Les chrétiens d’Orient[1] font face aujourd’hui à des situations diverses qui sont qualifiées, pour nombre d’entre elles, de critiques et qui menacent l’avenir de ces communautés deux fois millénaires, autochtones et présentes sur place depuis l’aube du christianisme. Dans les pays du Proche-Orient, il existe beaucoup de conditions qui les poussent au départ. Pour n’en mentionner que quelques-unes, évoquons crises économiques et guerres interminables, totalitarismes et chaos, discrimination et corruption d’État. Depuis deux décennies, les interventions américaines, la politique iranienne expansionniste et ses tensions avec Israël, les situations syriennes et irakienne, ainsi que lesdits « printemps arabes » qui ont projeté les islamistes sur le devant de la scène n’ont fait qu’aggraver la situation. Cependant, il existe une constante, celle d’un rapport problématique avec un islam qui n’eut de cesse de prendre des formes différentes, variant de la rencontre positive aux pires des violences et persécutions, dont les avatars de l’islamisme au XXIe siècle ne sont pas des moindres. Au cœur de cette relation avec l’islam en tant que doctrine religieuse plurielle, vision politique traversée par de fortes tendances prémodernes et fait démographique majoritaire, il existe une question qui obsède les chrétiens d’Orient jusqu’à l’ivresse, celle de leur liberté, communautaire et individuelle. Leur expérience historique et actuelle sur ce plan fournit des informations essentielles sur les rapports d’une importante tendance de l’islam à la liberté, du moins dans le contexte proche-oriental. Avoir une idée pertinente de ce sujet passe par une lecture historique qui met une emphase sur la notion de citoyenneté, comprise comme libératrice des discriminations religieuses et de la logique des cités sacrales.

  1. A travers l’histoire

Les relations des chrétiens d’Orient avec l’islam furent historiquement fort complexes à bien des égards, car elles varièrent selon les contextes et les siècles. À l’origine, lorsque les Arabes arrivèrent en conquérants en Syrie et en Égypte, ils furent perçus comme libérateurs du joug byzantin par les syriaques et les coptes, dits monophysites et taxés d’hérésie. Un âge d’or, sous les Omeyyades et les Abbassides, témoigna d’une rencontre culturelle qui fut l’un des fondements de la grandeur civilisationnelle des deux premiers califats. Cependant, ce « libérateur », relativement clément en un premier temps, changea progressivement d’attitude et adopta des postures dont les chrétiens souffrirent durant des siècles et qu’ils vécurent de manières diverses. Effectivement, les différentes communautés chrétiennes vivant dans un espace que l’on appelle par commodité, « terre d’islam », eurent des rapports variés avec les pouvoirs musulmans successifs. Si certaines communautés ne ratèrent pas une occasion pour protester, résister ou revendiquer une autonomie, tels les maronites ou les assyriens, d’autres communautés, tels les grecs orthodoxes d’Antioche ou les coptes, s’accommodèrent en général d’un certain modus vivendi, malgré des persécutions et des discriminations qui ne se furent jamais rares.

Cependant, quelles que fussent les conditions de vie des communautés chrétiennes, persécutées, tolérées ou ponctuellement stables, une constante demeura, celle de leur condition discriminée de dhimmis. Ce terme qui veut dire « protégé » est lié au droit musulman classique et désigne les monothéistes non-musulmans ayant le droit de vivre dans la cité musulmane, en l’occurrence, les juifs et les chrétiens. Devant s’acquitter de l’impôt de capitation, la jizya, ils possédaient un statut particulier qui les reléguaient à une citoyenneté secondaire par rapport aux musulmans, citoyens pléniers. L’application de ce statut varia selon les espaces et les époques. Souvent de rigueur en temps de crise, il était parfois presque oublié en période stable. Cependant, à l’exception de l’aube de l’islam, où les chrétiens de Syrie et d’Égypte trouvèrent ces règles plus clémentes que celles des Byzantins, les chrétiens d’Orient en souffrirent et les vécurent souvent comme une humiliation à cause de mesures vexatoires qui étaient aussi une enfreinte à leur ascension sociale, certains postes élevés dans la société et la politique leur étant en principe fermés. La volonté de s’affranchir de cette situation handicapante, explique en partie les conversions à l’islam, et le basculement démographique de l’Orient vers une majorité musulmane, quelques siècles après l’émergence de la religion de Mahomet.

