Comment faire pour distribuer des retraites décentes sans nuire au développement économique et en sortant du jeu à somme nulle actuel ? La question est centrale. Et tous les pays ne sont pas égaux en la matière. Rares sont ceux qui ont fait le choix, comme la France, de financer quasi exclusivement leurs retraites par répartition.

Nombre de pays ont fait le choix d’un système mixte, en combinant répartition et capitalisation. L’avantage de cette configuration est double. Elle permet d’alléger le coût de financement (1) et d’accroître la résilience en diversifiant les risques et en se prémunissant contre une hausse des inégalités (2). Ce n’est pas le choix qui a été fait en France, ce qui est particulièrement coûteux en termes de compétitivité, de pouvoir d’achat et de finances publiques (3). Pour autant, nous ne sommes pas condamnés au statu quo. Des expériences récentes montrent que les capitalisations collectives peuvent monter en puissance en quelques décennies (4). Leur généralisation à tous les salariés du privé, en se basant sur ce qui a été fait dans le public français depuis 2006, est possible et souhaitable d’un point de vue social (5).

Augmenter le rapport qualité/prix des retraites en capitalisant plus

La capitalisation est devenue depuis plusieurs décennies un mode économique de financement des retraites. Elle permet de s’appuyer sur les performances des marchés financiers, qui bonifient les cotisations issues des prélèvements obligatoires. D’un point de vue individuel, avec une même quantité de prélèvements obligatoires, la capitalisation génère de meilleures pensions que la répartition. D’un point de vue macroéconomique, capitaliser permet d’économiser les prélèvements obligatoires, en améliorant le rapport qualité/prix des prestations publiques, mais aussi d’allouer plus de capitaux au financement de l’économie.

D’un point de vue théorique, le rendement « implicite » a pu apparaître être égal à celui de la capitalisation dans les années 1960, comme l’a modélisé Paul Samuelson avec sa « théorie de l’équivalence entre répartition et capitalisation »[1]. A l’image de Henry Aaron, de nombreux économistes ont affiné les travaux de Samuelson, en intégrant d’autres données, telles que la croissance des salaires ou de l’économie. Les recettes d’un régime par répartition sont, en effet, liées à la croissance de la masse salariale voire, dans le cadre d’un partage de la valeur ajoutée stable, des économies. Si la croissance est significative, les cotisations sociales collectées augmentent vite, ce qui permettra d’accroître les recettes et de distribuer plus de retraites. Mais la réalité est différente depuis plusieurs décennies. Comme le prophétisait Alfred Sauvy « sans enfants aujourd’hui, il n’y aura pas de retraites demain » et le contrechoc du baby-boom joue contre la répartition[2]. Sans surprise, un grand nombre de travaux soulignent que la rentabilité des placements financiers a été supérieure au développement de l’économie, confirmant que la répartition est à la peine.

Georges Gallais-Hamonno et Pedro Arbulu ont montré que le rendement réel d’un placement actions était de 6,9 % par an en France entre 1950 et 1992, soit bien plus que le taux de croissance de l’économie (3,6 %), un différentiel de 3 points et un ratio de 2 à 1[3]. Jacques Garello et Georges Lane retrouvent ce ratio de 2 à 1 entre capitalisation et répartition, à partir de deux approches, l’une par cas type et l’autre macroéconomique[4]. On trouve situation proche dans les pays de l’OCDE, avec un différentiel de 4 à 5 points entre le rendement des marchés actions et la croissance des revenus réels entre 1967 et 1990 et un ratio de 3 à 1 selon E. Philip Davis [5]. Un travail récent de Bouhakkou, Coën et Folus atteste d’un différentiel de 5 points entre le rendement des marchés actions et la répartition entre 1977 et 2016[6]. De même, une note de Natixis sur le différentiel des rendements de la répartition et de la capitalisation a été de l’ordre de 7 points en France sur la période 1982-2019[7].

Un nombre significatif d’économistes pensent que cette tendance va durer. En 1997, Olivier Davanne et Thierry Pujol tablaient sur une croissance à long terme avoisinant les 2 %, contre 4 à 6 % pour une estimation « raisonnable » du rendement à long terme d’un capital diversifié[8]. Comme l’exposait Didier Blanchet en 1998, cela penche « en faveur de la capitalisation si le rendement du capital est supérieur au taux de croissance (r > g) »[9]. Olivier Davanne soulignait, quant à lui, que la répartition en France sera un système au rendement relativement faible car « pour atteindre un même niveau de prestations, un système fondé sur l’épargne est beaucoup moins coûteux »9. Même vision chez Jean-Hervé Lorenzi selon qui « pour avoir un même niveau de prestations à un moment donné, la retraite par capitalisation est moins coûteuse, toutes choses égales par ailleurs, puisqu’elle est plus rentable et nécessite donc un plus faible niveau de ‘mise’ initiale »9. Dans un ouvrage à succès de 2013, Thomas Piketty apporte des éléments allant dans ce sens. Selon lui, le taux de rémunération du capital (r) est historiquement stable et supérieur à la croissance (g). Il considère que « Tout laisse à penser que le taux de rendement moyen du capital va se situer au cours du XXIème siècle nettement au-dessus du taux de croissance économique (environ 4 %-4,5 % pour le premier, à peine 1,5 % pour le second) »[10]. Aussi la capitalisation devrait être bien plus intéressante que la répartition, même si Piketty ne va pas jusque-là pour des raisons qui lui sont propres.

Indépendamment des différentiels de performance, la combinaison répartition/capitalisation est créatrice de valeur pour d’autres raisons.

