La thèse qui sera soutenue dans cet article est que l’obligation vaccinale « COVID » ne doit pas se traiter par application de principes abstraits — qui ne peuvent mener qu’à des conclusions diamétralement opposées, en exaspérant les passions — mais de façon pragmatique, en examinant le contexte et les spécificités du débat et des vaccins « COVID », avant de convoquer au débat les principes.
Le débat sur l’obligation vaccinale COVID est d’abord un débat sur les vaccins. Même si la polémique n’a jamais été étrangère à la matière de la vaccination[1], fût-ce contre la grippe — ce qui se comprend, il s’agit de nous inoculer un corps étranger — les vaccins COVID ont suscité et suscitent une défiance particulière. Ce qui n’est pas illégitime, étant donné d’une part le délai record dans lequel les vaccins anti-COVID ont été mis sur le marché et, d’autre part, le fait qu’une partie de ces vaccins reposent sur une technologie novatrice en la matière (« ARN messager »).
Le débat sur les vaccins
Le débat sur les vaccins est légitime ; celui sur les vaccins COVID l’est a fortiori. Le problème est que, sur la foi de ces deux vérités, on a vu se développer mille théories « conspirationnistes » ou « complotistes » qui ont connu et connaissent un épatant succès sur les réseaux sociaux.
La structure de ces théories est élémentaire : une thèse est avancée — « les vaccins ont fait des dizaines de milliers de victimes » — puis un lien proposé, soit vers un article, soit vers une vidéo, et commence la distribution à grande échelle. Parfois le lien mène à la « démonstration » d’une personnalité qui est ou fut une sommité dans son domaine, tel le Pr. Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008, ce qui renforce la démarche et la force de conviction de la théorie proposée.
De mémoire de libéral, je n’ai jamais vu se développer autant de théories fantaisistes sur aucun autre sujet que les vaccins anti-COVID. Mieux : c’est la première fois que je vois la majorité de nos amis — ie, les auteurs et citoyens de sensibilité plutôt libérale ou « conservative », au sens anglo-saxon — se dresser, souvent avec rage et colère, contre des évidences factuelles et scientifiques étayées de données immédiatement disponibles. Examinons quelques-unes de ces thèses.
« Les vaccins tuent plus que le virus », une théorie dont on notera avec intérêt qu’elle était développée avant même que les vaccins anti-COVID ne soient conçus[2]. Prenons l’exemple du Royaume-Uni : 130.000 morts avérées par COVID, quelques dizaines de victimes hypothétiques — très hypothétiques, à ce stade de l’ordre de la corrélation davantage que de la causalité — des vaccins. La thèse « Les vaccins tuent plus que le virus » est donc absurde et ne mérite aucun examen complémentaire. Certes, on allègue que dans l’avenir, peut-être les vaccins feront des dizaines de millions de victimes. À défaut d’aucun élément factuel pour appuyer cette thèse, elle est une simple excroissance de la précédente, sans pertinence, aussi vrai que « peut-être » n’est un argument que pour les partisans les moins éclairés du « principe de précaution » dans son format le plus radical, qui est d’ordre religieux.
« Pourquoi vacciner contre une maladie qui se soigne ? » Cette thèse n’est pas seulement fausse, elle l’est doublement. Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun remède efficace au COVID qui soit avéré en science et qui ait été validé selon les protocoles en vigueur[3]. Nous serons les premiers à nous en réjouir — et cela finira plus que probablement par se réaliser — mais ce n’est pas encore le cas. Surtout, ce n’est pas parce qu’on soigne en effet la grippe qu’on ne vaccine pas contre la grippe ; ce sont deux démarches évidemment distinctes et complémentaires dans la pratique médicale.
« Le COVID n’est pas grave ; le problème n’est pas le virus, c’est l’idéologie liberticide venue s’y greffer. » Les partisans de cette théorie dénoncent ce qu’ils nomment le « covidisme »[4] et le « délire vaccinaire », comme s’il s’agissait d’une simple idéologie politique. Le COVID a fait 4,5 millions de victimes dans le monde,[5] souvent dans des conditions atroces — asphyxie — et des dizaines de millions d’êtres humains en conservent des séquelles,[6] parfois handicapantes (perte partielle de la capacité pulmonaire, par exemple) Le COVID comme maladie est une réalité. On nous répond : ah mais, les victimes du COVID souffraient de « co-morbidités » — vocable de la taxinomie médicale devenu usuel. Faut-il comprendre que la mort par COVID est moins pénible parce qu’on est plus fragile ? Le COVID — le virus qui lui est sous-jacent — est une réalité virale et médicale qui doit être considérée en tant que telle, dans sa gravité avérée. La nier revient à quitter le réel pour aller s’établir au pays d’Alice.