Le régime de la dhimma fut aboli par l’Empire ottoman en 1856, dans le cadre des Tanzimats,une ère de réforme qui dura de 1839 à 1876, et grâce à l’intervention de la France et de la Grande-Bretagne qui appuyèrent les Ottomans contre les Russes dans la guerre de Crimée. Néanmoins, malgré la disparition de ce statut qui faisait de tous les habitants de l’Empire ottoman des citoyens égaux, sa logique demeura dans les esprits, chez les musulmans et chez les chrétiens. Les réactions des premiers furent diverses, d’aucunes se soldant par des violences et des massacres. Quant aux derniers, ils gardent jusqu’à aujourd’hui un instinct de rejet, teinté parfois d’imaginaire ou d’idéologie, de toute forme rappelant ce statut qui façonna leur présence au cours de douze siècles. Durant le XXe siècle et aujourd’hui encore, la conscience collective des communautés chrétiennes en Orient se le rappelle surtout en périodes d’adversité — et elles sont nombreuses —, croyant déceler sa réactualisation. Ce qui n’est pas absolument sans rapports avec la réalité, car ce statut a été réactivé par plusieurs groupes islamistes (tels Daech ou les Frères musulmans) sur les lieux qu’ils contrôlaient en Irak, en Syrie ou en Égypte. Cette réactivation éphémère mais réelle, majorée par des discours islamistes agressifs et influents qui lui sont favorables, nourrit derechef les craintes des chrétiens d’Orient. Ceux-ci n’entendent en aucun cas revivre sous un régime politico-religieux qui ferait d’eux des citoyens de seconde zone, compromettant leurs libertés et rendant leur existence fragile sur leurs terres ancestrales.

  • La Nahda arabe : une quête de libération

La Nahda est un mouvement de renaissance du monde arabe qui s’étendit de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la moitié du XXe. Ellefut plurielle et concerna plusieurs domaines, dont la réforme de la langue et la volonté de rattraper le retard qu’avait le monde arabe par rapport à l’Europe. La Renaissance arabe s’effectua dans le cadre d’un contexte culturel et politique bien précis, celui des Tanzimat et de la pénétration économique et politique de l’Occident dans le monde arabe. Les chrétiens furent des acteurs clef et des fondateurs de ce mouvement qui n’eût pas existé sans eux.

Qui dit influence politique de l’Europe dit circulation des idées de la modernité, et à leur tête, la démocratie, la liberté de l’individu et son émancipation, ainsi que l’autonomie de la raison humaine par rapport à toute donnée métaphysique. Ces principes aux interprétations multiples[2], qui visaient principalement l’affranchissement de la domination ottomane, s’opposaient à la logique qui prévalait et qui déterminait globalement la présence des communautés chrétiennes, assujetties d’une manière ou d’une autre à la majorité démographique musulmane. D’ailleurs, cette modernité en Orient rejoignait des aspirations nationalistes qui touchaient plus d’un peuple à l’époque, et qui influençaient certaines communautés chrétiennes en Orient, principalement les libanaises, en quête d’autonomie et de liberté. Cette quête signifiait pour eux un affranchissement d’une logique islamique classique discriminatoire, de facture légale ou populaire.

Au Mont-Liban, terre de refuge des minorités religieuses persécutées et Jérusalem des maronites, les fruits directs de la Nahda mûrissaient. Ils furent surtout éducation — se développant à travers le réseau d’écoles —, littérature et réforme linguistique — offrant à la langue arabe moderne ses lettres de noblesse —, presse et imprimeries — servant de vecteur à la transmission des idées. Tout cela résulta en une tendance prononcée pour la création d’un espace politique où les chrétiens pouvaient vivre à l’écart de la majorité démographique musulmane et des principes politico-religieux classiques qui la traversaient, des diktats politiques de la Porte, des massacres et persécutions. La création du Grand Liban en 1920 était la concrétisation de ce projet de liberté. Les chrétiens eurent désormais un foyer où ils étaient très légèrement majoritaires, et où ils purent créer un État qu’ils pouvaient gouverner à parité avec leurs partenaires musulmans et druzes, dans le cadre d’une citoyenneté très particulière et problématique pour certains, se fondant sur un régime dit confessionnel[3].

Si la Nahda eut ces effets au Liban, son influence politique s’étendit vers d’autres contrées dans le monde arabe, notamment en Syrie et en Égypte. Les chrétiens, qui s’émancipaient de leur condition ancienne d’assujettis, adoptaient les idées de la modernité. La citoyenneté qu’ils obtinrent grâce aux Tanzimat ainsi que l’éducation offerte grâce aux différentes missions occidentales, leur permirent d’être de plus en plus impliqués dans la vie culturelle, économique et politique. Ainsi participèrent-ils aux mouvements d’indépendance de leurs pays, avec leurs concitoyens musulmans, en Égypte, en Syrie et au Liban, dans la perspective de contribuer à la construction de pays citoyens.

