Que sont les politiques industrielles?

Ce sont des interférences, des initiatives interventionnistes, susceptibles de prendre des formes multiples. Il peut s’agir de subventions versées à certains secteurs ou filières, à l’exportation ou à l’importation, ou bien d’introduire des droits de douane discriminatoires, ou des quotas. Ce peut-être encore des mesures fiscales non neutres destinées à favoriser certaines activités.

Les politiques industrielles sont intrinsèquement protectionnistes. Elles sont en règle générale décidées et mises en œuvre par des gouvernements socialistes ou sociaux-démocrates ; en Europe occidentale, Royaume-Uni, France, Allemagne, Scandinavie, Italie, Espagne. Des mesures similaires ont été développées dans les marchés émergents, notamment en Extrême Orient, Corée, Taiwan, Singapour, en suivant l’exemple du Japon, et de son ministère dit MITI (Ministry of Investment, Trade and Industry).

Les politiques industrielles sont traditionnellement combattues par les défenseurs du libre-échange et de l’économie de marche, ainsi que par les économistes libéraux tel Adam Smith dans La Richesse des Nations.

Enfin, les États-Unis ont une attitude ambivalente vis-à-vis des politiques industrielles. Au début, après la Guerre d’indépendance et à la différence de Thomas Jefferson qui était partisan d’une économie rurale, Alexander Hamilton souhaitait favoriser une économie diversifiée plus à même d’enrichir la nouvelle Nation et ses citoyens. Son engagement en faveur des tarifs protectionnistes le mit en conflit ouvert avec le Vice-président Aaron Burr, culminant avec le duel du 11 juillet 1804 qui fut fatal à Hamilton.

Hamilton fut le précurseur des politiques industrielles, mais sa tradition se perpétua tout au long de l’histoire américaine et se retrouve à notre époque contemporaine dans les thèmes repris par le Trumpisme et le Mouvement MAGA (Make America Great Again) en dérogation totale avec le libre échangisme classique du parti républicain.

Il y eut quelques initiatives en ce sens sous l’administration Carter, et même une tentative sous Reagan – Project Societies –, rapidement abandonnée.

Politiques industrielles et gaspillage des fonds publics

Les critiques des politiques industrielles ne le font pas seulement pour leur incompatibilité avec le libre-échange et l’économie de marché, mais aussi et surtout au regard de l’incompétence supposée des gouvernements à mener à bien les analyses coûts-bénéfices. Ce qui conduit quasi certainement à une allocation erronée des fonds publics.

Nous pourrions présenter des exemples tirés de contextes et pays très variés. Toutefois, compte tenu des thèmes de cette Université d’Été, nous nous limiterons à des politiques contemporaines mises en œuvre aux États-Unis dans deux secteurs spécifiques : celui des énergies alternatives et celui des véhicules électriques. Ces deux secteurs ont été soutenus et subventionnés par les deux dernières Administrations démocrates, Obama, puis Biden.

L’Administration Obama engage dès son investiture des efforts afin de réduire la pollution émanant de l’énergie produite par le charbon, et le gaz. L’effort ne doit pas s’arrêter aux frontières des États-Unis, mais se prolonger dans les pays en développement. Une initiative dite “Green Climate Fund” voit ainsi le jour qui accorde des subsides pour un montant de $ 3 milliards, rapidement portés a $10 milliards. Parallèlement, le Département Fédéral de l’Energie octroie des crédits, sous forme de prêts cette fois, dont l’enveloppe se monte à $34 milliards ; crédits distribués à un certain nombre de « clean green start ups ».

Créée en 2005, en Californie, Solyndra, entreprise privée, fabrique des panneaux cylindriques de fin films cellulaires solaires (CIGS pour les trois composants chimiques « Cuivre Indium Gallium Sellenium »). Cette technologie qui n’a pas fait ses preuves s’avère incapable de concurrencer en coût les panneaux solaires conventionnels faits de silicium cristallin. Toutefois, l’administration avait accordé en 2009 à Solyndra, par l’entremise du Département Fédéral de l’Energie, une garantie pour un prêt de $535 millions. Des soutiens complémentaires avaient également été octroyés sous forme de crédits d’impôts pour $25,1 million, cette fois par l’État de Californie, au travers de l’une de ses agences.

