Mon ami Jesús Huerta de Soto m’a adressé le mois dernier un très bel ouvrage, de quelque 510 pages. C’est la traduction en français d’une collection d’articles publiés par ce professeur à l’Université Rey Juan Carlos de Madrid. La compilation est à la mode, et elle a précisément l’avantage d’un jardin à l’anglaise : on va de découverte en découverte sans être obligé d’entrer dans un système de pensée organisé, comme dans un jardin à la française. On va donc trouver une extraordinaire variété, on peut ouvrir un chapitre au hasard et on se retrouvera dans le monde merveilleux de la science économique.
Jacques Garello est professeur émérite de l’Université Aix-Marseille. Président de l’ALEPS de 1978 à 2015, il publie depuis 1981 La Nouvelle Lettre, hebdomadaire. Il a été l’un des créateurs du groupe des Nouveaux Economistes (1977) et a organisé 38 Universités d’Eté de la Nouvelle Economie à Aix en Provence. |
L’intérêt scientifique et pédagogique de cette compilation devrait être très apprécié en France, parce qu’il présente, au fil des chapitres, un panorama presque complet des principales thèses de l’école autrichienne. Une école hélas peu connue dans notre pays, et peu appréciée par les économistes dominants chez nous, alors qu’elle pourrait sûrement convaincre un grand nombre de nos compatriotes des bienfaits du libéralisme, qui ne se ramène pas à sa seule dimension économique. Jesús Huerta De Soto est un économiste nourri de philosophie et d’éthique, mais il sait aussi nous présenter tout ce que les économistes libéraux ont écrit depuis les Scolastiques (en tant qu’Espagnol il ne peut qu’être fier de l’apport de l’école de Salamanque) jusqu’aux Autrichiens contemporains.
Au hasard des premiers de ses chapitres, l’auteur affirme sa préférence pour « la théorie de l’efficience dynamique » qui donne d’ailleurs le titre à l’ouvrage entier. Il rejette ainsi « l’efficience parétienne », qu’il estime à juste titre statique, organisée autour des concepts d’optimum et d’équilibre. L’efficience dynamique est fidèle à la réalité de la vie économique : en mouvement permanent, avec un processus d’essais et d’erreurs. L’action humaine est plus importante que les classes sociologiques ou les agrégats macro-économiques.
Au hasard de plusieurs chapitres suivants, nous lisons un Huerta de Soto toujours en recherche sur les problèmes méthodologiques. Il nous propose des tableaux très clairs tendant à comparer la théorie autrichienne à la théorie néo-classique, travail remarquable. Il dit que ces tableaux lui ont été demandés par Gary Becker. En effet ce géant de la science économique a lui-même évolué de l’une vers l’autre : il a pris ses distances avec l’école de Chicago pour se rapprocher de celle de Salamanque ! Dans d’autres chapitres l’auteur démarque aussi les économistes libéraux de ceux qui sont à la marge du libéralisme, sans y être vraiment : les nationaux libéraux, les anarcho-capitalistes.
Passionnant aussi le chapitre 4, Méthode et crise de la science économique, dont les libéraux autrichiens partageront sans doute la conclusion :
La science économique traverse aujourd’hui une crise profonde due aux raisons suivantes :
- la préoccupation prédominante des théoriciens pour les états d’équilibre, qui n’ont rien à voir avec la réalité, mais sont les seuls à pouvoir être analysés à l’aide des méthodes mathématiques ;
- l’oubli total, ou l’étude d’un point de vue fâcheux, du rôle que jouent les processus de marché et la concurrence dans la vie économique ;
- l’attention insuffisante prêtée au rôle que jouent dans le marché la connaissance, les perspectives et les processus d’apprentissage ;
- l’utilisation indiscriminée des agrégats macro-économiques et l’oubli subséquent de l’étude de la coordination entre les plans des agents individuels prenant part au marché.
J’ai éprouvé enfin un grand plaisir à la lecture de deux chapitres qui sont au cœur de nos interrogations : Socialisme, corruption et économie de marché (avec une référence à la doctrine sociale de l’Eglise Catholique et à Michael Novak) (Chapitre 20) et L’économiste libéral et la politique (Chapitre 21) Voici l’objectif de l’auteur :
« Nous examinerons les raisons habituellement alléguées pour justifier la prétendue impossibilité politique de faire progresser l’idéologie libérale et passerons en revue divers exemples historiques récents qui réfutent nettement cette impossibilité. »
Oui, nous avons besoin de croire dans la renaissance politique, même en France, et l’ouvrage de Jesús Huerta de Soto nous y aidera.