Le 18 septembre 2016 les Écossais décidaient, par référendum, de rester dans le Royaume Uni, au lieu de redevenir un État souverain. La question posée était simple :
« Souhaitez-vous que l’Écosse devienne un pays indépendant ? Oui/Non »
Le problème soulevé par ce référendum est intéressant à plus d’un titre car il peut être généralisé à n’importe quelle région d’un État, mais aussi à une union. Un tel référendum a été proposé en 2016, à propos de l’Union Européenne (UE) aux Britanniques et la réponse a été de quitter l’Union Européenne, le fameux « Brexit ». Ce qui valait pour les Écossais s’est révélé valoir aussi pour les Britanniques vis-à-vis de l’UE, même si les uns et les autres ont voté différemment. Mais cela vaut aussi pour les Bretons, les Alsaciens, les Basques, les habitants de la Provence Côte d’Azur, les Corses : tous pourraient demander la séparation et l’indépendance de leur région à l’égard du pouvoir central parisien. Ce qui est vrai des régions françaises le serait aussi pour les Allemands, les Espagnols et les Italiens, comme pour le Royaume Uni lui-même, réduit à la terre d’Angleterre. L’Europe éclaterait en une multitude de petits pays indépendants[1] associés ou non dans une confédération. Pourquoi s’arrêter aux régions ou provinces ? Les sécessions territoriales peuvent aussi concerner les villes qui deviennent villes libres et/ou États Cités se regroupant elles aussi en confédération telle la ligue hanséatique et finalement la sécession est aussi individuelle et/ou collective[2] par apatridie, droit d’ignorer l’Etat[3] et/ou par émigration dans des villes flottantes a-territoriales sur mer ou dans l’espace [4].
ONU : de 51 États à 197
La fragmentation des États n’est pas une nouveauté, c’est même la caractéristique fondamentale de la fin du siècle dernier et du début du siècle dans lequel nous vivons. La majorité des États dans le monde ont une petite taille depuis que les grands empires ont implosé soit naturellement, soit à la suite des guerres d’indépendance. Le nombre d’États en 1950, membres de l’ONU, était de 51. En 2012, cette organisation reconnaissait 197 États souverains. La taille moyenne des 9 pays les plus riches au monde, mesuré en PIB par tête et parité de pouvoir d’achat en dollars (PPA), est de 3,8 millions d’habitants[5]. Parmi les 27 États de l’Union Européenne, 16 ont une superficie inférieure à 100 000 km2, 22 ont une population moyenne de 7,2 millions d’habitants.
La Flandre et la Wallonie ont été au bord de la sécession, la Catalogne cherche à en prendre le chemin[6] et l’Écosse a failli reprendre sa souveraineté abandonnée par l’acte d’union de 1707. N’oublions pas le référendum sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie reporté en 2018 (après avoir été prévu pour 2016) qui touche les Français et les Caldoches, ni la dissolution de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) le 26 décembre 1991. L’éclatement de celle-ci en une multitude d’États souverains laisse encore des traces aujourd’hui, avec des annexions et des mouvements séparatistes en Ukraine ou en Tchétchénie. Les guerres de sécession des années 1990 dans les Balkans avec le Kosovo, la Slovénie, la Croatie, le Monténégro sont encore dans les mémoires, la sécession de la Transnistrie en Moldavie, de l’Ossétie du Sud en Géorgie aussi. Le gouvernement Chinois fait face lui-même à de tels mouvements en Mongolie intérieure sans compter la Birmanie, et le Moyen orient avec le Kurdistan turc ou irakien. Que dire de l’Afrique avec le nord du Mali contre le sud, le sud du Maroc, la Mauritanie, la Kabylie en Algérie, le Somalie land, le Soudan du sud, l’Érythrée, sans oublier les territoires non reconnus par au moins un membre de l’ONU. S’il y a un phénomène politique majeur contemporain qui menace les États nations, c’est bien celui de la sécession.
Une taille optimale ? L’approche des économistes
Les économistes, dont on connaît la curiosité légendaire, se sont intéressés à la sécession ainsi qu’à la taille des États, à la structure de leur gouvernance, à leurs unions ou cartellisations et dissolutions ou séparations. Plusieurs auteurs s’y sont essayés dont David Friedman (1977)[7], James Buchanan et Roger Faith(1987)[8] ; Donald Withman (1991)[9], Jean Jacques Rosa (2000)[10], Aberto Alesina et Enrico Spolaore (2003)[11] pour ne mentionner que les plus connus sur ce sujet. Leurs arguments peuvent nous aider à comprendre ce phénomène politique qu’est la fragmentation des États modernes.
Une première idée, celle par exemple de Yoram Barzel (2002)[12], de Withman et de Rosa, consiste à faire l’analogie entre les États, les entreprises et les familles. Ces dernières s’unissent, se marient, se séparent, divorcent et se remarient. Les firmes font faillite, se séparent, se rachètent entre elles ou fusionnent, s’intègrent verticalement ou se fragmentent en unités autonomes. La thèse de ces économistes est alors d’une simplicité désarmante : les chefs d’entreprises, les individus et les hommes d’État décident de mettre en commun les ressources et les talents dont ils disposent lorsque, pris ensemble, la combinaison de ces facteurs de production génère plus de satisfactions et de richesses que pris séparément. Ils se séparent dès qu’il n’en est plus ainsi. Cette théorie repose sur l’analyse de la nature de la firme développée par le Prix Nobel Ronald Coase (1937)[13]. Les Pères fondateurs des États Unis comme ceux de l’Union Européenne avançaient un argument de ce type : « pris ensemble, les États Confédérés ou les Etats Européens se feraient moins la guerre que pris séparément». Les gains attendus d’une union de deux ou plusieurs États proviennent essentiellement : 1) des économies d’échelle ou d’envergure dans la production de biens ou services dits « publics » [14] offerts aux citoyens dont le coût, pour une technologie donnée, diminue avec la taille de la population; 2) de la spécialisation induite par des différences de productivité et de coûts de transaction consécutivement à la suppression des barrières territoriales et à la liberté du commerce entre les pays membres de l’union.
