1. Introduction

Un niveau d’inflation élevé s’est de nouveau installé dans le monde occidental — sans doute pour un certain temps — et ses conséquences économiques, sociétales et politiques sont à ce jour incertaines. Lorsque, au début de l’année 2021, les prix à la consommation ont commencé leur ascension, certains décideurs politiques et banquiers centraux s’en sont peut-être réjouis. Beaucoup d’entre eux ont affirmé en effet que le phénomène serait temporaire et lié à des problèmes de courte durée liés à la chaîne d’approvisionnement mondiale. Lorsque les prix à la consommation ont continué d’augmenter au début de 2022, la guerre en Ukraine est devenue la nouvelle explication principale de la hausse des prix. Malheureusement, ce type d’explication qui attribue la cause de la hausse des prix à la consommation à des facteurs externes est assez répandue dans les cercles politiques, tout comme l’est la conviction que l’inflation est vouée à disparaître comme par enchantement. De telles explications et croyances négligent pourtant des aspects centraux du phénomène inflationniste et révèlent un refus d’admettre les erreurs commises par le passé. Pendant ce temps, et tout naturellement, les citoyens sont inquiets : l’inflation des prix à la consommation réduit leur pouvoir d’achat, c’est-à-dire, la quantité de biens et de services que leur flux de revenus actuels ou leur richesse accumulée permettent d’acheter.

Lorsque les marchés sont contestables, c’est-à-dire dans un contexte de marché libre, les prix donnent des informations sur la rareté relative des biens et services. Lorsque plus d’argent chasse une quantité constante de biens, l’argent est relativement abondant et les biens sont relativement rares. Ainsi, les prix des biens ont tendance à augmenter. Plus généralement, un excès de monnaie ne peut avoir que deux causes fondamentales qui ne s’excluent pas mutuellement : (1) Soit la production a chuté et trop peu de biens sont disponibles pour une somme de monnaie constante, soit (2) l’offre de monnaie a augmenté et l’offre de biens est restée la même. Dans les deux cas, trop d’argent chasse trop peu de biens et des déséquilibres apparaissent. C’est l’essence même de l’inflation. Les déséquilibres et la perte de pouvoir d’achat qui leur est associée prennent fin une fois que la hausse des niveaux de prix a éliminé les soldes monétaires excédentaires que les gens veulent dépenser.

Le présent article traite en détail de l’essence de l’inflation. Les préférences sont généralement plutôt stables, les conditions de l’offre de biens et de services tendent à s’ajuster lentement et les technologies progressent régulièrement de sorte qu’en dehors des chocs d’offre externes inattendus, la demande et l’offre de biens ne changent que progressivement. En revanche, les politiques monétaires et budgétaires ainsi que la réglementation gouvernementale peuvent changer rapidement. Les augmentations rapides des prix sont généralement une conséquence de ces derniers facteurs, plutôt que de changements dans les préférences ou la technologie. Ainsi, la politique en général et la politique monétaire en particulier sont essentielles pour comprendre l’inflation.

Dans la plupart des cas, les politiques monétaires et fiscales ainsi que la réglementation sont influencées par les politiciens et leurs groupes d’intérêt. En effet, chaque modification de l’une de ces politiques crée des gagnants et des perdants, c’est-à-dire qu’elle offre des possibilités de redistribution. L’histoire montre que la convertibilité des lingots (par exemple, l’étalon-or), l’ancrage à des devises fortes, l’indépendance formelle de la banque centrale et la libre circulation des capitaux (concurrence des devises) ne suffisent pas à éviter la manipulation et la discrétion monétaires. Les décideurs renoncent facilement à la teneur officielle en or ou en argent de leur monnaie et aux accords de taux de change fixes si cela convient à leurs objectifs. De plus, l’indépendance des banquiers centraux ne les empêche pas de s’entendre avec les décideurs politiques ou les groupes d’intérêts particuliers. La concurrence entre les monnaies pourrait contribuer à axer la politique monétaire sur la recherche d’une faible inflation. Mais les pressions concurrentielles sont affaiblies par les coûts de transaction liés au passage d’une devise à une autre. De plus, les décideurs politiques n’hésitent pas à introduire un contrôle du mouvement des capitaux en temps de crise. Alors que les citoyens bénéficient de conditions monétaires stables, les décideurs sont eux incités à manipuler les conditions monétaires, fiscales et réglementaires et à rechercher une intervention monétaire centralisée. En prenant ce fait comme une contrainte incontournable, nous plaidons pour une nouvelle forme de concurrence en vue de rapprocher la politique monétaire des intérêts à long terme des citoyens. En particulier, nous suggérons que le marché des banquiers centraux devrait être ouvert aux entreprises et aux particuliers, quelle que soit leur nationalité.

Dans cette optique, nous mettrons tout d’abord en évidence les mécanismes clés qui génèrent l’inflation des prix (section 2), avant d’analyser les possibilités de dompter la discrétion monétaire et de présenter notre propre proposition pour y parvenir (section 3). 

