de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies

Le titre de cet ouvrage est ambitieux. Trop peut-être. « La vocation de ce livre est seulement de rassembler en un même volume l’état le plus à jour des connaissances rationnelles relatives à la possible existence d’un dieu créateur » (p. 27).  Ce « seulement » paraît bien téméraire. Et pourtant les deux auteurs parviennent en effet à présenter de manière claire et compréhensible le débat où se croisent les questions de foi sur l’existence de dieu et les progrès, considérables, des sciences physiques. Mieux, et peut-être parce qu’eux-mêmes sont des amateurs éclairés plus que des spécialistes, ils nous rendent intelligents en nous faisant comprendre les avancées de la physique quantique et de la thermodynamique, le Big Bang et quelques règles de la cosmologie.

Le deuxième principe de la thermodynamique défini par Carnot et Clausius « établit que, sans apport extérieur d’informations ou d’énergie, tout système fermé s’use et voit grandir son entropie », c’est-à-dire sa tendance à se disperser, à se dégrader. « Il en est ainsi de l’Univers comme une bougie qui se consume petit à petit et qui, si l’on regarde vers l’avenir, tôt ou tard sera complètement usée » (p. 49). Mais si notre univers s’épuise ainsi progressivement et inéluctablement, il faut nécessairement qu’il ait eu un commencement car sinon, il aurait disparu depuis longtemps, frappé de mort thermique : « Il est impossible d’imaginer un système fermé qui se consume depuis l’éternité, car sinon il serait usé depuis l’éternité » (p. 61). Il faut donc aussi qu’il ait eu une histoire, qu’il vive dans le temps et qu’il ait une cause car tout ce qui a un commencement a une cause. Il faut donc aussi qu’il meure. Rassurons-nous, selon les scientifiques, la mort de notre univers n’est pas pour demain. Il se serait formé il y a quelque 13, 8 milliards d’années et il aurait encore un nombre incalculable de milliards de milliards d’années à vivre. Mais sans doute que l’homme aura disparu avant qu’il s’éteigne.

Pour situer le commencement de l’univers, la théorie du Big Bang, présentée notamment par le prêtre Georges Lemaître, s’est alors imposée au début du siècle dernier. Elle explique l’émergence tout à la fois du temps et de la matière sous forme d’un noyau d’énergie extrêmement dense. Vous imaginez qu’un tel bouleversement ne fut pas admis sans que les scientifiques s’écharpent. C’est dans ce contexte qu’arrive cette histoire extraordinaire du très jeune scientifique russe Alexander Friedmann qui découvre la théorie de la Relativité Générale d’Einstein et y dénonce une supercherie du Maître. Il publie le 13 septembre 1922 dans la revue scientifique Zeitschrift für Physik un article explosif pour dénoncer les erreurs. Einstein rugit bien sûr contre ce freluquet, mais bientôt, en 1923, il reconnaît que Friedmann avait raison. Les plus grands esprits s’inclinaient alors devant la science plutôt que de la fermer comme le font désormais trop de demi-savants qui peuplent des universités envahies par l’écologisme profond, le wokisme et autres idéologies. Mais la question restait entière de savoir d’où venait ce noyau initial. Einstein finira lui-même par s’inquiéter de savoir si Dieu n’était pas la cause première, alors qu’il n’y était guère disposé. A une étudiante qui lui demandait ce qu’il cherchait dans ses équations, il répondit : « Je veux savoir comment Dieu a créé l’univers. Je ne suis pas intéressé par tel ou tel phénomène, tel ou tel détail. Ce que je veux connaître, c’est la pensée de Dieu » (p. 133).  Bien sûr l’idée que Dieu puisse se cacher derrière le Big Bang fut insupportable aux nazis comme aux communistes qui persécutèrent les savants qui s’en réclamaient.

Einstein, réfugié aux États-Unis et décédé en 1955, ne vécut pas suffisamment longtemps pour avoir le plaisir de partager en 1964 avec Arno Penzias et Robert Wilson, deux ingénieurs des laboratoires Bell, leur découverte de la présence résiduelle du signal électromagnétique émis lors du Big Bang que George Smoot parvint plus tard, en 1992, à photographier. En projetant sur écran cette première lumière cosmique, ce dernier eut cette formule : « C’est comme voir le visage de Dieu ». Il obtint à son tour le prix Nobel de physique pour cet exploit.

