Le succès de l’Université d’Été marque le retour des idées libérales en France
Qui aurait pensé à un tel renouveau ? L’Université d’Été de la Nouvelle Économie avait été absente depuis trois ans au rendez-vous aixois. Le Covid n’explique pas tout. Le libéralisme était un mot interdit en France, les médias et les réseaux sociaux ne retenaient que les initiatives du gouvernement, des Insoumis, des écologistes radicaux et des syndicats révolutionnaires.
Le succès rencontré par cette Université renouvelée est la preuve que de nombreux jeunes aussi bien que de grands intellectuels partagent désormais une foi commune : la crise actuelle appelle une rupture avec la pensée unique et une large diffusion des idées de la liberté.
La crise : une bonne occasion
Pour l’ouverture de cette nouvelle édition, le jeudi 20 juillet, Pierre Garello, organisateur de l’Université, rappelait l’urgence de sauver nos démocraties des crises qui les menacent : « La liberté est un héritage fragile que nous avons reçu de nos pairs et, comme Tocqueville et bien d’autres – ainsi que l’histoire – nous l’ont appris, les démocraties peuvent rapidement se transformer en cauchemar sans notre constante vigilance. » Il appartenait alors à Maître Jean Philippe Delsol, Président de l’IREF, juriste mais aussi philosophe, d’insister sur la dimension morale de ces crises ; les êtres humains ont le sentiment de ne plus dominer la situation et acceptent la servitude volontaire, ils ne se sentent plus responsables, ils s’abandonnent entre les mains du pouvoir. C‘est la raison pour laquelle l’IREF s’est engagé dans cette Université : revenir aux valeurs de responsabilité et de dignité qui doivent accompagner la liberté, revenir à la civilisation.
Finalement, conclut S.A.S. le Prince Michael de Liechtenstein –financier et industriel qui a soutenu l’initiative de l’IREF –, les crises seraient plutôt une bonne chose. L’histoire est faite de crises aussi graves que celles que nous connaissons, mais la résilience humaine l’a emporté. Nous connaissons aujourd’hui une accélération de l’histoire. Que l’on revienne à la raison et à la réalité : c’est précisément le cadre universitaire qui convient en permettant analyses et débats par des gens de qualité, ils répondent ainsi aux attentes d’une jeunesse désorientée et inquiète à juste titre pour son avenir.
Une université de dimension mondiale
Dès les premières heures de rencontres et de conférences, ce qui impressionne c’est la dimension mondiale de l’événement. C’est vrai d’abord pour les jeunes étudiants, venus de toutes nations, avec un gros contingent d’étudiants roumains aux teeshirts marqués « IES »[1], mais aussi des Belges, des Anglais, des Italiens, des Ukrainiens, des Marocains, des Égyptiens, des Polonais… et, hélas, trop peu de Français. Quant aux Intellectuels qui vont se succéder à la tribune, ils viennent en nombre des universités et instituts des Etats-Unis : NYU (New York), West Virginia, Arizona, Lafayette State, Cato Institute, Economic Thinking, Competitive Enterprise Institute, Venture Patents. L’Institut Economique de Montréal est également présent. Mais les Européens sont bien présents : Universités de Varsovie, de Saare, de Bucarest, de Cluj, de Iasi, de Turin, de Bologne, Institute of Economic Affairs (Londres).
Naturellement les Français sont nombreux, voici une liste des intervenants, sans préciser leurs universités ou instituts, par ordre d’intervention : P. Garello, J. Ph. Feldman, E. Queinnec, R. Fillieule, P. Bentata, E. Messéant, E. Krecké, J. Garello N. Lecaussin, E. Martin, F. Facchini, A. Mathieu, N. Janson, A. Gentier, Y. de Mombynes, H. Lepage, N. Bonnet, J. P. Chamoux, K. Halferty-Hardy, Ph. Nemo. J. Ph Delsol soit 20 intellectuels français libéraux : philosophes, économistes, juristes, historiens, physiciens, ingénieurs – à notre connaissance aucun d’entre eux n’appartient à la classe politique.
Accélération, aggravation des crises ?
Les adversaires du capitalisme et de la liberté nous font croire que les crises sont inhérentes à un système économique mondialisé victime de ses « contradictions internes » (Marx) en voie de disparition.
