Un spectre hante le monde : celui de la faillite du système de retraite public. Le régime de retraite par répartition qui a dominé le 20e siècle comporte un défaut fondamental, enraciné dans une fausse conception de la nature humaine : il détruit, au niveau individuel, le lien essentiel entre l’effort et la récompense, autrement dit entre la responsabilité personnelle et les droits individuels. À chaque fois que cela se produit à une grande échelle et sur une longue période, le résultat est désastreux.

José Piñera est professeur d’économie, diplômé de Harvard. Il a été ministre du travail et des mines de 1978 à 1981 au Chili. Il a ainsi organisé la transition du modèle par répartition au modèle de compte personnel ou capitalisation. A la tête du Centre International pour la Réforme des Pensions, José Piñera conseille les pays qui veulent réformer.

Deux facteurs extérieurs aggravent ce problème : la démographie mondiale vit une baisse du taux de natalité, et les progrès de la médecine augmente l’espérance de vie. Résultat : un nombre décroissant d’actifs doit subvenir aux besoins d’une population de retraités croissante. Étant donné que l’augmentation de l’âge de retraite et la hausse des cotisations sociales ont une limite naturelle, ces signes avant-coureurs de la faillite du système vont tôt ou tard obliger le système à réduire les prestations promises. Que cette réduction ait lieu par l’inflation, comme dans la majorité des pays en développement, ou par la législation, le résultat final pour les retraites reste cependant le même : l’angoisse des vieux jours se crée, paradoxalement par l’insécurité inhérente au système de retraite.


Bâtiments colorés sur les collines de la ville de Valparaiso, au patrimoine mondial de l’UNESCO, Chili
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La réforme du 4 Novembre 1980

Au Chili la réforme du régime de retraite du 4 novembre 1980 a introduit une innovation révolutionnaire. La réforme (lois 3.500 et 3.501) accorda à tout salarié le droit de quitter le régime public de retraite pour mettre l’argent de la cotisation (10 % des salaires) sur un compte individuel d’épargne retraite (CER).

La même réforme instaura deux modifications importantes de l’assurance-maladie : 1) l’assurance-invalidité devint ainsi partie intégrante du système des retraites ; et 2) elle autorisa les salariés à quitter le système d’assurance-maladie avec sa cotisation obligatoire (7 % du salaire), tant qu’ils sont capables d’acheter une assurance privée minimum dans les entreprises privées proposant une assurance-maladie.

33 ans plus tard, cette réforme a modifié de fond en comble l’économie et la société chiliennes. 6 millions de personnes sont détentrices d’un compte épargne-retraite et 9 millions de personnes disposent d’un contrat privé d’assurance-maladie. Ainsi, ils ne dépendent plus de l’État pour leur retraite, ni pour leur santé.

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Les pensions du nouveau système sont déjà de 300 % supérieures à celles de l’ancien système, qu’il s’agisse des pensions de retraite, d’invalidité ou de reversement. Les capitaux gérés par les fonds de pension s’élèvent à 200 milliards de dollars, soit 82 % du PIB (2012). Grâce à l’augmentation du taux d’épargne et l’amélioration du fonctionnement à la fois du marché du travail et des marchés financiers, cette réforme s’est avérée être le changement structurel le plus fondamental qui a contribué à augmenter le taux de croissance de l’économie chilienne.

 

Le système

En vertu du système par capitalisation chilien, le capital accumulé par le salarié pendant ces années d’activité détermine le niveau de sa future retraite. Ni le salarié, ni l’employeur ne verse de cotisation retraite à l’État. Le salarié ne reçoit pas de retraite de l’État. Pendant sa période d’activité, son employeur verse chaque mois 10 % du salaire sur le compte épargne-retraite de l’employé. Chaque salarié est libre de verser 10 % supplémentaires de son salaire mensuel ; ce montant est également déductible de l’impôt sur le revenu. En général, un salarié devra verser plus de 10 % de son salaire s’il prévoit de prendre une retraite anticipée, ou s’il souhaite obtenir une retraite plus élevée.

