Après avoir servi l’administration amĂ©ricaine Ă la tĂŞte du Conseil d’analyse Ă©conomique du prĂ©sident Clinton (Council of economic advisors, 1995 Ă 1997), l’Ă©conomiste Joseph Stiglitz poursuivit sa carrière d’Ă©conomiste-conseil auprès d’institutions comme la Banque mondiale et le Fonds monĂ©taire international (FMI). Ces fonctions lui ont permis de parcourir le monde pendant de nombreuses annĂ©es ; et de cultiver sa notoriĂ©tĂ© un peu partout, comme confĂ©rencier ou comme professeur-invitĂ© ; ainsi que de conseiller des gouvernements. DistinguĂ© par le Nobel d’Ă©conomie en 2001, le prĂ©sident Sarkozy lui dĂ©roula le tapis rouge en 2008 Ă Paris, pour animer une commission dĂ©diĂ©e au climat. Ă plus de 80 ans, il enseigne encore Ă l’universitĂ© new-yorkaise de Columbia.

Joseph Stiglitz fut manifestement irritĂ© par la notoriĂ©tĂ© durable du livre Road to Serfdom[1] dont il critique souvent et vivement l’auteur, Friedrich Hayek. Faussement malin, le titre du prĂ©sent livre, son quinzième essai Ă ma connaissance, n’est pas donc pas un hommage Ă Hayek ; il est simplement ironique!
Organisation du livre[2]
Dès ses premières pages, Stiglitz souligne que, selon des lanceurs d’alerte, en seize ans (2006 Ă 2022), l’indice des libertĂ©s aurait baissĂ© dans le monde : 80% de la population mondiale souffrirait d’un rĂ©gime autoritaire ; et en AmĂ©rique, vrai sujet du livre, le penchant autoritaire de Trump est patent ; alors qu’au sein de l’Union europĂ©enne, par principe attachĂ©e Ă la libertĂ©, la rĂ©publique hongroise s’affirme illibĂ©rale, un qualificatif vague, brandi comme un chiffon rouge ! Friedrich Hayek et Milton Friedman ont, selon l’auteur, gravement pĂ©chĂ© ; et si d’autres libĂ©raux, comme le PrĂ©sident Ronald Reagan, ont favorisĂ© des marchĂ©s libres, ce n’Ă©tait ni pour la libertĂ© ni pour leurs peuples ; mais pour prĂ©parer – peut-ĂŞtre sans le savoir ni le vouloir – un avatar du fascisme qui pourrait marquer le XXI° siècle (sic, p. 290) !
RĂ©digĂ©e par l’auteur lui-mĂŞme, l’assez longue prĂ©face (14 pages numĂ©rotĂ©es en chiffres romains) s’ouvre sur une citation du philosophe britannique Isaiah Berlin Ă qui Stiglitz emprunte une formule, sortie de son contexte, qui n’est qu’une caricature du libĂ©ralisme[3] : « la libertĂ© des loups entraĂ®ne souvent la mort des moutons » ! Ces mots empruntĂ©s donnent le ton du livre qui dĂ©cline de nombreux lieux communs d’inspiration keynĂ©sienne, sur près de 300 pages.
Les deux chapitres introductifs (Chap. 1 & 2) enfoncent dĂ©jĂ le clou : dans ses campagnes prĂ©sidentielles, F-D. Roosevelt avait fixĂ© deux objectifs politiques aux États-Unis : freedom from want (sortez du besoin) et freedom from fear (n’ayez plus peur)[4] ; ces deux règles impliquaient des actes politiques ; elles imposèrent Ă l’État-providence de rĂ©pondre aux besoins qu’expriment les bĂ©nĂ©ficiaires des « droits à » que leur avait promis la puissance publique, sous la forme de prestations ou de services, gratuits ou presque, profitant Ă tous ceux qui sont censĂ©s ĂŞtre dans le besoin (logement, Ă©cole, soins mĂ©dicaux, etc.). DĂ©finis et garantis par l’État fĂ©dĂ©ral, ces droits sociaux consomment d’importants budgets sociaux.
L’essai comprend ensuite trois parties.