2. L’essence de l’inflation

Inflation monétaire, inflation du crédit et privilèges

Aux yeux de la plupart des gens, le terme « inflation » identifie la variation proportionnelle de l’indice des prix à la consommation (IPC) ou la variation proportionnelle des prix des biens et services produits dans un pays donné, ce qu’on appelle le déflateur du PIB (voir par exemple Frisch, 1977). La différence entre les deux mesures tient au fait que le déflateur du PIB inclut les prix de ce qui est produit mais non consommé au niveau national (les exportations), tandis que l’IPC inclut les prix de ce qui est consommé au niveau national mais produit à l’étranger (les importations). Les commentateurs politiques mesurent généralement la perte de pouvoir d’achat des individus en se référant à l’inflation de l’IPC, tandis que la croissance réelle de la production est (correctement) calculée en tenant compte du déflateur du PIB. Il est important de noter qu’il existe, à côté de l’IPC et du déflateur du PIB, d’autres catégories d’inflation des prix. Par exemple, il existe un indice des prix de gros, un indice des prix de l’immobilier, un indice des prix des actifs, et bien d’autres encore. Ces autres prix peuvent affecter l’IPC ou le déflateur du PIB avec un décalage dans le temps. On est donc en droit de se demander lequel de ces indices est le plus approprié pour comprendre l’inflation ? La réponse courte est « aucun d’entre eux » (Colander, 2014).

Comme le rappellent Nussbaum (1943) et Bryan (1997), le terme «_inflation » est né au milieu du XIXème siècle pour définir une expansion de la quantité de papier-monnaie en circulation sans une augmentation correspondante des dépôts métalliques qui garantissent la pleine convertibilité, c’est-à-dire, sans une augmentation qui corresponde à 100% de la quantité nouvelle de papier-monnaie. Selon cette définition, une augmentation de la monnaie sans augmentation correspondante de sa garantie est qualifiée d’inflation. Les régimes monétaires actuels ne reposent plus sur des dépôts métalliques (or, argent). Mais les gens s’attendent à pouvoir échanger leur papier-monnaie contre des paniers donnés de biens et de services. Par conséquent, on peut affirmer que dans les régimes monétaires actuels, les augmentations de la masse monétaire sont inflationnistes si elles ne vont pas de pair avec une augmentation de l’offre de ces paniers de biens et services.

Les augmentations de la masse monétaire – Lepage (2020) explore en détails les façons dont la nouvelle monnaie a été créée dans un passé récent – génèrent le plus souvent des variations de prix qui diffèrent selon les biens et services et selon les types de revenus et les stocks de richesse des individus (Hume 1742, Cantillon 1755). Ainsi, dans la plupart des cas, les augmentations de la masse monétaire créent des gagnants et des perdants sur la base d’un mélange de coercition et de privilèges liés au pouvoir politique.

Le terme « inflation » est également présent dans la notion d’inflation du crédit (voir par exemple, Nussbaum 1943) et fait alors référence à des situations dans lesquelles les décideurs monétaires augmentent l’offre de fonds disponibles sur le marché du crédit, éventuellement dans le but d’orienter le comportement des individus au sein de ce qui est communément appelé le « cycle des affaires ». Il convient de noter que ces efforts sont souvent inopportuns et interagissent également avec les cycles politiques, conduisant à ce que l’on appelle des « cycles économiques politiques » (voir, par exemple, Nordhaus 1975). En conséquence, et sans surprise, l’action gouvernementale est souvent contre-productive et génère des distorsions qui conduisent à une multitude de gagnants et de perdants.

Le débat actuel sur l’inflation tend à négliger le mécanisme par lequel la cause – l’inflation de la monnaie et du crédit – entraîne la conséquence – l’inflation des prix – et ignore que la coercition est généralement à la source de tous les épisodes d’inflation des prix. Il est important de noter que les explications actuelles de l’inflation cachent le fait que les épisodes inflationnistes peuvent être, et en fait ont souvent été, délibérément conçus pour créer des gagnants et des perdants. Sans une analyse appropriée de la coercition, du pouvoir politique et du rôle des groupes d’intérêt dans la politique, bon nombre des points de vue actuels sur l’inflation (des prix) sont au mieux des exercices utiles de statistiques descriptives, mais guère plus que cela.

Prix relatifs et évolution des prix

Lorsque les individus sont confrontés à l’inflation, la question clé est de savoir si la rémunération qu’ils obtiennent pour l’emploi d’une unité de leur capacité de production (pour les travailleurs, ce serait le salaire) leur permet d’acheter les quantités de biens et de services qu’ils attendent. Avoir la possibilité d’acheter plus est généralement associé à plus de satisfaction. De même, les individus sont plus heureux s’il leur faut moins d’efforts de travail pour acheter un panier de biens de consommation au moins aussi satisfaisant que le panier qu’ils espéraient pouvoir acheter. Dans les deux cas, on peut dire que le prix de leur consommation baisse relativement au prix de leur travail. En d’autres termes, se concentrer sur le prix d’un panier de consommation en soi n’est pas si important : lorsqu’un individu évalue son pouvoir d’achat, ce qui importe pour lui n’est pas tant de savoir que le prix d’une unité de consommation ou d’un bien immobilier est, disons, d’un dollar (ou d’un euro), à moins qu’il ne puisse relier ce dollar à son pouvoir d’achat, c’est-à-dire à son revenu ou sa richesse. Au niveau d’un pays, par conséquent, l’élément d’information pertinent pour le consommateur est de savoir si l’IPC a changé par rapport au déflateur du PIB, c’est-à-dire si le prix de ce que les individus achètent a augmenté ou diminué par rapport au prix/rémunération que ces individus obtiennent lorsqu’ils consacrent leur temps et leurs compétences à des activités productives.