Chaque salarié doit choisir une des entreprises privées d’administration de fonds de retraite (« Administradoras de Fondos de Pensiones », les AFP) pour gérer son compte épargne retraite. Le secteur est entièrement ouvert à la concurrence, à la fois pour les sociétés chiliennes et étrangères (ces dernières peuvent être propriétaires à 100 % d’une AFP). Ces sociétés de gestion existent uniquement dans ce bus et sont soumises à la réglementation qui vise à garantir un portefeuille diversifié à faible risque. L’Autorité de surveillance des AFP assure le monitoring pour empêcher le vol et la fraude.

Chaque AFP gère cinq fonds mutuels en actions et obligations. Les décisions d’investissement sont prises par l’AFP, et la réglementation se limite à un pourcentage maximal pour chaque instrument financier et la diversification du portefeuille. Selon l’esprit de la réforme, ces réglementations doivent être réduites progressivement, à mesure que les AFP accumulent de l’expérience. Il n’existe aucune contrainte au niveau du choix des instruments financiers. Juridiquement, les AFP et les fonds mutuels qu’elles gèrent sont deux entités distinctes. Ainsi, les actifs du fonds mutuel (et donc les capitaux des épargnants) ne sont pas affectés en cas de faillite de l’AFP.

Les salariés sont libres de changer d’AFP. Ainsi, la concurrence assure des gains plus élevés, de meilleurs services et des commissions plus faibles. Chaque salarié reçoit un relevé de compte chaque trimestre, permettant à l’épargnant de suivre l’évolution de son capital, ainsi que son rendement. Le compte est nominatif et la propriété de l’épargnant ; il servira à lui verser sa retraite (avec une disposition de versement au dernier vivant).

Bien entendu, les préférences individuelles en matière de retraite diffèrent autant que d’autres. Certains voudraient travailler toute leur vie ; d’autres attendent avec impatience la retraite pour pouvoir enfin se consacrer à leurs véritables vocations ou passe-temps favoris. L’ancien système ne permettait pas de satisfaire à de telles préférences sauf par pression politique pour accorder par exemple la retraite anticipée à un certain électorat. C’était un régime unique qui ne tenait pas compte du bonheur individuel.

Par ailleurs, le système par capitalisation permet de traduire les préférences de l’individu en décisions individuelles pour obtenir le résultat désiré. Les succursales de nombreuses AFP mettent à disposition des ordinateurs qui permettent aux épargnants de calculer la valeur de leur retraite, en fonction du solde disponible et de l’année de départ à la retraite de chacun. Le salarié peut aussi indiquer le montant désiré pour sa retraite et ainsi calculer les versements mensuels nécessaires afin de pouvoir partir à la retraite à un moment précis. Muni de la réponse, il peut demander à son employeur de prélever le pourcentage complémentaire correspondant. Ces montants sont évidemment ajustables par rapport au rendement du fonds de pension. Ainsi, tout salarié est susceptible de terminer, sur-mesure, le montant de sa future retraite, ainsi que le moment de départ.

Comme nous l’avons vu, les contributions du salarié sont déductibles des impôts sur le revenu. Le rendement du compte épargne-retraite n’est pas imposable. Une fois à la retraite, chacun verse l’impôt sur le revenu en fonction de sa tranche.

Le système chilien couvre l’ensemble du secteur privé et du secteur public. Seuls en sont exclus les forces de police et les forces armées. Les travailleurs indépendants sont libres d’adhérer au système, ce qui encourage les membres de l’économie informelle à en sortir.

La réforme a conservé un filet de sécurité. Tout salarié ayant cotisé pendant au moins 20 ans, qui atteint l’âge de la retraite mais dont la pension est inférieure à la retraite minimum bénéficie d’une retraite publique en complément de son compte épargne. Il faut souligner que personne n’est défini comme « pauvre » a priori, mais uniquement une fois qu’il a épuisé son épargne. Celui qui n’a pas cotisé pendant 20 ans est éligible à une retraite publique, mais à un niveau beaucoup plus faible.