- Cinq chapitres (Chap. 3 Ă 7) exposent ce que l’auteur entend par « libertĂ© » ; il jongle avec deux mots qui sont difficiles Ă distinguer par un esprit français : Liberty (dĂ©rivĂ© du mot français) et Freedom (de racine saxonne). Au-delĂ des mĂ©andres de cette rĂ©flexion, un seul point est limpide : cette « libertĂ© » (qu’il estime menacĂ©e) n’a de sens que dans un cadre social et redistributif. Car Stiglitz considère la libertĂ© comme une ressource limitĂ©e, rĂ©sultant d’un jeu Ă somme nulle qui la rĂ©partit au sein de la sociĂ©tĂ©. Sous plusieurs formes, il rĂ©pète : « la libertĂ© des uns n’existe qu’au dĂ©triment de celle des autres », thème central du chapitre 3 qu’il reprend souvent (pp. 87, 106, 129, 194, 203 etc.) ; et c’est pourquoi, dans son esprit, les inĂ©galitĂ©s qui minent la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, qu’il juge insupportables, doivent ĂŞtre compensĂ©es par l’État (pp. 67-68) ! Sans surprise, c’est un moyen keynĂ©sien qu’il suggère : l’État-Providence doit redistribuer la libertĂ©, de la mĂŞme manière qu’il redresse les diffĂ©rences de revenu en attribuant des avantages sociaux. Mieux : puisqu’il considère que la plupart des inĂ©galitĂ©s de revenu et de situation rĂ©sultent d’externalitĂ©s, une rĂ©glementation correctrice et une fiscalitĂ© ad hoc (que Stiglitz adore, semble-t-il) l’aideraient Ă parvenir Ă ses fins (rĂ©sumĂ© pp. 120-121) !
- Trois chapitres posent ensuite les bases d’une bonne sociĂ©tĂ© (sic) pour l’AmĂ©rique, projet que rĂ©sume le sous-titre de l’ouvrage. Afin de formater les individus et de leur faire adopter les valeurs nĂ©cessaires Ă la rĂ©ussite d’un tel projet (Chap. 8 & 9), Stiglitz n’hĂ©site pas Ă rappeler que cela imposerait une dose de contrainte : au passage, son analyse du « crĂ©dit social » chinois qu’il semble tolĂ©rer bien mieux que la publicitĂ© des multinationales, est très ambigĂĽe (p. 159) ! Un autre passage confus, relatif aux rapports entre solidaritĂ© et libertĂ© (Chap. 10) dĂ©finit la tolĂ©rance non pas comme une vertu que chacun pratiquerait, mais comme une valeur sociale, complĂ©mentaire de la solidaritĂ© qui devrait primer sur tous les autres impĂ©ratifs sociaux, dit-il. Il cite aussi la « laĂŻcitĂ© Ă la française » (p. 204) et notre devise rĂ©publicaine (libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ©) qu’il associe Ă cette qualitĂ© suprĂŞme : la solidaritĂ© !
- La troisième et dernière partie de ce livre, confirme la quĂŞte de ce que Stiglitz appelle « une sociĂ©tĂ© libre, juste et bonne», dont il aurait conçu le projet dès le dĂ©but de sa carrière, dans les annĂ©es 1960. Cette sociĂ©tĂ© diffèrerait du « nĂ©o-libĂ©ralisme » dont il attribue la paternitĂ© Ă Milton Friedman & consorts, responsables, selon lui, de l’Ă©chec constant, patent et continu du capitalisme amĂ©ricain, ce que tentent de prouver les multiples tableaux qui constituent l’essentiel du chapitre 11 (constat d’Ă©chec du capitalisme: pp. 218 – 225). L’auteur dĂ©cline ensuite les composantes de l’action volontariste et gĂ©nĂ©reuse qu’il reprend des chapitres prĂ©cĂ©dents : rĂ©viser profondĂ©ment les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle et industrielle, la gestion et l’affectation de la dette publique, la production mondialisĂ©e et le commerce international. Tout cela prĂ©parant un new deal mondial afin de redistribuer tâches (et revenus) entre pays du nord et pays du sud, d’Ă©radiquer le « nĂ©o-colonialisme » qui entrave le Tiers-monde, de partager les richesse minières et agricoles… et de contrecarrer le dĂ©règlement climatique qu’il dĂ©nonce depuis des annĂ©es (chap. 12).