L’autre idée, celle de Friedman, Buchanan et Faith, ou Alesina et Spolaore, consiste à regarder l’État en se focalisant sur le cœur de son métier : agence de protection ayant le monopole de la coercition et de la taxation sur le territoire de sa juridiction. Il y a une différence fondamentale entre un État et une firme. Les échanges entre les propriétaires d’une firme, les actionnaires et les consommateurs reposent sur un consentement révélé par l’achat ou une vente de titres de propriété sur des biens ou services. Les échanges entre une « faction » politique ou religieuse, comme les nomment James Madison (1787)[15] , en charge de l’appareil d’État et des habitants qui vivent sous son autorité reposent au contraire sur le monopole « légal » de l’usage de la force ou de sa menace dans le but ultime de prélever un impôt sur les ressources dont les habitants ont la propriété. Les revenus tirés de l’impôt seront utilisés par les « factions » politiques au pouvoir, pour mener à bien des actions qui servent leurs intérêts et qui maintiennent le plus longtemps possible [16] le monopole de cette extraction dans leurs mains à l’encontre d’autres factions. L’extraction de cette rente sur des richesses, acquises « légitimement » par le travail des habitants, peut être plus ou moins tolérée en fonction de la structure de gouvernance de l’État et de la rationalité des décideurs politiques dans l’optimisation du montant de l’impôt. Les hommes d’Etat ne sont pas guidés par le souci du bien être de la population mais par leur intérêt personnel et leur appétit de pouvoir en dépit de la rhétorique qu’ils développent pour convaincre le plus grand nombre qu’ils agissent pour leur bien.
Finalement, la littérature économique sur les unions et les désunions entre Etats s’est plutôt focalisée sur la première idée, en acceptant la fausse analogie entre l’Etat et une entreprise dont la fonction serait de produire des biens et normes collectives. Cette attitude angélique est contredite par les hommes politiques eux-mêmes. En effet, si les hommes d’Etat étaient des chefs d’entreprises poursuivant le bien commun, ils ne devraient pas s’opposer à la fragmentation ou à la sécession des Etats si l’union (respectivement la désunion) apporte plus (respectivement moins) de gains pris ensemble plutôt que pris séparément. L’opposition farouche des hommes politiques à la fragmentation et sécession des Etats révèle, a contrario, l’erreur des économistes contemporains. La question qu’ils devraient se poser est : pourquoi les hommes politiques s’opposent-ils à cette évolution ? La raison en est simple : la fragmentation et/ou la sécession modifie(nt) la taille et la valeur de la productivité de la population, donc la base fiscale et le montant de l’impôt prélevé. Elles modifient l’extraction des rentes liées aux ressources naturelles du domaine public (puits de pétrole), le montant des profits tirés des monopoles publics (la monnaie) et la base fiscale sur laquelle l’impôt est prélevé. Une grande partie de tous ces revenus, dont vivent les élites politiques et les clientèles qui les ont portées au pouvoir, se contracte drastiquement.
Union et désunion : la question fiscale.
Penser radicalement la sécession veut dire penser la véritable nature du pouvoir et en particulier celui du pouvoir de taxation. La logique du pouvoir repose sur deux lois fondamentales : d’une part l’extension pure du pouvoir et d’autre part sa concentration dans les mains de quelques-uns[17].
La nature de l’État est d’accroître et étendre son pouvoir en produisant des biens ou des maux qui concourent à cette puissance. Or, ce pouvoir repose fondamentalement sur le prélèvement de l’impôt. C’est donc le pouvoir de taxation [18] qui est au cœur du débat de nos élus sur la sécession ou la fragmentation des États nations. La base fiscale est le pouvoir suprême de tous les États, anciens ou modernes. Sans le prélèvement de l’impôt (ou de l’accaparement des rentes d’une ressource naturelle qui a une valeur sur la marché mondial) les hommes d’État ne sont rien.
Dans chaque État nation émergent deux classes d’individus : celle qui détient le pouvoir, dont les intérêts sont concentrés, et qui use du monopole de la force pour prélever l’impôt sur une classe productive, aux intérêts dispersés, sur laquelle ce tribut est prélevé[19]. Dans l’Union ou la désunion, il s’agit nécessairement d’une lutte entre deux « factions » politiques rivales au pouvoir dans chaque région d’un État ou dans chaque État d’une union d’États. Par exemple, dans la question posée sur la fin de l’union entre l’Écosse et l’Angleterre, la faction politique écossaise est de « gauche » [20] et la « faction » anglaise est de droite. Chacune de ces « factions » cherche à extorquer une rente fiscale optimale sur les habitants qui sont sous leur juridiction. Dans le cas particulier de l’Écosse, l’enjeu est celui de la rente pétrolière dont cette classe veut s’accaparer et de la base fiscale écossaise dont sera privée la faction politique anglaise si l’Écosse retrouve sa souveraineté [21].
Le chiffre d’affaires des hommes d’État est mesuré par le volume des recettes fiscales directes et indirectes (qui est le produit d’une base taxable et d’un taux d’imposition) et des autres revenus obtenus des activités domaniales (produits des capitaux et rente pétrolière) ou des monopoles qu’ils contrôlent (tel celui du monopole d’émission de la monnaie mais aussi des registres de certification- acte d’enregistrement- visa de tourisme etc.). Les hommes politiques au pouvoir, s’ils sont rationnels, sont incités à extraire de tous ces monopoles fiscaux une rente dite « optimale » au sens où les gains attendus d’un supplément de ressources affectées pour l’obtenir n’excèdent pas les coûts d’opportunités de cette nouvelle affectation. La dimension des États va donc dépendre, non seulement du rendement attendu de la rente nette des coûts engagés pour extorquer ces revenus, mais aussi de la structure de contrôle de chaque État sur sa propre population et de la concurrence qui s’exerce entre les classes dirigeantes de différentes nations.
Incitations à l’union
Pour ne pas voir leur base taxable réduite par une concurrence fiscale, les classes dirigeantes ont une forte incitation à constituer des ententes ou cartels horizontaux et donc des unions ou bien des États intégrés verticalement plus grands. L’extension du pouvoir sur la base taxable et l’accaparement de la rente des ressources naturelles monnayables sur le marché mondial se font par des traités au cours de réunions périodiques entre hommes politiques pour discuter des conflits communs qui concernent leurs pays respectifs et les groupes de pression qui les soutiennent. La concurrence fiscale pousse les élites de divers Etats à l’union. Mais cette poursuite d’une union est complexe car la concurrence fiscale entre Etats détruit leur cartellisation.
