de Michel Winock
Éditions Perrin, 2021 (398 pages)
L’historien Michel Winock vient de faire paraître un nouvel ouvrage consacré à la période juin 1944-décembre 1947. Il ne s’agit pas d’un livre rigoureusement construit en quelques parties et chapitres, mais d’une succession de 22 chapitres qui constituent plutôt un éclairage de la Libération et des débuts de la IVe République sous divers angles politiques, culturels, intellectuels, sportifs, coloniaux, etc. En revanche, l’aspect strictement économique et social reçoit la portion congrue, ce qui est d’autant plus surprenant que l’auteur voit dans les « lois sociales » l’un des deux grands secteurs marquants de cette parenthèse historique (p. 9), et c’est pourtant cet aspect qui retiendra notre attention.
Professeur à SciencesPo, l’auteur est l’un de tenants de la vision « Saint-Guillaume » de l’histoire économique et sociale française, si nous pouvons nous exprimer ainsi. Que le lecteur ne s’attende donc pas à trouver sous sa plume une quelconque critique de la « République sociale » à la française ou de la « démocratie économique » mise en place à la Libération. Qu’on en juge.
Aucune grande envolée dans cet ouvrage, mais une histoire en apparence lisse de l’économique et du social au détour des quelques paragraphes qui leur sont consacrés. Aucune critique du Comité national de la Résistance, le fameux CNR, et de son programme qui « contient le projet ambitieux d’instaurer une véritable démocratie économique et sociale, par l’organisation rationnelle de l’économie » (p. 8). Aucune critique des nationalisations, de la Sécurité sociale, de la planification, du statut de la fonction publique, du salaire minimum, de la « gratuité » de l’enseignement secondaire (pp. 8 & 40). Le débat sur l’inflation et la position de Pierre Mendès France, toujours auréolé de son image de grand économiste selon la vulgate, est expédié en un paragraphe peu compréhensible (pp. 40-41).
Ce n’est qu’en conclusion que Michel Winock revient à l’aspect économique. Il analyse l’intervention massive de l’État comme une « grande nouveauté » qui tranche avec le « libéralisme économique d’avant la guerre » (p. 342). Phrase doublement surprenante car, d’une part, le libéralisme économique n’a jamais régné en France, et pas plus avant la Seconde Guerre mondiale, d’autre part, les lois sociales de la Libération et de la Reconstruction, ne sont pas arrivées de manière abrupte ou par simple mimétisme avec les autres pays occidentaux. Pour l’essentiel, l’interventionnisme des années 1944-1947 traduit une continuité avec le gouvernement de Vichy, lui-même plus en continuité qu’en rupture avec la IIIe République de l’entre-deux-guerres.
Autour de la planification et du plan Monnet, Michel Winock voit « un nouvel état d’esprit, dynamique » qui aurait été « insufflé auprès des chefs d’entreprise » (p. 343). Comme si l’initiative privée attendait son viatique d’un état d’esprit insufflé par les pouvoirs publics….
En dernier lieu, l’auteur qualifie la Sécurité sociale, le retour de la gratuité – payée par qui ?… – dans l’enseignement secondaire, etc., comme les « grands apports de la Libération ». Pourtant, continuité là encore plutôt que rupture puisque la législation sociale de l’entre-deux-guerres avait posé les fondements de l’État social. Et continuité dont l’historien ne voit pas le caractère néfaste.
En définitive, les propos de La France libérée apparaissent fort convenus en matière économique et sociale. Ils ne se déprennent pas d’une histoire lénifiante qui analyse la période du milieu des années 1940 comme l’époque bénie – et intouchable – de la construction de l’État social, alors même que la IIIe République avait patiemment construit un État providence à compter de la fin du XIXe siècle déjà et que nous continuons aujourd’hui à subir les effets délétères des réformes de la Libération et de la Reconstruction, à commencer par la tyrannie du statu quo qui règne dans notre pays.