Steve Davies (historien, Institute of Economic Affairs, Londres) ne doute pas que les crises puissent prendre aujourd’hui une fréquence et une intensité plus grandes. Mais c’est sans doute la conséquence de faits indéniables : le niveau d’activité est bien plus élevé, nous sommes dans une société mondialisée et il y aura des contaminations, des pandémies de toutes sortes, les moyens de communication sont multipliés, les relations culturelles sont devenues plus complexes. Néanmoins d’autres changements sont plus rassurants : nous connaissons les institutions qui sont capables de limiter voire effacer les dégâts : le niveau et la diffusion du savoir, la concurrence, la décentralisation ; on doit jouer aussi sur la diversité des expériences.
Malheureusement les États prétendent avoir des visions à long terme et instaurent une vraie dictature. Ce faisant ils aggravent les crises. C’est ce que Jean-Philippe Feldman (juriste, vice-président de l’ALEPS) va illustrer en se référant à l’État français et à sa conduite face au Covid. Il a voulu appliquer des « lois d’exception » pour s’assurer le monopole de l’intervention. Mais qui définit « l’exception » sinon l’État lui-même ? Ce comportement n’est pas récent en France, un État central et exclusif s’est réclamé de la « souveraineté » pour supprimer les libertés. L’État français a parfaitement réussi son plan. Les libertés ont été gravement atteintes en 2020 : des entreprises ont été interdites au public, les relations contractuelles privées ont été transformées en marchés publics, la concurrence a été faussée par le contrôle des prix et les subventions.
Jean-Claude Gruffat (Competitive Enterprise Institute, Washington) ajoute qu’il y a un domaine où les méfaits de l’interventionnisme sont considérables, où le risque encouru est grand, c’est celui de la finance.
En temps normal les financiers ont pour mission de protéger et d’orienter les épargnants qui veulent placer leurs fonds, pour grossir leurs revenus et leurs patrimoines, et en particulier pour assurer leur retraite. Il n’y a aucune honte à être banquier ou financier dans les circonstances que l’on peut qualifier de « normales ». Mais quid de l’état d’exception ? Il est créé par le refinancement des dettes publiques. Aux États-Unis le niveau d’endettement est passé de 80 à 120 % du PIB en quelques années. Cela menace sans doute la valeur du dollar, mais la réaction du Trésor américain a été de hausser les taux d’intérêt à court terme et d’empêcher les banques d’accorder trop de crédit. Les moindres opérations sont devenues très réglementées, et la faillite est maintenant prévisible. Mais on peut difficilement demander à des bureaucrates de comprendre le jeu du marché et l’importance des entreprises, ils préfèrent réglementer, encore et toujours : voilà le grand risque.
Le risque écologique
La peur d’un effondrement économique, juridique ou financier est donc légitime quand l’État intervient. Mais aujourd’hui il y a une autre peur qui apparemment ne doit rien à l’État, c’est celle du réchauffement climatique et même de la survie de la planète.
Erwan Queinnec (Science des organisations, Paris XIII) se présente comme « climato-raisonnable ». Il explique que, plutôt qu’un « organisme scientifique », le GIEC est un organisme d’orientation politique qui s’appuie sur la « science mainstream » pour justifier une politique internationale de décarbonation de l’économie mondiale. Ses rapports contiennent souvent ambiguïtés et exagérations. Par exemple, les conséquences climatiques de nos émissions de gaz à effet de serre sont mal connues, en dehors d’une hausse généralisée des températures (entre 2°C et 5° C causé par un doublement de la concentration atmosphérique de CO2 depuis 1850). Ni les catastrophes naturelles, ni l’évolution des climats régionaux ne sont imputables, en l’état de la science, au « réchauffement climatique ». Quant aux scénarios apocalyptiques, ils sont jugés par le GIEC lui-même, d’ « extrêmement improbables ». Même si le GIEC a indiscutablement un parti-pris « carbocentriste » – c’est son rôle explicite –il convient donc de ne pas confondre son propos avec l’exploitation qu’en fait, notamment, l’écologisme radical.
On en arrive ainsi à l’écologie radicale et idéologique que décrit Renaud Fillieule (sociologue, Université de Lille). La croissance serait « une machine à tuer », ce qui importe ce n’est pas la richesse mais le bonheur, l’égalité entre individus serait plus importante que l’enrichissement d’une minorité. Pour libérer les esprits du conditionnement écologiste, il faudrait tout de même revenir à la vraie signification de l’activité économique : les économistes autrichiens démontrent que la liberté économique permet à chaque individu, « unique et irremplaçable » d’atteindre ses propres objectifs grâce à la pratique de l’échange : c’est le bienfait de la « catallaxie », les divers intérêts opposés se transforment en accord avec les autres.