Ce raisonnement permet de comprendre ce que l’on appelle «_l’inflation importée ». Ceteris paribus, lorsque le prix des importations augmente, l’IPC augmente par rapport au déflateur du PIB. Autrement dit, le prix de la valeur ajoutée produite dans le pays (PIB) baisse par rapport au prix des biens et services importés de l’étranger. C’est ce qui appauvrit les habitants du pays.

Une ligne de pensée similaire s’applique à la structure intertemporelle des dépenses, c’est-à-dire, aux décisions d’épargner, de consommer et de produire. Dans ce contexte, le taux d’intérêt est le prix de la transformation des revenus futurs en consommation d’aujourd’hui. Une baisse du taux d’intérêt incite les acteurs à augmenter leurs dépenses courantes et/ou à réduire leurs efforts de travail courants, puisque les dépenses courantes sont devenues relativement moins chères. Les consommateurs et les producteurs empruntent pour acheter plus de biens de consommation et plus de machines ; et les investisseurs financiers empruntent pour acheter des actions ou des biens immobiliers. Enfin et surtout, la baisse des taux d’intérêt affecte les gouvernements qui empruntent davantage et augmentent l’endettement public. En l’absence de politique monétaire active et avec des préférences constantes, le taux d’intérêt serait plutôt stable.

Les changements des fondamentaux qui affectent les prix relatifs peuvent facilement offrir des opportunités d’intervention apparemment justifiées. Supposons, par exemple, que les individus commencent à craindre que leurs flux de revenus futurs (ou leurs pensions) ne baissent par rapport aux prix des biens et services qu’ils envisagent de consommer. Ils réagiront très probablement en réduisant leur consommation courante et/ou en augmentant leurs efforts de travail pour améliorer leur pouvoir d’achat futur en épargnant. L’offre excédentaire de valeur ajoutée réduit le prix relatif de la consommation courante, les taux d’intérêt baissent et l’équilibre qui correspond aux anticipations des gens se rétablit. Un observateur inattentif pourrait conclure que la baisse de la consommation actuelle a provoqué une sorte de déflation de l’IPC et qu’il faut plus de crédit. Pourtant, la manipulation du crédit par le biais d’une politique monétaire active perturberait les efforts des gens pour s’adapter aux nouvelles conditions et conduirait à des résultats indésirables, c’est-à-dire qu’une intervention serait basée sur de fausses prémisses et serait injustifiée.

Les conceptions traditionnelles de l’inflation des prix

Une politique monétaire expansionniste par l’injection de monnaie supplémentaire sans augmentation correspondante de la production de biens affecte généralement la structure des prix et donc les prix relatifs. Cependant, les analyses traditionnelles de l’inflation des prix accordent généralement peu d’attention aux prix relatifs. Ces analyses sont communément appelées l’approche monétaire, l’approche par un choc de demande et l’approche basée sur un choc de coûts.

a.) L’approche monétaire

La version dominante de l’approche monétaire lie l’inflation monétaire à l’inflation des prix et prétend que la politique monétaire expansionniste affecte tous les prix de la même manière. On suppose que l’argent frais tombe des hélicoptères (Friedman 1969), et que chaque individu ne le ramasse qu’en proportion de sa production ou de sa richesse. Étant donné que les variations des prix relatifs sont exclues, aucun changement réel ne se produit. Dans ce cadre, la monnaie serait donc neutre.

Pourtant, ce n’est pas ce qui se passe habituellement lorsqu’une politique monétaire expansionniste est en cours. Les hélicoptères de Friedman ont des pilotes. Les gouvernements et les banquiers centraux ne s’assurent presque jamais que l’argent supplémentaire se retrouve dans les poches de chacun dans des proportions neutres et que tous les prix changent de manière equi-proportionnelle. Ainsi, et contrairement au récit monétariste traditionnel, des gagnants et des perdants émergent, et de véritables changements se produisent fréquemment. Autrement dit, les politiciens, les banquiers centraux et les groupes de pression ont des intérêts et peuvent utiliser la politique monétaire pour les servir.

b.) L’inflation tirée par la demande

Un deuxième point de vue répandu envisage les situations dans lesquelles une augmentation de la demande globale de biens et de services entraîne une augmentation du prix de ces biens et services. Lorsque ce phénomène est suffisamment large, les hausses de prix sont qualifiées d’inflation tirée par la demande. Cela sera souvent, à titre d’exemple, la conséquence d’une politique budgétaire expansionniste. Or, de telles hausses de prix se font au détriment d’une baisse du prix des biens et services que les individus n’achètent plus ou des actifs que les individus vendent pour financer leurs nouveaux achats. Dans ce cas, on peut donc bien observer une inflation de l’IPC, qui est cependant compensée par la baisse du prix des actifs. Cela s’applique également à la politique budgétaire financée par la dette. Si la dette est financée par les résidents, ceux-ci vendent leurs actifs ou coupent leur consommation pour acheter des bons du Trésor. Si la dette est financée par des investisseurs étrangers, alors le gouvernement importe en fait de l’argent et augmente la masse monétaire. Au final, le résultat est le même : la politique budgétaire n’est pas neutre et fait des gagnants et des perdants.

