Nous rendons hommage dans ce numéro à un économiste hors du commun, qui aimait à penser « en dehors des modes » tout en étant un fin observateur de son monde : Anthony de Jasay. Un jour alors que nous faisions quelques pas ensemble, il avait attiré mon attention sur une expression qui revient souvent dans notre hexagone, à la radio ou à la télévision, dans la bouche des politiques comme dans celle des journalistes : « Vous parlez sans cesse, disait-il, de votre gouvernement qui a consenti à débloquer des fonds pour ceci ou pour cela. » C’est vrai, c’est ainsi que les choses sont souvent présentées ! Et cela, ainsi qu’il me le faisait remarquer, entretient l’illusion d’un grand réservoir plein d’argent dans lequel il suffirait de puiser pour satisfaire les besoins et les attentes des citoyens. 0n endort ainsi notre vigilance, notre sens des responsabilités et de la vraie solidarité.
J’aime à penser que Anthony serait heureux de lire ce numéro, non pas parce que son nom y est mentionné et ses travaux y sont évoqués à travers deux contributions, mais parce que nous nous sommes efforcés à nous inscrire dans la même tradition intellectuelle que lui : une tradition consistant à observer avec attention, à ne pas tomber dans le piège des mots et des idées reçues.
C’est ainsi que plusieurs contributions de ce sixième numéro reviennent sur ce qui serait — à en croire médias et politiciens…— « la » question parmi les plus pressantes de notre monde contemporain : celle des inégalités. Nous avons tout d’abord Hannes Gissurarson qui, avec un humour tout islandais, reprend les travaux de deux « géants » de la pensée contemporaine, Rawls et Piketty et, nous explique pourquoi les politiques qui prennent appui sur leurs travaux sont dangereuses ou tout simplement irréalistes. Ainsi, à pointer sans cesse du doigt « les 1% les plus riches », avec une certaine agressivité parfois, tout ce que l’on parviendra à accomplir sera d’appauvrir un peu plus « les 10% les plus pauvres ». Cette réflexion s’articule parfaitement avec le compte-rendu du dernier livre de Bernard Zimmern que nous offre Nicolas Lecaussin. Nous y apprenons que l’ouvrage recensé est une source précieuse d’informations sur le vrai lien entre inégalités, croissance et pauvreté.
Il y a les sujets dont on parle trop et mal (les inégalités) et puis il y a les sujets dont on ne parle pas, ou pas assez, parce qu’ils fâchent et inquiètent. Dans la rubrique « Actualité » nous revenons sur deux d’entre eux : le futur de l’union monétaire et bancaire et le futur de nos retraites. Sur le premier sujet nous sommes d’emblée frappés par le fait qu’on en a très peu parlé pendant le débat tout récent autour des élections européennes. Pourtant il y a bien pour une fois de quoi s’inquiéter. Deux spécialistes des marchés de capitaux, Gordon Kerr et Cavin O’Driscoll, décryptent pour nous les différentes politiques jusque-là mises en œuvre par la BCE et la Commission européenne — avec l’aval des politiques — pour tenter de remettre de l’ordre dans les finances publiques de certains États membres et remettre le secteur bancaire sur ses pieds. Elles ont échoué ! Mais il y a une suite qui a été annoncée avant les élections (pour être mise œuvre après les élections) : un grand plan « d’approfondissement » de l’Union est en route. Faut-il y croire ? Peut-on y croire ? Nos auteurs ont bien du mal à cacher leur scepticisme. Lorsque l’on a fait fausse route il faut savoir faire demi-tour. Les écoutera-t-on ? Rien n’est moins sûr. Mais espérons au moins que leur analyse contribuera à apporter un peu d’honnêteté dans ce débat crucial.
L’honnêteté ! C’est justement quelque chose qui fait encore cruellement défaut dans les discussions actuelles et à venir sur les retraites. Jacques Garello répète ici ce qu’il a inlassablement expliqué depuis des décennies : la capitalisation est à tout point de vue, y compris moral, supérieure à la répartition (y compris « à points »). Et une transition paisible et « solidaire » vers la capitalisation est toujours possible. Mais à l’heure où le bateau de la répartition prend l’eau de toute part, on semble encore préférer écoper plutôt que de nager vers l’île bien plus prometteuse de la capitalisation sur laquelle nos voisins ont su trouver refuge. Pour ceux qui veulent entendre raison, l’article indique la direction à suivre pour rejoindre l’île !
