Ferghane Azihari contribue activement au débat sur les politiques publiques et sur l’économie en France. Inspiré par un libéralisme politique, économique et sociétal d’ascendance autrichienne (Mises, Hayek et consorts) ses exposés écrits et oraux sont charpentés et documentés. Il se révèle comme l’un des jeunes auteurs qui comptent au sein de la cohorte qui prend progressivement le relais des auteurs chevronnés qui ont eu le courage et la ténacité d’entretenir la flamme d’un libéralisme moderne et décomplexé depuis un demi-siècle.

Alliant une bonne maîtrise rhétorique, une curiosité de bon aloi et une réelle aptitude à soutenir l’attention du lecteur, cet essai fait une critique sévère de l’écologie politique dont la thèse ressemble étrangement à celle des marxistes d’hier ; pour éradiquer leurs « ennemis de classe », ils promettent au peuple des « lendemains qui chantent » avant de lui imposer une longue abstinence, sous prétexte d’un danger immédiat !

Nos contemporains jouissent d’un bien-être incomparablement supérieur à celui que connurent leurs ancêtres. Malgré tout, une partie de la jeunesse s’est tellement habituée aux facilités d’une société policée et développée, qu’elle en oublie les causes. « Née coiffée », cette génération oublie, semble-t-il, que son existence dépend de moyens discrets et d’une organisation invisible qui garantissent l’efficacité et la souplesse de la société occidentale !

Comme les jeunes américains des années soixante-dix, cette jeunesse est tentée par un mythique retour à la Terre. Elle est séduite par des sirènes qui prônent l’écologisme militant et qui diffusent, à l’échelle mondiale et avec le soutien des organisations internationales, un diagnostic péremptoire : le monde se dégrade à cause de la « folie des hommes » qui prépare leur perte !

De telles affirmations prolongent les projections catastrophistes popularisées par le Club de Rome, cette instance privée qui fut établie en 1968 et dotée de fonds privés, à l’initiative d’une trentaine de personnalités très diverses, peu de temps avant les grandes manifestations étudiantes qui agitèrent, entre autres, la France et les États-Unis[1].

Impliqué moi-même, à la même époque, dans des recherches connexes, j’avais suivi attentivement les travaux préparatoires de ces prescriptions, établies pour l’an 2000. Après quinze à vingt ans, la discordance entre les prévisions popularisées par ce brillant cénacle et l’état réel du monde, devint patent, tant en terme démographique que de ressources naturelles et de production industrielle, agricole ou minérale !

Il faut malheureusement prendre acte du fait que les prophètes écologiques d’aujourd’hui qui bénéficient surtout de contributions publiques et non des dotations privées qui fondèrent le Club de Rome, ne tiennent aucun compte des données empiriques qui contredisent largement l’extrapolation hasardeuse des prospectivistes de 1970 : un demi-siècle plus tard, ils poursuivent les mêmes lubies ! Les marchands d’angoisse ne se sont pas amendés ; ils n’ont rien appris :

  • Non, les ressources pétrolières et gazières n’étaient pas épuisées en 2000 ; elles se sont, au contraire, multipliées, redonnant à l’Amérique l’indépendance énergétique qu’elle avait perdue au profit des émirs arabes, tout particulièrement !
  • Non, malgré la croissance de sa population, le monde n’a pas été ravagé par une pénurie alimentaire ni épuisé les ressources et les terres agricoles dont les rendements continuent de croître !
  • Oui, l’efficacité des échanges mondiaux compense largement l’augmentation de la population grâce au pragmatique commerce mondial qui distribue les grains et les autres produits agricole là où la population en a besoin etc.

Et pourtant, l’angoisse millénariste se vend bien, particulièrement au sein d’un milieu politique qui s’affirme progressiste ! C’est à démonter ce mécanisme et la duplicité qui caractérise l’écologisme occidental que s’attache principalement l’essai de Ferghane Azihari : quoi de plus troublant pour l’occident que de soutenir, par exemple, que la présence humaine perturbe le monde par sa seule existence ? Quoi de plus angoissant que d’annoncer à notre jeunesse qu’il est urgent de renverser la vapeur et d’imposer à nos contemporains un remède de cheval et une cure d’austérité monacale afin de désencombrer la planète d’un genre humain inutilement vorace, polluant sans vergogne une mère nourricière dont il abuse ? 