Une inflation tirée par la demande peut également apparaître lorsque les individus décident de modifier la composition de leur panier de consommation. S’ils concentrent leur demande sur les biens en pénurie et ne demandent plus les biens qui étaient auparavant consommés, l’IPC augmentera probablement et la production chutera faute d’acheteurs d’une gamme de produits. La conclusion n’est pas que l’essor de la demande pour certains biens entraîne une inflation des prix, mais que la nouvelle structure de la demande réduit la valeur de la production actuelle. Encore une fois, trop d’argent chasse trop peu de biens et, par conséquent, le prix relatif de l’argent baisse.

c.) L’inflation par les coûts

Enfin, il peut arriver que des ressources essentielles se raréfient et que leurs prix augmentent. C’est ce qu’on appelle parfois l’inflation directe de l’IPC par poussée des coûts. Ceteris paribus, cela signifie que le prix de notre valeur ajoutée a baissé par rapport au prix de ces ressources essentielles.

Il est possible que lorsque le pouvoir d’achat des gens baisse, certains travailleurs quittent le marché du travail ou préfèrent rester au chômage ou s’en remettre à l’État-providence. Dans de telles circonstances, la production souffre. À mesure que la production souffre, pour une somme d’argent constante, trop peu de biens sont disponibles et le prix relatif de l’argent baisse. Par conséquent, la cause de l’inflation des prix est la baisse de la production.

Quoi qu’il en soit, il est difficile d’adhérer au scénario d’une inflation des prix autopropulsée, à la suite de laquelle une baisse du pouvoir d’achat des travailleurs les encourage à demander des salaires plus élevés, ce qui peut à son tour augmenter le coût de production (c’est-à-dire l’inflation indirecte de l’IPC). Bien sûr, une inflation des prix autopropulsée est possible lorsque les marchés ne fonctionnent pas dans des conditions concurrentielles : par exemple, lorsque le gouvernement fixe des salaires minima qui sont systématiquement supérieurs au niveau qui prévaudrait dans des conditions de marché libre. En effet, des taux de salaire artificiellement élevés entraînent des distorsions, c’est-à-dire du chômage. À mesure que le chômage augmente, la production chute, entraînant une hausse des prix.

Manipulation et coercition

Dans une économie de marché libre, l’inflation de l’IPC est le résultat d’ajustements spontanés de la structure des prix relatifs. Toutes les inadéquations de la demande et de l’offre créent des gagnants et des perdants. Si aucune coercition ne s’applique et qu’aucun acteur ne bénéficie des privilèges accordés par le pouvoir politique, la concurrence fait en sorte que les ajustements rémunèrent ceux qui sont le plus à même de répondre aux préférences des citoyens et pénalisent ceux qui ne le font pas. Puisqu’un ensemble d’ajustements est un processus, on peut se prononcer sur la désirabilité des résultats, mais un jugement de valeur global n’a pas sa place.

Il en va autrement lorsque l’inflation est le résultat d’actions délibérées exécutées par une autorité en vue de créer ou de maintenir des privilèges pour des acteurs sélectionnés qui peuvent être des groupes spécifiques d’individus, des entreprises ou encore des gouvernements. Dans ces circonstances, l’inflation modifie le pouvoir d’achat de certains groupes de personnes et profite généralement à l’autorité elle-même.

La politique inflationniste fait appel à deux mécanismes : les politiques de crédit et les politiques monétaires. Le crédit est créé lorsqu’une banque met une partie de l’argent des déposants à la disposition des débiteurs qui empruntent pour financer leurs dépenses en excédent de leurs revenus. Les dépenses supplémentaires font alors partie des revenus de quelqu’un d’autre, dont une partie est déposée et justifie une autre série d’opérations de prêt bancaire. En bref, le montant initial des liquidités déposées génère plusieurs tours de prêt, dont la taille dépend de la part des dépôts qui est prêtée et de la part des revenus déposés à chaque tour. Les conditions de crédit dépendent de la confiance des déposants dans leurs banques et de leur propension à courir un risque. Bref, tout est question de crédibilité. Par exemple, une banque qui a tendance à sélectionner de mauvais emprunteurs et qui accorde  des prêts de façon excessive ne serait pas l’endroit le plus sûr pour placer votre argent, mais elle peut être intéressante si elle offre des rendements élevés sur les dépôts. La conséquence est que tout dépend des choix des déposants, de la qualité des banquiers, de la santé de l’économie. Un crédit excédentaire survient lorsqu’une banque distribue des ressources à des emprunteurs qui ne remboursent pas. Dans une économie de marché libre, l’ajustement est garanti car les déposants et les actionnaires des banques subissent des pertes en raison de leurs erreurs. Les déposants essaient de confier leur argent à de meilleurs banquiers et certains banquiers font faillite. La manipulation se produit lorsque les décideurs appliquent la coercition et empêchent les ajustements spontanés. Par exemple, les autorités peuvent contraindre les banquiers à respecter certains ratios de réserves obligatoires ou exiger des exigences de capital plus ou moins strictes. D’autre part, ils peuvent stimuler les prêts en subventionnant ou en garantissant les mauvais emprunteurs.