Ce qui nous empêche bien souvent d’aller tous ensemble vers de meilleures solutions, c’est la mauvaise compréhension de concepts pourtant essentiels à l’épanouissement des individus et, par-delà, au maintien d’une société libre et prospère. Ainsi, si l’on confond le Juste et le Bon, si on confond la loi et la morale, on détruit à la fois l’un et l’autre. Jean-Philippe Delsol revient sur ces concepts en soulignant que, si certes ils s’épaulent mutuellement, ils ne doivent en aucun cas être confondus si l’on veut éviter les démons totalitaires. Jean-Yves Naudet de son côté revient sur un autre concept, celui de subsidiarité. Il nous en explique l’importance mais aussi en quoi ce concept est aujourd’hui si fréquemment galvaudé (en particulier par l’utilisation qu’en font les traités européens). Il signale enfin et surtout comment, bien compris, ce concept devrait rapprocher les penseurs libéraux de ceux qui adhèrent à la doctrine sociale de l’Eglise catholique.
Entreprise, entrepreneur, responsabilité : trois concepts également clés pour toute réflexion constructive sur le développement harmonieux de nos sociétés modernes. Le progrès économique et social leur doit beaucoup ! Mais, là encore, la façon dont ces concepts ont été dernièrement utilisés, ou devrais-je dire manipulés, brouille les pistes. Il est donc urgent d’en revenir aux fondamentaux. En Juin dernier, un colloque était organisé par l’ALEPS, IREF et Contribuables associés sur le thème « Des entreprises libres pour des hommes libres ». Ce colloque fut précisément l’occasion de commenter les récentes divagations sur la nature de l’entrepreneur et le rôle de l’entreprise (cf. la loi PACTE), de dénoncer les politiques gouvernementales (droit du travail, fiscalité, …) qui au lieu de libérer les énergies les freinent. L’occasion aussi de rappeler le magnifique potentiel que constituent ces esprits entreprenants, y compris, d’une certaine façon, dans la sphère publique. Nous avons pensé que les lecteurs du Journal des libertés apprécieraient, à travers la reproduction de quelques-unes des interventions, cet éclairage sur des problématiques appelées à rester au cœur du débat public dans les années à venir.
Enfin, s’il faut savoir être fin observateur de notre monde contemporain, à l’image d’Anthony de Jasay, il faut aussi savoir faire mémoire, prendre du recul. C’est pour cette raison qu’une fois encore, et avec grand plaisir, nous suivrons Jean-Pierre Daviet et Pierre Grégory sur les traces de quelques grands noms de la littérature. Grands noms, mais pas toujours grands personnages ! Cette fois-ci c’est sur la vie et les contributions de Soljenitsyne, Zweig mais aussi Aragon que nos auteurs reviennent. Clairement, pas tous n’ont leur place au Panthéon des défenseurs de la liberté ! Avec tout cela il ne me reste plus, au nom de toute l’équipe de la rédaction, qu’à vous souhaiter une bonne rentrée… littéraire !
J’aime à penser que Anthony serait heureux de lire ce numéro, non pas tant parce que son nom y est mentionné et ses travaux y sont évoqués à travers deux contributions, mais parce que nous nous sommes efforcés, j’espère avec un certain succès, à nous inscrire dans la même tradition intellectuelle que lui : une tradition consistant à observer avec attention, à ne pas tomber dans le piège des mots et des idées reçues, à s’efforcer de formuler des critiques honnêtes et constructives.
C’est ainsi que plusieurs contributions de ce numéro 6 reviennent sur ce qui serait — à en croire médias et politiciens…— « la » question parmi les plus pressantes de notre monde contemporain : celle des inégalités. Nous avons tout d’abord Hannes Gissurarson qui, avec un humour tout islandais, reprend les travaux de deux « géants » de la pensée contemporaine, Rawls et Piketty et, tout en expliquant ce qui les distingue, nous explique pourquoi les politiques qui prennent appui sur leurs travaux sont dangereuses ou tout simplement irréalistes. Ainsi, à pointer sans cesse du doigt « les 1% les plus riches », avec une certaine agressivité parfois, tout ce que l’on parviendra à accomplir sera d’appauvrir un peu plus « les 10% les plus pauvres ». Cette réflexion s’articule parfaitement avec le compte rendu du dernier livre de Bernard Zimmern que nous offre Nicolas Lecaussin. Nous y apprenons que l’ouvrage recensé est une source précieuse d’informations sur le vrai lien entre inégalités, croissance et pauvreté.