Le système de retraite comprend également une assurance décès et d’invalidité. Chaque AFP assure ce service à ses clients en souscrivant une assurance-vie et une couverture d’invalidité auprès d’une compagnie d’assurance-vie privée. Cette couverture est financée par une cotisation supplémentaire d’environ 2,5% du salaire (commission de l’AFP comprise).

L’âge légal de la retraite (défini par une loi antérieure et non modifiée par la création du système de capitalisation) est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Ainsi, ces âges ne sont pas une caractéristique du nouveau système mais uniquement un paramètre susceptible d’être modifié légalement. Or la notion de retraite dans le système par capitalisation présente une différence par rapport à l’ancien système. D’abord, chacun est libre de continuer à travailler après avoir pris officiellement sa retraite. Dans ce cas, il accède à sa pension et cesse d’alimenter son compte. Ensuite, celui qui dispose d’une épargne suffisante pour toucher une retraite peut choisir la retraite anticipée tant que celle-ci est supérieure à la pension minimale, soit 70 % du salaire moyen des 10 dernières années.

Ainsi, l’âge de la retraite ne représente pas un aménagement rigide du système. A moins d’avoir choisi la retraite anticipée – c’est-à-dire d’avoir commencé à toucher une retraite mensuelle – chacun doit continuer à cotiser jusqu’à atteindre l’âge légal de retraite. Enfin, tout salarié doit atteindre l’âge légal afin de pouvoir prétendre à la retraite publique minimale.

En revanche, personne n’est obligé d’arrêter son activité, quel que soit son âge, ni de continuer à travailler et à cotiser une fois que les conditions ci-dessus sont remplies.

Une fois à la retraite, le salarié a le choix entre deux solutions de versement. Soit il utilise son capital pour acheter une annuité à une compagnie privée d’assurance-vie. La pension viagère garantit un revenu mensuel, indexé sur l’inflation, plus les bénéfices destinés aux personnes à charge (le marché financier chilien propose des obligations indexées pour que les fonds puissent investir en conséquence). Soit, le retraité conserve son capital sur le compte pour effectuer des retraits programmés, selon des limites fondées sur l’espérance de vie du retraité et de ses ayants-droits. En cas de décès, le solde constitue son héritage non imposable pour les héritiers. Dans les deux cas, il est libre de retirer une somme forfaitaire représentant le solde dépassant le capital nécessaire pour obtenir une annuité ou un retrait programmé, équivalent à 70 % de ses derniers salaires.

Le système de retraite par capitalisation permet de résoudre le problème classique du système par répartition au niveau démographique : dans une société qui vieillit, le nombre d’actifs par retraité baisse. Avec un système par capitalisation cependant, la population active ne finance pas la population retraitée. Ainsi, on évite les conflits intergénérationnels potentiels et la faillite du système. La capitalisation ignore le problème qui se pose désormais à de nombreux pays, à savoir des engagements non provisionnés en matière de retraite.

A la différence des systèmes existants au sein d’entreprises privées qui imposent généralement des pénalités à toute personne quittant la société avant un certain nombre d’années, et qui parfois finissent par la priver de son emploi et de sa retraite (cas d’Enron), le système par capitalisation est entièrement indépendant de l’entreprise qui emploie l’épargnant. Étant donné que le compte épargne-retraite appartient au salarié et non à l’entreprise, il est tout à fait portable. Et puisque le capital-retraite est investi en titres négociables, le compte connaît une valeur quotidienne et il est par conséquent facile à transférer d’une AFP à une autre. Personne ne saurait ainsi être enfermé dans un emploi donné. La mobilité des employés ne pose aucun problème, ni à l’échelle du pays, ni au niveau international. Le système par capitalisation crée un marché flexible qui ne favorise ni ne pénalise les immigrés.

Un tel système est également beaucoup plus efficace et favorise la flexibilité du marché du travail. En effet, notamment les jeunes et les femmes choisissent de plus en plus de travailler à temps partiel ou d’interrompre leur activité. Dans le système par répartition, ce phénomène entraîne des problèmes pour compenser le manque de cotisations. Ce qui n’est pas le cas dans un système par capitalisation qui n’affecte pas le capital accumulé.