« Les vaccins contre le COVID sont en phase d’expérimentation, vous en êtes littéralement les cobayes. » Les vaccins anti-COVID ont triomphé de tous les protocoles scientifiques en vigueur, souvent avec des « cohortes » plus nombreuses qu’en temps normal (phase 3), et ne sont nullement au stade de « l’expérimentation », comme on le lit partout sur les réseaux. Ceux qui diffusent cette « information » confondent — ignorent la différence entre — l’expérimentation et l’autorisation conditionnelle de mise sur le marché (bien réelle, et de pratique normale pour les nouvelles médications dans des conditions d’urgence[7]). Étrange paradoxe que ces libéraux qui exigent des procédures administratives plus contraignantes que celles qui étaient déjà d’application dans le domaine médical ! Ce qui est exact est que les vaccins anti-COVID ont été conçus dans des délais record : mais cela est une bonne chose, dont le mérite revient à la prescience de l’administration Trump, qui a compris que l’alternative dans le monde réel était entre les vaccins et le confinement avec paralysie partielle de nos économies. C’est à cette fin que l’administration américaine mettait en place un partenariat public-privé d’envergure massive — l’opération Warp Speed[8] — qui a livré les résultats qu’on en attendait. Notons que ce sont des entreprises privées, et la fine fleur de l’université occidentale (Oxford) qui ont conçu ces vaccins, et non des gouvernements — une distinction à laquelle les libéraux devraient se montrer attentifs. Le précédent record pour la mise au point d’un vaccin était de cinq ans (Ebola)[9]; imagine-t-on ce qui resterait de nos économies et de nos libertés après cinq années de confinement, même à géométrie variable ?
« Les vaccins ARN vont modifier votre ADN. » Ne rentrons pas dans des considérations scientifiques pointues qui dépassent notre compétence, revenons aux bases : Actori incumbit probatio, la preuve d’une proposition incombe à celui qui l’allègue. Il n’existe à l’heure actuelle aucune étude scientifique ni même tentative d’étude publiée ou pré-publiée à l’appui de la thèse « Les vaccins ARN vont modifier votre ADN ». Aucune, zéro. Les arguments montrant le caractère fantaisiste de cette théorie, effectivement de nature à susciter la peur et la défiance, sont nombreux. En toute rigueur scientifique et analytique, cette thèse est sans fondement ; en science, elle n’existe pas. Une non-existence inversement proportionnée à son omniprésence, non démentie à ce jour, sur les réseaux.
« Les vaccins enrichissent « Big Pharma » qui s’est au surplus exonérée de sa responsabilité contractuelle ! » Cette thèse est en large partie avérée, mais elle participe de la confusion entourant le débat sur les vaccins, consistant à ne plus distinguer ni les composants du débat, ni le principal et l’accessoire. Les sujets de l’avantage patrimonial évident des vaccins pour « Big Pharma » et de l’efficacité des vaccins sont bien entendu distincts ; celui qui doit nous occuper en priorité est l’efficacité des vaccins comme moyen — seul et unique moyen avéré en science — de retour à la liberté de se déplacer, flâner, commercer, voyager. Ce qui ne change rien au fait que « Big Pharma » est une réalité et que ces firmes sont fréquemment condamnées à des amendes astronomiques (ou « settlements ») pour faits de corruption[10], notamment aux Etats-Unis. Si nous vivions dans un monde parfait et « leibnitzien », je crois qu’à ce stade nous l’aurions remarqué.