Il y a les sujets dont on parle trop et mal (les inégalités) et puis il y a les sujets dont on ne parle pas, ou pas assez, parce qu’ils fâchent et inquiètent. Dans la rubrique « Actualité » nous revenons sur deux d’entre eux : le futur de l’union monétaire et bancaire et le futur de nos retraites. Sur le premier sujet nous sommes d’emblée frappés par le fait qu’on en a très peu parlé pendant le débat tout récent autour des élections européennes. Pourtant il y a bien pour une fois de quoi s’inquiéter. Deux spécialistes des marchés de capitaux, Gordon Kerr et Cavin O’Driscoll, décryptent pour nous les différentes politiques jusque-là mises en œuvre par la BCE et la Commission européenne — avec l’aval des politiques — pour tenter de remettre de l’ordre dans les finances publiques de certains États membres et remettre le secteur bancaire sur ses pieds. Elles ont échoué ! Mais il y a une suite qui a été annoncée avant les élections (pour être mise œuvre après les élections) : un grand plan « d’approfondissement » de l’Union est en route. Faut-il y croire ? Peut-on y croire ? Nos auteurs ont bien du mal à cacher leur scepticisme. Lorsque l’on a fait fausse route il faut savoir faire demi-tour. Les écoutera-t-on ? Rien n’est moins sûr. Mais espérons au moins que leur analyse contribuera à apporter un peu d’honnêteté dans ce débat crucial.
L’honnêteté ! C’est justement quelque chose qui fait encore cruellement défaut dans les discussions actuelles et à venir sur les retraites. Jacques Garello répète ici ce qu’il a inlassablement expliqué depuis des décennies : la capitalisation est à tout point de vue, y compris moral, supérieure à la répartition (y compris « à points »). Et une transition paisible et « solidaire » vers la capitalisation est toujours possible. Mais à l’heure où le bateau de la répartition prend l’eau de toute part, on semble encore préférer écoper — et bientôt se battre pour savoir qui sacrifier —, plutôt que de nager vers l’île bien plus prometteuse de la capitalisation sur laquelle nos voisins ont su trouver refuge. Pour ceux qui veulent entendre raison, l’article indique la direction à suivre pour rejoindre l’île !
Ce qui nous empêche bien souvent d’aller tous ensemble vers de meilleures solutions, c’est la mauvaise compréhension de concepts pourtant essentiels à l’épanouissement des individus et, par-delà, au maintien d’une société libre et prospère. Ainsi, si l’on confond le Juste et le Bon, si on confond la loi et la morale, on détruit à la fois l’un et l’autre. Jean-Philippe Delsol revient sur ces concepts en soulignant que, si certes ils s’épaulent mutuellement, ils ne doivent en aucun cas être confondus si l’on veut éviter les démons totalitaires. Jean-Yves Naudet de son côté revient sur un autre concept, celui de subsidiarité. Il nous en explique l’importance mais aussi en quoi ce concept est aujourd’hui si fréquemment galvaudé (en particulier par l’utilisation qu’en font les traités européens). Il signale enfin et surtout comment, bien compris, ce concept devrait rapprocher les penseurs libéraux de ceux qui adhèrent à la doctrine sociale de l’Eglise catholique.
Entreprise, entrepreneur, responsabilité : trois concepts également clés pour toute réflexion constructive sur le développement harmonieux de nos sociétés modernes. Le progrès économique et social leur doit beaucoup ! Mais, là encore, la façon dont ces concepts ont été dernièrement utilisés, ou devrais-je dire manipulés, brouille les pistes. Il est donc urgent d’en revenir aux fondamentaux. En Juin dernier, un colloque était organisé par l’ALEPS, IREF et Contribuables associés sur le thème « Des entreprises libres pour des hommes libres ». Ce colloque fut précisément l’occasion de commenter les récentes divagations sur la nature de l’entrepreneur et le rôle de l’entreprise (cf. la loi PACTE), de dénoncer les politiques gouvernementales (droit du travail, fiscalité, …) qui au lieu de libérer les énergies les freinent. L’occasion aussi de rappeler le magnifique potentiel que constituent ces esprits entreprenants, y compris, d’une certaine façon, dans la sphère publique. Nous avons pensé que les lecteurs du Journal des libertés apprécieraient, à travers la reproduction de quelques-unes des interventions, cet éclairage sur des problématiques appelées à rester au cœur du débat public dans les années à venir.
Enfin, s’il faut savoir être fin observateur de notre monde contemporain, à l’image d’Anthony de Jasay, il faut aussi savoir faire mémoire, prendre du recul. C’est pour cette raison qu’une fois encore, et avec grand plaisir, nous suivrons Jean-Pierre Daviet et Pierre Grégory sur les traces de quelques grands noms de la littérature. Grands noms, mais pas toujours grands personnages ! Cette fois-ci c’est sur la vie et les contributions de Soljenitsyne, Zweig mais aussi Aragon que nos auteurs reviennent. Clairement, pas tous n’ont leur place au Panthéon des défenseurs de la liberté !
Avec tout cela il ne me reste plus, au nom de toute l’équipe de la rédaction, qu’à vous souhaiter une bonne rentrée… littéraire !