Ainsi se dessinent les axes d’une social-dĂ©mocratie mondialisĂ©e que Stiglitz appelle de ses vĹ“ux (chap. 13); et un « capitalisme progressiste »[5] qui rĂ©affecterait la richesse, tant au sein des États-Unis qu’entre les membres de la communautĂ© mondiale. De « justes obligations » s’imposeraient alors Ă l’AmĂ©rique (puis Ă l’occident, par la suite), grâce Ă la justice sociale qu’exige une sociĂ©tĂ© bonne [6]. Chacun modĂ©rerait ses besoins afin de permettre aux autres d’assouvir les leurs (Chap. 14, p. 278 sq.). Si la droite et les mĂ©dias dominants (d’AmĂ©rique) n’admettent pas spontanĂ©ment cette vision du monde futur, les contraindre s’avĂ©rerait nĂ©cessaire. Aucun doute n’est donc permis: c’est bien cela qu’implique le titre de ce livre : « En route vers la libertĂ© »![7]
Stiglitz : un augure, pas un scientifique !
La lecture de Road to Freedom prouve que Stiglitz ne joue pas dans la mĂŞme cour que son ainĂ© Hayek : au terme du dernier confit mondial, Hayek montrait, lucidement, que Staline et Hitler poursuivirent, l’un comme l’autre, un projet socialiste ; et que leur conquĂŞte s’exerça au dĂ©triment de leurs peuples et des autres nations. En dĂ©montant ce piège qui fit peser une grave menace sur notre monde, Hayek agissait en moraliste politique ;il rĂ©flĂ©chissait au long terme, bien au-delĂ de sa discipline acadĂ©mique, l’Ă©conomie !
Tout au contraire, dans son dernier livre comme dans les prĂ©cĂ©dents, Stiglitz dĂ©nonce seulement des politiques Ă©conomiques qu’il rejette ; il les dĂ©nigre en les affublant du terme « nĂ©o-libĂ©ral », pĂ©joratif dans sa bouche car instaurĂ©es lors de la prĂ©sidence de Reagan. Il leur attribue les maux actuels de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine. Point de souffle, mais des affirmations, plaisantes pour la gauche du parti dĂ©mocrate car elles suscitent chez ses Ă©lecteurs du dĂ©pit, de l’envie ou de la jalousie. L’auteur offre Ă la vindicte populaire ceux qu’il dĂ©finit comme des manipulateurs intĂ©ressĂ©s et cyniques de l’Ă©conomie et de la monnaie amĂ©ricaines. Il s’exprime comme un augure, non comme un savant ni comme un « spectateur impartial », lui qui prĂ©tend prolonger la tradition d’Adam Smith (pp. 22 sq., 101 sq. etc.)!
Ce donneur de leçons a frĂ©quentĂ© – parfois bousculĂ© – les institutions auxquelles il participait. Cependant, malgrĂ© son brio acadĂ©mique, Joseph Stiglitz s’est souvent trompĂ© (d’analyse, de combat ou d’adversaire) au cours des trente dernières annĂ©es. Ainsi :
- En 2002, un rapport commandĂ© Ă son Ă©quipe, encourageait vivement Ă gĂ©nĂ©raliser des prĂŞts immobiliers garantis par l’État fĂ©dĂ©ral, par l’intermĂ©diaire d’Ă©tablissements publics (Freddie Mac et Fannie Mae) en faveur de mĂ©nages dĂ©shĂ©ritĂ©s, presque insolvables ; l’expĂ©rience prouva que ces financements, titrisĂ©s grâce Ă cette garantie publique, contribuèrent au crack de 2008, alors que Stiglitz affirmait qu’un dĂ©faut des « subprimes » Ă©tait « inimaginable »[8] !
- En 2007, il encouragea le Venezuela de Chavez Ă financer une redistribution clientĂ©liste par sa rente pĂ©trolière ; la quasi-faillite qui frappa ce pays dissuade la prospection pĂ©trolière et laisse tomber en dĂ©suĂ©tude l’Ă©quipement des puits producteurs ; rĂ©sultat : l’exploitation est aujourd’hui minime, polluante et dĂ©laissĂ©e ; un beau succès[9] !
