de Sophie de Menthon
Propos liminaire de Luc Ferry
Éditions Eyrolles, 2021 (154 p.)
Voici un ouvrage qui en effet peut laisser le lecteur libéral sans dessus dessous. Sans dessous par le talent pédagogique de Sophie de Menthon qui dénonce les méfaits de la gauche française et de l’Etat Providence, mais sans dessus parce que certains thèmes font écho à la pensée unique et s’écartent discrètement du libéralisme. Fort heureusement j’ai pu récemment constater que Sophie de Menthon s’est considérablement rapprochée de la pensée libérale en lançant une pétition SOS : Libéralisme en danger.
Sophie de Menthon a le sens de la formule. Lire le sommaire de son livre est un régal. Par exemple : 40 ans que l’Etat se trompe, Le virus administratif, Code du travail ou code du chômage, La mondialisation, profitons-en, Bosser : une malédiction française. On ne peut mieux faire. A coup sûr le lecteur sera alléché, et il sera ensuite convaincu parce que l’argumentation est tout aussi pertinente et précise que le titre. C’est que Sophie de Menthon est chef d’entreprise et connaît les raisons pour lesquelles la croissance et la compétitivité françaises sont menacées : l’Etat est trop présent. Trop d’impôts, et surtout trop de cotisations sociales : le prix du travail est artificiellement gonflé pour entretenir un système social au demeurant inefficace. La faute en revient aux politiciens « la politique spectacle n’arrange rien » (p. 109). Il faudrait, comme le suggère Luc Ferry dans la préface, « un Etat conscient de ses responsabilités autant que de ses limites » (p. 14). Cependant l’opinion publique ne comprend pas le rôle de l’entrepreneur, ce patron à qui on reproche la réussite et le profit (p. 82) et qui ne rêve que de licencier. Sophie de Menthon a la lucidité de juger sans ménagement « l’homme providentiel » (pp. 105-116). Elle dénonce « l’équation impossible du « en même temps » (p. 106) qui conduit à l’incohérence des interventions politiques dans l’éducation, le chômage, l’émigration, le fichage, le service militaire, la sécurité et les migrants, etc. « La technostructure est solide au poste. La haute administration est presque attendrissante. Ils se sont même mariés entre eux, de vraies familles au pouvoir depuis l’école » (p. 108). Dans ces conditions on comprend les gilets jaunes : à mort les élites. « Des années de socialisme ayant pour objet l’égalitarisme plus que l’égalité ont fait que nous avons finalement estimé que niveler par le bas était peut-être la solution » (p. 111).
Mais alors, que faire ? C’est ici que l’auteur nous propose une vieille lune française : le travaillisme assorti de la participation des salariés au capital de l’entreprise, et le lecteur libéral sera surpris de voir la lutte des classes au programme (pp. 41-61). On part d’un postulat bien connu « le travail est le seul facteur de création de richesse ». Mais le capital et les actionnaires comptent aussi, et « cela ne veut rien dire de vouloir prendre l’argent là où il est » (p. 52). Donc il est temps de réconcilier le travail et le capital » (p. 57) C’est, me semble-t-il, ce que Sophie de Menthon appelle « le libéralisme à la française », elle demande « un petit effort » à l’Etat : « le vrai pas décisif à franchir est la mise en place d’une politique d’actionnariat salarié qui ouvre le capital de l’entreprise à l’ensemble des collaborateurs ». Et elle se réjouit de ce que la France soit « le premier pays européen pour l’actionnariat des salariés (40% des salariés européens actionnaires sont français) » (p. 52)
Certes, l’actionnariat des salariés est une formule a priori préférable à l’assistanat et aux primes imposées par l’Etat et financées par des ressources inconnues, qui seront celles du contribuable et du cotisant. C’est la « drogue aux aides sociales » (p. 52). Mais il y a un grand écart entre ce « libéralisme à la française » et le libéralisme classique. Je me permettrai donc amicalement de dire à Sophie de Menthon ce que les libéraux pensent de l’actionnariat des salariés ainsi proposé.
1° Le travaillisme est un concept socialiste, hérité purement et simplement du manifeste marxiste. Le travail est certes un facteur de production, mais il s’associe naturellement au capital investi, et encore à l’art d’entreprendre (ce que tout le monde, y compris les chefs d’entreprises, oublie). La valeur ajoutée par l’entreprise conduit donc à trois rémunérations : le salaire du travailleur, l’intérêt de l’investisseur et le profit de l’entrepreneur individuel ou des actionnaires de la société qui exercent la gouvernance. Tous ces facteurs concourent, et ne s’opposent pas. Ils n’ont d’ailleurs de valeur finale que ce que les clients voudront bien leur reconnaître, car comme son nom l’indique l’entreprise n’est qu’un intermédiaire « entre » des ressources productives et des besoins à satisfaire.
2° La participation des salariés au capital de l’entreprise peut se révéler une excellente recette, et sans doute Sophie de Menthon la pratique-t-elle pour son propre compte. Mais pourquoi en faire une politique « nationale » ? On dérive ainsi vers une tradition en effet bien française, remontant aux lois Debré, et on réduit arbitrairement la liberté de l’entreprise. D’ailleurs la participation au capital de son entreprise peut être pour le salarié une mauvaise affaire : elle lie l’avenir du salarié aux résultats de l’entreprise, qui ne sont jamais assurés sur des marchés concurrentiels. Pourquoi ne pas laisser au salarié son salaire complet (donc y compris toutes les cotisations sociales qui sont en réalité prélevées sur la valeur de son travail et non pas sur les fonds de l’entreprise comme le croient la plupart des patrons) et lui permettre d’acquérir d’autres actions en bourse que celles du capital de sa propre entreprise (« Marx à la corbeille a dit Philippe Manière), et de s’assurer pour sa retraite, pour ses risques de santé et de chômage ? C’est ici que l’on serait dans la pure logique du libéralisme et qu’on accèderait à une compétitivité mondiale.
Je regrette qu’il y ait eu un décalage de quelques semaines entre la parution du livre de Sophie de Menthon et l’édition de mon « Vaccin libéral ». Mais je constate avec plaisir que sa pétition récente l’a rapprochée du « libéralisme en danger » et elle a déploré à juste titre que le « libéralisme a été l’ambition sacrifiée de cette campagne politique ». Nous voici donc réunis !