de Hubert Etienne

Éditions les belles lettres, Coll. Penseurs de la liberté, 2022 (280 p.)

Spécialiste de philosophie politique et morale, Hubert Etienne cherche dans la fiscalité et son évolution les trames des crises sociales contemporaines. Il sous-titre son livre « Comprendre la crise du politique par la modernité fiscale ». Insistant sur l’importance du consentement à l’impôt pour assurer la cohésion sociale, il n’en rappelle pas moins que l’impôt est en principe prélevé par force comme l’indiquerait son étymologie, du latin imponere, contraindre par la force.

Après avoir évoqué les différentes théories de l’impôt, l’auteur regrette que trop de termes dont dépend la justice de l’impôt soient mal définis par la loi et laissés à l’interprétation du juge qui sait en abuser. Il en va ainsi, écrit-il, pour la propriété comme pour la notion d’utilité publique qui sert trop souvent à l’écorner. Ce qui conduit « à redéfinir le droit de propriété comme un calcul de coût d’opportunité pour l’État » (p.59). Il s’inquiète encore des difficultés à fuir les juridictions fiscales trop contraignantes, de la dématérialisation des procédures fiscales et des nouveaux moyens technologiques qui conduisent « le fisc à s’approprier certains droits d’usage pouvant s’apparenter à une violation du droit de propriété » (p. 77)  et du système de surveillance généralisée qu’instaure la loi en faisant de nombre de professionnels de la finance, de la comptabilité ou du droit des auxiliaires de l’administration fiscale, obligés de dénoncer les actes suspects de leurs clients au risque de « développer une défiance systématique les uns envers les autres » (p. 73) dans une société de panoptique. Il s’inquiète ainsi, après Ernst Kantorowicz, que le fisc devienne le véritable souverain de la société moderne et que l’administration des choses remplace le gouvernement des hommes.

Cet ouvrage très érudit et documenté observe avec un certain effroi comment, depuis Rousseau, la loi et l’intérêt général servent à remodeler l’homme, mais il récuse tout autant la liturgie moderne qui tend à instaurer une « harmonie par le calcul » dans un pur souci d’utilité. L’auteur redoute la rationalisation totale de l’État qui recèle le risque d’une soumission non moins totale des individus.

Mais il semble empreint d’un certain idéalisme qui convient peu à la matière fiscale. « La question du  » dois-je ?  » devient celle du  » ai-je intérêt à  » », note-t-il avec regret. Il considère, à raison, que la retenue à la source de l’impôt sur le revenu est peut-être plus productive mais aussi destructive de l’esprit civique en déresponsabilisant les contribuables et en réduisant encore un peu plus le consentement à l’impôt. On pourrait d’ailleurs en dire autant de la suppression de la Taxe d’habitation. Pourquoi reprocher pourtant aux administrations publiques de vouloir être plus performantes ? Pourquoi condamner la concurrence fiscale entre pays qui ne brade en rien la souveraineté de chaque pays mais la garantit au contraire et dans l’intérêt du contribuable comme la concurrence commerciale garantit l’intérêt des consommateurs ?

Hubert Etienne, à juste titre, conteste l’utilité de l’impôt sur la fortune qui en voulant taxer les riches pénalise souvent les pauvres, se méfie des impôts comportementaux et, plus généralement, il s’insurge contre le dirigisme qui mène aujourd’hui les politiques fiscales. Par un raisonnement serré, il démonte l’idée et l’intérêt d’un revenu universel qui récuserait la nature même du droit de propriété et pourrait renforcer sans limite les pouvoirs de l’État s’il fallait bientôt assurer aussi la redistribution – impossible bien sûr – des qualités individuelles des individus. Mais en même temps et contradictoirement, il voudrait que la politique dise le bien et le mal plutôt que l’utile et l’inutile (p. 122).

L’auteur en arrive ainsi à conclure que la solution serait dans l’utopie de l’impôt volontaire. Pour braver ses contradicteurs, il s’appuie sur Ayn Rand selon laquelle « Dans une société totalement libre, l’impôt ou, pour être exact, les contributions pour les services gouverne-mentaux seraient volontaires » (La vertu d’égoïsme, 2008, p. 135) et sur les écrits du philosophe allemand contemporain Sloterdijk. Mais deux hirondelles ne font pas le printemps ! Hubert Etienne est peu crédible en fondant son raisonnement en faveur de l’impôt volontaire sur les études de Piketty et Saez qui soutiennent de manière erronée que le taux d’imposition des trois quarts des Français les plus aisés est inférieur à celui des classes populaires taxées. Les chiffres qu’il livre sont remplis d’approximations sur la date de mise en place de l’ISF par exemple, ou lorsqu’il affirme que 1% des Français gagne plus de 50.000€ par mois quand ceux-ci gagnent en fait plus de 8.850€ par mois !

Mais c’est sur le fond que la critique m’apparaît la plus importante. Certes, les difficultés qu’il y aurait à faire payer un impôt volontaire et les inquiétudes légitimes quant au rendement de celui-ci ne sont pas négligées par l’auteur, mais il les surmonte dans un discours quasi religieux pour sortir « du mode d’être de la cupidité » et « réintroduire l’honneur dans la société ». Il confond la morale et le droit. Il méconnaît le sens du don, qui permet à chaque homme de concrétiser un dépassement de lui-même, et les nécessités de la vie collective qui obligent à partager des frais communs. En réalité son élan le pousse à vouloir « que la société change l’homme pour que l’homme change la société ». Il faut toujours se méfier des donneurs de leçons qui veulent le bien des autres. Son jargon témoigne de son inquiétante mystique : « Dans la continuité du stade bourgeois d’autoglorification par l’accumulation de richesses – par chacun recherché comme finalité universelle imposée par le néocapitalisme ultralibéral –, il s’agit d’introduire une phase supérieure concurrente dont le principe est l’autocélébration morale rendue manifeste par un acte public de dépossession ostentatoire » (p. 202).

Dommage, Hubert Etienne a une vision originale enracinée dans une connaissance philosophique approfondie. Mais il s’y perd pour déraper sans mesure.

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Journal des Libertés

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