  • Déconvenues

Malgré des évolutions prometteuses de la première moitié du XXe siècle, la citoyenneté prônée par les chrétiens d’Orient et ses implications dans leurs différents pays se heurta à des réalités politiques fort complexes. Sur un plan régional, plusieurs facteurs majeurs eurent comme conséquence le recul de l’idée de la citoyenneté et l’éloignement de liberté et d’émancipation que souhaitaient obtenir les chrétiens d’Orient. Sans s’étendre sur les conditions internationales (guerre froide, fin de l’URSS, guerres du Golf, etc.) limitons-nous aux problématiques régionales les plus saillantes.

La création de l’État d’Israël et l’éclatement du conflit israélo-arabe furent à la source d’un tournant déterminant au Proche-Orient, entraînant des tensions géopolitiques qui affectèrent presque tous les pays, et qui compromirent indubitablement la quête de la citoyenneté souhaitée par les chrétiens d’Orient. La réaction idéologique arabe par excellence à la création de l’État hébreu, dans les années 1950 et 1960, fut le nassérisme, dit aussi nationalisme arabe ou arabisme. De facture globalement laïque, il indisposa un grand nombre de chrétiens pour plusieurs raisons dont sa dimension musulmane, son caractère anti-occidental et le peu de considération qu’il voua aux chrétiens d’Orient et à la particularité de leurs identités et de leur histoire. Au nom de son insistance sur l’identité arabe, il gomma les différences, et mit de côté les particularités culturelles de ceux qui revendiquent un passé lié aux mondes syriaque, copte, arménien, assyrien ou grec. Si certains chrétiens en furent de fervents adeptes, la majorité le regardèrent avec grande méfiance, voire avec rejet. Ce qui est certain, c’est qu’il fut responsable, en Égypte, d’un recul considérable de la participation des chrétiens à la vie politique et sociale du pays, les reléguant à une situation de sous-citoyenneté dont ils ne sont toujours pas sortis.

Le nassérisme ne fut pas la seule arme idéologique face à l’État d’Israël. Parallèlement à la fin de Nasser, une autre idéologie nationaliste, celle du parti Baath, créée au début du XXe siècle, prit le relais et se constitua en carburant idéologique pour la Syrie d’Assad et l’Irak de Saddam Hussein. Le baathisme, laïque lui aussi, déboucha sur des régimes durs, qui prônaient une certaine citoyenneté, mais vidée des idéaux d’humanisme, de liberté et de diversité. Par ailleurs, l’histoire proche fut très éloquente pour dire le caractère éphémère de la dimension laïque des partis Baath. Lorsque le régime de Saddam Hussein se trouva en difficulté, il tourna du jour au lendemain le dos aux principes laïques qu’il chantait, et appela tous les musulmans au jihad contre les Américains. Cela ne pouvait qu’indisposer les chrétiens d’Irak, déjà affaiblis par la guerre absurde qui était menée entre leur pays et l’Iran. En Syrie, malgré un semblant de stabilité pour les chrétiens, traversée par une importante tendance favorable au pouvoir des Assad, la citoyenneté présumée s’est révélée d’une grande fragilité, en raison des connivences du régime avec différentes formes d’islamisme, et à cause de la confessionnalisation à outrance de la Syrie durant la guerre, créant des déchirures et des haines entre les différentes communautés religieuses et ethniques du pays. En tout état de cause, quelle que soit la forme de la réaction idéologique à Israël et son évolution dans les pays précités, elle se solda par des régimes qui, malgré une façade trompeuse de laïcité, furent très éloignés de l’idéal citoyen que les communautés chrétiennes prônaient, et recelaient un rapport pervers avec l’islam politique qui ne pouvait que mal tourner.