Tout au contraire les politiques dirigistes conçues pour se préserver du « risque écologique » ont pour effet de provoquer une crise de l’énergie. Dans ce secteur les lois du marché ont été totalement faussées par la règlementation et surtout par la manipulation politique des prix des diverses énergies. Non seulement l’énergie « fossile » dépend de l’OPEP et des normes qui réduisent l’exploitation des ressources en gaz de schiste et en gaz naturel, mais les prix de l’électricité ont été fixés par des accords entre États de l’Union Européenne. On se prive de l’énergie nucléaire pour remettre en service les centrales thermiques en charbon : qu’importe la pollution ! La sortie de crise se fera par le retour aux mécanismes du marché et le retrait des interventions de l’État sous forme de subventions, de réglementations, de diabolisations.
Alain Mathieu donnera un excellent résumé d’un ouvrage que tout le monde devrait lire : celui de Steven Koonin : il démontre que dans quelques années on ne parlera plus de crise écologique (ce qui s’était d’ailleurs produit au cours des années 1960 après la grande peur du rapport Meadows et la propagande du Club de Rome).
Aix et son Université d’Été : au cœur du libéralisme français
Cette deuxième journée de l’Université se terminait par la traditionnelle rencontre avec la municipalité d’Aix-en-Provence. Pourquoi la tradition ? Parce que depuis sa création en 1978 l’Université d’Été (on disait alors « des Nouveaux Économistes » a été accueillie et soutenue par la municipalité. A la mairie la Salle des États Généraux est tout un symbole : portrait de Mirabeau et armes des villes de Provence, la subsidiarité, les libertés locales. Quant à la salle des mariages où se tient la réception elle s’appelle « Salle Frédéric Bastiat » ! Au demeurant la municipalité d’Aix est également exemplaire puisque le budget y est en équilibre depuis des décennies, sous l’influence déterminante de Gérard Bramoullé, membre du groupe des Nouveaux Économistes, doyen de la Faculté d’Économie Appliquée (1976-1979) adjoint aux finances de la ville d’Aix, puis premier adjoint pendant 27 ans (1996-2023) et actuellement Vice-Président (contestataire) de la métropole Aix-Marseille. Absent pour des raisons de santé Gérard Bramoullé est représenté par Madame Dominique Augey, professeur à l’Université et actuellement adjointe aux finances, mais aussi une ancienne diplômée de la Faculté d’Économie Appliquée.
J’avais été sollicité pour rappeler l’histoire de l’Université d’Été et j’ai sélectionné cinq universités dont chacune avait illustré l’un des traits majeurs de cette histoire.
La première fut celle de 1978 : organisée par le groupe des Nouveaux Économistes né la même année, groupe qui allait faire une percée spectaculaire dans le débat des idées. A retenir : les idées mènent le monde ; l’engagement doctrinal des intellectuels est décisif. Grâce au grand historien et grand libéral Leonard Liggio, l’Université attirera un nombre croissant d’intellectuels du monde entier.
La deuxième fut celle de 1984 : dans cette même Salle se trouvaient Louis Pauwels, patron du Figaro Magazine, et la « bande à Léo » (Léotard, Madelin, Longuet, Million, Douffiagues). Le libéralisme s’invitait dans le débat politique. En 1986 les libéraux vont avoir à l’Assemblée nationale le deuxième groupe de la nouvelle majorité. A retenir : le vote libéral n’est pas condamné en France. En 2016, avant sa mise en cause Fillon a exprimé lui aussi un courant libéral incontestable.
Plus émouvant encore : en août 1991 quatre cents participants à l‘Université d’Été de la Nouvelle Économie se dressaient pour applaudir pendant dix minutes deux étudiants russes, deux jumeaux qui l’avant-veille étaient à Moscou sur les chars d’Eltsine, l’URSS avait fini d’exister. A retenir : notre ennemi n’a jamais cessé d’être le marxisme, sous sa forme communiste et révolutionnaire ou sous sa forme de socialisme réformiste. Aujourd’hui les pestes rouges, brunes ou vertes sont en position de force.
