En France, l’indépendance de l’autorité judicaire est affirmée par la constitution qui charge le président de la République d’en être garant et par les dispositions organiques de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature. Régulièrement, cependant, l’indépendance des juges vis-à-vis du pouvoir politique en place et la non-neutralité des juges font peser sur l’institution judiciaire une forte présomption d’instrumentalisation. La justice ne serait pas indépendante. Elle serait au service des intérêts politiques des juges et des gouvernements qui leurs sont proches.
Cette vision pessimiste de la dépendance des juges au pouvoir politique n’est pas démentie par les indicateurs d’indépendance de la justice construits par les économistes et mis à la disposition des observateurs. La Figure 1 montre que la France a, malgré les réformes de 2008, vu la dépendance des juges au pouvoir politique se renforcer et sa situation relative (par rapport aux autres pays) se détériorer. Alors que la plupart des pays dans le monde ont des institutions plus indépendantes (se placent au-dessus de la droite à 45°), la France se place en dessous, assez loin de pays comme l’Allemagne ou la Belgique. Cette situation n’est pas seulement choquante pour le respect des libertés individuelles et la confiance que les citoyens ont dans leurs institutions. Elle a aussi des conséquences économiques. Elle participe à la stagnation de l’économie française qui depuis plus de 40 ans ne cesse d’enregistrer des taux de croissance faibles et insuffisant pour assurer le progrès social du pays. L’article et les travaux de Feld & Voigt le rappellent.
L’article de Stefan Voigt, Jerg Gutmann et Lars P. Feld publié dans ce numéro permet de mieux saisir les méthodes suivies par les économistes afin d’évaluer le degré d’indépendance de la justice. Ces auteurs, qui ont joué un rôle pionnier dans le développement de ces réflexions, nous invitent à distinguer l’indépendance « dans les textes » de l’indépendance « dans les faits ». Ils nous présentent également les principaux enseignements de leurs recherches sur l’indépendance de la justice et ses effets.
Figure : Évolution de l’indice d’indépendance de la justice entre 2000 et 2012
Source : Les traits renvoient aux pays d’Asie et du Moyen-Orient, les carrés gris les pays d’Amérique du Nord et du Sud, les triangles les pays européens, la Russie les losanges, et les ronds l’Afrique. Linzer, Drew A. and Jeffrey K. Staton. 2015. « A Global Measure of Judicial Independence, 1948-2012. » 3(2): 223-256. Linzer, Drew A., Jordan Holsinger, Christopher Reenock, and Jeffrey K. Staton. 2019. Latent Judicial Independence Scores. Emory University. Cette base de donnée propose une mesure de l’indépendance de la justice (Linzer et Staton 2015). Elle utilise les données de Cingranelli-Richards (CIRI), de la banque mondiale (Polity IV variable, XCONST), de Feld & Voigt (PRS Group) et du Global Competitiveness Report (GCR). Elle distingue l’indépendance de facto (projet Varieties of Democracy V-Dem), l’indépendance de la haute cour (v2juhcind) et la conformité de la haute cour (v2juhccomp). Lien : https://bit.ly/3cwn3NU
François Facchini est Professeur Agrégé des Universités en Sciences Economiques. Il est en poste à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et responsable du Programme Politiques Publiques du Centre d’Economie de la Sorbonne (CES).