Il fallait du courage, il fallait du talent. Ceux qui connaissent Jean Philippe Delsol, président de l’IREF, savent qu’il ne manque ni de l’un ni de l’autre. Le courage est de faire l’éloge de l’inégalité dans le pays le plus égalitariste du monde, et de dénoncer les fameuses « Lumières » du 18ème siècle qui ont introduit le venin dans le corps social français. Le talent est d’abord dans l’élégance de la plume, dans la vaste culture historique et philosophique, mais aussi dans la rigoureuse démonstration des erreurs de ceux qui se révoltent contre l’inégalité et qui, comme Piketty, attisent la haine des pauvres contre les riches.

Aux origines de l’égalitarisme

« Chaque homme est unique, de sorte qu’à la naissance quelque chose d’uniquement neuf arrive au monde. » Cette citation d’Hannah Arendt inspire à Jean Philippe Delsol une formule lumineuse : « Nous sommes tous également inégaux », et de préciser « chacun dispose d’un droit égal à sa liberté, mais cette liberté est créatrice d’inégalités dans l’exercice que chacun en fait» (p. 18).

Que ce soit dans la tradition athénienne ou biblique, l’inégalité est tenue pour naturelle. Le message du Christ ne consiste pas à vouloir tous les hommes identiques, tous égaux. L’égalité qu’il prône est un idéal d’amour dans les relations personnelles, « ce n’est pas un modèle social » (p. 40). Certes il est dans la nature de chacun d’avoir envie des autres, mais ce sentiment a un aspect positif, parce qu’il stimule l’énergie, la créativité, de sorte qu’il engendre des inégalités. C’est hélas du côté de l’Europe continentale, et de la France, que l’égalitarisme va naître : « C’est la faute à Rousseau » dit Jean-Philippe Delsol. De façon générale, en ce début du 18ème siècle « les Lumières ont bouleversé les mentalités plus durablement en instillant la fausse croyance en la bonne et égale nature des hommes pervertie par la société » (p. 50). La Révolution française, dans sa phase radicale, consacre cette perversion de l’égalité, et la boussole va guider les socialistes français – et notamment les saint-simoniens – tout au long du 19ème siècle.

L’égalité aujourd’hui dénaturée

Il appartiendra à Marx et ses disciples de nier le concept-même de nature humaine. Le matérialisme réduit l’être humain au seul produit d’une évolution de la matière, couronnée par le mode de production capitaliste. Désormais « les égalitaristes masquent surtout leur incapacité d’élever l‘Homme en nivelant les hommes » (p. 64). L’homme n’a pas plus de droit que les animaux, la « Mère Terre » a autant de droit que l’animal humain (une idée extrême qui a hanté les esprits jusqu’au Vatican) et finalement le transhumanisme réduit l’homme à un robot, c’est le total déshumanisme. On en arrive à « l’absurde égalité » (p. 80).

Croissance et inégalité

« C’est bien en libérant les énergies, les croyances et les comportements que la civilisation parvient à sortir le monde de la pauvreté (p. 97). »

Jean Philippe Delsol réfute les mensonges des égalitaristes, dont évidemment Thomas Piketty. Il y a en effet une thèse prétendument scientifique suivant laquelle la croissance a créé le fossé entre pauvres et riches. Les organisations internationales elles-mêmes (OCDE et FMI notamment) ont accueilli la thèse. Or, il s’agit d’une manipulation de chiffres eux-mêmes suspects. Deux chapitres de l’ouvrage rétablissent la vérité : la pauvreté a reculé partout, et l’écart ne s’est pas creusé. L’égalitarisme et la condamnation des riches sont les meilleurs facteurs de stagnation et de misère. « Mieux vaut lutter contre la pauvreté que pour l’égalité (p. 113). » Ce n’est pas l’aide internationale qui a permis l’émergence de pays naguère misérables, c’est la libération des énergies, donc la réussite de personnes qui ont innové. Par contraste, dans les pays demeurés pauvres, la richesse des gouvernants, fruit de l’exploitation du peuple, est insolente.

Éloge de la propriété

Le lien entre croissance et innovation s’explique aisément : l’être humain « naît propriétaire » disait Bastiat. Le droit de propriété n’est pas le vol, contrairement à ce que professe le socialisme depuis Proudhon. Jean-Philippe Delsol a le mérite de s’adresser à tous ces catholiques qui ne parlent que d’égalité et de partage (forcé) : la doctrine sociale de l’Église a été lancée par Léon XIII :

« La propriété privée est pleinement conforme à la nature […] La terre, sans doute, fournit à l’homme avec abondance les choses nécessaires à la conservation de sa vie […] mais elle ne le pourrait d’elle-même sans la culture et les soins de l’homme (p. 143). »

Le droit de propriété n’est que le prolongement de la propriété sur soi, comme Locke l’avait bien perçu. L’homme n’est libre que parce qu’il est responsable : il répond de ses activités, de ce qu’il fait de lui-même. Ainsi les plus riches sont-ils souvent ceux qui ont rendu les plus grands services à l’humanité entière, et Jean-Philippe Delsol de leur consacrer un chapitre : c’est « l’égalité par le haut » (p. 185).

Le libéralisme, principe d’harmonie sociale

Personnellement, j’ai trouvé le plus grand plaisir de la lecture de cet ouvrage dans ses six pages de conclusion. Non que le reste ne m’ait pas intéressé : comme dans l’ouvrage de Pascal Salin (Le vrai libéralisme, Odile Jacob 2019), il y a des analyses et des arguments de nature à convaincre beaucoup de gens des bienfaits du libéralisme. Mais plus précisément parce que ces pages expriment avec force la dimension éthique qui transparaît dans l’ensemble de l’œuvre. Ce sont des pages qui font du libéralisme la doctrine de la dignité de la personne humaine et de l’harmonie sociale.

Jugez-en à travers quelques formules :

« Une unité véritable ne peut s’établir que dans la reconnaissance et le respect mutuels, dans une complémentarité assumée, et si possible dans une intelligence partagée de la vie qui soit celle du cœur et de l’esprit. L’inégalité incite à la coopération mieux que l’égalité : toutes deux permettent la domination, mais l’égalité en légalise la violence en en confiant l’illusoire réalisation à la puissance publique qui s’arroge le monopole de la force et attente aux justes libertés pour soumettre la nature des hommes à sa puissance (p. 203). […] En chacun le mal le dispute en permanence au bien. Il reste pourtant possible de croire que l’espérance est dans la vocation de l’homme à rechercher sans cesse ce qui l’élève dans son être, qui n’est ni la richesse ni le pouvoir, ni l’égalité ni l’inégalité, mais son chemin sans fin vers la Vérité (p. 205). »

Oui, Jean-Philippe Delsol, le libéralisme est avant tout un humanisme et un altruisme.

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Journal des Libertés

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