Plus spectaculaire : en 2001 l’Université fête le deuxième centenaire de la naissance de Bastiat. Les personnalités qui rejoignent l’amphi Portalis et ses 550 étudiants et participants s’appellent Vaclav Klaus, président de la République Tchèque, Antonio Martino ministre des affaires étrangères d’Italie, qui fut président de la Société du Mont Pèlerin, Alain Madelin, ancien ministre et Président du parti Démocratie Libérale, le Président de l’Université Christian Louit, le doyen de la Faculté d’Économie Appliquée, Jean Pierre Centi, et enfin et non le moindre le prix Nobel d’Économie (1992) Gary Becker, de l’Université de Chicago. La séance à l’amphi Portalis est pour lui remettre le grade de docteur honoris causa de l’Université d’Aix-Marseille. A retenir : le libéralisme est une cause universelle, nos échanges mutuels multiplient ses chances.
Plus profond : revenant en arrière (1992) le programme de l’Université s’intitule « Liberté des actes, dignité des personnes ». Cette formule est de Jean Paul II. Seuls les êtres humains sont dotés de la liberté, mais la liberté n’est pas une fin en soi, c’est un chemin qui permet de conduire vers la dignité – libre à chacun de choisir la déchéance et la haine. Le libéralisme a une dimension éthique. Il ne se laisse pas ramener à l’utilitarisme, à l’économisme. Et l’habitude a été prise à l’Université de consacrer le dernier jour à des débats sur les valeurs morales et spirituelles qui soutiennent la liberté des sociétés, des pays et des personnes.
Les réformes libérales pour sortir de la crise
La journée de samedi va permettre de passer du constat au remède. Au constat socialiste seul peut répondre le projet libéral. Pour sortir des crises quelles sont les réformes qu’appelle la doctrine libérale « classique » ? Il y a bien sûr des réformes économiques, en particulier concernant la monnaie et les finances publiques, mais il faut aussi des réformes culturelles pour retrouver la liberté et la responsabilité des êtres humains libérés du paternalisme d’État.
La réforme économique majeure : une monnaie saine
Toute économie est perturbée quand se dégrade la monnaie, moyen de paiement mais aussi mesure de la valeur et instrument de crédit. Les échanges reposent sur la sécurité et l’honnêteté des contrats, sur le respect de la propriété personnelle. L’inflation tue la confiance et crée l’incertitude ; elle fait régner l’erreur et le mensonge. Elle détruit la société.
Or nous vivons aujourd’hui une coexistence de monnaies très impressionnante : il y a la monnaie bancaire traditionnelle, la monnaie contrôlée par les banques centrales, et maintenant le bitcoin (est-ce une monnaie ?). Mais se créent aussi de nouvelles communautés de paiement indépendantes des États. Nathalie Janson (Neoma Business School) explique cette multiplication des monnaies par la financiarisation de l’économie, la croissance se fait de plus en plus à crédit, on anticipe les résultats futurs, encore faut-il que l’anticipation ne se fasse pas à la légère ou, pire encore, à l’initiative de l’État. La réforme libérale s’impose : privatisation et concurrence.
Georges Selgin (Cato Institute) remonte le cours de l’histoire du billet de banque au moment où se généralise le système des « réserves fractionnaires ». Au XIXème siècle une forte controverse oppose partisans du « free banking » à ceux du « currency banking » ; les premiers suggérant qu’on laisse les banques responsables de leurs émissions, les seconds que l’on réglemente l’émission monétaire. Aujourd’hui la réglementation l’emporte, mais George Selgin se pose la question : : est-ce justifié et où est le progrès ? En fait l’histoire montre que dans les périodes de crise observées aux États-Unis et en Angleterre, ce sont les États où les banques sont libres qui échappent à la crise, et la Grande Dépression de 1929 a bien été aggravée par la politique de Hoover. En fait, c’est l’économiste Ludwig von Mises qui indique la solution : il faut faire la distinction entre crédit transféré, et crédit créé. La banque n’a pas le droit d’accorder un crédit sans gage sur une richesse actuelle ou future, la monnaie et le crédit sont indispensables pour entreprendre et réussir. C’est la responsabilité de la banque de veiller à la qualité de la monnaie qu’elle émet, dans un climat de libre concurrence c’est la clientèle qui se prononce sur les choix bancaires
La « fiat money » et les banques centrales
Antoine Gentier (Université d’Aix-Marseille) dénonce les erreurs commises depuis la fin de la première guerre mondiale : la réglementation bancaire n’a cessé de s’imposer, on en vient à admettre que la monnaie n’est pas la création des banques mais bien de l’État. La monnaie serait un droit régalien, rapportant d’ailleurs un « droit de seigneuriage » comme on disait jadis. C’est l’État qui dit ce qu’est et ce que doit être la monnaie : « fiat money ». Donc tous les systèmes bancaires sont sous la coupe des Banques centrales, qui n’ont aucune indépendance par rapport aux autorités politiques, elles n’ont de banques que le nom.