Prenons un exemple pour illustrer cet argument. Considérons le pays C (Catalogne) et le pays E (reste de l’Espagne). Le parlement de la région E est dominé par des factions politiques de droite, celui de la région C est dominé par une faction politique de gauche. Pris séparément, les deux pays ont des bases taxables différentes et un niveau de vie différent. Pour être plus précis, imaginons un revenu médian supérieur au revenu moyen dans la région C, et inférieur dans la région E. En E, il existe une forte demande de redistribution des revenus, car le revenu de l’électeur médian est inférieur au revenu moyen[22]. En C, l’électeur médian a un revenu supérieur au revenu moyen. Il existe donc une forte réticence à une redistribution des revenus. Chacune des deux oligarchies pour rester au pouvoir doit obtenir l’assentiment de l’électeur médian de la population sous sa juridiction. En E, l’électeur médian préférera un système fiscal progressif, en revanche en C, l’électeur médian préférera un système fiscal proportionnel ou régressif. Quel intérêt ont ces deux classes antagonistes à se marier pour former une union, si la part du montant des impôts prélevés, qui va dans la poche de chacune des deux classes, n’est pas supérieure à celle obtenue séparément ? L’élite de E désire l’union, puisque la base taxable s’étend en incluant une population plus riche qu’en E. Avec son système fiscal progressif, elle espère tirer des gains positifs de l’union. Ce n’est pas le cas de l’élite de la région C qui préfère un système fiscal proportionnel ou régressif. L’union ne se fera pas si l’oligarchie de E « n’achète » pas d’une façon ou d’une autre l’oligarchie de C pour qu’elle accepte l’union. Qu’est-ce qui permet d’obtenir un montant d’impôts nets supérieurs à la somme des impôts collectés pris séparément et d’en assurer un partage qui profite aux deux oligarchies régnantes prises ensemble, si on exclut de l’analyse tout ce qui concerne les préférences propres des populations, langues, cultures ou modèle social de redistribution par répartition ou capitalisation? S’il y a union, la base taxable s’agrandit et la distribution des revenus, comme celle des électeurs, se modifie. Le revenu médian et le revenu moyen se rapprochent. Il est alors possible de manipuler le système fiscal progressif en taxant moins les riches et plus les classes moyennes (qui sont désormais plus nombreuses) pour générer des revenus fiscaux qui permettent aux deux classes oligarchiques de se partager un butin qui leur donne plus de revenus que pris séparément. La manipulation du système fiscal par le taux d’imposition en l’absence de concurrence fiscale des autres Etats, permettrait peut-être de trouver ce taux d’imposition miracle incitant l’élite de C à se joindre à celle de E pour réaliser l’union.
Mais la concurrence entre les Etats a introduit une baisse générale des taux d’imposition et met donc à mal le système fiscal progressif et la manipulation de ses taux pour constituer une union. Nous avons alors un autre éclairage de l’émergence de la sécession : les « factions politiques » au pouvoir ont plus de mal à négocier le partage du butin lorsque la concurrence fiscale les empêche de manipuler les taux des impôts progressifs. Or, comme un système fiscal à taux proportionnel (flat tax) n’incite pas à constituer des unions entre Etats « pauvres » et Etats « riches » [23], la concurrence fiscale incite à la sécession et à la désunion des Etats reposant sur des unions entre régions riches et régions pauvres. Ce qui explique, par contrecoup, très simplement, les luttes concertées des Etats nations, qui se cartellisent, sous forme d’alliance et de traités, contre la compétition fiscale des Etats marginaux et les velléités de sécession des Etats membres ou de l’une de leurs régions.
Limites de l’union
La dimension optimale d’un État Léviathan formé par l’union de plusieurs classes dirigeantes de plusieurs États dans un régime politique donné a de toute façon des limites. L’union doit étendre la base taxable le plus loin possible : jusqu’au point où le coût d’étendre ce pouvoir de coercition à une unité géographique supplémentaire excède le gain tiré de la rente fiscale de cette unité. Il y a donc une limite à la taille du Léviathan parce que les coûts d’extorsion sont croissants et les rendements attendus décroissants en fonction de la distance où le Léviathan a localisé le centre de ses décisions. C’est la raison fondamentale pour laquelle, il y a, géographiquement, de la place pour plusieurs Léviathans et plusieurs unions qui se partagent la taxation sur des territoires adjacents et non pas un seul Léviathan dominant l’ensemble du monde. Chacune des élites au pouvoir marque, par des frontières, l’aire de son pouvoir de taxation vis-à-vis des autres classes de dirigeants locaux [24]. Une fraction des revenus de la taxation et des réglementations édictées par le pouvoir central du Léviathan sont consacrés à augmenter la valeur de la productivité des habitants afin d’augmenter le niveau de leur production et accroître les recettes fiscales futures. Une autre partie des coûts vient des dépenses pour réduire l’hétérogénéité de la population via une éducation nationalisée[25]. Par ailleurs, la faction au pouvoir doit composer avec ses sujets pour les empêcher de se révolter ou de s’évader ou de se détourner des activités productives intensives en recettes fiscales. Une autre fraction des recettes fiscales est consacrée au maintien d’une obéissance civile minimale (police, renseignements généraux, gendarmes mobiles, compagnie républicaine de sécurité) et à un niveau d’emploi générateur d’impôts [26] pour enrichir l’oligarchie régnante et les « factions » politiques qui les soutiennent [27]. Enfin, et non des moindres, il faut consacrer des ressources tirées des recettes fiscales pour partager les gains afin de maintenir les oligarchies des différents membres de l’Union dans l’entente [28].
Désintégration politique et intégration économique : le marché substitué à l’Etat
La plupart des gens sont convaincus de la supériorité de l’Union des Etats nations par rapport à leur désunion comme le sont Patrick Bolton et Gérard Roland (1997)[29]. Ils sont aussi convaincus, comme le Prix Nobel Jean Tirole (2016), [30] que l’Etat et le marché ne sont pas substituts mais complémentaires. Ces deux propositions ne sont pas démontrées par les auteurs qui les avancent, elles sont donc des pétitions de principes [31]. L’union permettrait d’exploiter à un moindre coût les biens et services présentant de forts rendements d’échelle et/ou d’envergure qui au niveau local conduisent à des monopoles naturels (réseau de transport routier, ferroviaire, aérien, électricité, télécommunications etc.) avec un pouvoir de marché que des autorités administratives indépendantes (AAI)[32] seraient en charge de réglementer.
Mais aujourd’hui tous les biens ou services à économies d’échelle ou d’envergure peuvent être obtenus, à un coût plus faible, sur le marché mondial parce que les firmes privées qui produisent ces biens et services sont en compétition entre elles et réalisent ces économies d’échelle et d’envergure à une taille bien supérieure à celle que peut offrir l’espace restreint de ces entités locales que l’on appelle États nations comme à leurs unions, et ce grâce à la libéralisation des échanges internationaux.
Or, c’est à l’émergence d’un tel marché mondial à laquelle on assiste depuis de nombreuses années. Suite à la baisse drastique des coûts de transaction (y compris de transport), de plus en plus de services régaliens, produits par les États, sont produits clés en main par des firmes privées sur le marché international. L’externalisation de la défense d’un territoire par des sociétés militaires privées côtés en bourse, en est un exemple célèbre. Cette substitution du marché à l’autarcie (l’union) rend obsolète les gains attendus de l’union, puisque prise séparément chaque région peut obtenir les mêmes services et moins chers avec des entreprises privées ou des ONG en compétition sur le marché mondial. Marché dont la taille en termes d’économies d’échelle ou d’envergure est supérieure à celle de la région, de la nation ou de l’Union de nations [33].