« Les vaccins sont impuissants face aux variants ». Ah, les variants, avec leurs noms géographiques et grecs ! On a souvent l’impression que ceux qui, aux Etats-Unis, se qualifient eux-mêmes d’ « antivaxx » se réjouissent — se réjouissent, sur le mode « on vous l’avait dit ! » — de la survenance d’un variant face auquel les vaccins sont moins efficaces. Les vaccins sont-ils moins efficaces face à certains variants ? La réponse est oui, c’est quasiment la définition d’un variant qui se développe dans un milieu déjà largement vacciné. Mais les propositions « les vaccins sont moins efficaces face au variant Delta » et « les vaccins ne sont pas efficaces face au variant Delta » sont bien entendu distinctes, et le vrai est que les vaccins sont efficaces, même face aux derniers variants connus. Efficaces à tous les niveaux : contaminations, contagion, hospitalisations, décès[11]. Pris dans leur globalité — face au virus dans l’ensemble de ses chatoyantes variations médicales et nominales connues, sans préjuger de l’avenir — les vaccins sont non seulement efficaces, ils le sont remarquablement.
Chacune de ces propositions fantaisistes a fait et fera l’objet de mille variations, sur les réseaux, les blogs et tous les moyens de communication disponibles. Ainsi de ce médecin qui expliquait récemment que certes les vaccins n’ont pas encore causé la mort de nombreuses personnes, mais qu’ils causeront immanquablement la mort de dizaines de millions de personnes en provoquant l’obturation de leurs artères ! Inutile de perdre son temps avec ces divagations. Quand nous les rencontrons, il suffit de revenir aux vérités épistémologiques : la preuve scientifique incombe à l’impétrant.
À la faveur d’un récent débat avec un ami médecin, vraie intelligence qui refuse de se soumettre aux vérités officielles — ce qui est une bonne chose ! — ce médecin me tenait le discours suivant :
« La science, c’est le soupçon » ; c’est en soupçonnant les vérités établies qu’on fait progresser la science. Cette position, d’apparence vérace, repose en réalité sur une confusion entre la critique (active) et le soupçon. La science exige en effet la critique permanente, sur le mode réfutatoire, c’est-à-dire réfuter les vérités établies (Karl Popper). L’idée de vérité officielle est odieuse au concept de science ; elle relève d’une vision lyssenkiste de la science, quand une vérité officielle s’appuie sur la contrainte administrative pour s’imposer. Ce que fit en effet le « savant » Lyssenko pour imposer ses thèses en biologie — fausses, et grossièrement — à l’époque et par la contrainte de l’Etat soviétique. Mais la critique n’est pas le soupçon. La critique active formule une question pour y répondre ; le soupçon formule une question qui est sa propre finalité. La critique est une démarche, un processus ; le soupçon est une posture, un état mental. Une posture qu’aucune preuve ni argument scientifique ne pourra jamais satisfaire. D’apparence similaires, la critique et le soupçon relèvent, en réalité, de deux démarches antithétiques : la science et l’idéologie.
Pourquoi tant de haine ?
Ce qui nous conduit à la question suivante : vaccins, pourquoi tant de haines ? Pourquoi des vaccins anti-COVID présentés à l’époque comme porte de sortie à la réduction des libertés, ce qu’ils sont en effet — en témoigne, simple exemple, la reprise massive des voyages ! — suscitent-ils un rejet aussi fort, aussi déréalisé, parfois aussi haineux ? Jusque et y compris parmi les libéraux, dont on attendait pourtant qu’ils se montrent sensibles au retour progressif des libertés élémentaires.