En cette année 2009, la société génère des revenus de $100 millions, portés en 2010 a $140 millions. L’année suivante, la société dépose son bilan sous la procédure du code des procédures collectives dite « Chapter 11 ». Aucun repreneur n’est trouvé et tous les employés sont licenciés. Que s’est -il-passé? Essentiellement un « snafu » technologique[1]. Le coût du Silicium polycristallin utilisé par la concurrence s’effondre, acculant Solyndra à la faillite.

Le dossier se politise ; des accusations de fraude sont avancées par l’opposition républicaine. Pourtant une enquête indépendante ne pourra pas établir l’existence de malversations ni même d’abus. Il s’agissait plus simplement d’une erreur majeure dans l’étude du dossier et l’appréciation des divers risques par les agences impliquées. Le Département de l’Energie enregistra à cette occasion une perte de $528 millions sur un engagement total de 535. A la charge du contribuable bien entendu.

Examinons à présent certaines des initiatives de l’administration Biden-Harris . Biden avait fait sa campagne de 2020 en mettant en avant l’objectif de s’attaquer à la crise climatique. Son principal opposant de l’époque, le sénateur Bernie Sanders, soutenait quant à lui un programme dit « global » encore plus ambitieux, le « Green New Deal ». Le « deal » consistait à éliminer les énergies dites fossiles, et à mettre fin aux subventions versées à ce secteur, avec 2035 comme date butoir pour atteindre une énergie 100% renouvelable. Un tel projet impliquait une expansion majeure du transport public, notamment ferroviaire ; une réduction drastique des émissions plutôt que la mise en place d’un marché de permis d’émissions de CO2 ; et l’arrêt total de la construction de centrales nucléaires.

Le plan Biden nouvellement élu se devait lui aussi d’être ambitieux:

  • Ramener d’ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis à 50-52% de leur niveau de 2005.
  • 100% de production d’électricité sans émission en 2035.
  • Une économie 100% sans émission en 2050.
  • Faire en sorte qu’au minimum 40% des investissements fédéraux dans les secteurs du climat et de l’énergie décarbonée aillent aux communautés dites défavorisées.

Sur des votes purement partisans le Congrès passe ensuite en Août 2022 le mal nommé « Inflation Reduction Act », ou IRA. Il s’agit de fait d’un « Green New Deal bis ».

Avec deux ans d’expériences concrètes, il apparaît, comme anticipé, que les énergies alternatives et les nouvelles technologies favorisées par les dispositions de l’IRA sont quasi totalement dépendantes d’avantages fiscaux discriminatoires. A titre d’exemple, les crédits d’impôt de $7500 pour l’achat de véhicules électriques sont insuffisants pour compenser les surcoûts de ces modes de transport, et les ventes sont en retrait sur les prévisions. McKinsey projette toutefois une multiplication par 6 du nombre de véhicules vendus qui passerait ainsi de 6,5 millions en 2021 à 40 millions pour 2030.

Des observations de même nature ont été formulées à propos des éoliennes en mer qui, elles aussi, ne sont pas rentables en dépit des généreuses subventions accordées.

De fait, les projets énergétiques qui sont initiés sous les auspices de l’IRA ne vont de l’avant que par les incitations octroyées, et en aucune façon par les avantages d’une énergie plus abondante et meilleure marché tant pour les entreprises que pour les particuliers.

Au début de cette année 2024, en Avril plus précisément, l’EPA, (« Environmental Protection Agency », agence fédérale) se voit confier par le Président Biden la responsabilité d’un « Greenhouse Gas reduction Fund » de $ 27 milliards pour mobiliser financements publics et capitaux privés autour de projets innovants et non polluants également susceptibles de « revitaliser » des communautés défavorisées. Selon certains critiques, tels que le Competitive Enterprise Institute, il ne s’agit une fois encore que d’un « slush fund », en bon français une machine à distribuer des subsides à motivation politique, subsides qui sont ventilés de la façon suivante :

  • $6 milliards pour accélérer les investissements énergétiques « propres » de communautés,
  • $ 7 milliards pour les panneaux solaires,
  • $14 milliards pour un fond dédié aux « investissements naturels et propres ».

Ce mécanisme de fonds gérés par une agence gouvernementale autonome – ici, l’EPA – permet d’échapper au contrôle a priori des fonds alloués par le Congrès. Il ouvre la porte aux abus et aux octrois de connivence.

