Le système par répartition est explosif dans tout pays dont la population vieillit sans cesse : moins de jeunes actifs cotisants et davantage de retraités pensionnés. La réforme d’un tel système ne peut consister qu’à changer certains paramètres : âge de la retraite, montant des cotisations, calcul des pensions. Cette évidence est connue depuis des années, elle a fait l’objet de nombreux rapports d’organisations internationales (Banque Mondiale, FMI, OCDE, Union Européenne) et de nombreux ouvrages et colloques l’ont commentée dès les années 1970. Dans la plupart des pays, et au dire de la plupart des experts, les réformes paramétriques n’ont aucun effet durable si le rapport cotisants/retraités ne cesse de diminuer, de sorte qu’il faut se décider à des réformes systémiques : abandonner la répartition pour la capitalisation. Ce qui est consternant dans le débat actuel, c’est que la capitalisation n’est pratiquement jamais évoquée, et quand elle l’est, c’est pour la rejeter. Ainsi récemment l’Humanité, journal d’un haut niveau scientifique, a énuméré tous les méfaits de la capitalisation, notamment la faillite des fonds de pensions qui ont ruiné les retraités américains.

N’ayez pas peur !

Ma première démarche est pour vous rassurer. La capitalisation n’a ruiné personne. Sans doute y a-t-il eu des faillites retentissantes et scandaleuses, comme les affaires Enron ou Maxwell ; mais il s’agit de malversations criminelles, et qui ont été punies comme telles. La leçon à en tirer est qu’il ne faut pas obliger les salariés à cotiser pour un fonds créé par leur entreprise, le cotisant doit choisir librement entre prestataires concurrents, et revoir son choix si nécessaire. L’Humanité dénonce aussi l’instabilité de la bourse, les méandres insaisissables de la finance. Il est vrai que les crises de 1929 ou 2008 hantent les esprits, mais si les fonds de pension ont perdu 28% en 2008, la perte n’était plus que de 6% en 2009, et les gains se sont succédé ensuite. Sur plus d’un siècle de placements financiers, on a acquis une certitude : la probabilité d’atteindre la rentabilité souhaitée (par exemple un taux annuel moyen de 5% dans une retraite à objectif déterminé – definedbenefit system) augmente avec la durée du placement : par exemple elle est de 70 % pour 5 ans, 85 % pour 10 ans, et de 100 % au bout de 20 ans. Encore faut-il préciser que la composition du portefeuille a aussi une influence : les obligations sont moins rentables que les actions. Les soi-disant « méfaits » de la capitalisation ne sont inspirés que par l’idéologie anticapitaliste. Et on garde le silence sur le coût exorbitant du système. Les salariés français ne savent pas ce qu’ils versent pour leur retraite, parce qu’ils ne perçoivent pas leur salaire complet, ils ne mesurent pas l’importance de ce qui leur est retenu à travers les cotisations dites patronales ou salariales (toutes deux prélevées sur la rémunération de leur travail). Pour un smicard (soumis au régime général) le total annuel est 2.500 euros, soit plus de deux mois de smic net. Mais il est vrai qu’il existe des « régimes spéciaux » bien plus avantageux, et on comprend ceux qui ne veulent rien changer et manifestent contre toute réforme.

Performances de la capitalisation

Les bienfaits de la capitalisation sont pourtant incontestables et prouvés depuis des décennies. Il y a des bienfaits d’abord pour les retraités. Le premier bienfait est la rentabilité. Avec des cotisations moindres, le futur retraité place son argent qui va lui rapporter un taux compris généralement entre 5 et 9 % l’an, il constitue ainsi un capital qui va se doubler entre 15 et 20 ans. De plus, il peut connaître à tout moment où en est son compte retraite et accélérer ou ralentir ses versements en fonction de son âge, de ses revenus, de sa situation de famille, etc. Il a la liberté et la responsabilité de sa retraite, et peut mettre en concurrence les financiers.

Il y a ensuite les bienfaits pour l’économie. Cet aspect est ignoré, alors qu’il est déterminant. Dans le système par répartition, l’argent des cotisations est immédiatement utilisé pour payer les pensions : l’URSSAF est une caisse enregistreuse, et ressort l’argent aussi vite qu’il est entré, il n’y a plus aucun euro dans la caisse avant le 9 de chaque mois. Par contraste en capitalisation l’argent versé au financier est investi, et c’est précisément le rapport de cet investissement qui permet de valoriser le capital du futur retraité. L’épargne aujourd’hui gaspillée devient une épargne placée. Grâce aux investissements la croissance de l’économie va s’accélérer, et c’est ce que l’on a observé dans tous les pays qui sont passés à la capitalisation. A son tour, la croissance facilite la transition vers la capitalisation.

