Comment peut-on prendre en compte, dans une société, le rôle des corps intermédiaires, c’est-à-dire de toutes ces structures intermédiaires entre l’individu et l’État ? La famille, les associations, les mouvements de toutes sortes. Parfois il est plus facile de mesurer, ou d’estimer les coûts sociaux de leur dislocation. Car la crise de certaines de ces institutions, notamment la famille, implique des conséquences sociales graves, notamment sous la forme de la criminalité. C’est ainsi que Jacques Bichot estime le coût du crime et de la délinquance à 150 Milliards d’euros, soit 7,5% du PIB[1]. La présente contribution tente d’apporter des éléments de réflexion pour expliquer le rôle des corps intermédiaires par rapport à la cohérence sociale : en quoi ces structures jouent un rôle dans la paix, le bien commun, l’harmonie des relations ? Le premier paragraphe donne quelques fondements bibliques et théologiques. Le deuxième souligne l’importance des corps intermédiaires pour la cohérence sociale. Le troisième évoque leur rôle par rapport au bien commun. Le quatrième éclaire l’articulation entre liberté et vie associative.
Fondements bibliques et théologiques
La doctrine sociale de l’Église fait partie du corpus de la théologie morale qui a lui-même des racines bibliques. Nous allons maintenant considérer ces éléments bibliques et leurs implications théologiques. Ce n’est pas principalement parce qu’il n’y a pas d’État au sens moderne du terme que les corps intermédiaires jouent un rôle important dans la Bible. C’est pour des raisons principalement théologiques. Examinons successivement le cas de la famille et des relations de patronage.
La famille
Pour traiter de façon appropriée de ce sujet, il faudrait commencer par étudier ses fondements bibliques dans le livre de la Genèse : après la création d’Adam, Dieu dit : « il n’est pas bon que l’homme soit seul » (1,18) : il crée alors la femme, os de ses os et chair de sa chair (2,23) : « homme et femme il les créa » (1,27). Tous les deux ne font plus qu’un (2,24) : ce précepte est d’ailleurs rappelé par le Christ à propos du caractère sacré du mariage (Mt 19,4 s.). La fécondité découle logiquement de cette union : « Dieu les bénit et Dieu leur dit : Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! » (Gn 1,28). Le livre du Lévitique, puis les prophètes vont dénoncer ce qui est jugé contre nature ou dégradant : ils condamnent l’inceste et la prostitution[2].
Dans la présente étude, un aspect seulement sera abordé : il s’agit de la dimension sociale. La famille dans la Bible joue un rôle éminent de corps intermédiaire : le droit de rachat (la loi du lévirat) empêche qu’une personne réduite à toute extrémité tombe dans la déchéance : si elle se vend comme esclave, elle est rachetée par son plus proche parent ; si elle vend ses terres, les parents ont droit de rachat sur les terres. Le livre de Ruth en est un excellent exemple. Dans le Deutéronome, il est question du devoir de protection des veuves : si une femme devient veuve, le frère du défunt l’épousera : « Si des frères habitent ensemble et que l’un d’eux meure sans avoir de fils, la femme du défunt n’appartiendra pas à un étranger, en dehors de la famille ; son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme et fera à son égard son devoir de beau-frère » (Dt 25,5). On connaît bien l’usage pernicieux de cette règle que font les sadducéens de l’Évangile pour tendre un piège à Jésus. Ce qui est important c’est de tenir compte du souci de protection des faibles, de ceux qui sont exposés à la vulnérabilité et risqueraient de tomber dans la déchéance, parfois la violence ou le crime. Ici encore, il y a là une forme d’imitation de Dieu en raison de son statut de go’el (défenseur). A plusieurs reprises, et de manière prophétique, Dieu est appelé le go’el du pauvre : « Ne déplace pas la borne antique, dans le champ des orphelins n’entre pas, car leur vengeur (go’el) est puissant, c’est lui qui épousera, contre toi, leur querelle » (Pr 23,10‑11). Les pauvres sont vulnérables parce qu’ils n’ont pas de protecteur puissant ; entrer dans le champ des orphelins signifie en prendre possession. C’est négliger l’invitation de Dieu à respecter le droit des faibles (cf. Dt 24,17 ; 27,19). Les orphelins n’ont pas les moyens de se défendre eux-mêmes ; ils sont privés de la protection de leurs parents. La famille constituait la cellule de base exerçant les fonctions d’éducation et de protection. En cas de défaillance, c’est le chef du clan qui devait remplir ce rôle comme le rappelle Isaïe[3].