L’immigration massive de personnes de culture différente sur le marché du travail a modifié la congruence des préférences de l’ensemble de l’union, les transferts liés à la protection sociale modifient le partage des gains dans l’union elle-même, et la structure de gouvernance, sous la logique de l’extension du pouvoir et sa concentration dans les mains de quelques-uns, a éloigné les électeurs des pays adjacents des décisions centrales du gouvernement de l’union. Les gains de l’union ne sont plus compétitifs vis-à-vis de ceux obtenus sur le marché mondial. Cette évolution, qui frappe tous les États nations, pousse au divorce et à la sécession des entités politiques qui les composent. L’Ecosse en est un exemple qui aurait pu faire tache d’huile. La Catalogne en est un autre et le « Brexit » démontre les difficultés de sortie d’une proto-union fondée sur des traités par abandon successif de souveraineté à une autorité administrative indépendante (commission européenne, banque centrale européenne).
Si un gouvernement central ne veut pas de la sécession, c’est qu’il pense que la contribution de chaque membre de l’union est profitable pour l’ensemble de l’union. Si Londres (resp. Madrid) tient à l’Ecosse (resp. à la Catalogne), il suffit au gouvernement d’acheter le maintien de l’Ecosse (reps. la Catalogne) dans l’union par des transferts d’argent et de souveraineté jusqu’au point où un abandon de souveraineté ou un transfert supplémentaire réduit à néant l’intérêt de prolonger l’union avec l’Ecosse. Evidemment pour rester dans l’Union, les Ecossais peuvent demander aux Anglais la pleine restitution de la rente pétrolière[34]. Le gouvernement de Londres s’y refuse, car les autres membres devront payer l’énergie au prix du marché mondial dicté par les cartels des pays pétroliers[35]. Si l’Ecosse quitte l’union, le gouvernement central ne peut plus prélever d’impôts sur les Ecossais, la base fiscale du Royaume Uni se réduit drastiquement et la rente fiscale ne pourra plus être aussi facilement détournée pour satisfaire les intérêts privés de l’oligarchie qui gouverne le Royaume Uni.
Cette politique de transferts est menée depuis longtemps par le gouvernement britannique ou espagnol avec la création du parlement écossais en 1999 et celui de la Catalogne en 1980. Au fil du temps le parlement écossais comme le catalan a obtenu presque tous les pouvoirs exceptés ceux des affaires étrangères, de la monnaie, de l’énergie, de la fiscalité et de la défense qui restent du ressort de Londres (ou de Madrid pour le parlement catalan). En 2006, le parlement Catalan voulait bénéficier du même statut d’autonomie fiscale que celui des Basques (ces derniers prélèvent l’impôt le gèrent et négocient la part de cet impôt qui revient à Madrid). Le pouvoir central de l’époque l’a refusé. La limite, du point de vue de Madrid, était atteinte.
Concurrence fiscale et mondialisation
Le coût de l’union ou d’un État intégré est tributaire des coûts administratifs du prélèvement fiscal et de l’hétérogénéité des populations quant à leur degré de résistance à l’impôt. Là aussi la mondialisation via les progrès des nouvelles technologies d’information, de communication et de financiarisation a sérieusement limité les économies d’envergure et ou d’échelle réalisée dans la lutte contre l’insurrection, la désobéissance civile, l’évasion fiscale ou l’homogénéisation des préférences via l’école dans les Etats unitaires ou fédéraux. Les cris d’orfraies des hommes politiques français à l’encontre de l’entreprise Amazon qui choisit d’installer son siège social dans un autre pays où la fiscalité est la plus faible en témoignent. Comme leur objectif proclamé est l’emploi, nos hommes politiques, en dehors de ces cris d’orfraies, se gardent bien d’affronter fiscalement cette entreprise internationale qui, malgré tout, embauche des Français qui ne trouveraient pas de travail autrement. Amazon peut, en effet, aisément délocaliser ses activités hors de France et augmenter la probabilité de trouver un emploi dans le pays qui l’accueillerait. Elle ne le fait pas, cependant, parce qu’une localisation dans un autre pays lui coûterait sans doute plus cher tant que la fiscalité est ce qu’elle est en France. Cette délocalisation potentielle a finalement une conséquence bénéfique pour les Français en limitant l’appétit insatiable de nos élites à prélever des impôts sur la population qu’elles ont assujettie.
Les contemporains sont frappés par le fait que les synergies entre la téléphonie mobile et internet permettent de maintenir des liens étroits entre les membres de différentes communautés familiales, religieuses ou doctrinales même si leurs membres sont éclatés dans différents territoires parfois distants de milliers de kilomètres. Le contrôle des croyances par le Léviathan est devenu particulièrement difficile dans ce contexte.
L’individualisation et l’hétérogénéité des préférences se développent au sein de chaque État Nation, membre de l’Union, suite aux mouvements de population par émigration ou immigration rendant plus coûteux l’homogénéisation des croyances voulu par le Léviathan. On n’imagine plus, comme en 1906, l’Ecole de la République faire défiler les écoliers avec des fusils en bois dans la cours de l’école. Simultanément cette immigration modifie la distribution des revenus en défaveur des « factions » politiques autochtones. Elle suscite l’émergence de nouvelles « factions » politiques favorables aux immigrés et par réaction la montée du « populisme » ce qui entraîne une plus grande fragilité des oligarchies au pouvoir dont la légitimité est vite contestée.
