de Pierre-Yves Gomez
Collection « Que sais-je ? », P.U.F., 2022 (127 p.)
Il fut un temps où l’objet des opuscules de la collection « Que sais-je ? » était de faire « le point des connaissances actuelles » de manière objective au moins formellement. C’était d’ailleurs le fait d’être « dénué de tout préjugé » qui animait prétendument François Perroux lorsqu’il fit paraître l’ouvrage éponyme dans la même collection en 1948. L’annonce d’impartialité allait rapidement voler en éclats tant l’éloge de la « troisième voie » entre le marxisme et le « libéralisme pur » imprégnait ce livre finalement raté.
Docteur en gestion et professeur à l’EM Lyon Business School, Pierre-Yves Gomez ne s’embarrasse pas de pareilles circonvolutions puisque la couleur antilibérale est annoncée dès les premières pages de ce qui constitue la quatrième mouture du Capitalisme, à la suite donc de François Perroux, puis Alain Cotta et Claude Jessua.
Après une reprise synthétique des conceptions contradictoires du « capitalisme » (pp. 6-10), l’auteur livre plus une méthode qu’une définition : « saisir le capitalisme à partir de sa manifestation dans la conscience des observateurs » (p. 71). Plus précisément, il analyse d’abord le capitalisme comme un système, puis comme une croyance collective autour de ce système. En quoi donc le « capitalisme » forme un système et « opère sur nos mœurs » comme une civilisation (p. 13).
C’est avec un plaisir non feint que Pierre-Yves Gomez résume les critiques diverses portées à l’encontre du « capitalisme » (pp. 109-113). Une dernière division s’intitule avec à propos « après le capitalisme » (pp. 116 s.), qui présage de la continuation de son évolution « jusqu’à sa dégénérescence » (p. 118). Une dégénérescence au demeurant largement anticipée par les propos de l’auteur…
Se retrouvent évidemment mobilisés tous les auteurs antilibéraux, Marx au premier chef, toujours cité de manière favorable, Luc Bolstanski, Cornelius Castoriadis et autres Nicolas Georgescu-Roegen. S’y retrouvent également les mots ou les concepts les plus éculés dans l’antilibéralisme ou d’une conception biaisée de ce dernier : l’homo oeconomicus (pp. 92 et 108), l’inévitable « ultralibéralisme », non défini (p. 101), le marché « pur et parfait » (p. 108), etc.
Passons sur l’allégation troublante chronologiquement selon laquelle « la théorie de Charles Darwin est contemporaine de celle des économistes anglais comme Thomas Malthus, les spécialistes discutant de savoir laquelle a influencé l’autre » (p. 96), et relevons plutôt le jargon de l’ouvrage, jusque-là pourtant à la lecture aisée, dans les dernières pages :
« l’économie-telle-qu’elle-se-pense ne décrit pas seulement la vie matérielle “ idéale ”, elle la prescrit. En ce sens, elle offre une auto-transcendance à celle-ci : la norme fondamentale (la recherche du profit individuel) n’est pas extérieure mais intérieure à la structure qu’elle éclaire et qu’elle légitime en même temps. Ce qui peut se dire ainsi : la structure capitaliste inspire les conduites de la vie matérielle parce que le religio proclamé par l’économie-telle-qu’elle-se-pense la décrit comme un ordre supérieur rationnel et désirable » (p. 107) …
Il va de soi que la conception libérale du « capitalisme » n’est pas même évoquée et que l’ensemble baigne dans un flou artistique. Il faut insister sur le nuage conceptuel des ouvrages antilibéraux français actuels. Une description évanescente qui n’apparaît pas mieux que dans ce passage : « force est de constater que, dans sa manifestation politique et sociale, le capitalisme américain animé par l’ultralibéralisme des années 2000 n’est pas celui de Roosevelt ou de Kennedy, ou que le capitalisme dominé par l’État autoritaire chinois des années 2020 semble très différent de celui de la Suède libérale » (p. 101). Comprenne qui pourra.
L’opuscule, critique envers les « économistes », n’en partage pas moins à nombre d’égards une conception utilitariste de l’économie. Concevoir le « capitalisme », terme qui n’est historiquement et conceptuellement pas utilisé de manière privilégiée par les libéraux, comme l’aspect économique du libéralisme, lui-même entendu comme une philosophie de la défense de l’individu, apparaît dès lors inconcevable. Si l’auteur parle vaguement des libertés dans le monde « capitaliste » : d’association (p. 72), de contracter (p. 71), d’entreprendre (pp. 71 et 114), de penser (p. 114), d’expression (p. 72), des échanges (p. 78) et du travail (p. 69), il ne conçoit jamais que la liberté dans l’ordre économique ne soit que la conséquence des droits attachés à l’individu.
Prétendre dès lors que le « capitalisme » soit « mortel, comme toute civilisation » est certes une hypothèse comme une autre, tant les forces destructrices sont ancrées dans l’homme. Cela n’autorise cependant pas l’auteur à en faire un vœu entre les lignes, et même plus qu’entre les lignes… En attendant, au terme de ce qui n’est pas une mise au point mais un essai (très) engagé, le lecteur n’aura guère été instruit des tenants et aboutissants du « capitalisme » honni….