Au-delà de ces travaux scientifiques qu’ils nous font connaître avec passion et intelligence, Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies s’étendent aussi sur d’autres considérations qui tendraient à démontrer l’existence de Dieu. Pour que l’humanité éclose sur une terre qui lui soit favorable soutiennent-ils, il fallait qu’au commencement des temps, c’est-à-dire au moment du Big Bang, les forces en présence soient réglées de manière extrêmement précise, tellement précises qu’ils y voient la main de Dieu car le hasard lui-même n’y serait sans doute pas parvenu. Ils y ajoutent que certains miracles ne sont pas démontrables par la science et contribuent à justifier, eux aussi, de l’existence de Dieu. Ce n’est pas le point fort de leur ouvrage même si leur présentation de ces thèses n’est pas inintéressante.

Plus passionnante est la poursuite de l’étude scientifique des deux auteurs qui nous expliquent le théorème d’incomplétude de Gödel que celui-ci énonça d’abord en intervenant dans un colloque de mathématiciens qui se tint le 7 octobre 1930 à Königsberg : « Si l’on suppose, y énonça-t-il, que les mathématiques classiques sont cohérentes, on peut bâtir des propositions mathématiques qui sont contextuellement vraies mais indémontrables dans le système formel des mathématiques classiques » (p. 304), ce qui implique qu’il existe des affirmations mathématiques vraies dont nous ne pourrons jamais démontrer qu’elles sont vraies et plus généralement que tout système logique cohérent est incomplet. Son théorème place l’esprit humain au-dessus de la machine, y compris l’Intelligence Artificielle. Ce qui ouvre aussi à la possibilité de Dieu.

Des critiques… excessives

Dans le journal La Croix du 4 janvier 2022, Raphaël Duqué, Astrophysicien, a sévèrement critiqué l’ouvrage en rappelant, à juste titre, que toute tentative de prouver scientifiquement l’existence de Dieu est une erreur tant scientifique que religieuse. Ce livre dessert la foi, a-t-il affirmé. Il est vrai que l’ambition des auteurs de décrire les avancées récentes dans les domaines de la physique et de la cosmologie, et d’en déduiredes preuves de l’existence de Dieu qui soient modernes, claires, rationnelles, multidisciplinaires, « confrontables objectivement (sic) à l’univers réel » apparaît comme un dessein surhumain.

Faut-il pour autant considérer, avec Raphaël Duqué, que cet « ouvrage contient des contrevérités, …Il propose un schéma de pensée de la question de Dieu à la fois simpliste et fallacieux, que l’on pourrait nommer « matérialisme creux » ». Je ne le crois pas. Il y a en effet une vison téléologique dans cet ouvrage que résume en introduction les propos de Robert Woodrow Wilson, prix Nobel de physique 1978, celui-là même qui a trouvé la trace du Big Bang en travaillant au laboratoire Bell  : « En effet, pour que l’univers primordial ait pu évoluer vers celui qui nous a engendrés et que nous comprenons aujourd’hui, le Big Bang a nécessairement dû être réglé de manière ultra précise » (p. 13). L’idée est qu’une nature parfaitement conçue pour participer à la création de l’homme ne peut qu’être l’œuvre d’un être parfait, la beauté de cette nature confirmerait cette intuition. Cette thèse est sympathique, mais sans doute pas probante.

Monsieur Duqué observe par ailleurs que selon la théorie du Big Bang « l’univers occupe un état toujours plus dense et plus chaud à mesure que l’on remonte le temps, si bien qu’il atteint des régimes de densité et de température où notre compréhension actuelle de la physique ne s’applique plus », mais que ce n’est que par extrapolation que certains, et notamment MM Bolloré et Bonnassies, en concluent à l’existence d’un point originel et à une fin du monde. Ceux-ci y voient la main d’un créateur, du Créateur. Il est vrai que ce créateur ne serait pas encore, ni nécessairement, le Dieu de la Bible, et moins encore celui des chrétiens, descendu sur Terre pour y vivre sa passion et racheter le monde. Tout au plus serait-il un grand horloger. Le Dieu judéo-chrétien ne saurait être démontré, il est une révélation. Plus généralement, Kant observait à cet égard que Dieu, la liberté et l’immortalité ne pouvaient pas se prouver et relevaient de la croyance plus que de la science[1].