Si on se tourne maintenant vers les élites, au pouvoir dans chaque nation, qui concentrent le pouvoir ultime des Etats entre leurs mains, on rencontre un obstacle supplémentaire dont l’Union Européenne est le symbole. Un cartel est un cartel, et l’Union Européenne est un cartel d’Etats nations. Les lois du cartel s’appliquent donc à leurs dirigeants. Un cartel, non protégé par un monopole de la coercition, subit deux forces de désintégration, l’une interne et l’autre externe. Nous avons jusqu’à maintenant évoqué essentiellement la force externe qui pousse à sa désintégration, mais celle interne mérite aussi quelques lignes. Chaque élite au pouvoir localement [36] tire une rente fiscale qu’elle s’approprie et qu’elle partage avec les « factions » électorales qui les soutiennent. Jusqu’à maintenant le mode de fonctionnement de l’union, comme pour toute alliance, consiste à fournir la part de cette rente qui sera redistribuée à l’Union [37]. Le passage à une Union intégrée verticalement avec un gouvernement central pose la question du déplacement du pouvoir fiscal au parlement central [38]. Ce pas n’a jamais été franchi par les élites locales des Etats Nations en Europe, on en comprend la raison. L’extraction de la rente fiscale n’est plus dans leur main ni des clientèles électorales et factions politiques qui les ont portés au pouvoir et qui les soutiennent mais dans les mains de nouvelles élites ou oligarchies qui convoitent elles aussi l’extension du pouvoir et sa concentration dans leurs mains. La probabilité que chacune de ces élites locales prises individuellement accède à ce pouvoir se réduit face à cette concurrence. Il est alors préférable d’être puissant chez soi, localement, plutôt qu’un moins que rien dans un aréopage où le pouvoir est dans les mains d’autres personnes auxquelles il faut faire allégeance pour bénéficier d’une partie de la manne qu’elles collectent. L’incitation à quitter l’entente pour ces élites locales est alors forte. Comme nous le rappelle le théorème de Mancur Olson Jr. et Richard Zeckhauser (1966) [39], chaque élite de chaque pays, en contribuant à l’entente, sacrifie une part de sa rente fiscale pour obtenir un bien public offert par l’union dont par définition aucun pays de l’entente ne peut être exclu. Comme la contribution est liée à la taille du Revenu National Brut (RNB), les petits pays tirent un avantage monétaire du bien public en excès de ce qu’ils paient. A l’inverse les pays dont le RNB est élevé, une fois qu’ils ont obtenu les montants qu’ils veulent pour eux-mêmes, paient proportionnellement plus que les petits pour le même avantage fourni par le bien collectif. Le fardeau de la production du bien public est alors partagé d’une manière disproportionnée entre les petits membres qui paient moins que ce qu’ils touchent et les plus grands qui paient plus que ce dont ils bénéficient. Les petits membres exploitent les gros. Les gros contributeurs sont alors incités eux aussi à quitter l’union. Dans la vision angélique de l’Etat, l’entente aurait dû exploser depuis longtemps. Mais l’entente entre Etats Nations n’est pas une entente ordinaire puisque ses membres peuvent utiliser impunément le monopole de la force et ont tous un objectif commun préserver leur pouvoir et la rente fiscale dont ils bénéficient grâce à ce monopole.
Ces efforts pour préserver un monopole local (ou pour en acquérir un, par sécession, révèlent, en creux, une hypothèse classique sur la nature de ceux qui nous gouvernent : ces derniers agissent comme s’ils étaient des « bandits sédentaires » [40] ou pour faire plus « grec » des kleptocrates. La kleptocratie n’est pas l’apanage des autocrates comme le suggèrent les économistes qui travaillent sur cette hypothèse, mais tout aussi bien celui des régimes dit démocratiques qui encouragent la compétition des « factions politiques » pour obtenir le droit temporaire d’user du pouvoir de taxation afin de satisfaire les clientèles électorales qui les élisent. Cette compétition électorale, propre aux démocraties parlementaires engendre un niveau plus élevé de spoliation [41] que celui qui serait observé si le pouvoir fiscal était indépendant du « marché politique » ou bien s’il était la « propriété » d’un individu (un Monarque) et non de la démocratie telle qu’elle est exercée dans notre monde contemporain. En effet, les hommes politiques ne sont pas « propriétaires » à proprement parler de la population, ils en ont seulement l’« usufruit». Cette population assujettie est considérée comme une pâture commune et chaque faction politique au pouvoir, à tour de rôle, dans le temps qui lui est imparti, taxe le revenu des générations présentes et futures (via la dette publique) pour son propre profit car si elle ne le fait pas, ce sera une autre faction politique qui le fera. Par la compétition qu’elles se font entre elles « pour le pouvoir », ces factions politiques sont poussées, malgré elles, à épuiser les ressources en capital physique, financier et humain des populations qu’elles exploitent.
La désintégration interne des États nations vient aussi des nouvelles difficultés à contrôler la population (d’où l’impression récurrente d’élites politiques déconnectées de la population dont ils espèrent une servitude volontaire). La logique du pouvoir par extension et concentration de ce dernier dans les mains de quelques-uns repose sur quelques caractéristiques. Il est contrôlé par un petit nombre de personnes (une oligarchie souvent endogamique, qu’elle soit une élite politique et/ou syndicale qui se partagent le pouvoir en usant de la violence pour arriver à leurs fins). Une fois le pouvoir conquis, il est jalousement gardé, fermé et peu accessible. Il est personnalisé par une lutte entre des chefs de clans ou partis politiques, il est clientéliste et par conséquent corrupteur. L’immigration massive fait apparaître de nouveaux clans, voire de nouvelles oligarchies internes à chaque communauté et donc de nouvelles factions politiques qui entrent en concurrence avec les autres pour s’emparer du pouvoir de taxation. La circulation des élites au pouvoir s’en trouve affectée. L’élite qui dirige décline, devient plus humaine et moins capable de défendre son pouvoir de taxation. Simultanément elle se fait plus rapace pour s’approprier les rentes fiscales et le produit de l’impôt dans l’immédiat au détriment des investissements nécessaires pour améliorer la valeur de la productivité de la population pour augmenter, dans le futur, les revenus tirés de l’impôt [42].
Si les conditions objectives à la fragmentation des Etats nations sont présentes, cela ne veut pas dire que les choses se passeront à l’amiable. Quand l’autonomie par la dévolution des pouvoirs et les transferts compensatoires, pour maintenir les États dans l’union, ont été réalisés, aller plus loin devient rapidement un casus belli, car on frappe au cœur même le pouvoir des classes dirigeantes du Léviathan. Les guerres de sécession ou d’indépendance deviennent l’ultime recours pour les séparatistes. A cet égard l’expérience de la déclaration d’indépendance par le parlement de la Catalogne en octobre 2017 est intéressante. Elle démontre bien qu’un passage « démocratique » sans violence à l’indépendance est voué à l’échec tant que l’on ne passe pas par le sort des armes. La constitution espagnole, comme la française, interdit toute sécession [43]. Le refus de donner à leurs propres concitoyens le droit de divorcer de l’État-Nation pris individuellement ou en groupe, révèle la nature réelle de l’Etat : celle d’un instrument d’exploitation et d’oppression des politiquement faibles par les politiquement puissants [44]. On peut clore ce texte par une citation de Bertrand de Jouvenel (1942) [45] :
« Il faut ne rien connaître que son propre temps, tout ignorer du comportement millénaire du Pouvoir pour ne voir dans ces opérations que le fruit de certaines doctrines. Elles sont des manifestations normales du Pouvoir, point différentes dans leur nature de la confiscation des biens monastiques par Henri VIII. Le principe en est le même : petit d’autorité, soif de moyens ; et les mêmes caractères apparaissent dans toutes ces opérations y compris l’élévation rapide des profiteurs des dépouilles. Socialiste ou non, le Pouvoir doit nécessairement lutter contre l’autorité capitaliste, et dérober la substance accumulée par les capitalistes ; il suit en cela sa loi propre. »
[1] Avant 1789, il y en avait 300, en 1815 il y en avait 60. En 1871 ce chiffre tombe à 20. En un siècle 1789-1871, les bouleversements politiques ont ramené le nombre d’Etats souverains de 300 à 20.