 

La transition

Un premier défi consiste à définir le système de retraite par capitalisation. Ensuite, il s’agit de réussir la transition du système par répartition au système par capitalisation. Cette transition doit tenir compte des caractéristiques de chaque pays, notamment des contraintes budgétaires.

Au Chili, nous avons établi trois règles de base :

  1. L’État garantit à tous ceux qui touchent une retraite que leurs prestations ne seront pas affectées par la réforme. Cette règle fut importante, étant donné que le régime public ne bénéficiera plus des cotisations de ceux qui ont opté pour le nouveau système. Ainsi, les caisses publiques ne seront plus en mesure de verser les retraites à partir de leurs propres ressources. Enfin, il serait injuste vis-à-vis des personnes âgées de modifier leurs avantages pour décevoir leurs attentes à ce moment de leur vie.
  2. Tout salarié était libre soit de rester dans l’ancien système, soit adopter pour le système par capitalisation. Un « bon de reconnaissance » est déposé sur le compte épargne retraite de chaque individu ayant choisi de quitter l’ancien système. Ce bon du Trésor est indexé sur l’inflation, avec un taux de 4 % et payable une fois que l’individu atteint l’âge de la retraite. Ces bons sont négociés sur le marché secondaire, ce qui permet de les utiliser pour une retraite anticipée. Ils représentent la valeur des droits déjà acquis au sein du système par répartition. Ainsi, le salarié qui cotise depuis de nombreuses années n’a pas à repartir de zéro lorsqu’il adhère au nouveau système.
  3. Tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail étaient obligés de cotiser au nouveau système. Cette condition a donc mis définitivement fin au système par répartition, une fois que le dernier cotisant avait atteint l’âge de la retraite. À partir de ce moment et pendant une période limitée, l’État ne verse plus que les retraites des cotisants de l’ancien système. Cette règle est importante car elle garantit qu’un gouvernement ultérieur ne puisse pas réintroduire l’ancien système.

Après plusieurs mois de débat national sur les réformes, une campagne de communication et un effort d’éducation pour les expliquer à l’opinion publique, la loi sur la réforme des retraites fut ratifiée le 4 novembre 1980.

Afin de donner un accès égal au marché des AFP à tous les intéressés, la loi a stipulé un délai de six mois avant le début des activités, et une interdiction de publicité. L’industrie des AFP est unique en ce sens qu’elle eut une date de conception précise (le 4 novembre 1980) et une date de naissance (le 1er mai 1981).

Ainsi, nous avons transformé la Fête du Travail en un jour de célébration, non pas de la lutte des classes, mais de la liberté de choisir les modalités de retraite.

En même temps, tous les salaires bruts furent redéfinis pour inclure la plupart des cotisations de l’ancien système de retraite. La part patronale des cotisations fut transformée en une taxe provisoire du travail pour aider au financement de la transition. Une fois qu’elle a été progressivement éliminée, le coût à l’embauche pour l’employeur a diminué.

De même, nous avons mis fin au mythe – entretenu par des législateurs à travers le monde –selon lequel l’employeur et l’employé cotisent ensemble pour financer les retraites. Comme le savent les économistes, l’ensemble des contributions provient en définitive de la productivité marginale du salarié. L’employeur tient compte du coût global du travail – qu’il s’agisse de salaires ou de cotisations – lorsqu’il décide d’embaucher. Ainsi, en renommant les cotisations de l’employeur, la réforme a mis en évidence que toutes les cotisations sont in fine payées par le salarié. Enfin, le niveau des salaires est évidemment déterminé par les mécanismes de marché.