La politique monétaire fait elle aussi des gagnants et des perdants. Historiquement, les monnaies étaient constituées de métal ou de billets papier dont l’émetteur garantissait la convertibilité en métal (par exemple l’or). Dans ce cadre, une politique monétaire était possible mais nécessairement de courte durée : si le garant manquait à sa promesse d’échanger des billets contre du métal, les détenteurs de papier-monnaie subiraient des pertes, l’émetteur perdrait sa crédibilité et sa monnaie serait supplantée par d’autres devises. En revanche, les systèmes monétaires actuels comportent des billets papier inconvertibles (ou leurs équivalents numériques) émis par une autorité centrale. Ainsi, une unité monétaire est utilisée tant que la promesse du gouvernement de l’accepter comme moyen de paiement reste crédible. Étant donné que les gens ont besoin d’interagir avec le gouvernement et doivent pour cela utiliser la devise prescrite, la crédibilité de l’émetteur n’est pas un problème majeur, tout du moins tant que les décideurs politiques au sein du gouvernement jouissent d’un minimum de confiance.

Cependant, les décideurs politiques ne sont pas des dictateurs bienveillants qui essaient de maximiser une sorte de bien-être social. Ils sont vulnérables aux pressions des groupes d’intérêt et sont incités à influencer les marchés en recourant à la réglementation et à la politique monétaire. Leur engagement à se conformer aux désirs de l’électorat est au mieux vague. Bien que les interventions gouvernementales soient souvent présentées comme des moyens de protéger les déposants et parfois d’aider les emprunteurs, la réalité est que ce sont les marchés qui sont les mieux à même de collecter, révéler et diffuser l’information (A. Smith 1776 : IV. ii, §10, Hayek 1945) et de sélectionner les entrepreneurs qui réussissent. Si les décideurs disposaient vraiment de meilleures informations que les autres acteurs du marché, leur devoir consisterait à diffuser l’information, au lieu de contraindre les individus. De plus, nous savons que les légitimations de politiques publiques par référence à un bien-être social sont trompeuses (Condorcet 1785, Arrow 1950).

En augmentant la masse monétaire, une banque centrale peut utiliser la monnaie nouvellement créée pour soutenir les vendeurs d’obligations privilégiés (généralement les gouvernements) qui peuvent ainsi compter sur un acheteur généreux, amical et souvent obéissant. Pour être plus précis, la générosité se présente sous deux formes. La présence d’un acteur disposé à acheter de grandes quantités de certaines obligations réduit le coût de financement de ces émetteurs privilégiés. De plus, l’amitié peut se matérialiser en ne demandant jamais au débiteur de rembourser sa dette. Dans ce cas, les dettes sont simplement reconduites indéfiniment. Sans surprise, des « erreurs rationnelles » s’ensuivent : par exemple, les banquiers ne prêtent plus d’argent aux emprunteurs entrepreneurs et préfèrent accorder des prêts à des homologues sans potentiel qui bénéficient toutefois de garanties gouvernementales ce qui entrave fréquemment l’entrepreneuriat productif et innovant. De la sorte, la réglementation crée une classe de banquiers privilégiés et étouffe la concurrence dans le secteur bancaire, tandis que l’économie passe à côté d’opportunités de croissance et alloue à tort des ressources à de (mauvais) projets qui ne seraient pas financés dans des circonstances normales.

La manipulation de la masse monétaire génère des privilèges : parfois au profit de « mauvais » banquiers en mal de liquidités bon marché, le plus souvent au profit de gouvernements très endettés. Dans ce contexte, la prétendue indépendance du banquier central est difficile à préserver dans la pratique, d’autant plus que les banquiers centraux sont choisis par le biais de processus politiques. Même lorsqu’ils sont vraiment indépendants, leurs opinions et leurs préférences reflètent probablement celles des politiciens qui les choisissent.

