Des retraites publiques très avantageuses

Le sujet que je vais traiter devant vous – les différences entre le public et le privé en matière de retraites – est un sujet d’actualité brûlant, puisque dans deux jours la France sera paralysée par la grève des salariés du secteur public, qui refusent la disparition de leurs régimes de retraite.

 Cette suppression figurait dans le programme électoral d’Emmanuel Macron il y a deux ans : « Nous mettrons fin aux injustices de notre système de retraites. Un système universel avec des règles communes de calcul des pensions sera progressivement mis en place ».

Cette suppression figurait aussi cette année-là dans le programme des Républicains : « nous supprimerons progressivement les régimes spéciaux de retraite et alignerons les régimes de retraite de la fonction publique sur le régime général ».

Vous connaissez les injustices de notre système de retraite : dans le secteur public on part à la retraite en moyenne environ trois ans plus tôt que dans le secteur privé et, à salaire de départ égal, la pension moyenne de retraite y est proche du double. Cette pension est égale à 75 % du salaire moyen des six derniers mois, alors que dans le privé elle est de 50 % du salaire moyen des 25 meilleures années, auxquels s’ajoutent des retraites complémentaires qui portent le montant à environ 60 %. 

En janvier 2010, lançant la réforme Sarkozy des retraites, qui faisait passer l’âge légal de départ de 60 à 62 ans, François Fillon déclarait au Figaro : « Aucune question n’est taboue. Celle du calcul de la pension sur les six derniers mois de salaire dans la fonction publique se pose évidemment ». Pascale Coton, responsable des retraites à la CFTC, réagissait aussitôt : « Calculer la retraite des fonctionnaires sur les 25 meilleures années ferait chuter les pensions de 40 % ». La question fût rapidement enterrée.

Les différences considérables en faveur du secteur public expliquent l’ardeur manifestée par ses bénéficiaires pour garder ces avantages.

Vous connaissez la justification fournie par les syndicats du secteur public : il y aurait un contrat moral entre les employeurs publics et leurs employés. Ceux-ci seraient mal payés et en contrepartie bénéficieraient de retraites privilégiées. En réalité ils ont bien d’autres avantages, un emploi à vie qui leur enlève toute inquiétude pour l’avenir, une progression de leur salaire à l’ancienneté, des horaires de travail plus légers, des retraites par capitalisation dont les cotisations sont déduites fiscalement de leur revenu, et des avantages annexes que nous détaillerons. Et leurs salaires sont souvent, à temps de travail égal, supérieurs à ceux du secteur privé. Ainsi par exemple le salaire moyen à EDF est de 4 900 € par mois.

Mais revenons à la comparaison public/privé. Les moyennes peuvent cacher de grandes disparités car il y a des situations très différentes à l’intérieur du secteur public, comme du reste à l’intérieur du secteur privé. A quoi est due cette diversité ?

En dehors du régime général des salariés du secteur privé et de la mutualité agricole il y a 42 régimes spéciaux de retraite. Certains d’entre eux concernent d’ailleurs le secteur privé : les avocats, les indépendants (artisans, commerçants, industriels), les professions libérales (notaires, médecins, pharmaciens, dentistes, architectes…), les clercs de notaires, les marins.

Il y a des régimes spéciaux anecdotiques, comme celui de la préfecture du Haut-Rhin, avec 5 bénéficiaires, celui du chemin de fer franco-éthiopien, avec 10 bénéficiaires, ceux des ports de Bordeaux et Strasbourg et de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Le régime spécial de la Comédie française n’a que 401 pensionnés.

L’âge de départ en retraite

Quel est l’âge réel de départ en retraite dans le secteur public, à comparer à celui du secteur privé, qui est en moyenne de 63 ans ?

 Les fonctionnaires de catégorie active – expression fort peu aimable pour les autres, qualifiés de sédentaires – peuvent partir en retraite entre 55 et 57 ans, 5 ans avant les autres. Ils sont 765 000.  Mais certains fonctionnaires de catégorie active, comme les policiers, les surveillants de prison, les contrôleurs aériens peuvent partir encore plus tôt, à 52 ans. Les fonctionnaires civils titulaires de catégorie sédentaire sont les moins favorisés et ne partent qu’un an et deux mois avant le secteur privé. Les danseurs de l’Opéra de Paris partent à 42 ans, les fonctionnaires des assemblées parlementaires peuvent partir après 15 ans de service, les militaires du rang après 17 ans, un commandant de l’armée de l’air peut partir à 52 ans, un général à 63 ans.  A la RATP, l’âge moyen de départ est 52 ans pour les roulants et 57 pour les autres. A la SNCF, c’est un an plus tard pour les roulants comme pour les sédentaires. A EDF, l’âge moyen est à 58 ans.

Au total un nombre important de salariés du secteur public partent en retraite avant 61 ans : 30 % des fonctionnaires civils de l’État, 38 % des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, 93 % à la RATP, 97 % à la SNCF. Ainsi s’explique la moyenne d’environ trois ans de différence entre le public et le privé.