La première voie d’explication, je ne l’emprunte qu’à rebours. Car il n’y a rien de plus pénible — et de moins réfutable — que se voir imputer la peur par notre adversaire dans un débat rationnel. Pourtant, cette thèse me semble mériter à tout le moins d’être formulée au titre d’hypothèse. Reprenons l’exemple de ce médecin expliquant doctement que les vaccins conduisent à l’obturation des artères, avec moult explications et schémas savants, tandis que la majorité de nos contemporains ne possèdent ni les compétences médicales, ni les compétences épistémologiques, pour les écarter. Ne sous-estimons pas la portée de l’argument médical, l’autorité de la blouse blanche. Souvenons-nous de l’expérience de Stanley Milgram, qui obtenait de ses collaborateurs volontaires qu’ils envoient des chocs électriques à des innocents, jusqu’à rendre ceux-ci inconscients — et même après qu’ils aient perdu connaissance — par le seul effet de l’autorité de la science apparente (incarnée en l’occurrence dans la blouse blanche et le laboratoire). Le médical touche à l’intime et suscite de toute éternité les pires craintes et appréhensions ; ceux qui ont attendu le résultat d’un test médical, pour eux-mêmes ou leur enfant, en témoigneront. Quand un médecin explique de façon calme, posée et apparemment argumentée que le vaccin obture les artères, comment imaginer que son propos, largement relayé, restera sans conséquence ? Comment concevoir qu’il n’instillera pas, à tout le moins, une part de doute et de soupçon en effet, dans le chef de ses lecteurs et auditeurs ? Ce n’est qu’un exemple ! Circulent, par ailleurs, des « JPEG » dénombrant les victimes supposées des vaccins, par pays ou par continent. Tout est faux dans ces « listes » funèbres ; il n’est pourtant que de considérer les milliers (millions ?) de gens qui les relaient pour juger de l’énormité de leur impact. Ainsi le soupçon engendre-t-il le soupçon. Le soupçon épistémologique engendre la superstition.
La deuxième hypothèse expliquant le rejet des vaccins anti-COVID réside dans la défiance de nos concitoyens à l’égard de l’autorité étatique sous ses différentes formes et figures. Cette défiance est palpable, elle s’étale journellement dans les réseaux et dans la presse ; elle est un fait désormais structurel dans nos démocraties. Cette défiance est compréhensible. Gardons-nous de considérations trop générales, pour ne voir que l’incompétence de la plupart des gouvernements occidentaux dans la gestion de la première partie de la crise COVID (avant les vaccins). J’ai analysé en détail le cas du gouvernement belge (« The Belgian Carnage », Gatestone Institute, New York[12]) ; le cas français n’est pas très éloigné et il n’est pas jusqu’au gouvernement britannique qui, ayant opté pour la stratégie de l’immunisation collective, ne se ravisa dans l’urgence et l’improvisation, face à la contagion exponentielle, pour mettre en œuvre les mesures de confinement les plus rigides. Par comparaison, de nombreux pays asiatiques — Singapour, Corée, Taïwan — connaissaient d’épatants succès avec leur stratégie « zéro COVID », mais en imposant des mesures de confinement nettement plus radicales qu’en Occident. Face à l’incompétence de nos gouvernements dans la première partie de la pandémie, la défiance se comprend.
Pour autant, l’opposition entre « les élites » et « le peuple », dans nos démocraties — opposition dont usent volontiers des personnalités telles le Pr. Didier Raoult, au demeurant brillant et truculent — résiste malaisément à l’analyse. Précisément parce qu’à l’opposé de la Chine, nos pays sont des démocraties. En France, depuis 1975 et l’abolition des tricheries électorales massives par la suppression du vote par correspondance sauf motif impérieux, il n’est pas contestable que les présidents et parlements successifs ont été effectivement élus, au sens plein et entier de ce terme, par le peuple français. Ces « élites » tellement honnies sont choisies et régulièrement confirmées par le corps électoral français. Certes, l’isomorphie des élites politiques et du peuple n’est que partielle, car il existe des effets de système, mais l’opposition entre ces deux réalités ne résiste pas à l’analyse.
La troisième hypothèse réside dans la perte de niveau intellectuel. Dans son remarquable essai La régression intellectuelle de la France, le philosophe libéral Philippe Nemo diagnostiquait deux facteurs régressifs : le recul de la liberté d’expression, et le rôle de l’Education nationale. En France, législature après législature, la liberté d’expression est constamment réduite, d’abord par la loi, aujourd’hui par les réseaux sociaux. L’Education nationale et son million de fonctionnaires — une réalité qu’en France on trouve normale, mais qui est exceptionnelle en statut et quantité dans l’orbe occidental — font un système dont les résultats objectifs, en termes de connaissances acquises, sont médiocres et baissiers dans l’OCDE. Après quarante années au même régime, il était inévitable que ces résultats se matérialisent dans une régression intellectuelle collective. Les enquêtes récentes attestent, au surplus, une baisse du quotient intellectuel dans la population française[13].