Le financement de la transition est une question technique très complexe que chaque pays doit résoudre en fonction de sa situation. En 1980, la dette cachée du système des retraites au Chili était estimée à environ 80 % du PIB. L’étude de la Banque mondiale (1994) établit que « le Chili démontre que le pays avec un système bancaire relativement concurrentiel, un marché obligataire qui fonctionne bien, et un niveau acceptable de stabilité macro-économique est susceptible de financer des déficits considérables de transition, sans grandes répercussions sur les taux d’intérêt. »

Nous avons eu recours à cinq méthodes pour financer les coûts fiscaux à court terme de la transition à la capitalisation :

  1. Dans la comptabilité nationale, les dettes publiques en termes de retraite furent compensées jusqu’à un certain point par la vente d’entreprises publiques et d’autres actifs. La privatisation n’était pas le seul moyen de financer la transition, mais elle avait de nombreux atouts complémentaires, tels qu’une efficacité économique accrue, la diffusion de la propriété privée et la dépolitisation de l’économie.

 

  1. Étant donné que le taux d’épargne nécessaire dans un système par capitalisation est inférieur aux cotisations en vigueur avant la transition, une petite partie de la différence fut utilisée comme une taxe temporaire, ce qui a réduit le coût d’embauche et stimulé l’emploi.

 

  1. En utilisant la dette, le coût de la transition peut être partagée par les générations futures. Au Chili, environ 40 % des coûts furent financés par l’émission d’obligations d’État au taux du marché. Pour la plupart, ce sont les AFP qui ont intégré ces obligations dans leurs portefeuilles d’investissement. Cette dette qui « fait le pont » sera intégralement remboursée une fois que les bénéficiaires de l’ancien système ne seront plus parmi nous.

 

  1. Le besoin de financer la transition fournit une forte incitation pour la chasse aux gaspillages publiques. Avant la réforme, le gouvernement a délibérément créé un excédent budgétaire, et pendant des années, le ministre du Budget a pu utiliser le besoin de financer la transition comme argument contre ceux qui demandaient une hausse des dépenses publiques.

 

  1. La croissance économique accrue, alimentée par le système de retraite par capitalisation, a engendré une hausse considérable des recettes fiscales, notamment en provenance de la TVA.

 

Les résultats

Depuis son entrée en vigueur le 1er mai 1981, le rendement réel annuel du système fut de 9 % (pendant 32 ans). Bien évidemment, ce rendement fait état de fluctuations qui sont intrinsèques au marché – allant de -3 % à plus de 30 % en termes réels – mais le plus important est le rendement moyen au cours d’une vie de travail (40–45 ans) ou la vie active plus la retraite (55–60 ans).

Les prestations de retraite ont été considérablement plus élevées sous le nouveau système (avec un taux d’épargne obligatoire de 10 % seulement) que sous l’ancien système public qui exigeait des cotisations salariales largement supérieures. Selon une étude, le retraité moyen bénéficiait d’une retraite annuelle équivalant à 78 % de son revenu annuel médian des 10 dernières années de sa vie active. Lors du départ à la retraite, le salarié est libre de retirer son épargne excédentaire » (au-dessus du seuil de 70 % du salaire). Si ce capital était inclus dans le calcul de la retraite, la valeur totale serait proche de 84 % du revenu salarial. Les bénéficiaires de la pension d’invalidité reçoivent également, en moyenne, 70 % de leur revenu.

Les fonds de pension et les compagnies d’assurances associés ont d’ores et déjà accumulé un capital équivalent à 80 % du PIB, et certains experts prévoient que ce pourcentage atteindra 100 % du PIB une fois que le système sera arrivé à maturité. Ce capital investi à long terme a non seulement contribué à consolider la croissance économique, mais aussi à stimuler le développement des marchés financiers et des institutions efficaces. La décision de créer d’abord un nouveau système de retraite et ensuite de privatiser les grandes entreprises publiques, a créé un cercle vertueux. Cela a permis aux salariés de bénéficier de la hausse vertigineuse de productivité des entreprises privatisées, grâce au cours de la bourse qui ont enrichi les comptes épargne-retraite, et de capter une large part de la richesse engendrée par les privatisations.

