Lors de la déclaration commune sino-britannique du mois de décembre 1984, le Royaume-Uni s’engageait à remettre à la Chine, en 1997, le territoire de Hong Kong. Quant à la Chine, elle s’engageait à préserver les systèmes économiques et législatif du territoire pendant 50 ans. Ce que l’on a désigné par l’expression « un pays, deux systèmes » devait garantir en fait les libertés des habitants de Hong Kong à l’intérieur d’une Chine communiste. Lors de la signature de la déclaration de 1984, le journal The Wall Street Journal et quelques dissidents anticommunistes avaient mis en garde le gouvernement britannique sur les véritables intentions de la dictature chinoise et suggéré que les habitants de Hong Kong puissent garder aussi leur nationalité britannique. Une manière de les protéger au cas où… Ils avaient bien raison.
De fait, au fil du temps, le pouvoir chinois n’a eu de cesse d’essayer par tous les moyens de restreindre les droits des hongkongais tout en préservant, autant que faire se peut, les mécanismes économiques du territoire. Rien de surprenant à cela : le gouvernement chinois est un grand adepte du mercantilisme et considère que le pouvoir doit s’appuyer sur la classe des marchands et favoriser l’essor industriel et commercial de la Nation. C’est pourquoi, non seulement il place les apparatchiks du Parti à la tête des entreprises importantes, mais, en plus, il rend des pans entiers de l’industrie dépendants des subventions publiques et des crédits publics à taux bas fixés par l’État. Les secteurs des nouvelles énergies, par exemple, ou encore des biotechnologies ou des voitures électriques – Elon Musk a rappelé que ses voitures étaient taxées à 25 % par la Chine ! – sont financés par l’État. Sous le communisme, l’Amérique accordait à certains pays la Clause de la nation la plus favorisée qui était censée encourager leur commerce grâce à la suppression des droits de douane et à de nombreux avantages à l’exportation. Les grands gagnants de cette Clause ont été surtout l’appareil du parti et les entreprises d’État. Aujourd’hui les choses n’ont guère changé et la Chine continue de commercer suivant les mêmes principes, ne se sentant aucunement contrainte de respecter les droits de l’homme, que ce soit à Hong Kong ou ailleurs. Des exemples ?
Connaissez-vous Greta Thunberg ? Adama Traoré ? Sûrement. Après avoir donné des conseils sur CNN concernant le coronavirus, Greta a sommé le vice-président de l’Union européenne de réformer la politique agricole commune. Traoré, délinquants multirécidiviste, est devenu un vrai martyr et un symbole de la lutte contre le racisme et contre les forces de l’ordre. Mais connaissez-vous Joshua Wong ? Pas si sûr… Avec le coronavirus, la Chine a bien montré son vrai visage de dictature communiste. Rappelez-vous quand, le 31 décembre 2019, les autorités taïwanaises avertissent l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) des dangers du virus qui se transmet très facilement, la direction conteste la gravité de la situation et se fait le porte-parole de la dictature chinoise. Le 14 janvier, un tweet de l’OMS nie le fait que le virus soit contagieux pour les hommes. Le 30 janvier, le directeur de l’OMS, Tedros Ghebreyesus, se déplace en Chine où il affirme, lors d’une conférence de presse, que la situation est sous contrôle et félicite les autorités chinoises pour leur travail (sic). Il déconseille aussi toute restriction concernant les déplacements et les voyages (sic).
La molle réaction des démocraties — seuls les dirigeants américain et anglais l’ont montrée du doigt — a conforté la Chine dans sa politique de répression à Hong Kong. A travers une loi adoptée le 28 Mai 2020, le régime de Pékin porte encore plus atteinte à l’autonomie de cette région spéciale. Intitulée « loi sur la sécurité nationale », elle devrait permettre aux autorités chinoises de condamner les manifestants pro-démocratie à de lourdes peines de prison. Parmi ces manifestants figure le jeune Joshua Wong qui vient de publier en France ce livre qui est en fait son journal de prison.
Né en 1996, un an avant le rattachement de Hong Kong à la Chine, élevé dans une famille chrétienne, Wong a commencé à s’intéresser à la politique dès l’âge de 12 ans. A 14 ans, il participait déjà aux premières manifestations contre la dictature de Pékin. En août 2017, à 20 ans donc encore mineur (à Hong Kong, la majorité est à 21 ans), il est condamné à 6 mois de prison pour sa participation au « mouvement des parapluies », symbole d’un peuple qui veut garder son autonomie et ses libertés.
Wong est l’un des premiers et des plus jeunes prisonniers politiques (matricule : 4030XX) qu’on n’ait jamais connu à Hong Kong. Ses activités de dissident démarrent en 2011 lorsqu’il crée le mouvement « Scholarism » en réaction à la volonté du gouvernement d’introduire un nouveau programme scolaire qui comprendrait une matière obligatoire appelée « éducation morale et nationale » dont le but était en réalité d’inculquer aux jeunes hongkongais les « idéaux du communisme ». La maturité et l’intelligence politiques du jeune Wong sont impressionnantes. Il comprend très vite les astuces du Parti communiste chinois qui veut façonner la nouvelle génération de jeunes selon le moule idéologique marxiste. S’y opposer devient pour lui un devoir de lycéen ! Cela va jusqu’à une grève de la faim avec d’autres jeunes, qui incitera des dizaines de milliers de personnes à sortir manifester dans les rues.
En 2013, il proteste contre le système de nomination des candidats aux élections que Pékin veut contrôler en imposant une « pré-sélection ». Avec d’autres jeunes comme lui, Agnès Chow par exemple, il organise de grandes manifestations en faveur des candidats indépendants issus de la société civile. La police intervient avec brutalité et il se fait arrêter une première fois. Mais la victoire démocratique est acquise. En 2016, il est l’un des créateurs d’un parti politique de la jeunesse, Demosisto, mot-valise qui combine le terme grec demos (peuple) et le terme latin sisto (se tenir debout) qui parvient même à faire gagner un candidat lors des élections législatives. Mais la dictature communiste utilise les ficelles idéologiques pour le faire tomber en l’accusant de vouloir l’indépendance de Hong Kong, ce qui n’était pas du tout dans son programme. Le ministère de la Justice ajoute l’accusation de « rassemblement illégal » lors du mouvement des parapluies trois ans auparavant. Plusieurs jeunes, parmi lesquels Joshua Wong, sont condamnés à de la prison ferme. Libéré après 68 jours, Wong est un symbole de la résistance à la dictature. Sa mise en garde contre Xi Jinping à la fin du livre est d’autant plus lucide et visionnaire qu’elle a été écrite avant la crise du coronavirus.
Dans son livre figurent dix demandes d’aide aux lecteurs. Trois d’entre elles nous incitent à signer des pétitions en faveur des habitants de Hong Kong, à écrire à nos leaders politiques pour les sensibiliser à propos de ce qui se passe là-bas et aussi à soutenir les médias qui « s’opposent à la dictature communiste ». Malheureusement, si l’information était bien faite (en France surtout), on devrait connaître Joshua Wong beaucoup plus et beaucoup mieux que Greta Thunberg, Adama Traoré ou George Floyd. Il n’est jamais trop tard.
Nicolas Lecaussin est diplômé de Sciences-Po Paris. Ancien Président de l’iFRAP (Institut Français de Recherche sur les Administrations Publiques) il est aujourd’hui Directeur du développement de l’IREF. Fondateur de Entrepreneur Junior il est également l’auteur de nombreux ouvrages dont le plus récent est Les donneurs de leçons, éditions du Rocher, 2019.