Les élections européennes agitent les partis, mais elles sont aussi l’occasion, pour le simple citoyen, de s’interroger à nouveaux frais sur la construction européenne. Mettre sur pied l’Union européenne a-t-il été ou non une bonne idée ? La France a-t-elle eu raison d’en être un solide pilier pendant quelque soixante ans ? Doit-elle, aujourd’hui, quitter l’Union, ou n’y laisser qu’un pied ? Doit-on réviser les traités ? Tout dépend de l’idée matricielle qu’on se fait de l’Europe. Donc, dans ce qui suit, je ne tenterai pas de répondre directement à ces questions, mais je dirai simplement ce que je crois au sujet de l’idée même d’Europe.

L’Histoire nous montre que tous les groupes humains voisins les uns des autres se font des guerres. Il y a chaque fois des raisons, certes, mais à qui regarde avec une certaine distance le film de l’Histoire, il semble qu’elles ne soient le plus souvent que des prétextes pour permettre aux hommes de faire ce qu’ils semblent aimer par-dessus tout : s’entretuer. C’en est lassant : Grecs contre Turcs, Coréens contre Japonais, Indiens musulmans contre Indiens hindouistes, Serbes contre Croates, Russes contre Polonais, Iraniens contre Irakiens, Tutsis contre Houtous, aujourd’hui Israéliens et Arabes, sans oublier : France contre Italie, France contre Angleterre, France contre Pays-Bas, France contre Espagne, France contre Suisse, France contre Allemagne…

D’où la grandeur de l’idée d’Europe. Ses fondateurs ont voulu rendre définitivement impossible tout conflit armé entre des peuples qui s’étaient déchirés pendant des siècles. Ils ont fait le pari que c’était possible dès lors que ces peuples avaient à peu près la même culture gréco-romaine et chrétienne. Ils se sont implicitement référés à des précédents : les nations européennes ne sont-elles pas nées du dépassement des seigneuries féodales, les États monarchiques mettant fin à leurs incessantes faides de sang ? Pourquoi ne naîtrait-il pas un jour, selon la même logique, une nation européenne ?

Au-delà de la paix, les fondateurs de l’Europe voulaient aussi enclencher une dynamique. Ils pensaient que l’unité européenne produirait des fruits nouveaux et précieux. Ce qu’on peut expliquer comme suit.

Fécondité de l’idée d’Europe

Tant que des peuples peuvent se faire la guerre, chacun redoute comme la peste les qualités des autres. Les capacités techniques des Allemands, leur discipline, leur endurance dans le combat, nous ont longtemps fait peur et ces peurs ont été, hélas, justifiées par les événements. Généralement parlant, nous ne pouvons voir d’un bon œil les qualités de nos voisins, même si elles ne sont pas immédiatement liées à la guerre. S’ils sont en avance sur nous sur les plans scientifique et technologique, c’est un problème. S’ils sont plus dynamiques que nous sur le plan économique, ils auront, en cas de guerre, une meilleure logistique. S’ils ont un art, une pensée, une culture qui brille particulièrement, peut-être sera-ce un motif pour qu’ils nous regardent de haut et portent atteinte à nos intérêts. Finalement, toutes les qualités de voisins potentiellement hostiles sont vues par nous comme de très inquiétants défauts.

Tout change s’il y a la paix. Si l’on peut être certain qu’il n’y aura plus jamais de conflits armés entre nous, que nous réglerons nos différends par la concertation, par le jeu des institutions, par la régulation d’un droit commun, et si, en corollaire, les personnes physiques et morales particulières de toute l’Europe peuvent nouer directement des liens contractuels en appliquant ce droit, alors les qualités des autres se métamorphosent en avantages pour nous-mêmes. Tout comme les qualités de chaque joueur d’un sport d’équipe deviennent un « plus » pour les autres membres de l’équipe comme pour l’équipe elle-même.