Les chiffres sont a priori très inquiétants. Entre 2004 et 2023 le bilan de la Banque centrale européenne a été multiplié par sept. Le prix de l’or a été multiplié par six, les cours des actions en bourse a augmenté parallèlement. Tout cela ne veut pas dire que les affaires marchent, mais que la valeur du dollar baisse, puisque c’est en monnaie américaine que toutes ces données sont calculées. Dans ces conditions l’émission d’une monnaie sans contrepartie réelle revient à distribuer des « faux droits », comme disait Jacques Rueff, à investir dans des activités non rentables (le « mal-investissement » dit Hayek) et à fausser les prix et les profits, informations indispensables pour orienter les marchés (Mises).
Les faces cachées du Bitcoin
Certainement le débat autour de la conférence de Yorick de Mombynes (Conseiller à la Cour des Comptes) aura été très ouvert. Le sujet s’y prêtait, et le conférencier le dominait.
Il y a 19 milliards de bitcoins en circulation aujourd’hui, et voilà 14 ans qu’on pronostique sa disparition. Le Bitcoin doit son succès à ses trois dimensions : technique, économique, sociale. La technique du Bitcoin garantit à ses usagers une sécurité absolue. Il n’est pas piratable, il n’est pas duplicable, il n’est pas identifiable. Du point de vue économique le bitcoin a-t-il toutes les caractéristiques d’une monnaie ? Certes il n’est pas un moyen d’échange universel et intemporel. Mais il a quelques qualités qui le rapprochent d’une excellente monnaie : d’une part il est très coûteux à produire (comme les métaux précieux), d’autre part il est l’objet d’un marché (ce qui correspond à l’exigence dévoilée par Carl Menger : il fait l’objet d’une demande, celle de liquidité absolue (il est donc « marketable »). Le Bitcoin accélère les échanges et évite des transports et des transferts – ce qui diminue tous les coûts et les prix.
Du point de vue social, le bitcoin dépolitise la monnaie : les États n’ont rien à y voir, même s’ils le désirent. Cette monnaie s’offre aussi aux pays les moins développés, et leur permet de participer au commerce mondial à peu de frais. Le Bitcoin diminue la criminalité, parce qu’il n’y a pas de transaction frauduleuse et la corruption est impossible.
La « global money » une communauté de paiement professionnelle
Henri Lepage (Institut Turgot) indique que le désordre monétaire mondial a certes créé des monnaies parallèles comme le bitcoin, mais il a aussi amené les professionnels à trouver des modes de paiement sans passer par les monnaies officielles.
De nombreux groupes industriels, financiers, commerciaux sont en relation permanente, d’autant que leurs activités sont très diversifiées : une holding peut se développer dans l’automobile, le tourisme, la recherche médicale ou le spectacle. Il suffit pour ces professionnels d’avoir des comptes courants ouverts dans un certain nombre de banques (par exemple, en France, Paribas ou la Société Générale). Ces professionnels se font mutuellement crédit, sachant qu’ils seront sûrement payés en temps et en valeur voulus. Cela représente un volume d’affaires considérable. Cette masse de transactions n’apparaîtra dans aucune statistique monétaire et cependant les paiements auront été faits. C’est un nouvel exemple de création monétaire à partir de purs titres de crédits.
Les menaces monétaires de l’Union européenne
Les espoirs d’éviter les mauvaises monnaies sont contrecarrés par l’Union européenne qui a imaginé une communauté de nature à accroître l’endettement public. C’est le point de vue de Bob Lyddon (Consultant).
