préface de Jörg Guido Hülsmann
Le titre du livre de Hans-Hermann Hoppe est évidemment inspiré de la fameuse définition de Frédéric Bastiat selon lequel « L’Etat c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». Ce livre a été rédigé par l’un des plus remarquables représentants de ce qu’on appelle « l’école autrichienne » (les deux inspirateurs de cette école de pensée, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek étant d’origine autrichienne). Ce livre est à lire absolument. On y trouvera en effet d’une part le grand plaisir que l’on peut éprouver à être confronté à des idées importantes exprimées d’une manière extrêmement rigoureuse et claire, d’autre part l’intérêt d’y trouver des clefs de compréhension pour certains des problèmes les plus importants de notre époque. En lisant ce livre on a la preuve que la vraie science économique n’est pas celle qui est formellement sophistiquée et difficile d’accès (comme le sont les modèles économétriques à la mode), mais celle qui est fondée sur des principes essentiels, développée de manière logique et éventuellement très lisible. Or, il est intéressant de constater que cela n’empêche pas de tenir compte, dans cette démarche rigoureuse, de phénomènes dont la définition peut paraître nécessairement floue, par exemple la culture et les traditions (ce qu’un économiste mathématicien et un économètre ne peuvent jamais prendre en compte).
Hans-Hermann Hoppe n’adopte pas une vue utilitariste des problèmes qu’il traite et il ne se contente pas – contrairement à ce que font trop d’auteurs – de décrire certains phénomènes sociaux. Son approche est fondée sur des principes indiscutables concernant le fonctionnement des sociétés humaines et il en tire des conclusions sur des problèmes cruciaux, par exemple celui de l’immigration. Les propositions qu’il fait ne sont pas de simples affirmations personnelles, mais elles reposent sur la logique et elles devraient donc, en tant que telles, être considérées comme incontournables. (A titre d’exemple, Hoppe fait remarquer qu’en cas de conflits entre plusieurs personnes, on considérerait comme inadmissible que l’une des personnes en conflit soit désignée comme arbitre. C’est pourtant ce que l’on admet en ce qui concerne l’Etat). Ce souci de logique se traduit en particulier par le fait que l’ouvrage de Hans-Hermann Hoppe repose sur une démarche progressive : il part d’une situation sociale aussi simple que possible (par exemple celle de Robinson Crusoë seul sur son île, bientôt rejoint par Vendredi) et il montre comment se fait l’évolution d’une société. Cela le conduit à souligner l’importance des droits de propriété, aussi bien du point de vue moral que du point de vue pratique. Et c’est précisément en se référant aux droits de propriété que l’on peut mieux comprendre les phénomènes sociaux et le rôle – négatif – que peut y jouer l’Etat. L’auteur souligne à juste titre que, depuis deux siècles environ, on a malheureusement séparé l’éthique et l’économie, de telle sorte que la science économique ignore généralement et à tort les droits de propriété. Ainsi qu’il l’écrit « une définition et une théorisation du concept de propriété doit précéder la définition et l’étaiement de n’importe quelle affirmation ou thèse économique ».
Hans-Hermann Hope souligne l’importance de la propriété par sa démarche intéressante qui consiste à imaginer une situation initiale où l’Etat n’existe pas et à décrire l’évolution du fonctionnement des sociétés humaines avec l’émergence progressive de l’Etat. Or, la propriété privée est l’instrument fondamental qui permet d’éviter les conflits et l’auteur montre bien pourquoi une société où seuls existeraient des droits de propriété privés fonctionnerait de manière pacifique et efficace. Il montre ensuite les conséquences néfastes de l’appropriation des espaces privés par la puissance publique qui utilise pour cela la contrainte. Mais il est intéressant d’imaginer un monde hypothétique où l’intégralité de la surface de la terre serait privativement appropriée (ce qui n’empêcherait évidemment pas les individus de constituer différents types d’organisations volontaires, par exemple des entreprises et associations, qui seraient propriétaires de certaines parties de l’espace). Seule serait exclue, dans cette hypothèse, l’existence d’un domaine public, de telle sorte que toutes les voies de communication, par exemple, appartiendraient à des propriétaires privés qui pourraient en faire payer l’usage par des procédés variés.
L’action étatique, pour sa part, est a priori contestable car elle repose sur une méconnaissance des droits de propriété (ce qu’illustre particulièrement l’impôt, prélèvement par la contrainte des droits de propriété). Mais il n’en a pas été toujours exactement de même et Hans-Hermann Hoppe fait à ce sujet des remarques historiques intéressantes, par exemple en ce qui concerne le monde féodal. Il souligne évidemment pourquoi, au terme de cette évolution historique, la démocratie est une source particulière de dangers contre la propriété, ainsi que nous pouvons facilement le constater.
Tout système de propriété est un système d’exclusion, la propriété n’ayant de sens que dans la mesure où elle permet d’exclure autrui de l’usage de sa propriété. Par conséquent le principe de la liberté de circulation – qui est un principe fondamental – n’implique pas que n’importe qui a le droit d’entrer sur la propriété d’autrui sans son consentement, mais seulement qu’aucune autorité ne peut user de la contrainte pour empêcher un individu d’entrer sur la propriété d’autrui, s’il existe un accord mutuel entre lui et le propriétaire.
Le problème de l’immigration est résolu spontanément dans un monde de propriété privée car les propriétaires sont libres d’accueillir ou d’exclure ceux qui souhaitent venir sur leurs propriétés. Mais lorsqu’il existe un Etat, celui-ci use de la contrainte pour pratiquer des exclusions forcées ou des intégrations forcées qui ne correspondent pas nécessairement à ce que souhaiteraient les citoyens de cet Etat. Mais il peut en résulter des risques, à savoir l’importation par les immigrés d’ethnocultures non désirées. Il ne peut être question de résumer ici tout ce qu’analyse Hans-Hermann Hoppe à propos de l’immigration, mais ses raisonnements constituent une base indispensable pour traiter de ce problème complexe et important qui fait l’objet de débats incessants à notre époque.
Hans-Hermann Hoppe analyse dans son livre de manière toujours rigoureuse d’autres problèmes spécifiques, par exemple ceux qui concernent la monnaie, la démocratie, la guerre ou l’entreprise. Je ne peux en tout cas que recommander à nouveau très vivement à tous la lecture de ce remarquable ouvrage.