Quant aux veuves, elles se trouvent particulièrement exposées, étant donné le rôle protecteur de l’homme dans le Moyen-Orient ancien. C’est l’homme qui, par son autorité, son ascendance et sa force, fait respecter le droit du foyer. La condition de la veuve est précaire, spécialement lorsque celle-ci est sans enfant. Elle vit le plus souvent d’aumônes[4], et glane des produits champêtres[5]. L’orphelin, comme la veuve (cf. Pr 15,25), sont des archétypes de pauvres et de défavorisés, dont l’ultime avocat est Dieu[6]. Celui-ci se fait le proche parent de ceux qui sont privés de protection.
La relation patron-client et le secours des malheureux
La Bible et l’histoire de l’Antiquité nous dépeignent une multitude de situations où les riches, les puissants, prennent sous leur protection des êtres faibles, pauvres, menacés. Sans prétendre faire un inventaire de toutes ces situations, nous retiendrons seulement deux exemples : l’un est tiré de l’Ancien Testament : il s’agit du cas de Job[7]. L’autre est tiré de l’histoire de la civilisation romaine, où la pratique du patronage était largement répandue.
Job est conduit, dans un contexte d’épreuve, à faire sa propre apologie. Sa détresse soudaine et inexplicable à vue humaine ouvre une série de trois dialogues où Job s’entretient successivement avec Éliphaz de Témân, Bildad de Shuah et Çophar de Naama. Au chapitre 29, nous apprenons quelle est la renommée de Job et comment il se fait défenseur des pauvres et des orphelins (v. 12). Sa place est devant la porte de la ville, c’est-à-dire sur le lieu des assemblées ; sa position assise, le silence qui règne en sa présence, manifestent son autorité, son rang ; les anciens se tiennent debout en signe de respect, de déférence. Tout cela nous permet de voir en Job un homme non seulement riche, mais aussi respecté et influent. Job est un grand personnage.
Il a une attitude exemplaire auprès des mourants, des veuves ; il se présente comme spécialement attentif aux plus faibles, à ceux qui sont accablés par l’angoisse et la détresse. Le vêtement qui le recouvre est celui de la justice et il est coiffé d’un turban[8]. Précisément, la grandeur de Job, sa justice, son vêtement, c’est de s’occuper du pauvre et de l’orphelin, du mourant, de la veuve. Cette attitude le distingue et le grandit. On pourrait, bien sûr, être gêné par une telle apologie, et voir dans ce discours une sorte d’ostentation que, plus tard, l’Évangile condamnera (Cf. Mt 6,2-3). Mais si l’on tient compte du contexte et de l’accusation dont Job fait l’objet, il semble plutôt que Job agisse en toute droiture, déclarant son innocence, sans aucune vantardise. Job, injustement soupçonné, rétablit légitimement la vérité.
Cette apologie présente Job comme un secours providentiel pour tous les affligés : il est comme les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux, le père des pauvres[9] (v. 15-16). Plus loin, au chapitre 31, Job reprend le langage de l’apologie, mais selon le mode d’un long serment imprécatoire :
Ai-je été insensible aux besoins des faibles (dallîm),
laissé languir les yeux de la veuve ? (v. 16)
Job est irréprochable en ce qui concerne le secours des plus faibles, qu’il s’agisse des serviteurs (v. 13), des orphelins (v. 17 et 21), des veuves (v. 16), des miséreux (Ps 119,176 ; Pr 31,6) et des pauvres (v. 19). En cela il ressemble à Dieu, il se fait de façon éminente image de Dieu qui, par excellence, est le défenseur de la veuve et de l’orphelin. Cet élément revêt une importance capitale car elle souligne l’importance de la relation personnelle : Dieu tout puissant et proche du miséreux (Ps 113) est le premier de cordée d’un agir juste, immédiat et personnalisé.