Grace à la jurisprudence Chevron de la Cour suprême de 1984 : « Les interprétations des Agences ont préséance sur toute autre tant qu’elles demeurent raisonnables ». En bref : ni contrôle préalable, ni non plus de contrôle a posteriori. Cette jurisprudence a fort heureusement été remise en cause en juin 2024 par les arrêts Loper Bright Enterprise v. Raimondo et Relentless, Inc v. Department of Commerce de la Cour Suprême.

Passons aux véhicules électriques déjà marginalement abordés. L’administration Biden est totalement en faveur de cette forme de transport individuel. L’objectif déclaré est d’arrêter la vente de véhicules à propulsion classique en 12 ans. Pour atteindre ce résultat, les gouvernements américain et canadien ont dédié plus de $200 milliards en subventions pour la production de batteries. Des coûts additionnels devront être financés pour augmenter la production électrique et l’interconnexion des réseaux.

Deux motivations sous-tendent ces initiatives: les objectifs climatiques et les importations chinoises que l’on désire réduire. Mais la stratégie employée fait face à de très sérieux et puissants obstacles :

  • certains minéraux essentiels pour la production de batteries sont en volume insuffisant – lithium, cobalt, cuivre, nickel –, avec des fournisseurs limités ;
  • les délais pour l’obtention des autorisations administratives et des licences sont importants ;
  • les stations de chargement sont en nombre insuffisant ;
  • les prix d’acquisition des véhicules électriques sont élevés avec de fortes décotes à la revente.

Une stratégie plus réaliste eut été de pousser les hybrides, et véhicules à moteur avec une combustion interne plus efficace.

Des opinions différentes de celles exprimées par McKinsey – voir plus haut – telles que celles du Times de Londres, indiquent que l’industrie avait envisagé une production globale de 15 millions de batteries pour les véhicules électriques en 2024. Ceci ne prend pas en compte le développement d’une aviation légère électrique et ses propres besoins en termes de batteries. Si ces prévisions se confirment, l’industrie automobile globale pourrait produire très en deçà de ce que le marché peut absorber. C’est sans doute une bonne nouvelle pour les prix à l’achat. Mais c’est surtout un nouvel exemple d’une allocation massive et erronée de capital dans le domaine des nouvelles technologies, largement du fait des politiques industrielles.

Ainsi que le fait remarquer le PDG de Stellantis, Carlos Tavares, « le passage à l’électrique a été le choix des politiques, pas celui de l’industrie ». Et nous pouvons ajouter, ni celui des clients.

Selon une autre étude de McKinsey, près de la moitié des propriétaires américains de véhicules électriques voudraient revenir à des modèles à combustion classique !

Conclusion

Les politiques industrielles aux États-Unis sont supposées être l’apanage des administrations démocrates. Républicains, libertariens et même conservateurs ont longtemps supporté le point de vue selon lequel innovation et allocation de capital se développent plus aisément sans un gouvernement qui impose au secteur privé ses biais idéologiques. Mais récemment le Mouvement Trump MAGA a formulé ses propres arguments en faveur de politiques industrielles, c’est-à-dire, attribuer à des bureaucrates fédéraux situés à Washington le pouvoir de décider ce dont les industries ont besoin, et en conséquence choisir les gagnants et les perdants de l’industrie américaine.

Les conséquences néfastes sont évidentes :

  • favoritisme idéologique et politique ;
  • charges fiscales additionnelles pour les citoyens et les entreprises afin de couvrir les coûts générés par de mauvaises décisions d’investissement ;
  • destruction d’emplois (cf. Solyndra) ;
  • subventions massives octroyées dans le cadre de l’IRA sans retour positif envisageable à ce stade ;
  • dons et incitations de tous ordres à l’industrie des véhicules électriques sans contrepartie notable en termes de progression des ventes.

Seules des réformes qui nous rapprochent de marchés moins régulés et libres d’interférences gouvernementales favoriseront la croissance de technologies nouvelles et protectrices de l’environnement.


[1] NDT : « Snafu » est un terme dont la signification pourrait se traduire par : « Tout va bien, on est dans la … »

About Author

Jean-Claude Gruffat

Jean-Claude Gruffat est Managing Director chez Weild and Co LLC New York, l’un des premiers “broker-dealer” indépendants aux États-Unis. Il a fait une carrière chez Indosuez, devenu membre du Crédit Agricole, puis Citibank. Il est docteur en droit public, diplômé des études supérieures de Science politique ainsi que de l’Institut d’Études Politiques de Lyon. Il a suivi le Stanford Executive Program de la Graduate School of Business.

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