1. Un constat accablant

Depuis plus de deux ans, il y a un oubli dans le projet de réforme des retraites, c’est tout simplement la représentation officielle « ès qualités » des retraités à l’égal des autres partenaires sociaux. Oui, si invraisemblable que cela puisse paraître, les retraités sont honteusement exclus :

  • d’une part, de toutes les institutions officielles de la République dédiées aux retraites et où leur sort s’étudie, se débat et peu ou prou se décide,
  • d’autre part, des Caisses de retraite elles-mêmes, qui gèrent pourtant leurs droits et où leur représentation est généralement soumise à tant de restrictions qu’elle relève le plus souvent, quand elle existe, davantage de la figuration que d’une vraie participation.

En effet, actuellement, aucun retraité « ès qualités » ne siège au Conseil Économique Social et Environnemental, aucun non plus au Conseil d’Orientation des Retraites, pas davantage au Comité de Suivi des Retraites. L’AGIRC-ARRCO, de loin la plus importante caisse de retraite privée, compte plus de 15 millions de retraités, mais aucun parmi ses administrateurs. Quant au Haut-Commissaire à la Réforme des Retraites, il a jugé sans doute qu’il serait bien plus libre de ses mouvements, s’il laissait les retraités à leur place, c’est-à-dire dehors. Pis encore on sait déjà que la prochaine Caisse Nationale de Retraite Universelle reproduira – malgré son titre – la même exclusion. Dans la réalité, il y a donc une sorte de trou noir dans notre démocratie sociale et cela pose de très sérieux problèmes.

  • Un diagnostic inquiétant

Selon la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), on compte en 2017 plus de 17 millions de retraités (réversions incluses), par rapport à une population active de près de 30 millions de travailleurs (INSEE), un corps électoral de 47 millions d’électeurs (scrutin européen) et une population totale de 68 millions d’habitants (INSEE). Les retraités représentent donc le quart de la population totale du pays et plus du tiers de son corps électoral. Les retraites, quant à elles, mobilisent en 2017 (dernière année connue) € 317 milliards, soit 13,7% du PIB national (DREES), un volume qui représente environ 6 fois le budget de l’Éducation Nationale, plus de 8 fois celui de la Défense.

La non-représentation des retraités est donc a priori surprenante. Cela est d’autant plus vrai si l’on considère que :

  1. Rien, ni dans le Code de la Sécurité sociale, ni dans le programme des Jours heureux du Conseil National de la Résistance, n’autorise les actifs et le législateur à mettre complètement hors-jeu les retraités ; ce qui fait de nos retraites un système bancale et totalitaire, où les actifs décident de tout, alors que les retraités sont les spectateurs muets et impuissants de leur propre sort.
  2. Au plan démographique ensuite. En 1950 on comptait seulement 2,7 millions de retraités, dont beaucoup n’avaient jamais acquitté auparavant la moindre cotisation. Aujourd’hui, ils sont 17,2 millions à avoir intégralement acquitté leurs cotisations. En 70 ans, les choses ont changé, pas l’exclusion originelle des retraités !
  3. Au plan constitutionnel encore, la devise de la République « Liberté, Égalité, Fraternité ». Pourtant cette devise se mue tristement pour les retraités en « Exclusion, inégalité et discrimination ». En effet, les retraités sont présentement considérés comme des sortes d’incapables, des hilotes, des parias à chaque fois qu’il s’agit de discuter des retraites ou de négocier leur propre sort. L’inégalité avec les actifs est accablante et il faut convenir que toutes les évictions et toutes les discriminations dont ils sont victimes confinent aujourd’hui les retraités dans une sorte d’apartheid qui n’ose pas dire son nom.
  4. Sur le plan juridique enfin. L’âgisme – qui regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation et de mépris fondées sur l’âge – est omniprésent et fait des ravages notamment par la conjonction :
  5. du mépris des vieux quand on les traite – jusque parfois dans les allées du pouvoir – de rentiers, de    nantis, d’égoïstes, de parasites et même parfois – il faut l’oser –de  fainéants;
  6. de la discrimination anti-vieux, quand on les matraque fiscalement et eux seuls, qu’on fige durablement leurs retraites en leur reprochant un niveau de vie qui comporte des tas d’autres choses que les pensions et qu’aucun employeur n’aurait d’ailleurs le droit d’opposer à un salarié, qu’on confronte dès la cinquantaine les seniors à des taux de chômage qui sont la honte de la France dans les classements internationaux.
  7. d’une ségrégation tenace qui tient résolument les retraités     hors les murs des institutions compétentes de la République (notamment C.E.S.E, Conseil d’Orientation des Retraites, Comité de Suivi des Retraites, Haut-Commissariat à la Réforme des Retraites), tout en réduisant le plus souvent  à une portion fort congrue leur participation aux Conseils et Commissions des   quelques Caisses de Retraite qui acceptent de les accueillir.