- En 2016, en critiquant l’euro, Stiglitz se trompait aussi : certes, beaucoup de pays de l’Union europĂ©enne achètent Ă l’Allemagne plus qu’ils ne lui vendent ; mais, au sein de l’actuel marchĂ© intĂ©rieur europĂ©en, ces indicateurs n’ont plus le sens qui leur Ă©tait accordĂ© avant l’effacement des frontières intĂ©rieures de l’Europe, avant la libre-circulation et avant l’unitĂ© monĂ©taire de la zone euro ! Croyez-vous qu’au sein du marchĂ© intĂ©rieur amĂ©ricain, unifiĂ© depuis plus d’un siècle comme sa monnaie, Stiglitz prĂŞterait autant d’importance Ă la balance des Ă©changes entre Texas et Californie qu’il le fit entre la RFA, la France ou l’Italie ? Son regard sur l’Europe communautaire est hors cadre ! D’ailleurs, les membres de l’Union europĂ©enne (Ă l’exception de la Grande-Bretagne qui fut toujours Ă part jusqu’au Brexit, sur ce point comme sur le reste) n’envisagent pas d’abandonner cet acquis !
En pratique, Stiglitz nĂ©glige le monde rĂ©el lorsqu’il le gène. Ainsi, l’une des questions posĂ©es par l’Ă©quipe Sarkozy Ă cet augure, celle d’Ă©tablir des indicateurs pour dĂ©crire l’Ă©conomie europĂ©enne ouverte, n’a pas reçu de rĂ©ponse, Ă ma connaissance [10]! Plus grave pour l’Ă©conomiste qui Ă©crit cet ouvrage, alors qu’il insiste très souvent sur l’importance de la concurrence Ă©conomique, Stiglitz ne cite pas la très importante novation que les « marchĂ©s bifaces » ont introduite dans l’Ă©conomie numĂ©rique : cette innovation procĂ©durale explique l’effet d’Ă©chelle et la concentration inĂ©luctable des plates-formes numĂ©riques. Elle va de pair avec une autre forme de concurrence, liĂ©e Ă l’innovation technique, qui dĂ©stabilise les positions dominantes ; innovation que l’on a vu Ă l’œuvre souvent en quarante ans : pour les produits informatiques, pour les tĂ©lĂ©phones portables et pour les moteurs de recherche, notamment. Comment un Ă©conomiste aussi soucieux que Stiglitz de conforter les marchĂ©s concurrentiels, peut-il omettre qu’un changement de paradigme, technique ou commercial, bouleverse un marchĂ© aussi concentrĂ© que le numĂ©rique, bien plus profondĂ©ment et plus vite que ne peut le faire une institution quasi-judiciaire comme l’autoritĂ© de la concurrence (aux États-Unis: la FTC – Federal Trade Commission) ? En occultant, tout simplement, que le marchĂ© numĂ©rique se transforme en permanence et que des opĂ©rateurs et des plates-formes naissent et meurent constamment! Ce que d’autres ont observĂ©, dĂ©crit et thĂ©orisĂ© depuis plus de vingt ans, Stiglitz l’oublie. Surprenant, vraiment[11] !
Quelques éléments de synthèse.
Comme ses nombreuses publications antĂ©rieures, ce nouvel essai n’est tendre ni pour l’AmĂ©rique, au sein de laquelle Joseph Stiglitz fut Ă©levĂ© et qui lui offrit beaucoup d’honneurs ; ni pour les entreprises amĂ©ricaines qu’il accable, notamment celles qui ont tenu, au fil des dĂ©cennies, des positions Ă peu près inexpugnables dans le monde. Il donne du monde contemporain une vision qui n’est pas libĂ©rale ; il fustige ceux qu’il estime ĂŞtre « de droite » ; il voue Trump aux gĂ©monies. Mais rĂ©vère, en revanche, le prĂ©sident F. D. Roosevelt[12] et son «New deal [13]» qu’il encense, ainsi que le dirigisme qui s’imposa pendant la très longue prĂ©sidence de FDR dont la durĂ©e excessive dĂ©rogeait Ă la tradition. Le 22ème amendement constitutionnel, votĂ© au lendemain du dĂ©cès de FDR, interdit de rĂ©pĂ©ter cette anomalie : pas plus de deux mandats de quatre ans !
