Le Journal des Libertés offre à ses lecteurs dans ses deux premiers numéros un double éclairage sur la crise catalane et plus largement sur la délicate question de la sécession. Le premier article, écrit par le philosophe et sociologue italien Carlo Lottieri, oppose le libre-choix des indépendantistes catalans à la centralisation du pouvoir espagnol et européen. Le second, écrit par l’économiste français Bertrand Lemennicier et qui sera donc dévoilé dans la prochaine livraison de cette revue, aborde le sujet de manière  moins  factuelle  et  plus  large.  Mais les deux contributions insistent sur la crise de l’Etat-nation : Bertrand Lemennicier annonce – avec enthousiasme car il y voit un « instrument d’exploitation des politiquement faibles par les politiquement puissants » – sa prochaine disparition sous les coups de boutoir de la « mondialisation », tandis que Carlo Lottieri se borne à espérer l’évanouissement de l’Etat-nation. Notre ami italien écrit que les libéraux sont favorables à la multiplication des Etats qui permet une concurrence fiscale, que le local et le global font bon ménage, et que les indépendantistes catalans revendiquent une « liberté originaire ».

Jean-Philippe Feldman est professeur agrégé des facultés de droit, maître de conférences à SciencesPo et avocat à la Cour de Paris. Il a notamment publié La bataille américaine du fédéralisme (PUF, 2004) et De la Ve République à la Constitution de la liberté (Institut Charles Coquelin, 2008).

Nous nous bornerons à quelques observations de juriste et de constitutionnaliste sur les aspects de majorité et de souveraineté. L’unification politique condamne-t-elle les peuples à un « avenir de misère et de servitude » ? Il peut être soutenu que le paradigme des Etats-Unis démontre le contraire, mais il peut être allégué en contrepoint que ce fut au prix d’une sanglante guerre civile, justement appelée en français guerre de Sécession.

Dans le cas d’une tentative d’indépendance au sein d’un Etat, qui décide de la sécession ? S’agit-il d’un peuple, tel le « peuple catalan » ? Certes, non : il ne s’agit même pas forcément de la majorité d’une « population », mais de celle des votants lors d’une consultation. Carlo Lottieri se réfère en fin d’article à la question de la sécession en cascade : si la Catalogne fait sécession, pourquoi n’y aurait-il pas ensuite sécession d’une partie de la région sécessionniste, aire ou ville ? Bertrand Lemennicier abordera plus explicitement ce point : en dernier ressort, comme le pensait après d’autres auteurs Murray Rothbard, seul compte le droit de sécession individuel. Telle est la logique du processus : si la souveraineté ne part plus d’un Etat honni mais de l’individu, seul celui-ci détient le droit de sécession. Lorsque l’on soutient l’idée d’un small is beautiful, encore faut-il préciser ce qu’est précisément cette unité de base. En effet, les mouvements sécessionnistes excipent très souvent de la souveraineté de la région considérée, sans forcément beaucoup d’égards pour les individus. Pour le dire autrement, les sécessionnistes sont antilibéraux lorsqu’ils versent dans le holisme. Ce n’est donc pas un hasard si beaucoup de mouvements sécessionnistes, notamment francophones, se rattachent au socialisme ou à la social-démocratie. L’individu y aura-t-il vraiment gagné alors à bénéficier d’un pouvoir plus proche ?

Favorable à un gouvernement fédéral, Madison, dans la célèbre lettre n° X du Fédéraliste en 1787, a montré tous les dangers de l’oppression au sein de chacune des colonies américaines et la nécessité de contrebalancer la puissance des factions locales par leur concurrence au niveau national. Ce que certains sécessionnistes oublient – à commencer par les populistes–, c’est que tout pouvoir est ambivalent. Il oppresse, mais il libère. Il oppresse par les impôts et la règlementation, mais il peut aussi libérer par la concurrence fiscale et règlementaire. Prenons l’exemple de l’Union européenne – qui certes n’est pas un Etat, bien que les juristes s’écharpent toujours sur le sujet. Tant qu’elle ne bénéficiera pas d’impôts qu’elle puisse directement prélever sur les citoyens et les individus, son oppression fiscale demeurera limitée. Mais depuis sa création, son pouvoir de règlementation est un véritable Janus Bifrons : l’Union européenne accroit les libertés lorsqu’elle fait régner la libre reconnaissance des normes ; elle les accroît ou elle les réduit suivant les cas lorsqu’elle entend aboutir à l’harmonisation – forcée – des règles. Ainsi, sur la question du courrier ou des transports, on voit bien qu’elle est autrement « libérale » que les vieux Etats-nations, comme la France, qui freinent des quatre fers. En l’occurrence, c’est le global qui libéralise et le local qui oppresse…

On peut dès lors comprendre la position des libéraux qui entendent éviter le yo-yo ou la loterie des règles centralisatrices et contraignantes pour leur substituer une libéralisation qui fasse régner spontanément l’harmonie par la concurrence.

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