Comment ne pas voir qu’en ordre accessoire, aux côtés des théories fantaisistes sur les vaccins, se multiplient les erreurs de raisonnements ? Trois exemples. On nous dit : les vaccins sont la vérité officielle, aucun être sensé, aucun libéral digne de ce nom ne peut accepter le concept même de vérité officielle ! Toutefois, la question du virus et des vaccins est d’abord scientifique et médicale et doit être considérée comme telle, indépendamment de la position des gouvernements. Qu’une vérité médicale soit reprise pas un gouvernement ne la transmute pas en vérité officielle, moins encore en non-vérité médicale ! Ce qui serait inacceptable est qu’une thèse devienne vérité « scientifique » par l’effet de la contrainte administrative (Lysenko) : il n’y a rien de tel in casu. On nous dit : nos gouvernements se sont tant trompés, on ne va quand même pas leur faire confiance sur les vaccins ! Que nos gouvernants se trompent, plus souvent qu’à leur tour, n’implique pas qu’ils se trompent sur tout (comment nos sociétés pourraient-elles survivre à l’erreur totale et permanente ?) Vient enfin la posture libérale naïve selon laquelle tout ce que touche l’Etat se transforme en horreur ; mais il n’y a pas de temps à perdre avec de tels enfantillages.
Le quatrième facteur explicatif me paraît résider dans le fait qu’en Occident, la liberté est actuellement en état de siège, et l’est doublement. D’abord par l’effet de l’idéologie écologiste. Si le CO2 humain est le problème — mantra de l’écologisme contemporain — alors l’homme est le problème, dans chacune de ses activités sans la moindre exception. On a longtemps abusé les gens en leur faisant accroire que seul le CO2 produit par l’industrie est « criminel » ; ce qui était d’une certaine façon rassurant pour le commun des mortels. Rien n’est plus faux et il n’est que de parcourir un rapport du GIEC pour s’en convaincre : parvenir à la « neutralité carbone » suppose de réduire drastiquement la liberté de l’homme dans toutes les sphères de l’activité : manger, se déplacer, entreprendre, voyager, modes de déplacement, industrie, bâtiments, systèmes de chauffage, fonder une famille, soigner les personnes âgées. C’est ce que j’ai nommé l’algorithme totalitaire de l’idéologie écologiste[14] : par définition, rien ne lui échappe. Aucun totalitarisme n’avait ambitionné une mainmise aussi complète et intégrale sur l’Homme.
Second phénomène : nos sociétés sont collectivisées (au sens de ce qu’on nomme en allemand Sozialisierung, qui est un processus) par l’effet de la dépense publique, plus précisément l’endettement. Nos Etats se financent de deux manières, quel que soit l’habillage verbal qu’on leur donne : par l’impôt sur les actifs, et par l’impôt sur les futurs actifs. La dette publique est, en toute rigueur — ce n’est pas une image — un impôt sur les futurs actifs : nos enfants, les enfants de nos enfants. Or, nos enfants ne votent pas et ne sont en aucune façon représentés : des cibles faciles et même idéales pour des gouvernements en manque structurel et permanent de fonds. Le résultat de cet intéressant phénomène est que, finançant tout, l’État se trouve légitime à tout réglementer ; ce qu’il fait, sur le modèle « français », souvent s’inspirant de l’idéologie politique écologiste.
Cet état précaire de la liberté en Occident conduit fort naturellement nos populations à considérer toute réduction temporaire de liberté au nom du COVID sous le même jour ; c’est-à-dire comme nouveau prétexte et aspect d’un phénomène plus général, celui du « Great Reset »[15] préconisé par une certaine élite auto-instituée, à Davos et ailleurs.
Réduction circonstancielle ou structurelle de la liberté ?
Nous devons distinguer, dans l’histoire et notre actualité, la réduction substantielle et la réduction circonstancielle de la liberté.
La réduction des libertés au nom du climat est substantielle, structurelle et se veut définitive ; tandis que la réduction des libertés au nom du COVID est circonstancielle.