Par exemple, si nous sommes absolument sûrs de la paix, nous pouvons enfin apprécier à leur juste valeur la discipline des Allemands, la liberté de mœurs néerlandaise, la fierté espagnole, le génie artistique italien, le pragmatisme belge, l’humour anglais, la rigueur suisse (le Royaume-Uni et la Suisse ne font pas ou plus partie de l’Union, mais jouissent de la même paix européenne). Je ne prolonge pas cet inventaire à la Prévert, car ce n’est évidemment pas un pays en tant que tel qui profite des qualités d’un autre, mais c’est chaque personne physique ou morale d’un pays qui peut tirer avantage des qualités d’une personne physique ou morale d’un autre pays dès lors qu’elle fait commerce avec elle, qu’elle crée avec elle des entreprises ou met au point des projets, que chacun peut se déplacer paisiblement dans toute ville et campagne européenne, se promener à loisir à Cracovie, Brno, Salzbourg ou Lisbonne, visiter les Offices ou le Rijksmuseum, naviguer en Grèce ou en Croatie, cependant que les Européens du Nord viennent en France faire le chemin de Saint-Jacques ou crapahuter dans les gorges du Verdon.

On dira que ces relations sont possibles avec tout pays dont les frontières nous sont ouvertes sur un plan commercial ou touristique et dont les populations ne nous sont pas particulièrement hostiles. C’est vrai, mais l’Union européenne est un espace qualitativement différent. En effet, toute relation commerciale, d’affaires, de simple cohabitation, nouée entre des personnes, peut donner occasion à des litiges, des conflits, des violences. Si ces difficultés se présentent entre citoyens européens, on sait quels seront les règles applicables et les recours. Il n’en va pas de même en-dehors de l’Union et quand on quitte les pays occidentaux (Carlos Ghosn en sait quelque chose), pour ne pas parler de pays dont mœurs et usages sont nettement étrangers aux nôtres. Donc agir et échanger au sein de l’Union européenne est plus sûr, pour un Européen, que dans d’autres zones du monde. Habiter l’Union européenne, c’est, pour un citoyen européen, être partout chez soi.

De cette coopération sûre et régulière, nombre de richesses nouvelles, culturelles ou économiques, peuvent jaillir. Car plus vaste est l’échelle où s’organise la coopération, plus fine est la division du savoir et du travail, plus efficients sont les échanges, plus nombreuses sont les opportunités de créer des réalités économiques et culturelles nouvelles. Pour chaque pays européen, le fait d’être passé de l’échelle nationale à l’échelle européenne pour jouer le jeu de catallaxie a été incontestablement un gain – il suffit de comparer l’état des richesses en Europe entre 1958 et 2024.

Telle était l’idée originelle de l’Europe.

Déviations de l’Idée

Mais rien n’est parfait dans ce bas-monde ni en politique. Certaines des potentialités de cette belle idée d’Europe n’ont pas été réalisées ou ont été compromises au fil des ans. 

Il y a eu d’abord un problème de démocratie, du fait de l’existence d’une bureaucratie européenne quasiment soustraite à tout contrôle de l’opinion. Avant que l’Union fût créée, les actions des États étaient plus ou moins contrôlées par le « peuple souverain » s’exprimant par les élections. Depuis que les institutions européennes ont été mises en place, les fragments de souveraineté transférés des États-membres à l’Union ne sont plus contrôlés comme on pourrait le souhaiter. On élit un Parlement européen, mais il a moins de pouvoirs que la Commission non-élue. Celle-ci est en principe soumise au Conseil des ministres, composé de personnes qui ont chacune, dans leur pays, une légitimité démocratique. Mais que se disent entre elles ces différentes instances ? Comment voient-elles les problèmes, quelles sont les motivations réelles des décisions qu’elles prennent ? Rien ou presque ne filtre à l’extérieur, la politique de l’Union se décide loin du regard des citoyens. D’où l’impression qu’une sorte de Léviathan s’est mis en place à Bruxelles. On sait que c’est ce qui a fait fuir les Anglais, même s’ils n’ont sans doute pas tiré du Brexit tous les avantages qu’ils en escomptaient.

D’autre part, la bureaucratie bruxelloise est devenue par elle-même un problème. Depuis les travaux du sociologue Michel Crozier, on connaît ce vice des bureaucraties qui, à partir d’une certaine taille, ne peuvent être gouvernées ni par le haut ni par le bas, et qui, du coup, mènent leur propre jeu. Songeons, en France, à l’Éducation nationale ou à la SNCF ; hors de France, à l’UNESCO, à l’OMS, et même, désormais, à l’ONU. Un phénomène de ce type semble avoir affecté les administrations européennes.