[2] La sécession individuelle a-territoriale, par définition, n’oblige pas à obtenir le consensus d’une majorité de concitoyens comme en Catalogne, en Ecosse ou comme avec le Brexit qui nécessairement se fait au détriment d’une minorité, celle qui ne veut pas la sécession. Cela vaut aussi pour l’Union si elle est décidée à la majorité. Une telle décision collective par un processus majoritaire et non par unanimité viole nécessairement les droits de la minorité. En revanche, la sécession individuelle ou collective par consentement unanime, émigration dans une ville privée flottante ou non, ne viole aucun droit si les propriétaires de cette ville flottante sont consentants à votre implantation dans ce nouvel environnement et si vous respectez les droits et obligations qui régissent le « vivre ensemble » de cette ville privée.
[3] Herbert Spencer (1850), The Right to Ignore the State, Freedom Press, 127 Ossulston Street, N. W.1913.
[4] Joe Quirk (2017), Seasteading, Free Press.
[5] Qatar, Liechtenstein, Luxemburg, Singapour, Brunei, Koweït, Emirats Arabe Unis, Norvège, Suisse. Les Etats Unis d’Amérique sont justes en dixième position. Parmi ces 9 pays, 5 d’entre eux vivent de la rente du pétrole et les 4 autres de la rente financière produit par un statut fiscal compétitif. 7 pays sur 9 sont des monarchies. Cela devrait faire réfléchir.
[6] Carlo Lottieri (2018), Catalogne : considérations sur une crise qui nous concerne, journaldeslibertes.fr, Vol.1 N°1 (été).
[7] D. Friedman (1977) “A Theory of the Size and Shape of Nation,” Journal of Political Economy, vol. 85, no. 1.
[8] J. Buchanan and R. Faith (1987), Secession and the Limits of Taxation: Toward a Theory of Internal Exit, American Economic Review (December) pp.1023-1031.
[9] D. Whithman (1991) »Nations and States: Mergers and Acquisitions; Dissolutions and Divorce, » American Economic Review Papers and Proceedings (1991).
[10] J.J. Rosa (2000), Le second XXe siècle ; Déclin des hiérarchies et avenir des Nations, Grasset, Paris.
[11] A. Alesina & E. Spolaore (2003), The Size of Nations MIT Press London England
[12] Y. Barzel (2002), A Theory of the State, Cambridge University Press.
[13] R. Coase, (1937), “The Nature of the Firm”, Economica, 4, 386-405.
[14] La définition courante de la notion de bien public est due à P. Samuelson (1954), ce serait un bien dont « tout le monde jouit en commun dans le sens où la consommation de ce bien par chacun n’en réduit pas la quantité consommable par quelqu’un d’autre » et/ou un bien qui: « se distingue simplement par le fait que sa consommation s’assortit d’effet externes, c’est à dire qu’il figure dans les fonctions de préférence de plusieurs individus » Paul Samuelson, 1954), « The Pure Theory of Public Expenditure », The Review of Economics and Statistics, 36. La paix ou la sécurité serait des biens de ce type. Ce concept a été vivement critiqué par deux auteurs : E. Goldin (1977), “Equal Access versus Selective Access : a Critique of Public Goods Theory”, Public Choice, 29 ; et H. Herman Hoppe , (1989), “Fallacies of the Public Goods Theory and the Production of Security,” The Journal of Libertarian Studies, Vol. IX, N° 1 (Winter). Nous l’avons nous même critiqué dans l’ouvrage Insécurités publiques, sécurité privée ? Essais sur les nouveaux mercenaires, sous la direction de Jean jacques Roche, Economica sous le titre « La privatisation des armées et l’argument des biens collectifs ».
[15] Madison (1787) Federalist paper n°10, Daily Advertiser le 22 : « Par faction, j’entends écrit-il, un certain nombre de citoyens, formant la majorité ou la minorité, unie et dirigée par un sentiment commun de passion ou d’intérêt contraire au droit des autres citoyens, ou aux intérêts permanents et généraux de la communauté ». Nous faisons nôtre cette définition du mot « faction » de James Madison.
[16] Dans un régime parlementaire, la faction politique détient ce monopole pour une période déterminée à l’avance ; dans une autocratie cette période peut durer une vie celle de l’autocrate ou être abrégée par un coup d’Etat ou un assassinat ; dans un royaume ce monopole peut rester dans la même famille plusieurs générations. Dans chaque cas la gestion de ce monopole conduit à des décisions différentes d’extraction de la rente et de son partage. Mais ce n’est pas l’objet de notre discussion.
[17] Bertrand de Jouvenel, Du pouvoir (1942), Hachette collection Pluriel éd.1972.
[18] G. Brennan and J. Buchanan, (1980), The Power to Tax, Cambridge University Press.
[19] Charles Comte (1817)De l’organisation sociale considérée dans ses rapports avec les moyens de subsistance des peuples, Censeur Européen, 2 :22 et l’historien Augustin Thierry (1867) Augustin Thierry 1867, Du Tiers État, Garnier Frères, Paris, partagent le monde en deux classes antagonistes : la classe productive (entrepreneurs, travailleurs, marchands et autres producteurs de toute sorte) et la classe « oppressive » qui utilisent l’appareil coercitif de l’Etat pour vivre aux dépens de la classe productive. Ce point de vue de l’Etat oppresseur est défendu par de nombreux auteurs, parmi eux on peut citer F. Oppenheimer (1914) The State, Fox and Wilkes San Francisco, p 9. On peut relire avec profit l’article de Ralph Raico (2006), Classical Liberal Roots of the Marxist Doctrine of Classes, Mises Daily Articles, 06/14/2006. Le lecteur cependant peut être surpris par notre utilisation du concept de classe. Les économistes sont réticents, non pas aux intuitions de ces auteurs mais à la méthode avec laquelle ils abordent ce phénomène. Le principal obstacle vient de l’usage du concept de classe sociale et de l’holisme sous-jacent à son utilisation. En effet, cela revient à prêter à un agrégat d’individus, défini, plus ou moins arbitrairement, par un intérêt commun qui, si les membres de ce groupe en prennent conscience, permet à ses représentants d’agir comme si l’agrégat était une seule personne. Même si l’on peut admettre qu’il s’agisse là d’une abstraction dont la fécondité se révélerait par les implications que l’on pense en tirer, il faut expliquer par quel processus les activistes (ou les représentants auto déclarés de ce groupe de pression) arrive à leurs fins en coalisant non seulement l’ensemble du groupe de pression dont ils expriment les intérêts communs, mais aussi en ralliant à leur cause d’autres groupes de pression de la société civile aux intérêts divergents et dispersés par des alliances de circonstances ou des alliances permanentes. Les dirigeants de la faction politique au pouvoir réussissent en général ce tour de force en instaurant un système de redistribution du pouvoir. Ils paient sur l’impôt les exécutants (les « serviles ») et distribuent prébendes, rentes publiques et monopoles de marchés à tous les groupes de pression de la société civile (intellectuels compris) susceptibles de les aider à se maintenir au pouvoir en « achetant » leur collaboration active. Ils vont même produire, grâce à des intellectuels (surtout juristes et économistes), une idéologie politique comme « ciment qui permet d’unir en un seul bloc la diversité des ces groupes de pression » qui collaborent au pouvoir pour reprendre les idées d’Antonio Gramsci (1929-1935) Selections from the Prison Notebook, edited and translated by Quentin Hoare and Geofrey Nowell Smith. Einaudi edition of the Quaderni 1948. Ce pont entre l’individu et l’agrégat va être construit par Mancur Olson (1965 et 1971) sans abandonner le paradigme de l’individualisme méthodologique qui est la marque de fabrique des sociologues de l’action, comme celle des économistes en général. On peut relire avec profit l’ouvrage de Mancur Olson (1965, 1971), The Logic of Collective Action, Public Goods and The Theory of Groups, Harvard University Press.