Stiglitz se situe nettement Ă la gauche de l’Ă©chiquier politique amĂ©ricain. Il n’hĂ©site jamais Ă prendre le parti de l’AmĂ©rique latine, de l’Asie ou de l’Afrique ; ni Ă stigmatiser l’action et les pratiques des banques d’affaires, des multinationales et des prĂŞteurs (liĂ©s aux États-Unis, dans son esprit) dont il souligne la « voracitĂ© » et « l’Ă©goĂŻsme », particulièrement face aux dĂ©biteurs chroniques qui furent incapables d’honorer leurs engagements financiers (comme l’Argentine, qu’il cite souvent ; ou la Tanzanie qu’il Ă©voque aussi), tous pays dont la dĂ©route financière (faut-il le rappeler?) est souvent liĂ©e au caractère prĂ©dateur de leurs dirigeants.
Bien que de tradition juive[14], Joseph Stiglitz pourrait facilement endosser la sentence du dominicain Lacordaire, fort peu libĂ©rale mais toujours vivante dans la vie politique française : « entre le maĂ®tre et le serviteur, c’est la libertĂ© qui opprime et la loi qui affranchit »[15]. Cela explique-t-il la faveur, parfois l’estime que lui accorde une partie de la sociĂ©tĂ© politique française, je l’ai signalĂ© Ă propos du prĂ©sident Sarkozy, plus haut.
La route de la servitude de F. Hayek accusait l’État tyrannique de mĂ©priser le peuple et de saper ses libertĂ©s ; de nos jours, Stiglitz prĂ©tend qu’Ă l’ombre de l’Ă©troit nationalisme de Trump, ses partisans et leurs Ă©mules prĂ©parent le « nouveau fascisme du XXI° siècle » dominĂ© par de gigantesques firmes multinationales (les GAFAM?). Et qu’une social-dĂ©mocratie fĂ©ministe, Ă©cologiste et pro-active pourrait sortir les États-Unis de l’ornière nĂ©o-libĂ©rale dans laquelle ils seraient embourbĂ©s depuis un demi-siècle. Cette « rĂ©volution des esprits » devrait reformater la pensĂ©e et l’Ă©ducation des jeunes amĂ©ricains (p. 291). Seule une « action collective » pourrait redresser la barre, comme FDR le fit en son temps, en imposant une nouvelle donne « arc-en-ciel » ! Cette proposition converge avec ces universitaires qui labourent les campus depuis des annĂ©es, interdisant l’accès aux classes et aux amphithéâtres Ă ceux qui ne pensent pas comme eux, et qui veulent Ă©duquer les masses (Ă la mode soviĂ©tique ou Ă la chinoise ). Ce progressisme vĂ©gan, Ă©cologique et dĂ©croissant, serait assorti d’une discrimination positive (Ă l’Ă©cole, Ă l’universitĂ© et dans toute la sociĂ©tĂ©) ; en faut-il « encore une couche » ?
Depuis plus de trente ans, Stiglitz accuse les grands patrons, les financiers, les initiĂ©s des marchĂ©s financiers etc. de n’avoir aucune intention altruiste ; il dĂ©fend la franche politique redistributive que la gauche du parti dĂ©mocrate aimerait imposer aux États-Unis afin d’y rĂ©duire ces « inĂ©galitĂ©s » qui asserviraient l’AmĂ©rique à « une « minoritĂ© agissante et cupide », celle des intermĂ©diaires de Wall Street, du Mercantile de Chicago et des gourous de la Silicon Valley ! InspirĂ©, dit-il, par J. Stuart Mill (p. XVII, p. 195 etc.)[16] notre auteur prĂ©tend qu’au XXI° siècle, les seuls vrais dĂ©fenseurs de la libertĂ© sont ces progressistes qui luttent contre la pollution (industrielle), contre le changement climatique (anthropique), contre la vente libre des armes (aux États-Unis), pour l’avortement (libre et gratuit) et pour que quiconque qui se sent mal dans sa peau choisisse son genre ! En revanche, affirme-t-il, le monde n’est qu’affrontement frontal entre le bien et le mal, « entre le riche et le pauvre, entre le maĂ®tre et le serviteur » pour citer Ă nouveau Lacordaire que Stiglitz n’a probablement pas lu, mais qui pensait comme lui. EsquissĂ© depuis des dĂ©cennies, ce projet n’est-il qu’un remake de la lutte des classes ? Verrait-il le jour si Kamala Harris devenait prĂ©sidente des États-Unis ces prochains mois ? Qui vivra, verra !