Dans le cadre de ces guerres politico-idéologiques, le Liban confessionnel qui répond à une logique de gouvernance différente, subit de même les conséquences du conflit israélo-arabe qui s’invita sur son sol utilisé par les réfugiés palestiniens comme base arrière dans leur guerre contre Israël. Cela fut l’étincelle qui embrasa le Liban en 1975, l’entraînant dans une guerre qui dura jusqu’en 1990. Les chrétiens en sortirent perdants, pas forcément en état de sous-citoyenneté, mais dans une situation d’important affaiblissement politique. Si l’occupation syrienne en fut directement responsable, elle s’est pérennisée par des politiques musulmanes — aux notes islamistes prononcées parfois et aux allégeances régionales, surtout saoudiennes ou iraniennes — qui possèdent désormais une place prépondérante dans un pays où les chrétiens ne représentent   qu’un peu plus du tiers de la population. 

Revenons un peu en arrière : en 1973, à la suite de la guerre du Kippour, l’humeur arabe globale prit acte de l’échec du nationalisme dans sa guerre contre le « sionisme » et opta progressivement pour une résistance fondée sur l’islam politique. Trouvant des éléments de structure dans la pensée des Frères musulmans fondés en 1928 par Hassan al-Banna, notamment à travers l’œuvre de leur idéologue Sayyid Qutb, cette transformation fut accélérée par la révolution islamique en Iran (1979) et la réussite du jihad contre l’URSS en Afghanistan à la fin des années 1980. La disparition du bloc de l’Est et l’instrumentalisation de l’islam politique dans le cadre des guerres du Golf ont opéré une transformation profonde qui se concrétisa par une résistance à Israël, du moins de façade, au nom de différents islams politiques. Cela permit à des régimes durs et à des acteurs politiques d’asseoir leur emprise et leur pouvoir.

Enfin, pour compléter ce paysage, il incombe d’évoquer la situation actuelle, marquée pour les chrétiens d’Orient par les conséquences de l’intervention américaine en Irak, la guerre qui a lieu en Syrie et l’influence iranienne. Ces trois éléments, en plus de l’héritage historique traité supra, compliquent davantage la présence des chrétiens et compromettent leur avenir. Si Daech ou Al-Qaïda, furent des facteurs nuisibles à la présence chrétienne en Irak, ce fut principalement l’intervention américaine en 2003 qui leur porta un coup très dur. D’une démographie avoisinant 1,5 million avant cette date, ils sont passés à moins de 200 000 en 2021. Les violences générées par l’occupation les poussèrent à l’exil et les rendirent étrangers dans un pays en proie à des guerres communautaires et aux ingérences régionales et internationales. En Syrie, la destruction du pays à partir de 2011 provoqua le départ de la moitié des chrétiens, ce qui affaiblit leur présence d’une manière importante. Entre le régime dur des Assad — pour lequel une bonne frange opte par défaut et par manque d’alternative — et l’influence de la pensée islamiste djihadiste sur nombre de partis et de groupe combattant, ces chrétiens traversent une période particulièrement sensible. Quant à l’Iran qui mène un « axe de résistance » contre Israël (et le « projet occidental »), elle est forte d’une influence qui s’étend sur l’Irak, le Yémen, Gaza, la Syrie et le Liban. Son vassal libanais, le Hezbollah, est co-responsable de l’état d’effondrement dans lequel se trouve le pays du Cèdre. Son projet politique, de toute évidence islamique, est dans nombre de ses dimensions incompatible avec les principes de liberté, de neutralité et de citoyenneté contenus dans l’idée même du Liban, et supposés constituer des garanties pour les chrétiens.

Ces transformations de taille aggravent la situation des populations d’une manière générale et des chrétiens d’une manière particulière, d’autant plus qu’elles se déploient dans un contexte où l’idée de l’État de droit est absente, et encore plus celle de la citoyenneté, de la liberté de l’individu et de la laïcité.

  • Combat pour la citoyenneté et problème religieux

Aujourd’hui, la question de la citoyenneté constitue le combat politique majeur des communautés chrétiennes au Proche-Orient. Des responsables ecclésiastiques, des penseurs et nombre de politiques n’ont de cesse de le rappeler. Que ce soit en Égypte ou en Irak, les déclarations ne manquent pas pour dire à quel point elle constitue une planche de salut social et politique pour des communautés en proie à moult discriminations et violences car considérées comme inférieures et indésirables par des organisations islamistes ou par une humeur publique gagnée à leurs idées. Quant aux chrétiens de Syrie, ils sont nombreux à voir dans la citoyenneté un antidote contre la logique confessionnelle haineuse qui participe à la destruction de la Syrie. En Israël, Palestine et Jordanie, ce même idéal est une aspiration largement partagée.