[20] Le parti nationaliste écossais est plutôt travailliste ou du moins entame la chanson du socialisme et espère profiter de la manne pétrolière pour la redistribuer aux écossais, promesse qui équivaut très directement à un achat de vote.
[21] Cela vaut aussi pour la Catalogne mais pas pour le pays basque espagnol. La raison en est simple, le gouvernement basque prélève la rente et discute avec le gouvernement central de Madrid la part du magot qui lui sera redistribué en échange des services que l’Etat local basque attend du pouvoir central. La question soulevée est pourquoi le gouvernement central ne traite pas la Catalogne de la même manière que la région basque ? Pour la raison simple que les prédateurs centraux se trouveront privés de leur pouvoir de taxation et ne pourront pas concentrer cette manne dans leur main. Pour clore une guerre de sécession qui frappe essentiellement les acteurs du pouvoir central, le gouvernement espagnol peut concéder exceptionnellement à une région un tel statut, mais si chaque région fait de même, il n’y aura plus de pouvoir central mais un cartel d’Etats « nations » locaux gérant à Madrid ensemble ce qu’ils ne peuvent régler pris séparément. En d’autres termes, l’Espagne deviendrait une confédération.
[22] A.Meltzer et S. Richard (1981), “A Rational Theory of the Size of Government”, Journal of Political Economy, Vol. 89, Issue 5, (October), pp.914-927.
[23] Prenons deux pays l’un génère une base taxable de 100 (pays pauvre) et l’autre une base taxable de 200 (pays riche), un taux proportionnel de 20% génère 20 pour l’élite du pays pauvre et 40 pour celle du pays riche. Pris ensemble, ils génèrent 300 de base taxable ce qui permet de distribuer 30 pour chacune des élites, l’élite du pays riche refuse l’union.
[24] Une frontière n’a pas d’autres raisons d’être. Elle n’est pas en cela similaire à une clôture d’une propriété privée dont la fonction est d’empêcher les gens non invités de rentrer dans cette propriété.
[25] On comprend mieux l’objectif de 90% de reçus au baccalauréat indépendamment de la logique bureaucratique qui maximise la taille de son administration et concentre son pouvoir dans les mains de quelques-uns. Il ne s’agit pas de rendre les jeunes générations plus intelligentes ou moins ignorantes ou encore de les préparer à trouver un métier, mais d’homogénéiser leurs préférences et de former leurs croyances afin qu’ils acceptent comme naturel la prédation du Léviathan. L’exemple de la Catalogne mérite aussi d’être souligné car il est plus visible. Depuis de nombreuses années le castillan n’est plus enseigné dans les écoles primaires comme première langue au profit du catalan. Mais le « catalan » véhicule une culture et une histoire et forme les croyances de toute une génération qui sera plus facilement acquise aux idées d’une nation catalane. La fonction principale de l’école de la République n’est pas l’instruction où l’acquisition de connaissances pour exercer un métier qui peuvent être apprises dans n’importe quelle école privée non confessionnelle, mais un instrument de formation des esprits à l’idéologie républicaine et laïque pour assurer la pérennité au pouvoir des factions politiques qui adoptent cette conception politique du « vivre ensemble ».
[26] La préoccupation des hommes politiques pour les chômeurs est intéressée. Imaginons un taux de chômage de 100% pendant un an, la base taxable sur les salaires serait drastiquement réduite.
[27] Qui peuvent être des chefs d’entreprises et ou des syndicats ouvriers.
[28] Ce qui est un des avatars avec celles des pays de l’Est qui ont rejoint l’union mais qui ne partagent pas nécessairement l’idéologie pro immigration de ceux de l’Ouest.
[29] Patrick Bolton et Gérard Roland (1997) « The Breakup of Nations, A Political Analysis », The Quarterly Journal of Economics, vol.112 n°4. Ils écrivent d’entrée :
« Le point de départ de notre analyse est de supposer que du point de vue de l’efficience économique, la séparation des nations n’est jamais désirable. Une nation unifiée est toujours plus efficiente puisque la liberté du commerce entre les régions est garantie, la duplication des coûts de la défense et du respect de la législation sont évités, et que la fourniture des biens publics (comme les réseaux de transport et de communication) peuvent être coordonnés. De plus tous les bénéfices d’une décentralisation qui peuvent être obtenus dans un monde de plusieurs nations peuvent être obtenus dans une nation unifiée en répliquant une structure administrative d’un monde à plusieurs nations en choisissant un degré adapté de décentralisation des autorités administratives entre les régions.»
C’est souvent avec de tels a priori que l’on justifie le passage d’une union de plusieurs Etats en un seul Etat intégré ou unifié.
[30] Jean Tirole (2016), Economie du Bien Commun, Paris PUF, chapitre 6, p.214. Il écrit : « L’Etat ne peut faire vivre (correctement) ses citoyens sans marché ; et le marché a besoin de l’Etat : non seulement pour protéger la liberté d’entreprendre et sécuriser les contrats au travers du système juridique, mais pour corriger ses défaillances ».