Mentionnons aussi la relation patron-client dans la Rome antique : il est de bon ton, dans la Rome antique, que les personnes fortunées prennent sous leur protection des personnes fragiles qui feront ensuite l’éloge de leur « patron ». Ces hommes rivalisent de générosité et de bonté pour attirer à eux des « clients » qui sont leur gloire, leur fierté. Ces institutions sont les fondements de nos corps intermédiaires[10]. Elles sont un élément important de cohésion sociale en jouant à la fois un rôle identitaire (elles soulignent la grandeur et la libéralité des grands personnages) et social.
Considérons maintenant comment ces éléments bibliques et théologiques trouvent un écho dans la doctrine sociale de l’Église.
L’importance des corps intermédiaires
L’encyclique Quadragesimo anno (1931) présente aussi une nouveauté remarquable : celle de souligner la valeur des institutions intermédiaires ; déplorant la disparition des anciennes corporations qui constituaient un tissu social très dense dans l’ancienne société spécialement en Europe, Pie XI exprime la crainte qu’il ne reste plus de place dans la société qu’à l’individu et à l’État (Quadragesimo anno n. 84). Il regrette que l’individualisme ait réussi à briser cet intense mouvement de vie sociale que constituaient les corps intermédiaires. Il y a là une menace qui pèse sur le bien commun à travers le principe de subsidiarité ; d’abord parce que l’État se voit confier trop de charges et tend à atteindre une dimension exagérée ; « cette déformation du régime social ne laisse pas de nuire sérieusement à l’État sur qui retombent dès lors toutes les fonctions que n’exercent plus les groupements disparus, et qui se voit accablé sous une quantité à peu près infinie de charges et de responsabilités » (Quadragesimo anno n. 84).
Mais surtout, ce gonflement nuit à la personne humaine dont la dignité exige que l’on respecte ses compétences et ses prérogatives, selon le principe de la subsidiarité :
De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes (Quadragesimo anno n. 86).
Il y va donc de la dignité de la personne et du bien commun. C’est une conviction maintes fois affirmée et répétée par Pie XI et ses successeurs :
Que les gouvernants en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements, selon ce principe de la fonction supplétive de toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires publiques (Quadragesimo anno n. 88).
On trouve dans l’encyclique une pensée qui avait été formulée jadis par les théologiens du Moyen Âge, notamment saint Thomas d’Aquin[11]. Un ordre est le résultat d’une certaine cohérence d’ensemble, faite d’unité et d’excellence, chacun dans son domaine. L’ordre résultant, comme l’explique si bien saint Thomas, de l’unité d’objets divers harmonieusement disposés, le corps social ne sera vraiment ordonné que si une véritable unité relie solidement entre eux tous les membres qui le constituent… Cette union sera d’autant plus forte et plus efficace que les individus et les professions elles-mêmes s’appliqueront plus fidèlement à exercer leur spécialité et à y exceller (Quadragesimo anno n. 91).
Derrière cette problématique, c’est à l’évidence la question du bien commun qui est en filigrane ; la notion est d’ailleurs citée à maintes reprises[12]. Dans une synthèse puissante, le Compendium de la doctrine sociale de l’Église établit le lien entre le principe de subsidiarité avec la présence des corps intermédiaires. Il en définit le rôle :
À l’application du principe de subsidiarité correspondent : le respect et la promotion effective de la primauté de la personne et de la famille ; la mise en valeur des associations et des organisations intermédiaires, dans leurs choix fondamentaux et dans tous ceux qui ne peuvent pas être délégués ou assumés par d’autres ; l’encouragement offert à l’initiative privée, de sorte que tout organisme social, avec ses spécificités, demeure au service du bien commun ; l’articulation pluraliste de la société et la représentation de ses forces vitales ; la sauvegarde des droits de l’homme et des minorités ; la décentralisation bureaucratique et administrative ; l’équilibre entre la sphère publique et la sphère privée, avec la reconnaissance correspondante de la fonction sociale du privé ; et une responsabilisation appropriée du citoyen dans son rôle en tant que partie active de la réalité politique et sociale du pays[13].
