Pierre GarelloDans un article publié en Février dernier sur le site du magazine en ligne « Contrepoints » je présentais le contenu de notre précédent numéro. Un lecteur nous a adressé un commentaire qui débutait ainsi : « Le libéralisme pourra sérieusement percer en France quand les libéraux cesseront de ne parler que de son aspect économique », et qui concluait : « Bref, le libéralisme tel que décrit fréquemment par ses propres louangeurs ne concerne qu’une petite fraction de la société. Il n’est donc guère surprenant qu’il soit mal compris et qu’il reste dans l’ombre… »

Je pense – et je l’ai d’ailleurs signalé à l’auteur du commentaire – que sa première critique n’est pas fondée : les libéraux, en tous les cas ceux qui écrivent dans ce Journal, ne parlent pas uniquement de l’aspect économique du libéralisme et l’on trouve d’ailleurs dans le conseil d’orientation, tout comme dans le comité de rédaction du Journal, des économistes mais aussi des juristes, des philosophes, des scientifiques, des littéraires, des journalistes, des historiens, des hommes d’affaires… Si l’on prend comme référence ce numéro 8 du Journal des libertés que vous allez lire, nous pouvons même affirmer que les libéraux ne parlent pas principalement de l’aspect économique du libéralisme : ainsi que vous le constaterez,  un seul article – celui de Pascal Salin – entre directement dans cette catégorie pour traiter de la question, malheureusement toujours d’actualité, des pouvoirs réels et trop souvent destructeurs des politiques monétaires et plus généralement des politiques économiques[1]. Parmi les autres articles que nous publions beaucoup s’attachent, plus ou moins directement, à comprendre l’évolution – ou devrais-je dire les méandres – de la pensée dominante dans notre société ; pensée dominante qui forge la compréhension de notre environnement, y compris institutionnel, et de l’histoire.

La seconde partie du commentaire de ce lecteur mérite je pense une plus grande attention : il nous met en garde contre la possibilité que nos propos, parce qu’ils seraient déconnectés des vrais débats, ne puissent concerner en fait qu’une fraction de la société. Là encore, je suis d’avis que ce jugement est injuste car nous parlons bien du monde réel dans nos pages : les racines du régime politique Chinois, la démocratie, le rôle des associations et le juste rôle du gouvernement, les dangers du protectionnisme, la réforme des retraites. Mais il est vrai que la réalité ce n’est pas que cela : il y a aussi le coronavirus, la place des Lgbti, Polanski, la guerre en Syrie, le futur de l’Afrique, la montée de l’Islam, le réchauffement climatique…

Alors pourquoi ne pas aborder tous ces thèmes tout de suite ? Tout d’abord par humilité et sens pratique. C’est précisément parce que certains de ces thèmes sont d’une grande importance que nous voudrions faire entendre des voix compétentes. Or cela prend parfois du temps car les compétences ne sont pas toujours à portée de main. C’est ainsi que des dossiers sur la Chine ou sur les rapports que peuvent entretenir Islam et liberté ou encore sur la meilleure attitude à tenir face aux évolutions du climat sont en préparation. Nous demandons à nos lecteurs un peu de patience.

Une seconde raison pour laquelle il est parfois urgent de ne pas se précipiter pour aborder un thème est dans le souci d’éviter les confusions. Il n’y a pas nécessairement une « position libérale » sur toutes les questions. L’une des vertus du libéralisme est en effet de permettre une société soudée mais plurielle dans laquelle peuvent cohabiter des opinions très variées. Chacun, tant que cela ne porte pas atteinte à la liberté d’un autre, est libre d’avoir son point de vue. Maintenir cette distinction entre ce qui relève des fondements indiscutables d’une société libérale et ce qui relève d’une opinion personnelle face à une problématique donnée n’est pas toujours chose aisée et, s’il n’y a pas d’autocensure, si nous ouvrons nos pages tant à des articles d’opinion qu’à des articles visant à rappeler les fondements du libéralisme, il importe de le faire avec prudence afin d’éviter justement cette confusion entre ce qui relève de la conviction personnelle et ce qui relève de la cohérence de la pensée libérale.

Il y a enfin une troisième réflexion que m’a inspirée ce court commentaire : il est vrai, ainsi que le suggère le commentaire, que les économistes sont nombreux dans la famille libérale. Mais il y a, je pense, une raison simple à cela et elle mérite d’être rappelée. L’économiste, à la base, cherche à comprendre les rouages du développement économique et social, et sa réflexion le conduit presque inévitablement à se pencher sur les institutions (les règles du jeu) qui encadrent les activités individuelles tant il est vrai que les individus répondent aux incitations qui proviennent de ce cadre. Et c’est ainsi que de nombreux économistes se sont naturellement intéressés aux institutions et à la répartition des pouvoirs. Et c’est ainsi qu’ils ont été conduits à comprendre les mérites d’un « système de liberté naturelle » – pour reprendre l’expression d’Adam Smith ; c’est-à-dire d’un cadre institutionnel basé sur le respect des droits individuelles et la réparation des torts que l’on peut causer à autrui.

Ce cheminement, qui prend son départ dans une réflexion purement économique pour nous conduire vers une réflexion plus générale sur les règles de vie dans une société et sur la valeur de la liberté, en bref sur des considérations de philosophie politique, de nombreux économistes l’ont parcouru. Ce fut en particulier le cas de Bertrand Lemennicier et de Georges Lane : deux économistes de formation, deux passionnés de la liberté, deux amis qui nous ont tout récemment quittés et auxquels nous rendons hommage ici. Oui, vraiment, si l’économie est parfois un point de départ pour découvrir la pensée libérale, cette dernière ne saurait se satisfaire d’une réflexion cantonnée à la création de richesses matérielles.


[1] Soulignons, pour être précis, que Pascal Salin s’est lui-même, et à maintes occasions, violemment dressé contre une approche 100% économique du libéralisme et a mis en valeur les fondements éthiques de cette pensée (voir, entre autres, son ouvrage Libéralisme, Odile Jacob, 2000). Dans les pages de ce numéro 8 du Journal des libertés, Jacques Garello revient également sur cette « dimension éthique du libéralisme » dans sa recension du dernier ouvrage de Joseph Macé-Scaron.

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