Nous faisons partie d’une confédération dont l’économie institutionnelle vise à créer un marché unique, tout en garantissant les droits individuels classiques à l’encontre de la discrimination nationale. En cette communauté d’états souverains, il est essentiel de veiller à ce que le principe de subsidiarité soit respecté. En effet, comme nous le voyons depuis le Traité de Maastricht et même avant, les pouvoirs bruxellois ne le respectent pas plus qu’ils ne respectent le principe d’attribution (Art 5-I du TFUE).
Le principe de subsidiarité, institué dans l’article 5-III du TUE, exige qu’en matière de compétence non-exclusive, l’union n’agisse que dans la mesure où les buts du Traité sont plus facilement atteints par un transfert de compétences nationales à Bruxelles.
Nous connaissons le résultat de cette « retenue » prescrite au pouvoir central, incarné par la Commission et ses hauts dignitaires : La Commission ne cesse de réclamer plus de compétences pour elle et pour ses services afin de réaliser ses divers projets dont le seul dénominateur est sa dynamique centralisatrice.
Le grand projet de « l’Union bancaire » donne un exemple très parlant. En plus de la tutelle des banques confiée dans des conditions juridiquement très controversées à la Banque Centrale Européenne, la Commission réclame la compétence de liquider les banques. S’y ajoute la nécessité de créer, bien entendu sous la tutelle de la Commission, un fonds pour assister cette activité. Heureusement, le dossier est pour l’instant bloqué parce que son contributeur principal, l’Allemagne, ne veut pas payer. Un recours a été intenté contre l’ensemble des actes constituant « L’Union Bancaire » devant le Tribunal constitutionnel allemand. Économiquement, ce sont surtout les caisses d’épargne et le secteur mutualiste qui en Allemagne refusent de cotiser pour la deuxième fois. En effet, leurs systèmes internes de sauvetage ont jusqu’à présent pu éviter toute faillite bancaire.
L’exemple des exigences de la Commission en matière bancaire est parlant. Elle réclame pour elle et pour ses services une compétence non prévue par le Traité en se référant à l’article 114 du TFUE, alors que cette disposition ne concerne que l’harmonisation des législations nationales en vue d’accomplir le marché unique. C’est ainsi que l’invocation permanente par la Commission de l’accomplissement du « marché unique » est devenue le prétexte d’une poursuite effrénée de la politique de centralisation.
Le principe de subsidiarité va de pair avec un autre principe fondateur de l’Europe Communautaire : celui de l’attribution. Ce dernier règle les compétences communautaires par ailleurs dérivées des droits souverains des états membres. La subsidiarité limite leur exercice en théorie.
Cette limitation est toutefois insuffisante. En effet même dans les domaines de compétence partagée, l’UE fait progresser ses prérogatives centrales, sans contre-pouvoir. Le « Parlement » Européen lui sert dans ce contexte d’antichambre !
Le recours des Parlements nationaux, institué par le Traité de Lisbonne afin que les pouvoirs des nations puissent contrer la centralisation, s’est révélé une illusion totale. Aucun recours n’a été fait jusqu’à présent par aucun des parlements. C’était bien là d’ailleurs le pari des occupants du Berlaymont ; occupants qui se prennent volontiers pour les maîtres de l’Europe.
Afin de donner donc tout le poids institutionnel au principe de subsidiarité, il faut lui donner « son avocat ».
Tel serait le rôle d’un Sénat dans l’Europe de demain. Il va de soi que cet organe ne devrait pas avoir son siège à Bruxelles ou à Strasbourg. Ce Sénat, strictement limité dans ses pouvoirs et élu au suffrage universel direct, serait le gardien de la subsidiarité. Lui seul représenterait la primauté des nations souveraines, soutenues par ses peuples, pour faire barrage aux commissaires-usurpateurs qui « au nom de l’Europe » se sont arrogés un pouvoir d’autant moins légitime qu’ils n’en rendent plus compte à personne.
Mais le succès de ce Sénat n’est pas garanti. Si, dans les faits, cet avocat institutionnel de la subsidiarité ne s’avère pas être l’artisan des citoyens, ces deniers devraient avoir un droit de recours direct devant la Cour de Justice européenne – ce qui présuppose une modification de l’article 263 du TFUE. Ils pourront alors se mobiliser pour défendre, eux-mêmes, la subsidiarité.
Cependant cette constitution d‘un avocat institutionnel, authentique et défenseur combatif des droits nationaux d’autodétermination ne réglera pas tous les problèmes.
En effet, la compétence monétaire de l’UE dans la Zone Euro est exclusive, ce qui met la subsidiarité hors-jeu pour contenir le pouvoir central. Mais ne faut-il pas remettre en cause cette compétence exclusive ? Y-a-t-il véritablement un champ de compétence où la subsidiarité serait plus légitime que celui de la politique monétaire ?
Du temps où l’Europe avait des monnaies concurrentes, elle n’a cessé de progresser, soit en raison, soit en dépit de la concurrence monétaire. Le marché unique semblait être achevé. A l’inverse, depuis la création de la monnaie unique, l’Europe se déchire politiquement et se désintègre économiquement.
A la lumière de presque dix années de crise monétaire, force est de constater : l’Europe n’a plus besoin de l’euro. Au contraire, béni sera le moment où le projet de l’euro sera politiquement mort.
Dans cette perspective la question décisive est alors de savoir comment organiser la mort douce d’un projet dont les parents ne cessent d’implorer la bonne santé fondamentale ?
La solution consiste sans doute à recourir au principe fondateur de l’Europe : la concurrence[1]. Si la bonne monnaie chasse la mauvaise monnaie, en taux de change variables, même les plus fervents avocats de l’euro ne devraient pas avoir peur de laisser les pays qui le souhaitent – et ce au nom de la subsidiarité de l’Euro – créer à côté de l’euro une monnaie concurrente. C’est ainsi que les pays excédentaires pourraient s’organiser pour disposer, à côté de l’Euro, sinon de leur ancienne monnaie nationale, mais au moins d’une monnaie partagée avec les pays ayant les mêmes convictions en matière de politique monétaire. Tels sont avant tout les pays de l’ancienne zone D-Mark : Les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande, la Belgique (y compris le Luxembourg) et l’Allemagne.
Le principe de subsidiarité a trop longtemps été bafoué. Il est urgent de le consolider et d’en élargir le champ d’application pour y inclure les questions monétaires qui en ont trop longtemps été soustraites.
[1] Le processus d’introduction de monnaies parallèles est expliqué en détail dans notre ouvrage : Markus C. Kerber, More Monetary Competiton : A reformist concept for a new European monetary union, Lucius/Metropolis 2012.