En conclusion, l’inflation des prix est un phénomène monétaire. C’est la conséquence de l’inflation monétaire et de la régulation du crédit, qui à son tour affecte la masse monétaire. L’inflation monétaire crée une offre excédentaire de moyens de paiement, à la suite de quoi la monnaie perd une partie de son pouvoir d’achat. Les distorsions et interventions sur le marché du crédit créent des inefficacités, qui génèrent une baisse de la production par rapport aux moyens de paiement en circulation. Ainsi, l’inflation monétaire et l’inflation du crédit partagent deux caractéristiques qui passent souvent inaperçues. Premièrement, l’inflation du crédit alimente souvent l’inflation monétaire : les inefficacités créées par la première génèrent des crises auxquelles le gouvernement répond en augmentant les dépenses publiques. Au nom de la stabilité, la politique monétaire est assouplie, ce qui entraîne une masse monétaire supplémentaire pour soutenir des dépenses plus élevées. Deuxièmement, les manipulations sur les marchés du crédit et de la monnaie sont souvent des processus par lesquels des acteurs choisis obtiennent des privilèges. Et ce sont les citoyens qui finissent tôt ou tard par en payer le prix.

3. Améliorer la gestion monétaire grâce à la concurrence

Règles pour les autorités monétaires

Injecter de l’argent frais et réglementer le secteur du crédit et de la banque est une activité qui attire les décideurs politiques et certains groupes d’intérêt qui finissent par contribuer à la façonner (Bofinger 2001). Par exemple, les entreprises orientées vers l’exportation accueillent favorablement le relâchement monétaire, car il conduit à un taux de change plus faible. Peu importe si la hausse des prix intérieurs annulera plus tard l’avantage à court terme du taux de change. Dans la même veine, le secteur financier apprécie une réglementation qui érige de facto une puissante barrière à l’entrée contre des concurrents potentiels. Les banquiers qui ont fait les mauvais choix profitent des renflouements. Enfin, l’augmentation des dépenses publiques donne aux politiciens plus de latitude pour satisfaire des intérêts particuliers, en particulier lorsque des élections ou des crises politiques approchent et que l’éventail des bénéficiaires potentiels s’élargit.

Une politique monétaire qui sert les intérêts des décideurs politiques, des entreprises ou des investisseurs financiers, est généralement volatile, expansionniste et court-termiste. Dans les faits, peu d’attention sera accordée à la stabilité monétaire et à la croissance économique de long terme, ce qui serait pourtant dans l’intérêt des citoyens. Comme la politique monétaire est toujours motivée par des intérêts particuliers, la manipulation est toujours présente (Mises 1949, chapitre 31).

C’est la raison pour laquelle la profession économique a consacré une attention considérable à l’élaboration de règles efficaces qui renforceraient la stabilité monétaire (citons par exemple Wicksell 1907 au début du siècle dernier ou Taylor 2017 plus récemment). Le débat sur le choix entre « règles ou discrétion » (Kydland et Prescott 1977) a souligné la nécessité de soumettre les banquiers centraux à un carcan qui les résigne à viser une faible inflation, de peur qu’ils ne tentent de stimuler la production réelle par des politiques expansionnistes. Comme ces efforts de stimulation sont anticipés par les acteurs rationnels de l’économie, ils n’apporteraient de toutes les façons aucun bénéfice en termes de croissance, mais engendreraient des conséquences pernicieuses en termes d’inflation des prix (Barro et Gordon 1983).

Le débat sur le choix d’une règle appropriée a tourné autour de quatre propositions principales : rendre l’unité monétaire convertible en un métal, ancrer le taux de change entre sa monnaie et une autre monnaie, assurer l’indépendance formelle des banques centrales, mettre les monnaies en concurrence. Les quatre ont des lacunes aussi bien théoriques qu’empiriques.

a.) Convertibilité et taux de change fixes

La manière sans doute la plus évidente d’éliminer le pouvoir discrétionnaire consiste à éliminer le papier-monnaie et à le remplacer par de la monnaie-marchandise. C’est l’essence, par exemple, de l’étalon-or, régime selon lequel chaque unité monétaire en circulation est constituée d’or ou adossée à 100 % à – et convertible à la demande de l’émetteur en – or. L’ensemble du système monétaire étant basé sur la quantité d’or (ou d’un autre métal) disponible, ce régime équivaut à une perte d’autonomie de la politique monétaire.

Un régime de taux de change fixes est une règle qui engage une banque centrale à acheter/vendre des quantités illimitées de sa propre monnaie vis-à-vis d’une devise étrangère donnée à un taux de change donné. Une version légèrement plus souple consiste en un engagement à acheter/vendre la monnaie nationale sur les marchés des changes pour maintenir un taux de change constant vis-à-vis d’un panier de devises. Si une banque centrale s’est engagée à respecter une règle de change fixe, elle est effectivement contrainte par la politique monétaire de sa ou ses contreparties. Il en va de même pour ce que l’on appelle le currency board, qui est en fait un régime de taux de change fixe où la banque centrale s’engage à émettre un montant de monnaie locale égal à celui de ses réserves dans une monnaie donnée.