Est-elle victime d’un nouveau « mal du siècle », cette jeunesse prête à sacrifier le bien-être chèrement acquis par ses parents et grands-parents ? Est-elle victime d’un renouveau du spleen romantique qui tourmenta Byron et Baudelaire au XIX° siècle et qui les conduisit à se révolter, déjà, contre le confort bourgeois dont ils méprisaient la trivialité? Comme leurs prédécesseurs, ces modernes romantiques contestent l’ordre social et politique de leur temps ; ils sont aussi prêts à noyer leur désabusement dans l’alcool et dans des paradis artificiels ! Leur comportement en envoie plus d’un, malheureusement, au désespoir et même au suicide…

Cette génération qui descend dans la rue pour dénigrer le progrès technique, est-elle l’émule du savant fou de Hergé, Philippulus le Prophète, qui annonce l’Apocalypse et la fin du monde dans des termes que ne renieraient pas les écologues contemporains : « Des jours de terreur vont venir … la fin du monde est proche ! » [2]. Aussi mal dans sa peau que nos grands romantiques, elle rejette ce qui lui permet pourtant d’être plus libre que les générations antérieures. Et affirme passer par pertes et profits les efforts accomplis par leurs anciens afin d’améliorer leurs conditions de vie en termes de santé, de sérénité et de confort moral et matériel.

Les écologues poursuivent la quête utopique d’un Eden rousseauiste, vierge et bienveillant, qu’ils parent de toutes les qualités. Ferghane Azihari explique qu’ils s’enfoncent dans la désillusion et qu’ils nous trompent effrontément[3]. D’ailleurs, quiconque observe le monde tel qu’il est découvre que, sans savoir-faire industriel, sans capital humain, sans investissement ni intellectuel ni matériel ni commercial, nos conditions de vie s’effondrent : là où les circonstances politiques ont bouté la modernité dehors, la vie s’écourte, la santé se dégrade, les femmes sont méprisées, les enfants sont mal nourris, beaucoup s’éteignent en bas âge et la durée de vie se réduit : la Grande Faucheuse reprend la main au détriment de la condition humaine[4] !

Ce n’est pas tout : les écologistes militants omettent de dire que les grandes catastrophes ont toujours émaillé l’histoire des hommes, bien avant que leur industrie émette un quelconque CO² : météores, volcanisme, tsunamis, tremblements de terres, subsidence, typhons et tornades remontent au fond des âges ! Cela prouve non seulement que le milieu naturel est loin d’être édénique ; mais surtout que la nature a besoin des hommes qui en prennent soin depuis l’antiquité : canalisations, irrigations, terrasses, restanques, bocages, plantations entretiennent et améliorent les sols, contribuant ainsi à éradiquer la famine qui renaît partout, dès que l’homme abandonne son jardin [5] !

Ferghane Azihari en apporte de multiples preuves : lorsque la modernité se perd, le développement s’arrête, l’organisation, la prévoyance et la gestion rationnelle des ressources laissent le champ libre à un cortège de maux, de prévarications et de prébendes. Parlant de l’insalubrité des eaux dans les pays les plus pauvres, il trouve cette belle formule (p. 61) : « le développement économique est le meilleur procédé d’assainissement » ! Il souligne aussi qu’il serait suicidaire de céder au mirage de la théocratie verte qui invite à la décroissance, à la frugalité et au malthusianisme revisité.

Ces balivernes, remarque-t-il, sont un remake des « lendemains qui chantent » que promettaient les bolcheviques au pauvre peuple russe, illusion que l’on croyait tombée aux poubelles de l’histoire depuis l’implosion du socialisme soviétique, il y a plus de trente ans. La décroissance volontaire conduirait en définitive au suicide social, souligne l’auteur. Que ce soit par passion ou par inconscience, ceux qui cherchent à déifier la Terre préparent donc (plus ou moins en secret) un despotisme dont ils disent être les prophètes !