Sans entrer dans des considérations abstraites sur le thème de la liberté, rappelons que « la » liberté, pure et entière, absolue et sans frein, cela n’existe pas, n’a jamais existé dans l’histoire des hommes, et ne peut exister. Dans son remarquable et crépusculaire « Fatal Conceit », Friedrich Hayek rappelait que le droit de propriété pur et entier, immuable et sans réserve, est une vue de l’esprit, qui ne peut se concevoir parmi les hommes : le droit de propriété a pris et prendra mille colorations juridiques divergentes, depuis les Grecs et les Romains jusqu’à nos jours. De même, la liberté, pure en concept, doit être saisie par un système de droit, pour régner parmi les hommes. Or, depuis l’époque romaine, nos systèmes ont toujours comporté la possibilité de cantonner temporairement les libertés, en raison de circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire en situation de crise grave. Nos libertés sont si bien susceptibles de souffrir des limitations temporaires que des mécanismes à cet effet sont expressément prévus dans les ordres constitutionnels des pays occidentaux.
Empruntons un exemple à l’ordre constitutionnel belge, défini par la Constitution de 1831 — apogée des constitutions libérales — toujours en vigueur. En période de crise, la Constitution belge prévoit que l’exécutif est susceptible de bénéficier d’une extension de ses pouvoirs. Concrètement, le gouvernement est habilité, durant cette crise, à modifier les lois en vigueur, sans passer par le Parlement. Cette habilitation est limitée en substance et dans le temps ; en substance : les matières dans lesquelles le gouvernement intervient par des arrêtés royaux dits « de pouvoirs spéciaux », ayant force de loi, sont en nombre limité; dans le temps : généralement un an. Les pouvoirs spéciaux investissent le gouvernement d’une manière de « pleins pouvoirs », car se trouvent réunis dans ses mains, durant la période considérée, les deux principales fonctions du Pouvoir au sens étatique : l’exécutif et le législatif. Aucune discussion parlementaire contraignante ne précède les mesures décrétées par le gouvernement en pouvoirs spéciaux ; le Parlement est réduit au rôle de spectateur. Cette concentration du Pouvoir, temporaire et révocable, est la négation d’un aspect important de la liberté, soit la liberté au sens politique, et est totale : le citoyen est privé, durant une période limitée mais pour le tout, de l’effectivité de sa représentation parlementaire. Le gouvernent décide seul, et ne rend des comptes qu’à la sortie de la période des pouvoirs spéciaux. Cet exemple nous rappelle que des réductions circonstancielles de la liberté ont toujours existé et qu’elles sont problématiques, mais inévitables, aussi vrai que certaines formes aiguës de crise requièrent la rapidité dans l’action, et non la délibération. Les Grecs le savaient ; les Romains l’avaient intégré, de même la tradition du Rechtsstaat, état de droit, rule of law et le constitutionnalisme américain. Nier la pertinence de ces réductions circonstancielles de la liberté revient à adhérer à une idée de la liberté aussi pure en concept qu’inopérante dans le monde réel.
Parce que les forces liberticides à l’œuvre dans nos Etats sont tentées de mettre la crise du COVID à profit pour forcer les tendances déjà présentes dans nos sociétés — “build back better” (reconstruire mieux) dans un sens écologiste, pérenniser la réduction des libertés, poursuivre et accroître la fuite en avant de la finance publique — on est tenté d’y voir un simple aspect d’une problématique plus large. Un nouveau prétexte.
Le cinquième et principal facteur explicatif me paraît résider dans la généralisation, en Occident, d’une nouvelle ontologie que j’ai décrite par ailleurs comme celle du “Moi-Soleil”,[16] cette radicalisation de “l’homme-masse” diagnostiqué en 1926 par Ortega y Gasset,[17] qui érige son opinion tout en haut de la hiérarchie des normes, et vit la contradiction — morale, scientifique ou rationnelle — comme un empiètement belliqueux sur la souveraineté de son jugement. Ce Moi-Soleil, qui prétend “signer” l’intégralité de son être comme on signe une collection de haute couture, devient strictement hermétique à tout argument dès lors qu’il a formé son idée, se sent complet et ne juge les réalités, même les plus complexes, qu’à l’aune de son ignorance panoramique.
L’assassin habite à Beijing
L’hostilité aux vaccins en vient à masquer la monstrueuse spécificité de la crise du COVID, qui répond à des motifs tout aussi préoccupants, mais radicalement distincts de la dérive des gouvernements en Occident.