[31] Aucun des points mentionnés par Bolton et Roland n’est véritablement démontré et beaucoup d’entre eux sont contredits par les faits. Prenons à titre d’exemple la duplication des coûts de la défense. Chaque élite régionale assure et finance sa propre défense jusqu’à ce que le coût d’un équipement supplémentaire excède le gain de sécurité supplémentaire qu’elle en attend. Les régions de montagne assurent le même niveau de sécurité avec une défense peu coûteuse compte tenu de leur avantage topographique face à une invasion terrestre ou aérienne. En revanche, les régions en plaine, pour le même niveau de sécurité, dépensent beaucoup plus en équipements et en hommes. Cependant, nos deux auteurs présupposent que les coûts de la défense des régions montagneuses et des plaines pris ensemble seront plus faibles que pris séparément en invoquant implicitement l’existence d’économies d’envergures liées à la taille des régions et non pas à leur topographie. Ils ne disent rien des gains attendus par les citoyens de chaque région ni de qui sont les décideurs de la défense des régions prises ensembles plutôt que prises séparément. La célèbre ligne Maginot construite en zone montagneuse au lieu d’être construite en plaine, et la plaine laissée sans obstacle de protection par l’Etat major des armées françaises avant la deuxième guerre mondiale contredit cet argument. Les décideurs au niveau de l’Etat unifié n’ont pas été recrutés parmi les élites des régions montagneuses et en plaines, de telle sorte que les intérêts des citoyens concernés n’ont pas été pris en compte. Ceci veut dire que la proposition « tous les bénéfices d’une décentralisation qui peuvent être obtenus dans un monde de plusieurs nations peuvent être obtenus dans une nation unifiée en répliquant une structure administrative d’un monde à plusieurs nations en choisissant un degré adapté de décentralisation des autorités administratives entre les régions » est fausse parce que l’Etat nation n’est pas une entreprise comme les autres. Il en va de même avec l’argument de Jean Tirole sur la complémentarité entre le marché et l’Etat. Cette hypothèse a priori conduit à favoriser les Unions d’Etats et à lutter contre leurs désunions ou fragmentations. Une des défaillances que l’Etat doit corriger, selon cet auteur, est celle des externalités négatives comme la pollution ou le changement climatique (chapitre 8). Comme ces deux phénomènes n’ont pas de frontières et que l’Etat par principe est là pour pallier les défaillances présupposées du marché, les ententes entre Etats, les accords internationaux, les confédérations d’Etats ou les unions d’Etats sont les seuls à pouvoir corriger les défaillances du marché. L’auteur se revendique de la tradition d’Arthur Pigou ou d’Adam Smith qui « constitueraient le fondement du libéralisme » pp.216) ; les contributions des Prix Nobels Ronald Coase (1960), « The Problem of Social Costs », Journal of Law and Economics, University of Chicago Press, ou d’Elinor Olstrom (1990), Governing the Commons, Cambridge Ubiversity Press, comme de Murray Rothbard (1982), « Law, Property Rights, and Air Pollution », The CATO Journal (Spring) pp.55-99, sont totalement ignorées.
[32] Voir Jean Tirole (2016) op.cit. p.218.
[33] Il ne faut pas confondre l’externalisation de certaines tâches de défense concédées à une firme privée via un marché public (comme l’armée peut le faire pour nourrir ses soldats en campagne militaire en contractant avec Sodexo, une firme spécialisée dans la restauration, ou en contractant avec Academi — ex Blackwater, ex X services — pour des opérations militaires classiques) avec un port privé (Tanger Med) ou les armateurs de flottes privées de commerce contractent avec des sociétés militaires privées pour assurer la protection de leur installation et de leurs navires au port ou en convoi. Nous parlons ici de firmes privées ou de territoires privés qui assurent leur protection directement sur le marché mondial. Quand l’armée nationale sous-traite (l’externalisation) à des firmes privées un ensemble des tâches qu’elle faisait elle-même auparavant, elle ne perd ni son monopole ni la décision sur la conduite de ses opérations. La confusion est souvent faite par les auteurs comme le démontre le texte de Tanguy Struye de Swielande, (2005), « Externalisation des fonctions régaliennes : un péril ou une chance à saisir ? », dans Insécurités publiques, sécurité privée ? (Sous la direction de Jean Jacques Roche, Economica). Dans le second cas, il s’agit d’un échange volontaire entre deux parties : les propriétaires du port et ceux des flottes de commerce. Ceux qui paient sont les actionnaires et la société militaire privée est au service de ses clients. Avec l’armée nationale, ceux qui paient sont des contribuables et/ou des conscrits tous tiers involontaires aux conflits dans lesquels les engagent ceux qui commandent l’armée : faction d’hommes politiques ou bureaucrates au service de l’oligarchie au pouvoir.
[34] Mais à qui appartiennent ces champs de pétrole et de gaz ? Au premier occupant (ou au plus proche) aux habitants de l’Écosse, ou à ceux qui ont investi leur capital pour exploiter ces champs et développer cette industrie tels les propriétaires des compagnies pétrolières et/ou les contribuables du Royaume Uni qui ont financé les infrastructures permettant cette exploitation ?
[35] Depuis 2003 nous vivons un troisième, voire quatrième, choc pétrolier, le prix du baril de pétrole en dollars est passé de 30 dollars en 2003 à 100 dollars en 2013, pour retomber à 55 dollars en novembre 2017, 78 dollars début septembre 2018.
[36] Cela s’applique aussi aux féodalités locales, Présidents de Régions et leur clientèle électorale.
[37] Chaque pays de l’union verse 0.73% de son revenu national brut au budget européen, ce qui fait de l’Allemagne et de la France les deux principaux contributeurs avec en 2016, 19 milliards d’euros, soit 76% du montant de l’impôt sur les sociétés et 21 milliards pour l’Allemagne.
[38] Alexander Hamilton, (1787), Concerning the General Power of Taxation, Federalist paper n°30, New York Packet, December 28.
[39] Mancur Olson, Jr. et Richard Zeckhauser (1966), “An Economic Theory of Alliances”, The Review of Economics and Statistics, Vol. 48. Ce texte a retrouvé une actualité grâce au président des Etats-Unis, Donald Trump, au sommet de l’OTAN à Bruxelles de juillet 2018.
[40] Termes introduit par Mancur Olson (op.cit.) qui comparait les bandits nomades (roving bandits) aux bandits sédentaires (stationary bandits), ces derniers étant moins nocifs que les premiers.
[41] On peut se reporter à l’ouvrage de Hans Herman Hoppe (2001), Democracy, The God That Failed, Transactions Publishers, pp. 83.
[42] V. Pareto (1901), The Rise and Fall of Elites, Transaction Publisher (2000), publié en 1901 dans la revue Rivista italienne di sociologia, pp.401-456.
[43] Le seul pays d’Europe qui a inscrit dans sa constitution le principe de la sécession est la Principauté du Liechtenstein. Mais un pays aussi prétendument démocratique que les États-Unis avaient le principe de sécession inscrit dans sa constitution, le brave Lincoln, ce président des Etats-Unis, héros légendaire, n’a pas hésité à bafouer la constitution et a fait la guerre aux États qui avaient fait sécession, résultats 750 000 tués selon J. David Hacker, Civil War History, 2011.
[44] Le mot politiquement puissant ou politiquement faible fait référence à la capacité d’un individu pris séparément ou en groupe à user de la violence ou de sa menace pour nuire à autrui et utiliser cette capacité de nuisance pour obtenir la soumission de l’ensemble d’une population.
[45] Bertrand de Jouvenel, Du pouvoir (1942), Hachette, collection Pluriel. Édition 1972, p.278.