Et néanmoins, ni la science ni la raison ne sauraient être écartées du débat. Au fond, la vérité ne s’acquiert sans doute que par approximations négatives, en écartant successivement tout ce qui n’y concoure pas ou ce qui y contrevient. Cette approche est d’ailleurs celle qu’on trouve en philosophie chez Isaiah Berlin ou en histoire chez Toynbee par exemple mais aussi dans les courants de la théologie apophatique depuis les débuts du christianisme. Dans le même sens, saint Thomas d’Aquin reconnaît le concours de la raison aux vérités de foi, mais plutôt pour démontrer que celles-ci ne sont pas impossibles :

« Les raisons qu’on apporte à l’appui des vérités de la foi ne sont pas des démonstrations qui en donnent l’évidence à l’esprit ; […] seulement, elles écartent les obstacles à la foi, en montrant qu’il n’y a rien d’impossible dans les choses qu’elle nous propose à croire[2]. »

Il considérait également que le fini pouvait concourir à la compréhension de l’infini, que la raison était capable de saisir Dieu dans ses œuvres car l’existence de Dieu est révélée par ses effets.

MM Bonnassies et Bolloré nous disent ainsi que l’apport des sciences modernes est d’expliquer le monde sans en exclure la possibilité de Dieu. Ce qui ne démontre pas Dieu, mais ne l’exclut pas, et c’est déjà beaucoup. A cet égard, la démarche de Popper peut aussi être appelée à la rescousse. Celui-ci considère que les sciences doivent présenter des théories et les confronter au principe de réfutation selon lequel si un seul fait contrevient à la théorie, elle est nécessairement fausse. Cet ouvrage nous explique que le judéo-christianisme n’est pas incompatible avec la science, en son état actuel, ce qui n’est déjà pas si mal.

Certes, la science n’est pas achevée. Les interprétations que donnent MM Bonnassies et Bolloré sont communément admises mais pas universellement acceptées. Le Big Bang ne conduit pas tous les scientifiques aux mêmes conclusions. Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977, adoptait cette idée de la cosmologie contemporaine liée à la relativité générale d’un univers en expansion nous permettant d’aboutir en remontant le temps à une singularité, un point contenant la totalité de l’énergie et de la matière de l’univers. Pour autant, il ne retenait pas l’idée que le Big Bang pourrait fixer le commencement au temps. Il préférait penser que le temps précédait l’existence. Pour lui, « la relativité générale n’est pas close, pas plus que la mécanique classique ou quantique[3]. » L’homme est forcé à des conjectures quant à l’origine du monde et l’existence de Dieu. Néanmoins le faisceau de présomptions se resserre en faveur de cette hypothèse qu’un dieu aurait conçu l’homme non pas comme une chose toute faite, mais comme un être à venir, vivant et évolutif dans le temps. Cet ouvrage est trop enthousiaste. Il n’y a pas de preuve de Dieu. Mais il est courageux et souhaitable de s’aventurer de conserve sur les chemins de la foi et de la science pour autant que chacune connaisse ses limites. Le Dieu chrétien est une révélation, mais son œuvre ne saurait écarter son existence. Galilée avait affirmé que « dans le domaine des phénomènes physiques, l’Écriture Sainte n’a pas de juridiction »[4]. Pour autant, la foi se doit sans doute, pour être crédible, d’éviter de vivre en contradiction avec la science. Ce livre a le mérite d’expliquer qu’en l’état il n’y a pas nécessairement de contradiction.


[1] Emmanuel Kant, Préface de la seconde édition, Critique de la raison pure (1787), Édition Germer-Baillère., 1869, Paris.

[2] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIe, IIe partie, Question II, Article 10.

[3] Ilya Prigogine, La fin des certitudes, Odile Jacob, 2009, p. 215.

[4] Remi Sentis, Aux origines des sciences modernes, L’Église est-elle contre la science ? Les éditions du cerf, 2020, p. 173.

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