C’est au Liban que les réflexions des chrétiens autour de la citoyenneté sont les plus développées. Depuis plusieurs décennies, les penseurs ont professé des idées qui rejettent pour certaines la nature même du régime confessionnel, souhaitant fonder un pays laïque qui mettrait le Liban à l’écart des torts qui lui furent causés par le « confessionnalisme »[4].

Le combat pour la citoyenneté est une quête pour la liberté qui concrétise la volonté historique des chrétiens d’Orient de s’affranchir de toute tutelle les reléguant à un statut d’infériorité politique et sociale. Cependant, les événements initiés par lesdits « printemps arabes » en 2011, témoignèrent d’un retour en force de formes extrêmes de l’islam politique qui indisposent les chrétiens au plus haut point. À cet égard, il faut évoquer le salafisme et ses nombreuses nuances, la pensée frériste, et un certain chiisme radicalisé. 

Tout cela révèle un problème sérieux à l’égard de l’altérité et de la liberté. Il a été manifeste durant cette dernière décennie que différentes formes de l’islam politique, qu’elles soient guerrières ou cachées derrière des cravates (Frère musulmans), rejettent toute idée de citoyenneté selon les principes déjà évoqués, et cherchent à assujettir, à affaiblir, à soumettre et parfois même à éliminer les chrétiens d’Orient[5]. Soulignons que cela ne leur est pas propre, car ces formes extrêmes de l’islam adoptent de telles attitudes vis-à-vis de tout ce qui leur est différent, même parmi les musulmans. Dans ce sillage, les libertés personnelles, politiques ou intellectuelles sont indubitablement compromises.

Si l’on admet facilement le caractère liberticide de ces extrêmes évoqués, on évite d’étendre ce jugement sur les formes plus communes de l’islam. Il n’y a pas de doute que sa diversité empêche tout jugement hâtif et trop souvent sommaire et général, d’autant qu’il y existe des courants progressistes et libéraux qui en font un phénomène très pluriel. De plus, nombreux sont les musulmans qui rejoignent les chrétiens d’Orient dans leur soif de liberté et de citoyenneté et qui se constituent comme partenaires de vie et de destin par excellence. Néanmoins, le cas des chrétiens d’Orient révèle le poids d’une orientation importante dans l’islam qui émet beaucoup de réserves sur des principes liés à la notion moderne de la liberté, voire des condamnations et des rejets. Cette tendance se caractérise surtout par des lectures archaïques ou prémodernes du politique et du fonctionnement de la société, mais aussi par des interprétations du texte et de l’histoire sacrés qui font litière de toute herméneutique critique. Par conséquent, il est difficile de concevoir un changement d’attitude sérieux vis-à-vis de la liberté et de la citoyenneté sans changement de paradigme. Les chrétiens d’Orient en témoignent tous les jours et le savent très bien.


[1]    L’expression chrétiens d’Orient est polysémique. La grande littérature afférente est loin d’être unanime pour en définir l’étendue géographique. Cependant, l’on considère qu’il s’agit généralement des chrétiens de l’espace ottoman, ou de manière plus restreinte, des chrétiens du Proche-Orient arabe. C’est selon cette acception que cet article en parle.

[2]    Si nombre de chrétiens étaient en quête d’autonomie ou d’indépendance, il existait un courant très fort, appuyé lui aussi par des chrétiens, mais surtout par des musulmans, qui prônait la création d’un large empire arabe, libéré des Ottomans et organisé, entre autres, selon des principes politiques modernes véhiculés par l’Europe. 

[3]    Le régime confessionnel libanais donne à chaque communauté religieuse un quota de représentation dans le pouvoir, selon son poids démographique et dans le cadre d’une parité islamo-chrétienne.

[4]    Le confessionnalisme est la dégénérescence du régime confessionnel. Il consiste en ce que les communautés religieuses, dites « confessions », se constituent en lieux d’appartenance politique et identitaire qui prime sur l’appartenance au Liban. Les contempteurs du confessionnalisme le considèrent comme responsable des maux du Pays du Cèdre, notamment de la corruption de l’appareil de l’État qui ne recrute pas sur critère de compétence, mais de paramètre confessionnel.

[5]    Les actes de violence à leur égard en Irak (plaine de Ninive, Qaraqosh, Mossul) et dans plusieurs localités de Syrie ont causé de nombreux départ, transformant dans certains endroits la configuration démographique au sein de laquelle l’élément chrétien se trouve sérieusement compromis. Ces actes sont doublés, en général, par des discours religieux haineux appelant à se débarrasser des « kouffar » — les mécréants, les infidèles — ou à les soumettre.

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Antoine Fleyfel

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