L’instrument commun est le budget européen avec, entre autres instruments, le programme « InvestEU ». L’objectif premier de la politique est de réaliser au plus vite la transition énergétique, priorité des priorités.
Les principes et les institutions sont déjà en place pour effectuer cette tâche. Évidemment tout sera contrôlé par la Commission, elle établit le Plan de Cohésion Politique de l’Union, avec le CPR (Commom Provisions Regulation) le Fonds européen de développement régional (ERDF) et le Fonds de transition appropriée (JTF). A Bruxelles on aime la réglementation et la bureaucratie.
C’est aussi une machinerie à encourager la dépense publique, et de deux manières : les pays déficitaires peuvent toujours arguer de dépenses nouvelles parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre du projet d’investissement européen, et ils peuvent dès aujourd’hui obtenir des avances sur leurs investissements futurs.
Évidemment il n’y a aucune justification à de telles initiatives, sinon de donner à Bruxelles un pouvoir encore plus élargi. En fin de compte, il n’y a aucune illusion à se faire : la voie dans laquelle s’engage l’Union européenne est celle du gaspillage des fonds, c’est-à- dire de nouveaux sacrifices pour les contribuables européens et de nouvelles réductions des libertés personnelles.
Les défis des nouvelles technologies et de l’Intelligence Artificielle
L’Université d’Été ne pouvait ignorer l’importance de ces défis. Deux sessions parallèles de cet après-midi du samedi en feront leur sujet. La pensée dominante est en faveur de la liberté des développements techniques tout en rappelant que la technique n’est pas souveraine. J’ai été impressionné par deux communications : celle de Nathan Bonnet (Institut Sapiens) qui a réussi à faire parler Adam Smith avec sa voix et son accent (miracle de l’IA) et celle de Daniela Piana (Université de Bologne) qui est chargée par l’Union européenne du contrôle des algorithmes et nous assure que cela n’a à ce jour aucun sens : nul n’est en mesure de distinguer les applications qui pourraient être dangereuses.
La crise culturelle
A mon sens les sessions consacrées à la crise culturelle m’ont paru plus fondamentales : les Européens, et notamment les Français, ont-ils la culture suffisante pour comprendre le sens de la liberté et les réformes qu’elle exige ?
Philippe Nemo (ESCP Europe) met en cause l’éducation actuelle de la jeunesse. Il y a sans doute une composante structurelle à la crise culturelle actuelle, en effet elle tient à la nature des êtres humains. Mais il y a aussi une composante conjoncturelle : la culture n’est plus transmise. Ce n’est pas la culture de l’Occident qui est en cause : elle a derrière elle la fierté de plusieurs dizaines de siècles. C’est que cette culture humaniste n’est plus enseignée aujourd’hui. De la sorte nous produisons de jeunes sauvages (surtout dans les communautés immigrées) qui n’ont pour idée que de détruire. Cela rend évidemment impossible toute vie en société, qui ne peut subsister, comme le dit Hayek, que s’il existe des règles de comportement respectées parce qu’inscrites dans un ordre spontané. Il n’y a rien de plus traditionnel que la tradition. Et la tradition ne s’accommode pas du multiculturalisme.
Pourquoi la transmission de la culture ne se fait-elle pas ? A cause de changements profonds : la mondialisation, l’immigration, l’explosion de la famille (familles monoparentales, travail des femmes), le numérique, le climat. La situation actuelle tranche avec ce qui se faisait dans les siècles précédents, puisque la culture se transmettait de génération en génération. Aujourd’hui les médias diffusent un mythe collectiviste. Mais c’est surtout le système scolaire qui est déshérité. D’une part la qualité des enseignants s’est dégradée : syndicalisme et politisation l’expliquent. D’autre part la liberté scolaire a été réduite à néant, pas de concurrence, pas de création, un mammouth bureaucratique.
Alors, que pourraient faire des libéraux pour transmettre la culture ? Il faut en revenir aux humanités, c’est-à-dire à la littérature, à l’histoire, à l’art. Il faut retrouver et sauver le patrimoine culturel : musées, cathédrales et châteaux. Il faut réhabiliter le travail. Beaucoup de gens s’engagent actuellement dans ces voies, ils font du libéralisme sans le savoir.
Jean Philippe Delsol (IREF) constate de son côté que, faute de transmission de la culture humaniste, c’est la culture de la peur et du « grand remplacement » qui prévaut en France, elle n’a rien de bon.