Quels que soient les poids respectifs de ces deux causes, il est certain que l’Union a mené au fil des ans des politiques inattendues et non concertées. Au début, étant donné que les pays signataires étaient censés avoir une culture et des intérêts largement communs, il devait y avoir une forte identité européenne, des tarifs extérieurs communs, une protection efficace des frontières communes. Or ce schéma a subi diverses transgressions.

1) On a procédé à un élargissement allant manifestement au-delà de la zone culturellement homogène, et l’on a même envisagé d’intégrer des sociétés de cultures évidement différentes (Turquie… on a même parlé du Maghreb). L’idée d’Europe était par là-même brouillée.

2) L’Europe a tendu à devenir une passoire économique, ce qui n’avait pas été proposée explicitement au départ. Des importations qui n’auraient pu passer les frontières nationales se sont trouvées autorisées à entrer dans les pays parce qu’on a supprimé les frontières intra-européennes, en se gardant de les remplacer par des frontières extra-européennes efficaces. Donc tout passe et beaucoup d’activités économiques sont écrasées, avec des résultats économiques profitables à certains, des effets sociaux fâcheux pour d’autres.

Je m’explique : pour Hayek, l’échange est mutuellement profitable si et seulement si il existe des « règles de juste conduite » juridiques (et aussi morales) que respectent tous les participants au jeu de catallaxie. C’est la condition pour que ce jeu soit juste et soit admis par l’opinion comme une modalité normale de la vie sociale. Cette condition est remplie à l’intérieur de l’Europe. Elle l’est aussi dans une large mesure à l’extérieur de l’espace européen. Mais elle ne l’est pas universellement. Ce qui implique que certaines restrictions puissent être apportées pour le commerce avec des zones où les règles de juste conduite ne sont pas respectées. Songeons à certaines productions agricoles qui, en Europe, sont soumises à des normes extrêmement contraignantes et coûteuses, alors qu’on laisse entrer des productions n’ayant pas subi ailleurs les mêmes servitudes. Que l’on supprime les normes en interne ou qu’on les impose aux productions étrangères, il est certain qu’il doit y avoir égalité devant les normes comme égalité devant la loi, sinon il n’y a pas de jeu catallactique régulier.

3) La bureaucratie bruxelloise (et le Conseil des Ministres ?) ont visiblement opté pour une immigration maximale, avec transformation de la police européenne des frontières en organisme d’assistance aux migrants (ce qui s’est traduit, on s’en souvient, par le renvoi d’un directeur français qui se voulait plus rigoureux). On a posé en principe l’obligation de recevoir partout des contingents de migrants toujours plus nombreux.

Je m’explique là aussi. Dire qu’on a le devoir moral de recevoir tous les migrants de la planète, c’est apparemment faire preuve d’humanité. Mais c’est le contraire qui est vrai. C’est faire preuve de mépris et d’esprit néocolonial, puisque cela revient à dire que les pays de migration sont décidément, et resteront éternellement, incapables d’organiser eux-mêmes leurs institutions et leur économie pour vivre mieux. Ce sont des hommes, ils peuvent et doivent prendre en mains leur destin (nous pouvons certes les y aider). Mais ils n’ont évidemment aucun droit de nous envahir.

Au demeurant, il est assez peu probable que l’humanisme soit la principale motivation de ceux qui encouragent l’immigration de masse en Europe. C’est plutôt, d’une part, un souci économique à courte vue : pouvoir disposer d’une main d’œuvre à bon marché qui exercera en outre une pression à la baisse sur les salaires des Européens eux-mêmes. Une autre motivation, pour ceux qui ne veulent pas renoncer à la retraite par répartition, est qu’un afflux de « jeunes », d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient, est indispensable.