Notre système de retraite signe un carton plein en cochant toutes les cases de l’âgisme. Or l’âgisme est non seulement un délit privé (Art. 225 de notre Code Pénal), mais c’est aussi au niveau des États une violation patente de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne[1].

  • Une solution à portée de main

La solution passe sans doute par la création d’associations agréées au plan national et qui, moyennant un certain nombre de conditions et de contraintes statutaires, acquerraient de l’État la qualité de partenaire social avec tous les pouvoirs de représentation et de négociation qui y sont attachés, tant auprès des institutions spécialisées que des Caisses de retraite. Des élections sur le modèle de celles qui existent déjà chez les autres partenaires sociaux permettraient de désigner les représentants accrédités.

Quant à la place des retraités dans les entités précitées, elle résulterait d’un simple calcul proportionnel. En rapprochant le nombre total des retraités (soit 17 millions) des effectifs des populations retraitée et active (soit les 17 millions de retraités précités + les 30 millions d’actifs = 47 millions) on obtient pour les retraités un pourcentage de 36% (= 17/47) des sièges des institutions qu’ils intégreraient, le solde étant à partager entre les actifs salariés, indépendants ou employeurs.

Un partage mathématiquement moins juste, mais plus simple à mettre en place consisterait à attribuer une représentation paritaire d’un tiers aux actifs salariés, un tiers aux employeurs et indépendants, le dernier tiers revenant aux retraités. Quelle que soit la solution retenue, il est capital que la place des retraités ne soit pas réduite à l’infime ou à une présence symbolique.

  • Les bénéfices attendus de la fin de l’apartheid

Mettre fin à l’apartheid anti-vieux en organisant la représentation des retraités serait une opération quasiment gratuite, dans la mesure où les retraités sont prêts à prolonger en faveur des leurs le bénévolat qu’ils pratiquent tous les jours.

Emmanuel Macron vient de concéder publiquement qu’il avait donné aux gens le sentiment qu’il réformait contre eux. Alors qu’il entrait dans la seconde partie de son quinquennat, il affirmait, le 27 octobre dernier, vouloir désormais réformer avec eux, en promettant « plus de présence sur le terrain, plus d’écoute et, je crois aussi, plus d’humanité et de respect ». Tout cela il peut le réaliser bien plus vite que la réforme des retraites en cours en faisant en quelques mois tomber le mur de l’apartheid. D’autant que cette réforme vaudra à celui qui aura le courage de l’entreprendre un bénéfice politique important, tout en prouvant aux retraités que le temps du mépris est définitivement passé.

Par ailleurs, avec l’arrivée d’un nouveau partenaire social, notre système social gagnera en savoir et en sagesse et permettra de limiter tous ces affrontements syndicaux stériles entre patrons et salariés qui ont incité l’État à s’imposer et rafler la mise. Enfin, ce troisième partenaire social, indiscutable et indépendant des syndicats, évitera à notre système de retraite de verser définitivement dans une nouvelle technocratie d’État, avec tous les dangers qui s’attachent aux institutions plus attentives aux chiffres qu’aux gens.


[1]           Article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : Non-discrimination 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

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Journal des Libertés

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