Un des résultats clés du nouveau système aura été la hausse de productivité du capital, et par conséquent du taux de croissance de l’économie chilienne. Les capitaux importants gérés par les AFP ont encouragé la création de nouveaux instruments financiers, tout en optimisant les supports existants. La réforme des retraites a également contribué au bon fonctionnement et à la transparence des marchés financiers par la création d’une industrie nationale d’évaluation des risques financiers, et l’amélioration du gouvernement d’entreprise. (Les AFP nomment des administrateurs indépendants dans les entreprises dont elles sont actionnaires, ce qui permet d’éviter toute complaisance lors des conseils d’administration.)

Le nouveau système de retraite a contribué de manière significative à réduire la pauvreté en améliorant le montant et la sécurité des pensions de retraite, de décès et d’invalidité ; indirectement, par l’impact puissant sur la croissance économique et l’emploi ; et en éliminant l’injustice de l’ancien système. Selon la vision traditionnelle, le système par répartition redistribue les revenus des riches vers les pauvres. Or, compte tenu des conditions de vie des salariés et du fonctionnement du système politique, le régime de retraite par répartition, le plus souvent, redistribue les revenus aux catégories les plus puissantes, qui ne représentent pas les personnes les plus vulnérables, ni les pauvres.

Ainsi, le dossier des retraites signifie une dépolitisation d’un grand secteur économique, et que les individus contrôlent davantage leur propre existence.

Il n’est pas étonnant que le système par capitalisation et survécu à quatre gouvernements de centre-gauche au cours des 20 dernières années, tant il fait désormais partie intégrante de la vie politique du pays. Non seulement sa conception structurelle est intacte ; des ajustements techniques ont aussi permis d’améliorer son fonctionnement, notamment en autorisant davantage de concurrence dans la gestion de l’épargne-retraite volontaire, et par l’augmentation du choix de fonds de 1 à 5.

Lorsque le système fut introduit en mai 1981, un quart des salariés éligibles y ont adhéré dès le premier mois de son existence. Aujourd’hui, 95 % des salariés couverts ont opté pour le nouveau système. À chaque fois qu’ils ont eu le choix les salariés chiliens ont voté avec leurs portefeuilles pour le régime de retraite fondé sur le marché.

Pour les Chiliens, leurs comptes épargne retraite  représentent désormais des droits de propriété réels et tangibles : en effet, ils constituent la première source de sécurité en matière de retraite. Le patrimoine principal du salarié chilien moyen n’est pas sa voiture, ni même sa petite maison (probablement toujours à rembourser), mais son capital-retraite. Le nouveau système permet aux Chiliens de participer directement à l’économie du pays. Le salarié chilien moyen s’intéresse à l’évolution des cours de la bourse et des taux d’intérêt. Il sait qu’une mauvaise politique économique est susceptible d’affecter sa future retraite. Lorsque les salariés savent qu’ils sont eux-mêmes propriétaires d’une partie du patrimoine du pays, et non à travers des hommes politiques ou un Politburo, ils sont d’autant plus attachés à l’économie de marché et à une société libre.

La majorité écrasante des salariés chiliens qui ont choisi d’adhérer au nouveau système ont décidé d’abandonner le système étatique, même contre l’avis des dirigeants syndicaux et de la majorité des hommes politiques. J’ai toujours pensé que les salariés sont plus concernés par les problématiques qui touchent directement leur quotidien, telles que leur retraite, l’éducation et la santé. Ils prennent leurs décisions pour assurer le bien-être de leurs familles, et non en fonction d’allégeances politiques ou d’idéologies collectivistes.

La leçon ultime de l’expérience chilienne est que seules aboutissent les révolutions qui font confiance aux hommes et aux exploits dont ils sont capables, à condition de les laisser libres d’agir.

 

† Le titre de cet article a été repris d’une publication dont ce texte a été extrait. Nous remercions Jean Baptiste Jaussaud et l’Association Liberté Chérie qui détient les droits de cette publication (LC Editions, ISBN 978-2-954658-0-3). Jean Baptiste Jaussaud avait donné une préface à cette publication : « Rétablir le lien entre l’effort et la récompense ». Nos respectueux remerciements s’adressent à Monsieur le Ministre José Piñera qui a amicalement accepté la publication de ce texte dans le Journal des Libertés.

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