Le problème est que cette arrivée massive de populations africaines et arabo-musulmanes pose la question du vivre-ensemble en Europe. À moins de procéder à je ne sais quelle sorte de morcellement territorial qui ne pourra déboucher lui-même que sur des violences à la libanaise, il est clair (les actes de terrorisme, les émeutes l’ont montré en France) que des personnes n’ayant pas la même culture peuvent difficilement cohabiter sur un même territoire. Une présence massive de non-Européens en Europe pose un problème social majeur. Non que ces raisons excluent toute immigration. Mais elles obligent à faire en sorte que l’immigration soit suffisamment modérée quantitativement, et procède à un rythme suffisamment lent, pour permettre une acculturation véritable par l’école et par la vie civile. Or, de tous ces problèmes, il n’est jamais question dans le discours officiel de l’Union et de la Commission. On peut voir là une influence excessive, dans ces milieux, de personnes qui n’ont qu’une culture économique et technocratique, sans avoir la culture historique, sociologique, anthropologique qui est indispensable pour appréhender en profondeur les problèmes sociaux.

4) Semble avoir triomphé dans la bureaucratie bruxelloise une ligne LGBT et écolo-gauchisante. En conséquence, tout pays qui veut rester catholique, ou qui entend ne pas faire de la ligne LGBT une norme pour ses écoles, ou qui souhaite garder la maîtrise de ses frontières pour éviter une invasion migratoire et préserver son identité, est réputé s’opposer aux « valeurs de l’Europe », voire être « fasciste ». Il doit alors payer des amendes ou venir humblement à résipiscence. Bon exemple de ces chimères que produit la vie d’une bureaucratie vivant dans l’entre-soi. Certes, la tolérance, et le dégoût d’exercer des répressions violentes en matière de mœurs, sont conformes à l’esprit européen. Mais prétendre qu’il faudrait être adepte des théories du genre, écologiste et pro-immigrationniste pour être un Européen digne de ce nom, est une invention ridicule. Inutile de se demander ce qu’en auraient pensé Jean Monnet ou Robert Schuman ou Konrad Adenauer, pour ne pas parler de De Gaulle. Cette mode culturelle récente est en complète contradiction avec les siècles de vraie culture européenne, et les officiels de la Commission ou du Parlement qui parlent ce langage trahissent simplement leur propre scandaleuse inculture.

De toute façon, ces pressions « sociétales » de l’Union sur la culture des peuples européens vont au-delà de ce qui a été convenu dans les traités. On ne peut accepter que le pouvoir bruxellois se mette dans la tête d’imposer à tout le continent la culture de sa bureaucratie noyautée par des minorités, ou d’ailleurs quelque autre culture que ce soit. Les États-membres n’ont jamais donné à l’Union un tel mandat.

 

L’Europe ne peut être une Fédération

Quelles conclusions tirer de ces remarques pour le devenir institutionnel de l’Europe ? J’ai dit que je ne chercherais pas, dans cet article, à apporter directement des réponses. Voici cependant quelques pistes de réponses qui me permettront de préciser l’idée même que je me fais de l’Europe.

Je pense qu’au rebours de ce que certains ont longtemps espéré, l’Europe ne peut pas fonctionner comme un État fédéral. Il faudrait, pour cela, qu’il y ait une vie publique démocratique commune, une agora où toutes les opinions et les positions puissent se rencontrer, débattre, s’influencer mutuellement, et qu’existent des partis politiques en mesure de représenter adéquatement, au plan de l’Union, les tendances politiques existant au plan local dans les vingt-sept pays. Alors il pourrait y avoir un système confédéral comparable à celui des États-Unis, avec un système de check and balance, un vrai bicamérisme (une chambre représentant les États-membres, une autre directement les citoyens), quelque genre de présidentialisme, une répartition exacte entre ce qui dépend des États seuls et ce qui dépend de l’Union, une Cour suprême, etc.

Cela sera peut-être possible un jour, mais semble bien difficile aujourd’hui dans une collectivité aussi plurilingue que l’Europe. On invoquera comme contre-exemples la Belgique, le Canada, la Suisse… Mais, dans ces pays fédéraux, il n’y a que deux ou trois langues, que parlent toutes les élites, de sorte que le roi des Belges, les présidents du Canada ou de la Confédération helvétique peuvent parfaitement se faire entendre de tous leurs citoyens et réciproquement. Alors que, dans l’Union européenne, il y a quelque vingt-cinq langues réellement parlées. Même si beaucoup peuvent communiquer en anglais, cette situation brouille la vie démocratique.