Bien commun et corps intermédiaires
Il revient à Jean XXIII et à l’encyclique Mater et magistra de définir le bien commun dans les termes qui seront retenus ensuite non seulement par le Concile, mais par la doctrine sociale de l’Église jusqu’à maintenant, moyennant quelques variantes que nous allons évoquer. Nous sommes en 1961, tout près de l’ouverture du Concile. Le bien commun est compris comme « l’ensemble des conditions de la vie sociale qui permettent aux hommes d’atteindre de façon plus complète et plus aisée leur perfection[14]. »
Cette définition est reprise sans modification dans Pacem in terris[15] en 1963. Le Concile la modifie en ajoutant que le bien commun permet aussi au groupe d’atteindre sa perfection. Dans son encyclique, Jean XXIII reste encore très lié à la problématique classique selon laquelle le rôle des pouvoirs publics dans la recherche du bien commun est premier et décisif ; il mentionne cependant le rôle des corps intermédiaires. Le texte insiste beaucoup sur l’inclination des hommes à s’associer pour réaliser ensemble leur objectif d’épanouissement et de perfection. L’idée sous-jacente est que l’obtention de cet objectif serait hors de portée d’individus isolés. Que l’on pense à l’efficacité des associations lorsque celles-ci se donnent pour tâche de lutter contre des fléaux sociaux comme par exemple la pauvreté matérielle, l’analphabétisme, ou encore le manque d’hygiène. Tous ces dérèglements sont des facteurs de dissension, de jalousie et d’aliénation qui appellent un engagement dans le sens du bien commun de la part des hommes et des femmes de bonne volonté.
Mais surtout, ces corps intermédiaires, tout en contribuant au bien commun, permettent à des hommes et des femmes généralement bénévoles, et parfois aussi salariés, de grandir eux-mêmes en humanité. La doctrine sociale de l’Église se plait à souligner cette dimension subjective du travail humain, c’est à dire le fait que l’œuvre, spécialement accomplie par des groupes et des associations, bénéficie également à ceux qui s’y engagent.
Liberté et vie associative
On sait que la France compte plus d’un million et demi d’associations et que ce nombre a eu tendance à s’accroître au cours des dernières décennies[16]. On compte environ douze millions de bénévoles en France ce qui représente un potentiel important et varié d’activités et de services. Dans son ouvrage sur la confiance et le bien commun[17], Marek Kohn montre que la vie associative constitue une sorte de patrimoine culturel, un capital qui exprime quelque chose de solide et durable dans toute société. Avant tout, il relie ce phénomène à la confiance qui naît entre des personnes lorsque celles-ci consacrent du temps à une activité commune en fédérant leurs énergies. La relation n’est pas basée sur l’intérêt directement compris, mais plutôt sur l’objectif commun qui motive l’adhésion et le temps donné. Tocqueville avait en son temps insisté sur ce phénomène lorsqu’il avait observé le fonctionnement des institutions américaines. Il avait noté la capacité des Américains à s’associer pour une multitude de motifs, qu’il s’agisse d’affaires privées ou d’objectifs politiques[18]. Cette propension à s’associer lui paraissait plus utile au bien commun que de s’adresser directement à l’État, ce qui aurait été, d’après lui, le réflexe des Français :
La première fois que j’ai entendu dire aux États-Unis que cent mille hommes s’étaient engagés publiquement à ne pas faire usage de liqueurs fortes, la chose m’a paru plus plaisante que sérieuse, et je n’ai pas bien vu d’abord pourquoi ces citoyens si tempérants ne se contentaient point de boire de l’eau dans l’intérieur de leur famille. J’ai fini par comprendre que ces cent mille Américains, effrayés des progrès que faisait autour d’eux l’ivrognerie, avaient voulu accorder à la sobriété leur patronage. Ils avaient agi précisément comme un grand seigneur qui se vêtirait très uniment afin d’inspirer aux simples citoyens le mépris du luxe. Il est à croire que si ces cent mille hommes eussent vécu en France, chacun d’eux se serait adressé individuellement au gouvernement, pour le prier de surveiller les cabarets sur toute la surface du royaume[19].