Cet essai démonte enfin le procédé que les prosélytes de l’écologie exploitent afin d’instiller une angoisse existentielle dans le corps social et d’imposer l’idée que, seule, la contrainte autoritaire pourrait limiter un désastre qu’ils affirment imminent, à grand renfort d’annonces apocalyptiques. Il leur faut du sang à la une :c’est pourquoi ils mettent en scène des phénomènes qui, prétendent-ils, se multiplient et dont ils attribuent la cause unique à l’homme, alors que la majorité de ces risques est d’ordre naturel ! Aveuglés par un orgueil millénariste et prométhéen, ils usent et abusent d’une recette éculée : c’est l’hyperbole des prophètes de malheur que j’évoque plus haut.

Leur but ultime est évidemment de mettre le monde politique sous tension afin de lui imposer l’agenda autoritaire qui devrait « protéger tout le monde ! » Élan messianique, l’écologie profonde affirme aussi que des mesures coercitives limiteraient des destructions qu’ils disent pourtant inéluctables ! Quel étrange paradoxe : si la catastrophe est inéluctable, aucune action humaine ne l’arrêterait ! Les mots n’ont donc plus de sens pour ceux qui, se prenant pour le Noé biblique,espèrent sauver leurs élus des eaux montantes d’un Déluge à venir !

Tel se présente le « Procès de Prométhée » auquel Azihari plaide en défense. Empruntant plusieurs pistes, il recense notamment l’amélioration spectaculaire des rendements agricoles, de l’élevage et des autres ressources qui alimentent la vie moderne[6]. Il insiste ainsi sur l’importance de la productivité, sans toutefois la nommer. Il souligne également l’effet vertueux du progrès technique qui a nourri le bien-être depuis plus d’un siècle, un phénomène profond et durable décrit et démontré en particulier par Kuznets, Clarke, Solow et Fourastié. Azihari pose là un atout majeur, pas assez exploité, à mon avis (p. 108).

Gageons que ce n’est que partie remise car, son essai vigoureux le prouve, cet auteur jeune, dynamique et courageux aborde sans fard un sujet qui est profondément encombré par des idées creuses.

Optimiste et constructive, sa thèse échappe avec bonheur aux lieux communs de notre temps : elle contre efficacement le catastrophisme des anti-modernes.


[1]     Les fondateurs de ce groupe informel ont tous disparu ; mais les survivants ont entretenu la flamme et conservé quelque influence dans les cercles internationaux, grâce, notamment, aux équipes du MIT qui prolongent encore l’analyse initiée en 1968. Le « Rapport Maedows » titrait : « The limits to Growth : the predicament of mankind » (Londres, 1972) ; cela signifiait qu’il en résulte « une situation fâcheuse pour l’humanité » ! Nota Bene : faux ami, le terme « predicament » ne signifie pas « prospective » ; les Maedows affirmaient seulement que l’humanité était « dans l’impasse » !

[2]     Voir : L’Etoile mystérieuse, Casterman, Paris, 1947 (planches 3, 7-8 & 19). Pour une approche savante, je renvoie à l’analyse du millénarisme chrétien par Philippe Némo in : Qu’est-ce que l’Occident ? PUF Quadrige, Paris 2004, p. 43.

[3]     Les rédacteurs du Club de Rome firent preuve de plus de circonspection que leurs émules actuels : ainsi, décrivant la cible et les moyens nécessaires pour limiter la croissance humaine (et pour restreindre la pollution corrélative au-delà de 2030-2050), les Maedows visaient à « construire un état d’équilibre » inscrit dans une perspective malthusienne : « que la population et le capital se stabilisent ; et que cet équilibre se maintienne spontanément » op. cit. p. 171 (notre traduction).

[4]     Au-delà de la situation des Comores, chères à l’auteur, la dégradation rapide des conditions de vie au Venezuela, au Mozambique ou en Zambie soulignent que le développement économique est long à construire mais rapide à détruire !

[5]     Je dois citer à ce propos l’oeuvre humble et savante d’Elinor Ostrom : Governing the Commons, The evolution of institutions for collective action (1990) Cambridge U.P.

[6]     L’annexe 4 résume des données pour la période allant de 1980 à 2018.

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Journal des Libertés

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