Il faut pourtant que les peuples puissent se faire entendre. Une solution est de « défédéraliser » l’Union dans une certaine mesure par rapport à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Loin de la dissoudre, ceci aboutirait à la rendre plus solide et durable. Une politique d’opting out vaut mieux qu’une politique du tout ou rien. Il faut qu’aucun pays d’Europe ne se sente obligé, pour faire valoir ses droits, de quitter l’Union comme l’ont fait les Britanniques.

On pourrait donc garder les institutions supranationales, grande idée de Jean Monnet, en premier lieu la Commission, afin que les relations entre pays européens ne soient pas exclusivement de type inter-gouvernemental. Mais on délimiterait les compétences propres de l’Union plus restrictivement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent. Elle ne devrait s’occuper que du marché commun, des frontières commerciales communes, du droit civil et commercial européen. Les autres questions socio-économiques, les transports, l’énergie, les questions éducatives et culturelles, le droit public (à commencer par le droit de l’immigration) devraient être réattribuées aux souverainetés nationales. Quand la nécessité d’une action commune s’imposerait dans ces derniers domaines, on recourrait à des accords inter-gouvernementaux où prévalent, par définition, la règle de l’unanimité et le droit de veto.

Ce serait aussi l’occasion de corriger un vice des institutions actuelles, qui est que les traités sont supérieurs non seulement aux lois nationales passées et futures (arrêts Costa contre Ennel, arrêt Simmenthal…), mais aux Constitutions mêmes des États-membres. On sait que cela a permis à des juridictions européennes, interprétant les traités à leur manière, de prendre, au nom de la hiérarchie des normes et de l’« État de droit », des décisions manifestement contraires au droit et à la justice tels que les peuples les ressentent (la question se pose aussi au sujet de la Cour européenne des droits de l’homme). Certes, ce n’est pas moi qu’il faut convaincre que le droit ne se réduit pas au droit positif voté par des assemblées « souveraines ». Mais le fait que la jurisprudence fantaisiste d’une juridiction lointaine (et dont l’incorruptibilité n’est pas démontrée) puisse paralyser entièrement des États cherchant de bonne foi à résoudre des problèmes vitaux pour leur société révèle un vice de construction dans l’appareil institutionnel européen, qu’il importe de corriger. Salus populi suprema lex esto.

Un schéma non-fédératif permettra aussi de penser plus adéquatement le problème de la défense de l’Europe. Celle-ci ne doit pas être une matière communautaire, parce qu’en matière de défense et de guerre il est inapproprié que des décisions soient prises par des autorités à faible légitimité démocratique. L’appareil institutionnel actuel de l’Union n’est pas assez démocratique pour qu’on puisse s’en remettre à lui pour traiter les questions de défense.

La défense doit donc rester l’affaire des États nationaux souverains, étant entendu qu’il est de leur intérêt vital de s’entendre entre eux et donc de nouer les alliances nécessaires. C’est ce qu’ils font aujourd’hui dans le cadre de l’OTAN, ensemble de pays qui ont potentiellement, sur la planète, les mêmes amis et les mêmes ennemis. Cette organisation a le mérite supplémentaire de rendre l’Europe étroitement solidaire de ces autres pays de culture européenne que sont les États-Unis et le Canada. Dans mon livre Qu’est-ce que l’Occident ? j’avais suggéré la création d’une « Union occidentale » dépassant les frontières de l’Union européenne (en incluant toute l’« anglosphère », Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande). Ce projet apparaîtra peut-être un jour comme une option raisonnable.

En attendant, je répète qu’à mes yeux, le point important, capital, c’est la paix à l’intérieur de l’Europe, paix civilisatrice sur laquelle il nous faut veiller comme à la prunelle de nos yeux.

About Author

Philippe Nemo

Philippe Nemo est philosophe, auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont Qu’est-ce que l’Occident ?, Histoire des idées politiques (2 vol.), Histoire du libéralisme en Europe, Esthétique de la liberté, Philosophie de l’impôt. Il a été coordinateur du livre Quel lycée pour le XXIe siècle ? (De Boeck, 2017). Ancien professeur à ESCP Europe et HEC, il dirige aujourd’hui l’École professorale de Paris. Il vient de publier aux PUF, en 2023, La philosophie de Hayek.

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