Que l’on s’en tienne aux faits avérés, on verra que le COVID est une peste jetée sur le monde par le régime totalitaire chinois, par la suite d’expériences aberrantes consistant à accroître la transmissibilité humaine d’un virus naturel — à le rendre aussi contagieux que possible : mission accomplie —, virus dont le gouvernement chinois a contesté la réalité, ensuite la transmissibilité humaine, pendant de précieuses semaines qui auraient permis d’en cantonner l’empire mondial. Ce faisant, le régime génocidaire[18] de Beijing a perpétré un crime contre l’humanité au sens le plus descriptif de l’expression, dont on rappelait qu’il a fait 4,5 millions de morts et des dizaines de millions de victimes qui en conserveront des séquelle[19]. Ramener le COVID, par ethnocentrisme naïf, à sa gestion occidentale, conduit à « manquer » ce qui fait l’essence de la crise COVID : le crime du régime communiste chinois. Ce crime est une réalité ; le virus qui en est né est une réalité ; que des mesures devaient être prises — et l’ont été par l’intégralité des pays de la planète, sans la moindre exception — pour enrayer la contagion exponentielle jusqu’à la venue des vaccins, en est une autre.
Dans l’état actuel des connaissances et sans préjuger de l’avenir — qui le peut ? — le débat sur les vaccins se solde par un certain nombre de vérités (temporaires et réfragables) : (1) Face au virus qui cause le COVID, les vaccins sont efficaces et le sont même remarquablement, cela à tous les niveaux; (2) Les recherches sur des traitements préventifs et curatifs efficaces du COVID sont en cours[20]; (3) La seule stratégie alternative aux vaccins est l’enfermement collectif, qualifié par litote de « confinement »; (4) Avec près de cinq milliards de vaccins administrés[21], l’absence d’effet secondaire notable des vaccins anti-COVID semble avérée. Vérités partielles, certes, toujours révocables ; mais seuls l’idéologue et le fanatique prétendent à vérités absolues dans des matières complexes. Méfions-nous des solutions finales aux problèmes complexes : Isaiah Berlin.
Obliger les adultes à se faire vacciner contre le COVID ?
Si l’on examine la question de l’obligation vaccinale sur le seul plan des principes purs, la réponse fuse, simple, immédiate et dénuée de la moindre valeur opérationnelle. Faut-il obliger les gens à s’inoculer le vaccin anti-COVID ? Non, jamais, sous aucun prétexte, s’indigne le libéral intransigeant. Oui, bien sûr, il y va de l’intérêt collectif, rétorquent furieusement les autoritaires de tous bords et d’ailleurs les non vaccinés sont des « usines à variants », selon l’horrible mot du Pr. William Schaffner, spécialiste des maladies infectieuses au Centre médical universitaire Vanderbilt[22]. Nous voilà bien avancés. Trancher ce type de débat de façon dogmatique reviendrait à jeter les gens les uns contre les autres, sans espoir de rémission ni pardon.
Le vrai est que des vaccins étrangers au COVID sont déjà obligatoires, notamment pour les enfants[23]. Disons-le sans ambages : cela me déplaît, je reste partisan du privilège familial, mais je suis favorable à l’obligation vaccinale pour les maladies infantiles les plus graves. Il est insupportable de laisser mourir un enfant parce que ses parents refusent un vaccin par des motifs de l’ordre de la superstition. J’assume pleinement cette position, même si elle ne me satisfait moi-même que partiellement ; le monde est complexe, on ne tranche pas tout par des principes abstraits. Du reste, quel serait ce principe qui conduirait à refuser l’obligation vaccinale des enfants ? On nous dit : mais voyons, le libre-arbitre ! Vous n’allez quand même pas laisser l’Etat décider à votre place ! Toutefois, on évoque ici le cas des enfants dont, depuis l’infans romain, on considère à juste titre qu’ils sont précisément dénués de libre-arbitre. Ce principe est donc étranger à la matière, qui nous rappelle opportunément l’obligation de considérer la réalité dans sa complexité factuelle, et non seulement au travers de préceptes généraux et abstraits.
Par ces mêmes motifs, je suis nettement plus réservé sur l’obligation vaccinale faite aux adultes. Disons-le platement : si, par refus d’un vaccin — songeons à ce bon vieux tétanos ! — un adulte meurt, eh bien il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Adhérer à des superstitions est, après tout, un droit.