[1] Un grand succès, littéraire et politique, en 1944-45. Adaptation française : F. A. Hayek : La route de la servitude, PUF, Quadrige, Paris 2013 [éd. originale anglaise : 1944].
[2] Joseph E. Stiglitz, The Road to Freedom: Economics and the Good Society, Norton, New York, 2024, 360 p. (30 US $).
[3] Vargas Llosa remercia Berlin – comme l’on fait Aron, Popper et Revel – de lui avoir ouvert le « chemin de la libertĂ© » (aurait pu dire J.-P. Sartre !): « j’avoue (leur) devoir ma revalorisation de la culture dĂ©mocratique et des sociĂ©tĂ©s ouvertes » in : ConfĂ©rence Nobel, 7 dĂ©cembre 2010, Stockholm.
[4] Cf. son message sur « l’Ă©tat de l’Union » le 6 janvier 1941, proche du terme de son second mandat prĂ©sidentiel : personne ne serait vraiment libre sans s’affranchir de ces deux frayeurs (p. XIV de la prĂ©face !).
[5] Véritable oxymore que Stiglitz aligne, sans aucun humour (p. 277)!
[6] Ce livre (p. ex. p. 86-87) évoque souvent John Rawls (1921-2002) : « les économistes esquivent tout débat sur la justice sociale » (p. 210) ; « Rawls peut nous aider à repérer les règles favorables à une société bonne » (p. 283). Sans index, difficile de repérer toutes les mentions de cette icône de l’intelligentzia depuis un demi-siècle. cf. : A Theory of Justice, Oxford Paperbacks, 2005 [ed. originale 1971].
[7] D’innombrables notes sont rassemblĂ©es Ă la fin de l’ouvrage, citant de multiples travaux dirigĂ©s par l’auteur, en petits caractères (pp. 299-356), difficilement exploitables sans bibliographie ni index. Des appendices que l’auteur disait dĂ©jĂ inutiles dans un essai prĂ©cĂ©dent (Globalization and its Discontents,WW Norton, 2002 – trad. : La grande dĂ©sillusion, Fayard, 2002 (pp. 13 & 24). Surprenant, pour un universitaire !
[8] Joseph E. Stiglitz, Jonathan M. Orszag et Peter R. Orszag, “Implications of the New Fannie Mae and Freddie Mac Risk-based Capital Standard,” Fannie Mae Papers, vol. 1- 2,‎ mars 2002.
[9] Rory Carroll, “Nobel economist endorses Chávez regional bank plan,” The Guardian,‎ 11 octobre 2007; Megan McArdle, “Does Hugo Chavez help the poor?,” The Atlantic,‎ 7 mars 2008 ; ainsi que : Peter Foster: “Chavez’s rule was marked by using state oil company as his populist piggy bank,” National Post,‎ 5 mars 2013.
[10] The Euro: How a Common Currency Threatens the Future of Europe, W. W. Norton & Company, 2016.
[11] Rochet & Tirole : « Platform competition in two-sided markets », J. Europ. Eco. Ass., vol 1, n°4, p. 990 sq. (2003).
[12] Élu pour quatre mandats ; le dernier ne dura que quelques semaines.
[13] Au sens littĂ©ral : une « nouvelle donne » politique, comme la donne d’un jeu de cartes.
[14] Ses biographes le disent rarement ; mais le blog des étudiants de la Columbia Business School, incisif et bien informé, rapporta ce propos : « I had a very strong religious upbringing. In high school I had a personality test done and they said based on my personality: I should be a Rabbi … I have a very strong Jewish background »! in : 2003 UNCOVERED: the most interesting people at Columbia Business School. https://business.columbia.edu/press-releases/cbs-press-release/interview-professor-joseph-stiglitz.
[15] En France, la libertĂ© Ă©chappe progressivement au droit naturel : de plus en plus dĂ©finie par la loi et par les vues du Conseil d’État Ă qui l’injonction du R. P. Henri-Dominique Lacordaire (1802-1861) convient très bien ! Cf. Ĺ’uvres, IV., T. III, p. 494 (52ème confĂ©rence Ă Notre-Dame du 16 avril 1848, intitulĂ©e : Du double travail de l’homme).
[16] On Liberty (1859) traduit et édité en France en 1860 chez Guillaumin ; édition moderne chez Folio.