelli désigne par le mot « crétin », ce ne sont pas tant les produits sortant de la fabrique que les responsables de celle-ci. « Du crétin » serait un génitif subjectif et non objectif. Admettons. Mais il n’est pas contradictoire qu’il y ait étroite ressemblance entre producteurs et produits. Le « crétinisme » d’une masse de cadres de l’actuelle Éducation nationale et celui des élèves qui subissent leurs méthodes s’expliquent assez bien l’un par l’autre. Nous partageons donc, pour l’essentiel, l’analyse de Brighelli, qui n’a pas pris une ride, hélas, depuis seize ans. Une critique, cependant : l’auteur attribue bizarrement l’entreprise criminelle de destruction de nos écoles au… libéralisme. Comme si les libéraux et « néo-libéraux » (comme il dit) avaient jamais tenu le moindre levier de pouvoir dans l’Éducation nationale française depuis un siècle, et moins que jamais à l’époque des réformes désastreuses qu’il incrimine. Passons donc sur cette interprétation fantaisiste des causes ; les effets, eux, sont parfaitement documentés.
[3] On notera les approximations intellectuelles de ces messieurs. Comment écrire dans un texte ayant valeur normative que l’enseignement vise le développement de l’ « expression » des élèves ? Pourquoi seulement l’expression ? L’enseignement ne doit-il pas développer aussi, et d’abord, les savoirs et les aptitudes ?
[4] Voir une analyse plus approfondie dans mon article « Tous les jeunes Français à l’école primaire jusqu’à 17 ans ? », Journal des libertés, n°12, printemps 2021.
[5] Dans l’école, mais aussi au dehors. Brighelli donne une liste plaisante des lieux où l’on promène les élèves, sources d’impressions kaléidoscopiques et déstructurées : « centrale nucléaire, savonnerie, forum des métiers, musée, chocolaterie, plage mazoutée, salon de l’étudiant, parc naturel régional, Comédie-Française, marais salants, Futuroscope, raffinerie de pétrole, ciné-club, Schtroumpfland, élevage de ratons laveurs – tout est bon, même et surtout n’importe quoi » (op. cit., p. 45).
[6] Avec, naturellement, des exceptions, puisque les savoirs ne sont pas un bloc logique parfaitement homogène, et d’ailleurs il ne faut pas que les élèves le croient, ce qui leur mettrait sur les yeux des œillères. Il faut donc qu’il puisse y avoir aussi dans l’enseignement des apports dispersés, latéraux par rapport au cursus, et même des éléments plus ou moins aléatoires – ce qui justifie, par exemple, quelques visites de musée ou de lieux de production économique, ou des projections de films, des conférences sur des sujets divers, toutes « fenêtres » ouvertes sur des réalités qui ne pourront être vraiment comprises que plus tard, mais qui restent dans un coin du cerveau de l’élève à toutes fins utiles. Mais ces apports marginaux doivent être et ont toujours été, dans les enseignements secondaires traditionnels, les exceptions qui confirment la règle, elles n’ont jamais remplacé la règle.
[7] Le fait que les instructions officielles autorisent une « programmation » des séquences sur la durée d’une année scolaire est toutefois mis à profit, on s’en doute, par les bons professeurs des bons établissements, qui peuvent ainsi construire une démarche ressemblant peu ou prou aux anciens programmes linéaires, et faire ce qui s’appelle à proprement parler un cours – d’histoire, de géographie, de littérature, de mathématiques… Moyennant quoi quelques non-crétins sont encore fabriqués par nos lycées ; ils auront mention TB au bac et feront des classes préparatoires. Mais, si l’on veut le faire, il ne faut surtout pas le dire. L’impératif idéologique peut, dans une certaine mesure, être contourné, mais il ne doit pas être ouvertement contesté.
[8] Académie de Lyon, Formation stagiaires 2015, fiche pour former les futurs professeurs à bien réaliser des séquences (trois « didacticiens » ont réuni leurs efforts pour rédiger ce document).
[9] Voir à ce sujet, outre de belles pages dans l’ouvrage cité de Jean-Paul Brighelli, le livre de François-Xavier Bellamy, Les déshérités, Plon, 2014.
[10] « Centre de documentation et d’information », nouveau nom des bibliothèques ou médiathèques existant aujourd’hui dans chaque établissement scolaire.
[11] Cette séquence a été réellement mise en œuvre récemment dans un lycée français, mais on ne m’en voudra pas de ne pas révéler en quels temps et lieu précis.
[12] PPO = « points de passage et d’ouverture », autre invention jargonnante des pédagogistes. Ces PPO ont pour objet de « mettre en avant des dates-clefs, des lieux ou des personnages historiques. Chacun ouvre un moment privilégié de mise en œuvre de la démarche historique et d’étude critique des documents. Il s’agit d’initier les élèves au raisonnement historique en les amenant à saisir au plus près les situations, les contextes et le jeu des acteurs individuels et collectifs ». On pourrait croire cette notion inoffensive : après tout, depuis toujours, les professeurs d’histoire font des excursus, décident d’approfondir tel ou tel point, de faire une parenthèse documentaire dans un récit trop linéaire. Il s’agit ici de tout autre chose. Comme il n’y a pas de cursus, mais qu’on prétend quand même donner aux élèves une idée aussi juste que possible de telle période ou de tel événement historiques, il peut arriver qu’on s’aperçoive, en préparant une séquence, qu’on ne peut en parler sans donner in extremis certains « savoirs associés », c’est-à-dire des renseignements minimaux sans lesquels les élèves n’y comprendraient strictement rien. On va donc ouvrir d’étroites « fenêtres » sur les réalités historiques en question. On sait pertinemment que les élèves n’auront jamais de cours suivi sur ces chapitres, mais il suffira qu’ils en aient une vague lueur. Par exemple, si l’on veut faire une séquence sur « les femmes dans la Révolution française », et qu’on entend mentionner le fait que des femmes ont participé à la prise des Tuileries, ou ont assisté aux exécutions capitales (en tricotant), il faudra sans doute faire un « PPO » sur le 10 août, un autre sur le Tribunal révolutionnaire. Mais il est clair que ce ne seront que des rafistolages, qui ne suffiront pas à procurer aux élèves une vision réellement rationnelle et chronologiquement suivie de cette période de l’histoire de France, dont on ne peut avoir une idée juste par des « coups de projecteur » aléatoires. Aussi n’est-ce pas le but des PPO qui servent simplement à enrichir la panoplie des « moyens pédagogiques » mis en œuvre dans les séquences.
[13] Exemple trouvé sur un site pédagogique : « BSD, Banque de séquences didactiques », https://www.reseau-canope.fr/BSD/sequence.aspx?bloc=886044.
[14] Exemple trouvé sur le même site.
[15] Même source. Cette fois, la séquence est destinée à une classe de 1ère L d’un lycée général.