Cette réserve, je la marquerais avec plus d’emphase encore dans le cas des vaccins anti-COVID. Certes, je suis sensible à l’argument de l’immunité collective, qui gagne à ce que le maximum de gens se fasse vacciner. J’ai conscience que les fameux « variants » se développent de façon prioritaire — et purement statistique — dans les populations non vaccinées. Je n’aperçois aucun argument rationnel qui détourne un adulte, quel que soit son âge, des vaccins anti-COVID.
Je suis également sensible au contexte. La défiance est si grande, les couteaux anti- et pro- « vaxx » sont si bien tirés et affûtés, que trancher le débat sur les vaccins par la contrainte administrative exaspérerait davantage encore les passions. Surtout dans un contexte où de plus en plus de personnes choisissent librement de se faire vacciner ! Outre les principes, que je rappelais à l’instant — je suis opposé à l’obligation vaccinale pour les adultes — l’obligation de s’inoculer un vaccin anti-COVID serait, me semble-t-il, une lourde erreur stratégique.
Faut-il prévoir des exceptions ? On songe, bien sûr, au personnel médical, traditionnellement contraint à davantage d’obligations, dans le domaine vaccinal, que le commun des mortels. Je répondrai à cette question : je ne sais pas. Par quoi je veux dire que, pour la trancher de façon humaine et efficace, cette question me paraît devoir être considérée in concreto, comme le disaient si justement les juristes romains, c’est-à-dire au plus près de chaque réalité concrète.
Les débats sur les vaccins et l’obligation vaccinale intéressent davantage par ce qu’ils révèlent, que dans leur réalité substantielle qui, d’un strict point de vue scientifique et médical, est banale.
[1] Anna C. Zielinska, « Le mouvement d’opposition aux vaccins : une analyse anthropologique et philosophique », ADSP, n° 105, décembre 2018, 27.
[2] Barthélémy Philippe, « ‘Un vaccin fait pour tuer’… les théories complotistes sur l’épidémie inondent les réseaux », Capital, 13 mai 2020.
[3] « Des chercheurs vous répondent : n’existe-t-il pas d’autres traitements contre le Covid ? », La voix du nord, 27 juillet 2021, https://bit.ly/3AyfukY.
[4] « Nouvelle religion : le covidisme – Karim Duval », vidéo youtube du 29 septembre 2020, un million de vues.
[5] https://www.worldometers.info/coronavirus/
[6] « Prevalence of long-term effects in individuals diagnosed with COVID-19: a living systematic review », https://bit.ly/3CzuWhh et CDC, « Post-COVID Conditions », https://bit.ly/3zrYkE5.
[7] Grégoire Ryckmans avec Cristian Abarca, « Les vaccins contre le coronavirus sont-ils toujours en phase 3 ? Les vaccinés sont-ils des cobayes ? », RTBF, 16 juillet 2021, https://bit.ly/3nRHOeC.
[8] « Vaccin contre le Covid-19 : ‘L’opération Warp Speed, un succès américain’ », Le Monde, 16 avril 2021.
[10] « List of largest pharmaceutical settlements », https://bit.ly/3lLnSaB.
[11] Laura Foster, « Covid vaccines still effective against Delta variant,” BBC, 19 août 2021.
[12] https://bit.ly/3lMQT5M, traduit en français : https://bit.ly/3u0ifca.
[13] « Le QI des Français en chute libre », Le Point, 25 juillet 2017.
[14] L’écologisme, nouveau totalitarisme ? (2019), https://amzn.to/3CGI9VL
[15] Klaus Schwab, The Great Reset, 2020.
[16] « Le Moi-Soleil : un culte du soi nihiliste, » https://bit.ly/39qc33F
[17] La révolte des masses, 1926, trad. fr. 1937.
[18] Génocidaire par son traitement, notamment, de la minorité ouïghoure, selon des ONG internationales ainsi que plusieurs États, https://bit.ly/39r9tKT. l
[19] Relevons que la criminalité de la gestion du COVID par le régime chinois serait établie même s’il devait s’avérer — ce qui paraît probable — que le régime n’avait pas l’intention de jeter cette peste sur le monde. Même commis « par imprudence », l’homicide n’en reste pas moins un homicide.
[20] « Quels traitements contre le Covid-19 ? », La Dépêche, 10 août 2021.
[23] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F767