Ainsi, si la convertibilité en un métal ou en une autre monnaie pouvait être politiquement réalisable, de telles règles limiteraient de manière crédible le pouvoir discrétionnaire du banquier central. Mais les décideurs politiques ont fréquemment renié de telles règles, même lorsqu’ils s’étaient préalablement et solennellement engagés à ne jamais le faire. La principale raison pour laquelle tant de promesses n’ont pas été tenues est que ces régimes monétaires rendent difficile le recours à « l’argent facile » et ce faisant à la résolution des problèmes politiques, en particulier dans des contextes de croissance faible, de chômage élevé, de chocs inattendus ou d’une pression intense des groupes d’intérêt. Certes, de réels chocs nécessitent de réels ajustements, mais la manipulation monétaire peut retarder le coût de l’ajustement ce qui incite des groupes bien organisés ou des rivaux politiques à faire entendre leurs voix pour faire en sorte que les règles soient affaiblies, voire même complètement abandonnées : les normes métalliques ont été maintes fois suspendues, les taux de change fixes instaurés par le système de Bretton Woods ont duré relativement peu de temps et ont dû être soutenus par un contrôle généralisé des capitaux et des changes. La dollarisation en Argentine – un autre type de convertibilité fixe – n’a été qu’un feu de paille.

b.) Banques centrales indépendantes

Et si on coupait le cordon entre le banquier central et le monde politique ? De fait, une pratique courante aujourd’hui consiste à avoir des banquiers centraux qui suivent des règles préétablies. Il y a deux siècles, Ricardo (1824) écrivait : « On dit qu’on ne peut confier en toute sécurité au gouvernement le pouvoir d’émettre du papier-monnaie ; qu’il en abuserait certainement ; […] Mais je propose de placer cette confiance entre les mains de commissaires, que l’on ne pourra relever de leurs fonctions officielles […] » (pp. 10-11). Dans le cadre d’une démocratie représentative, l’indépendance de la banque centrale a le potentiel théorique de garantir la stabilité monétaire.

Néanmoins, comme Ricardo le savait (la Banque d’Angleterre était une banque privée jusqu’en 1946), même une banque centrale formellement indépendante peut être influencée par le gouvernement et les groupes d’intérêts, et cela est encore plus vrai lorsqu’un banquier central est nommé par des hommes politiques avec lesquels les candidats présélectionnés ont vraisemblablement entretenu de bonnes relations.

De plus, un engagement envers des règles données n’est crédible que si des mécanismes de sanction sont en place et efficaces. Il n’est pas surprenant que ces mécanismes soient rarement présents : des relations du type mandant-mandataire se retrouvent à plusieurs niveaux entre les électeurs, les politiciens et les banquiers centraux, de sorte que les banquiers centraux qui agissent contre les intérêts du public dans son ensemble ne peuvent être facilement et rapidement identifiés. De plus, il n’est pas dans l’intérêt des décideurs politiques de révoquer des banquiers centraux qu’ils ont eux-mêmes nommés, ni d’ouvrir un débat public sur les origines et la nature des mauvaises performances du banquier. En bref, les banquiers centraux jouissent d’une grande marge de manœuvre discrétionnaire durant leur mandat et peuvent poursuivre des intérêts qui dépassent largement leur mandat (de Haan, 2000).

Les épisodes récents d’inflation suggèrent qu’il y a beaucoup de place pour l’interprétation des règles, et que des règles censées contraindre les banquiers centraux à maintenir un niveau d’inflation faible se sont avérées beaucoup plus souples qu’initialement prévu. Les opinions des banquiers centraux, leurs liens avec le monde politique et les principaux groupes de pression sont bien plus importants que l’adhésion à une règle. Autrement dit, « l’indépendance » ne se traduit pas dans les faits par une promesse qui oblige à ne pas manipuler les marchés de la monnaie et du crédit.

c.) Concurrence monétaire

Les pays présentent des structures économiques, des traditions et des institutions politiques différentes. Cela explique pourquoi les politiques unifiées ne fonctionnent pas ; et pourquoi les unions monétaires, les currency boards et autres camisoles de force habituelles ne dureront probablement pas longtemps.

Certains économistes ont abandonné l’idée que des gouvernements pourraient se lier les mains et jeter la clé. Au lieu de cela, ils ont plaidé en faveur de la concurrence monétaire et de la banque libre, dans l’espoir de reproduire les résultats qui caractérisent les marchés des biens et des services. Si les citoyens exigent une faible inflation – c’est leur raisonnement – la concurrence monétaire obligera les banques centrales indépendantes à fournir une monnaie qui maintienne son pouvoir d’achat (Klein 1974, Hayek 1976).

Bien qu’intellectuellement attrayantes, les chances d’accroître la concurrence entre les monnaies sont infimes. Klein lui-même a souligné que passer d’une monnaie à une autre et d’un ensemble de prix à un autre implique des coûts de transaction substantiels. D’où une forte inertie dans le choix d’une monnaie. Mais on est en droit de penser que cette inertie devrait être moindre dans un monde où les ordinateurs sont omniprésents, et que la montée des crypto-monnaies pourrait bien s’avérer être un héraut de la banque libre et de la concurrence des devises.