Il montre comment outre-Atlantique les citoyens ont pris l’habitude de régler par eux-mêmes les petits incidents de la vie, en coordonnant leurs efforts :
Un embarras survient sur la voie publique, le passage est interrompu, la circulation arrêtée ; les voisins s’établissent aussitôt en corps délibérant ; de cette assemblée improvisée sortira un pouvoir exécutif qui remédiera au mal, avant que l’idée d’une autorité préexistante à celle des intéressés se soit présentée à l’imagination de personne[20].
Ces deux exemples montrent comme le bien commun se trouve pris en charge spontanément, ce qui correspond pour Tocqueville à une conception achevée de la démocratie. Celle-ci en effet ne consiste pas seulement en une reconnaissance de l’égalité des citoyens mais conjointement en une reconnaissance de l’égalité et de la liberté d’initiative et d’association :
Ainsi le pays le plus démocratique de la terre se trouve être celui de tous où les hommes ont le plus perfectionné de nos jours l’art de poursuivre en commun l’objet de leurs communs désirs et ont appliqué au plus grand nombre d’objets cette science nouvelle[21].
Un auteur contemporain, Robert Putnam, s’est intéressé aux gains en efficacité que l’on pouvait attribuer à ces cycles de réciprocité et de confiance ; il voit dans l’établissement de ces relations de voisinage et de solidarité, mais aussi, faudrait-il ajouter, dans ces valeurs morales et humaines, un lubrifiant qui permet au moteur social de mieux fonctionner[22].
Conclusion
Les corps intermédiaires jouent un rôle majeur dans la cohérence sociale : ils permettent de remédier aux défaillances humaines, aux pauvretés, aux misères de toutes sortes qui pourraient conduire à l’effondrement et à la disparition des plus pauvres. La Bible dévoile le projet divin de susciter des institutions sociales qui protègent les faibles moyennant les liens familiaux, la solidarité, le secours des pauvres. Elles ne sont en réalité que le miroir de la prédilection de Dieu pour les pauvres.
La doctrine sociale de l’Église emboite le pas à la Bible pour défendre l’importance des corps intermédiaires, sans lesquels la société se disloquerait et ne pourrait plus supporter les inévitables fragilités consécutives à la blessure originelle. Mais surtout, les corps intermédiaires réalisent un lien beaucoup plus respectueux de la dignité de la personne humaine que si les secours étaient centralisés et venaient de l’État.
Les
corps intermédiaires jouent donc un rôle majeur dans la poursuite du bien
commun. Ils participent au développement intégral des hommes et des femmes qui
s’associent en vue d’un objectif commun. Le cas des associations en France est
spécialement significatif ; on peut voir dans le tissu associatif un
capital culturel et éthique qui participe à la cohésion sociale et sert
manifestement la cause de la dignité de la personne humaine.
[1] http://bit.ly/3dcXSzP
[2] « Tu ne découvriras pas la nudité d’une femme et de sa fille » (Lv 18,17) ; chez le prophète Amos : « …après quoi le fils et le père vont vers la même fille, profanant ainsi mon saint Nom » (Amos 2,7).
[3] Isaïe déplore leur égoïsme et leur vénalité. Cf. Is 1,23.
[4] Cf. 1 R 17,12, note f de la TOB, p. 678. La veuve de Sarepta a un fils, mais celui-ci ne semble pas en âge de procurer des ressources à sa mère.
[5] Cf. Dt 24,19‑20 sur l’abandon des glanures.
[6] Cf. Dt 10,17-18 : Le Seigneur est « le Dieu grand, puissant et redoutable (…) qui rend justice à l’orphelin et à la veuve. » Cf. R. Van Leeuwen, “The Book of Proverbs” in NIB, T. V (Nashville 1997), p. 205.