La transition

C’est sans doute la difficulté majeure d’une vraie réforme systémique, puisqu’on ne peut imaginer que les personnes ayant acquis des droits dans le système par répartition les perdent totalement ou partiellement. On ne peut évidemment racheter ces droits : cela représenterait en France une masse de 4 PIB ! Donc, il faut garantir aux retraités actuels et à ceux qui sont âgés de plus de 52 ans (dix ans avant la date légale du départ aujourd’hui) la totalité de ce qui leur est dû. Mais qui épongera cette dette ? Les jeunes Français qui entrent en activité vont faire le sacrifice de continuer à payer pour leurs aînés tant que la dette ne sera pas épongée. Cela prendra sans doute une génération, ce qui veut dire qu’ils en auront fini à peu près vers 45 ans. Mais dès la mise en place de la réforme ils ont accès à la capitalisation, et c’est donc un genre de rançon qu’ils paient pour se libérer de la répartition et accéder à la capitalisation. L’accès à la capitalisation sous formes diverses peut être exonéré de tout impôt, comme toute épargne investie devrait l’être d’ailleurs. Quadragénaires et quinquagénaires ont donc un délai suffisant pour constituer un capital important, et leur âge est précisément celui où l’épargne est possible : dans ce que les économistes appellent « le cycle vital », ils sont à la période de l’accumulation après avoir été dans celle de la consommation. Reste une troisième catégorie : ceux qui se situent au départ de la réforme entre 40 et 52 ans. On peut leur offrir le choix entre les deux systèmes, sachant qu’ils ont encore le temps sinon d’accumuler un capital très élevé, du moins d’avoir un capital supérieur à celui que le système actuel saurait leur garantir. La transition est ainsi un pari, mais le pari a été toujours gagné pour une raison très simple : l’épargne investie dans l’économie a augmenté la croissance, allégé l’effort de rachat des droits et maintenu durablement un haut niveau de vie. Ainsi se mettent en place progressivement les trois piliers d’un nouveau système de retraite : le premier pilier, survivance d’un passé révolu, est en répartition et ne concerne que « les grands-pères » puis demeure un filet social équilibré par l’impôt ; le deuxième pilier ouvre le droit à capitalisation, ses modalités peuvent être obligatoires ou facultatives, le troisième pilier est en pure capitalisation, et les sommes investies sont exonérées d’impôts. La transition est ainsi un passage du public au privé, du monopole à la concurrence, de l’obligatoire vers le volontaire, et du budgétaire au financier.

Un changement de société

En fait, la transition conduit à un véritable changement de société. Je me permets de citer ici, en conclusion, la synthèse de mon ami Gary Becker, prix Nobel d’économie, venu en 1996 à Paris à l’invitation de l’ALEPS et de la Caisse de Retraite des Médecins alors présidée par Gérard Maudrux. Becker nous disait à propos du passage à la capitalisation :

C’est un retour au travail : plus de gens seront actifs et le seront plus longtemps. Cela suppose évidemment que les pouvoirs politiques cessent d‘intervenir sur le marché du travail et lui rendent la liberté et la souplesse nécessaires.

C’est un retour à l’épargne : alors que la répartition dilapide l’argent gagné, alors que la répartition détruit le capital humain et la richesse nationale, la capitalisation place l’argent gagné et le fructifie. Cela suppose aussi que toute fiscalité sur l‘épargne soit éliminée, et s’il y a une charge fiscale à assurer elle doit l’être par des impôts sur la consommation.

C’est un retour à la responsabilité personnelle : la répartition contient tous les germes de la collectivisation et aboutit à faire disparaître toute idée de progrès personnel. La capitalisation a le mérite de mettre chacun face à son propre progrès. S’il y a des individus laissés pour compte on peut prévoir un filet social à leur intention, mais ces cas doivent demeurer marginaux et il faut se garder, comme on le fait maintenant, de construire tout un système d’Etat Providence sur des hypothèses extrêmes qui ne concerneraient normalement qu’une infime minorité de la population.

About Author

Jacques Garello

Jacques Garello est professeur émérite de l’Université Aix-Marseille. Président de l’ALEPS de 1978 à 2015, il publie depuis 1981 La Nouvelle Lettre (nouvelle-lettre.com). Il a été l’un des créateurs du groupe des Nouveaux Économistes (1977) et a organisé de nombreuses Université d’Été de la Nouvelle Économie à Aix-en-Provence.

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