Un marché concurrentiel pour une bonne politique monétaire

La discussion jusque-là montre que, d’un point de vue théorique comme d’un point de vue pratique, les différentes approches institutionnelles visant à établir une politique monétaire saine présentent des lacunes importantes. Si l’avenir pourrait voir émerger une plus grande concurrence entre les monnaies, il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui les banquiers centraux et les décideurs politiques font tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher cette concurrence et préserver la monnaie fiduciaire centralisée. La guerre contre les crypto-monnaies en est l’exemple le plus évident.

Il nous faut donc trouver d’autres moyens pour freiner la manipulation monétaire et c’est pourquoi nous proposons d’établir un marché qui mettrait en concurrence les politiques monétaires. L’idée part du constat que la manipulation monétaire est le résultat d’actions d’individuelles – dans notre cas, celles des banquiers centraux et des politiciens. A ce jour, seuls des individus peuvent prétendre assumer le rôle de banquier central, tandis que les entreprises ne sont pas autorisées à postuler ce poste. Cela réduit d’autant la concurrence entre les candidats potentiels. Faire confiance à une entreprise est parfois plus avantageux que de faire confiance à un individu, car on en sait beaucoup moins sur les capacités et les objectifs des candidats individuels que sur celles des entreprises ou des organisations. De plus, les entreprises mettent leur réputation en jeu et, par conséquent, sont incitées à être relativement performantes et à se conformer aux règles fixées pour une banque centrale formellement indépendante. L’obtention de bons résultats – c’est-à-dire, assurer correctement la stabilité monétaire – renforcera leur réputation, les rendra moins vulnérables aux groupes d’intérêts organisés et, plus généralement, renforcera leur position de candidats à des postes futurs ou concomitants de banquier central. Si les politiciens ont intérêt à être de connivence avec des banquiers centraux et des entreprises, cette collusion est moins attrayante pour une entreprise qui se doit d’être crédible à plus long terme. Il est important de préciser que les entreprises (et les particuliers) doivent pouvoir postuler au poste de directeur de la politique monétaire, indépendamment de leur pays de résidence ou de leur nationalité.

Certes, un marché concurrentiel pour la mise en œuvre d’une bonne politique monétaire ne résoudra pas tous les problèmes d’incitation et d’agence. Les décideurs essaieront toujours d’intervenir parce que la politique monétaire a le grand potentiel de créer différents groupes de gagnants et de perdants grâce à l’inflation. Cependant, une fois qu’un tel marché est établi, il sera relativement mieux protégé des interférences. De plus, même si les décideurs politiques faisaient le choix de soustraire leur pays d’une telle concurrence et d’imposer de nouvelles réglementations – en clair, s’ils choisissaient des banquiers centraux plus politiquement orientés –, leur changement de cap n’entraînerait pas les chocs importants qu’un abandon soudain et surprenant de la convertibilité à taux fixe ou l’introduction d’une monnaie parallèle dans une union monétaire sont susceptibles d’entraîner. La concurrence actuelle entre les monnaies serait complétée par la concurrence sur le marché des politiques monétaires et rendrait moins probables les périodes d’inflation excessive.

4. Résumé et conclusions

Contrairement à ce que suggère le discours dominant, l’inflation des prix est une question de prix relatifs : le pouvoir d’achat de l’unité monétaire chute lorsque trop d’argent chasse des biens, des services, des terres, des actifs financiers rares, etc. Injecter de l’argent neuf pour contrer la perte de pouvoir d’achat est inutile et nocif. C’est inutile parce qu’on ne peut pas créer de richesse en imprimant du papier ou de la monnaie numérique, et c’est nuisible parce que la politique monétaire est source de distorsions. L’histoire montre que les décideurs s’abstiennent rarement de manipuler les marchés du crédit et de la monnaie. Ils ont recours au crédit facile pour renflouer les banques commerciales surexposées et prolonger un niveau insoutenable d’endettement public, ce qui est dans leur intérêt à court terme. L’histoire montre également que les décideurs politiques peuvent difficilement résister à la tentation de recourir à des politiques inflationnistes afin de repousser les ajustements, de favoriser la formation d’un consensus et de satisfaire des groupes d’intérêts organisés. Les crises internationales deviennent souvent des excuses pratiques pour détourner le blâme pour les erreurs passées.

Les tentatives passées instaurant des règles institutionnelles pour limiter les abus ont échoué. À l’avenir, les crypto-monnaies décentralisées pourraient avoir le potentiel de rendre la banque centrale et la manipulation monétaire obsolètes, mais il est probable que les décideurs réglementeront fortement leur utilisation. Pour rendre la politique monétaire actuelle plus axée sur la stabilité, nous suggérons donc une réponse différente qui consiste à accroître la concurrence sur le marché des banquiers centraux. Pour cela il faut permettre aux entreprises de candidater au poste de banquier central et pas seulement à des individus. Un marché concurrentiel pour le choix des politiques monétaires, avec la possibilité pour des entreprises de prendre la place du décideur dans les banques centrales, aurait pour effet d’accroître la responsabilité et de réduire la portée de la collusion avec le monde de la politique au sens large du terme. Même si cela ne règlera pas tous les problèmes, au moins pouvons-nous en espérer des améliorations par rapport au très fragile système que nous connaissons.

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Enrico Colombatto et David Stadelmann

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