La seule issue possible est la résistance, comme l’a rappelé Camus. Il faut faire preuve de discernement, passer tout événement au crible de la raison, éviter la démesure. Cicéron plaide pour « la balance » : in medio stat virtus. Cela a un autre nom : la sagesse. Or, la sagesse a fui l’Occident, et en particulier la jeunesse de l’Occident. La jeunesse refuse la vie en société, elle est aveuglée, elle est pessimiste. Tous les canons de la peur hantent son esprit, les suicides et la drogue traduisent la tragédie.
On voit se répandre une idéologie du remplacement (tout changer, woke), on veut réécrire l’histoire, en oublier les grandes leçons pour s’arrêter à des détails sans intérêt. Le processus de déculturation conduit à la dé-civilisation, au gaspillage du libre arbitre.
Discours de clôture de l’Université
La tradition de l’Université est de se terminer sur la dimension éthique et humaniste du « libéralisme classique » et de confier cet exercice à une personnalité de premier plan. La personnalité ne pouvait être que le professeur Mario Rizzo, venu à Aix très souvent depuis trente ans, qui, venant de l’Université de Chicago, enseigne à NYU (New York University, temple de l’économie autrichienne avec Israel Kirzner). Il est l’auteur d’ouvrages fondamentaux comme The Economics of Time and Ignorance en collaboration avec Gerald O’Driscoll.
Quant au sujet de son discours il s’agit de la « Psychologie anti-paternaliste de William James ».
William James n’est pas un économiste, mais un psychologue. Mais la psychologie a fait une entrée remarquée dans la science économique, elle partage avec l’école autrichienne et ceux qu’on appelle les « libéraux classiques » l’importance que l’on doit attribuer au comportement humain. Ce comportement ne se réduit pas à l’utilité ou à la rentabilité, mais il dépend des libres choix individuels, des appréciations personnelles que chaque acteur économique, producteur ou consommateur, devrait pouvoir faire en toute liberté. C’est ici que la psychologie intervient. En effet les individus sont influencés par le paternalisme, qui ruine l’autonomie individuelle.
William James proteste contre certaines interventions publiques qu’il juge scandaleuses. Ainsi l’État de Massachussetts interdit de se faire soigner par quelqu’un qui n’est pas diplômé en médecine. Non seulement c’est la liberté de l’individu de choisir ses soins, mais l’expérience personnelle lui a peut-être prouvé que les soins qu’il pratique sont plus efficaces.
Un autre exemple : après la deuxième guerre mondiale les États-Unis ont voulu faire des Philippines la copie de la société américaine. Ils ont pensé que les vertus de courage, d’honnêteté, de solidarité des Américains (à démontrer) s’expriment surtout pendant les guerres. Ils ont donc obligé les jeunes Philippins à faire un service militaire obligatoire !
En réalité le paternalisme veut décider de ce qui est bien ou mal en général, sans tenir compte du fait que chaque individu va avoir sa propre conception de ce que sont le bien et le mal. Cela est l’affaire du cerveau de chacun, cela peut se développer à l’école. De la même façon le savoir est quelque chose de personnel, il dépend de l’information et de l’appréciation du temps par les individus, et ces données sont elles-mêmes variables suivant les circonstances pour un même individu.
Donc le savoir n’est pas collectif, il se forme au contraire par la rencontre entre des personnes. Ce qui nous permet d’apprendre et de nous épanouir, ce n’est pas le paternalisme, l’obéissance au père, mais l’enseignement que la vie nous apporte, l’apport de nos maîtres, de nos amis. C’est ce que nous avons fait pour réaliser nos objectifs. Ce que nous faisons aujourd’hui est plus important que ce que nous programmons pour demain. C’est un exercice intellectuel et spirituel que nous pratiquons en permanence.
Cette conclusion appelle deux questions de ma part : quid de la famille ? quid du capital humain ? La réponse de Mario Rizzo est que l’apprentissage personnel est le plus important, en deuxième rang vient la famille, en troisième rang nos relations, et en tout dernier rang, et à proscrire, l’État. Quant au capital humain, il ne cesse de se former tout au long de la vie : on devrait parler de personne plutôt que d’individu parce que l’individu passe sa vie à épanouir sa personnalité.
[1] L’Institute for Economic Studies-Europe (IES) était co-organisateur de l’événement avec l’IREF.