C’était une personne à part. Impossible de rencontrer quelqu’un qui lui ressemble. Il avait du génie et de la folie. Très souvent, ça va ensemble. Chez Bernard Zimmern, cela donnait un cocktail explosif d’idées et d’actions. Sur une dizaine d’idées par jour, neuf étaient déjà oubliées le lendemain.  Pourtant, sa formation de polytechnicien et d’énarque aurait pu l’orienter vers un parcours de haut fonctionnaire. Heureusement qu’il n’a pas suivi cette carrière.

Il a préféré laisser ses diplômes dans un tiroir et travailler à ses inventions dans son garage. Comme Bill Gates. Pendant la dizaine d’années de travail avec lui, il me racontait souvent cette période. Il rentrait du travail (chez Renault il me semble), et se mettait à « bricoler » son invention dans le domaine des compresseurs. J’ai mis du temps à comprendre de quoi il s’agissait. En fait, c’était une vis qui faisait des économies d’énergie, entre autres. Sa première grande « chance » fut que l’administration française, qui n’a pas compris l’importance de son invention, l’a poussé à la présenter ailleurs, au Japon et aux États-Unis.

Finalement, il a déposé plus de 500 brevets dans sa carrière, et révolutionné la technologie des compresseurs. Des milliers de personnes, y compris dans la Marine américaine, ont travaillé à travers le monde grâce à ses inventions. Ses inventions et ses brevets ne se limitaient pas à la mécanique, car ses talents étaient multiples (il avait été lauréat du concours de physique… et de version latine) et il a donc multiplié les fonctions et les honneurs tout en créant des sociétés. Il fut le directeur du département Recherche et Développement de la Cegos pendant 10 ans. Il fut également président-fondateur de la société OMPHALE et de Single Screw Compressor Inc. Pour sa contribution au prestige de la mécanique française, il avait reçu en 1989 la Médaille Giffard de la Ville de Paris.

Pour autant, il évitait le plus possible les honneurs et les dîners en ville. Il préférait trouver un chiffre ou une statistique qui «_choque ». Car s’il a fait fortune, il a avant tout décidé de dépenser son argent pour le combat contre l’étatisme.

C’est ce qu’il avait voulu en créant l’iFRAP (Institut pour la recherche sur les administrations publiques, au début, Fondation) en 1985 et c’est pour cela qu’il a contribué à la création de Contribuables Associés, Sauvegarde Retraites… Il avait vu aux États-Unis comment fonctionnent les think tanks et les groupes de pression (grâce à lui, j’ai eu la chance d’aller les visiter aussi). Il fallait déconsidérer l’adversaire, lui prouver qu’il a tort avec des données implacables.

Il préférait donc les faits aux grandes idées et les attaques directes aux démonstrations ennuyeuses. Le succès de son premier livre, Les profiteurs de l’État, a merveilleusement montré l’efficacité de cette tactique. Il préférait les chiffres et les statistiques aux citations des grands auteurs. Lorsqu’il a montré que l’Amérique redistribuait plus aux pauvres que la France et que notre administration pléthorique vit sur le dos des plus démunis, cela a provoqué un choc. Pour la première fois, quelqu’un montrait que l’État ne protégeait pas vraiment, il était au contraire pléthorique, et nourrissait des milliers de fonctionnaires sans utilité.

Il se mettait à trembler quand il entendait le nom de Bercy ou de l’ENA, les considérant comme les pires ennemis (avec les syndicats) des entreprises. C’est lui qui a introduit en France le concept de « business angels » dont il a vu l’efficacité pendant les années Reagan avec l’explosion des créations d’emplois aux États-Unis. Il m’a expliqué aussi, plusieurs fois, le fameux « nuage de Birch » et la façon dont les entreprises grossissent et deviennent des « gazelles ». C’est ce qui manque à la France.

Parmi ses autres ouvrages, on peut citer Développement de l’entreprise et innovation paru en 1970 ainsi que Les fabricants de chômage et La dictature des syndicats. Il a aussi écrit, en collaboration avec l’équipe de l’iFRAP, un Livre noir de l’ENA avec les noms des énarques qui ont contribué à l‘effondrement des entreprises, des banques et de l’économie françaises.

Ce qui comptait pour lui, c’était le rôle des entrepreneurs dans le rayonnement de notre pays et la création d’emplois. Les créateurs d’entreprises, les seuls à pouvoir sauver la France.

C’est aussi lui qui m’a dit que pour comprendre l’Amérique et le monde, il faut lire le Wall Street Journal. Il avait raison. Depuis, comme lui, je le lis tous les jours.

Il avait du génie, assorti d’une capacité de travail impressionnante. Il préférait manger un sandwich que faire un bon déjeuner. Il se sentait investi d’une mission : en finir avec l’étatisme français. Il ne l’a jamais lâchée, jamais il n’a abandonné. Sa fortune lui aurait permis de se reposer au soleil. Il a préféré mourir au travail. Il avait 90 ans.

Nicolas Lecaussin est diplômé de Sciences-Po Paris. Ancien Président de l’iFRAP (Institut Français de Recherche sur les Administrations Publiques) il est aujourd’hui Directeur du développement de l’IREF. Fondateur de Entrepreneur Junior il est également l’auteur de nombreux ouvrages dont le plus récent est Les donneurs de leçons, éditions du Rocher, 2019.

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Journal des Libertés

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