[7] À propos des relations de patronage en milieu rural, cf. B. Lang, « The Social Organization of Peasant Poverty in Biblical Israel », in : Monotheism and the Prophetic Minority : an Essay in Biblical History and Sociology (SWBAS 1), Sheffield, 1983, p. 114-127. Lang rapporte que le patron garantit la survie de ses clients et de leur famille ; en retour, les paysans versent une partie de leur récolte au patron. En cas de mauvaise récolte, ils versent moins, ou rien. Le patron assume donc une partie du risque, celui-ci ne pouvant être supporté par un paysan pauvre. Cf. ibid. pp. 118-119.
[8] Les vêtements rendent visible une disposition, une justice de fond. La coiffe indique quelque chose de la personnalité. Elle grandit la personne et la qualifie.
[9] On s’attendrait plutôt à ce que Job se présente comme le père des orphelins plutôt que des pauvres (cf. Si 4,10). Mais on peut comprendre ici que Job se fait le proche parent de celui qui n’a pas de défenseur. Il est le père des pauvres, dans le sens de celui qui revendique et défend le droit de l’indigent.
[10] Cf. Pierre Coulange, L’option préférentielle pour les pauvres, Parole et silence, 2011.
[11] Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, op. cit. III, ch. 71, p. 550 ; cf. Somme théologique, Ia, qu. 65 art. 2.
[12] Il s’agit du passage de l’encyclique où cette notion de bien commun est la plus citée : n. 91.92.93 ; l’autre passage est celui sur la propriété privée.
[13] Compendium n. 187.
[14] Jean XXIII, Mater et magistra, 1961, n. 65.
[15] Pacem in terris adopte un point de vue différent mettant en exergue l’importance de la reconnaissance des droits fondamentaux par les gouvernements sur toute la terre. La perspective se veut plus générale et reprend l’élan issu de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’ONU en 1948. On peut dire qu’avec Pacem in Terris la thématique des droits fondamentaux entre dans le vocabulaire du Magistère. Cf. spécialement Pacem in Terris n. 53-59 sur le bien commun.
[16] Ces associations font appel à des millions de bénévoles (donner un chiffre précis est impossible mais, en fonction de la définition que l’on donne au terme ‘bénévole’, on obtient des chiffres qui se situent entre 11 et 22 millions de bénévoles en 2017) et emploient 1,8 millions de salariés à plein temps ou à temps partiel. Le budget des associations s’est élevé en 2017 à 113,2 milliards d’euros et 56% des financements venaient du secteur privé. Sur une période longue, le nombre d’associations créées chaque année a tendance à augmenter : 64 200 en 1993, 69 600 en 2003, 75 100 en 2014, puis 70 000 en 2018. Cinq secteurs d’activité concentrent presque 95 % des associations : sport : 363 700 (24 %) ; culture : 344 300 (23 %) ; loisirs et vie sociale : 320 000 (21,5 %) ; action sociale, santé : 211 500 (14,1 %) ; défense des droits et des causes : 172 300 (11,5 %). Cf. INJEP, Les chiffres clés de la vie associative 2019, http://bit.ly/2vxk9ar.
[17] Marek Kohn, Trust, Self-Interest and the Common Good, Oxford University Press, 2008.
[18] Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, Tocqueville parle à deux reprises des associations : dans le premier livre, deuxième partie, au chapitre IV « De l’association politique aux États-Unis », et dans le second livre, deuxième partie, chapitre V « De l’usage que les Américains font de l’association dans la vie civile ». Cf. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF – Flammarion, 1981, vol. 1, p. 274 s ; et vol. 2, p. 137 s.
[19] A. de Tocqueville, op. cit. vol. 2, p. 141.
[20] A. de Tocqueville, op. cit., vol. 1, p. 274-275.
[21] A. de Tocqueville, op. cit., p. 138. Cf. aussi Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Tel – Gallimard, 1993, p. 44.
[22] Robert Putnam, Bowling Alone: The Collapse and Revival of American Community, Simon and Schuster, 2000, p. 135 ; cité par M. Kohn, op. cit., p. 85.
Pierre Coulange est docteur en sciences économiques. Il est prêtre, professeur de théologie au Studium de Notre-Dame de Vie. Il est également auteur de plusieurs ouvrages sur la doctrine sociale de l’Église et membre de l’Association des économistes catholiques.