Le niveau des pensions

En ce qui concerne le niveau des pensions, la pension moyenne d’un fonctionnaire civil de l’État partant en retraite est de 2223 € par mois, tandis que celle du régime général, y compris les retraites complémentaires Agirc-Arrco est de 1167 €, soit 90 % de plus pour les fonctionnaires. Pour avoir un tableau plus complet, rappelons que dans le secteur privé les cinq millions de retraités agriculteurs, commerçants, artisans ne sont pas dans le régime général et font baisser la moyenne. Par exemple la retraite moyenne des commerçants est à 970 € par mois, celle des agriculteurs à 740 €, les artisans à 1050 €. Dans le secteur public les cheminots sont à 2600 €, les électriciens à 3600 € et la RATP à 3700€. Ainsi entre la moyenne du retraité agriculteur et celle de la RATP, le rapport est de un à cinq. 

Les pensions de réversion (c’est-à-dire versées principalement aux veuves) sont soumises à des conditions de ressources dans le secteur privé, pas dans le secteur public.

Les fonctionnaires se plaignent du fait que leur retraite est calculée sur leur salaire de base, à l’exclusion des primes. Mais c’est en réalité un avantage. En effet en 2005 a été créé le régime additionnel de la fonction publique, un régime obligatoire par capitalisation intégrant les primes jusqu’à 20 % du traitement. La cotisation, égale à 10 % des primes, est partagée par moitié entre le fonctionnaire et l’employeur. Dans son dernier rapport annuel, l’organisme qui gère cette retraite additionnelle se réjouit de son développement, puisque ses placements atteignent 30 milliards d’euros. Il se réjouit aussi du rendement de ces placements, qui depuis l’origine est en moyenne de 4,8 % par an, ce qui permettra de doubler ce complément de retraite par rapport à une retraite fonctionnant par répartition. Le rendement est si bon que l’organisme gestionnaire a pu diversifier ses placements. En particulier il construit des logements à faibles loyers qu’il réserve aux fonctionnaires dont le salaire est supérieur au maximum autorisé pour les HLM.  Son rapport précise : « Grâce à la décote par rapport au loyer du marché, les ménages logés ont réalisé une économie annuelle moyenne de 1 167 € ». Cette réussite de la retraite additionnelle de la fonction publique est un argument convaincant en faveur de l’introduction d’une part de capitalisation dans notre futur régime universel de retraite.

Des retraites publiques qui coûtent plus cher…

Au total les avantages du secteur public peuvent être chiffrés : les retraites publiques coûtent 93 milliards d’euros par an, le double de ce qu’elles coûteraient si elles étaient calculées comme celles du privé.

Outre leurs pensions plus élevées les retraités du secteur public bénéficient souvent d’avantages en nature : électricité à un tarif réduit de plus de 90 % pour les électriciens, transports gratuits ou réduits de 90 % pour la famille des cheminots (il y a huit fois plus de bénéficiaires de cet avantage que de salariés de la SNCF), vacances, cantines, coopératives d’achat, crédits immobiliers à des tarifs préférentiels, logements sociaux et de fonction, soins de santé entièrement gratuits.

… et dont la réforme est inéluctable.

Nous pouvons donc conclure en donnant raison à Agnès Buzin, ministre de la solidarité et de la santé, qui qualifie les retraites du secteur public d’ « extrêmement avantageuses ». Ne vous laissez donc pas envahir par la crainte que la grève de Jeudi maintienne ces privilèges. Deux raisons permettent d’espérer la fin de ces injustices. D’abord l’opinion publique n’y est pas favorable. D’après un sondage IFOP réalisé il y a un an, 85 % des Français trouvent notre système de retraite inégalitaire, et même 61 % des salariés du secteur public trouvent ces différences injustifiées.

Ensuite notre système de retraite a fait l’objet de nombreuses réformes qui ont déclenché des grèves et des manifestations, mais pour la plupart ces réformes ont été mises en œuvre : celle de François Fillon en 2003, qui faisait passer la durée de cotisation du secteur public à 41 ans, celle de Sarkozy en 2010, qui augmentait de deux ans pour tous l’âge légal de départ en retraite, celle de Marisol Touraine en 2014 qui faisait passer la durée de cotisation à 43 ans. Une seule réforme n’a pas provoqué de manifestations, celle d’Edouard Balladur en 1993 :  elle a été prise par décret à la fin du mois d’août et ne concernait que le secteur privé.

Une réforme a échoué après trois semaines de grèves et de manifestations, celle d’Alain Juppé en 1995. Elle alignait les durées de cotisation du public sur celle du privé. Mais cet échec s’est traduit par une déconfiture du gouvernement, obligé, pour retrouver son autorité, à dissoudre l’Assemblée nationale et ainsi à perdre le pouvoir pour 5 ans au profit de Lionel Jospin. Cet échec est une leçon pour les successeurs : lancer une réforme courageuse et y renoncer revient à abandonner le pouvoir. La réforme d’Emmanuel Macron fera sans doute l’objet de concessions, au profit de certains régimes spéciaux, sur la durée de la période de transition entre le régime actuel et le futur régime universel. Mais elle ne pourra pas être abandonnée. C’est l’espoir raisonnable que vous pouvez nourrir, et, s’il le faut, nous nous battrons pour que cet espoir devienne une réalité.

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Journal des Libertés

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