 

Améliorer la résilience globale en combinant répartition et capitalisation.

L’idée selon laquelle une combinaison de systèmes en répartition et en capitalisation peut être optimale en raison de la diversification a été initiée par Robert Merton, en 1983[11]. Cette approche a été développée par Zvi Bodie et Paul Samuelson en 1992[12], puis élargie au risque inflationniste avec Willem Heeringa en 2008[13]. La démarche de Merton a donné lieu à une production significative d’articles sur une trentaine d’années. Comme l’exposent Pierre Devolder et Roberta Melis, « les régimes de retraite par capitalisation et par répartition peuvent sembler très différents mais sont en fait complémentaires car ils traitent de différents risques » [14]. On retrouve la même approche chez Didier Folus, qui considère que « les facteurs de risque qui affectent les performances d’un régime par répartition ou d’un régime par capitalisation, n’agissent a priori pas de façon simultanée sur les deux mécanismes. Et cela, même si certains de ces facteurs peuvent être communs (démographie par exemple) »[15]. Dans une étude récente avec Léa Bouhakkou et Alain Coën, il conclut que « dans la plupart des cas, un mélange des deux systèmes est souhaitable »[16].

Philippe Trainar[17] considère que pour diversifier les risques auxquels les futures retraites sont exposées, il importe de diversifier les sources de financement des retraites avec un système mixte alliant répartition et capitalisation. De cette manière, les retraités bénéficient à la fois des revenus du capital et du travail. Cela permettrait de limiter les inégalités à l’instar des travaux de Branko Milanovic sur la réduction des inégalités associée à la démocratisation du capitalisme[18], tout en protégeant les salariés au cas où le partage de la valeur ajoutée leur devenait défavorable[19]. Selon Trainar, « si l’on tient compte de la volatilité plus élevée des revenus du capital par rapport aux revenus du travail, notamment au salaire, le partage optimal serait autour de 33 % et 66 % respectivement pour la capitalisation et la répartition en France »17.

Comme la répartition, la capitalisation n’est pas immunisée contre les chocs économiques, mais elle les absorbe différemment, d’où l’intérêt de mixer capitalisation et répartition. Tout miser sur la répartition est, par nature, un choix peu diversifié et risqué. Il n’est pas totalement exempt de diversification, la répartition permettant aux retraités de profiter de la valorisation du capital humain des actifs, conformément aux travaux de Merton. Mais même lorsque la répartition est pratiquée sur des bases larges et assortie de réserves permettant d’amortir les chocs, les risques restent concentrés sur une base géographique, tributaire d’une même démographie et d’une même économie. La capitalisation s’organise sur des marchés de capitaux mondiaux, offrant des capacités de diversification géographique n’existant pas dans la répartition. Elle permet, par exemple, d’investir dans des pays plus jeunes d’un point de vue démographique et/ou des économies n’ayant pas atteint nos niveaux de maturité. Elle permet aussi d’amortir les tendances, capacité moins présente dans la répartition ne disposant pas de provisions. Diversifier en combinant capitalisation et répartition fait sens.

Un retard français coûteux sur tous les plans

A rebours de la recommandation standard, la France fonctionne quasi exclusivement en répartition. Cet état de fait est la conséquence d’un long processus de mise sous tutelle des capitalisations collectives apparues au XIXème siècle, ayant conduit à leur extinction à l’issue de la deuxième guerre mondiale[20], et de l’incapacité à corriger les déséquilibres depuis, en raison d’une stagnation des dispositifs type Plan épargne retraite (PER) et d’une montée en puissance insuffisante des capitalisation collectives.

Avec la baisse de la natalité et le départ à la retraite issue du baby-boom, l’équilibre des retraites par répartition a été bouleversé. En 1959, on comptait 0,24 retraité par actif, chiffre qui a triplé pour atteindre 0,73 retraité par actif en 2019 pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

A ce stade, les capitaux mis de côté dans les dispositifs d’épargne retraite représentent à peine 12 % du PIB (Error! Reference source not found.), contre 82 % en moyenne dans les pays de l’OCDE[21]. Facteur aggravant, une partie des régimes privés en répartition et l’intégralité des régimes publics financés par le budget ne disposent pas de réserves permettant de faire face aux déséquilibres structurels ou conjoncturels. Au global, la répartition française au sens large dispose de moins de 3 % du PIB en réserve, contre 14% en moyenne dans les pays de l’OCDE, alors que ses promesses non provisionnées représentent une dette implicite de 450 % du PIB[22].

Tableau 1– A peine 12% du PIB provisionné en vue de la retraite en France

Provisions mathématiques des capitalisations retraite françaisesmilliards d’€points de PIB
Plans d’épargne retraite (PER) individuels ou professionnels2409,9%
Individuels (PER ex PERP, Prefon, Corem, CRH, Fonpel, …)542,2%
Indépendants (PER ex Madelin, exploitants agricoles…)512,1%
Salariés (PER obligatoires ou collectifs, ex article 83, PERE, PERCO…)1355,6%
Capitalisations collectives type fonds de pensions582,4%
Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP)381,5%
Caisse de réserve des employés de la Banque de France (CRE)120,5%
Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP)70,3%
Caisses des retraites du Sénat (personnels et anciens sénateurs)10,1%
Total PER et capitalisations collectives29812,3%

Source : Institut économique Molinari d’après DRES, ERAFP, Sénat, Banque de France, CAVP à fin 2019.

Par rapport à la moyenne de l’OCDE, le sous-développement de l’épargne coûte chaque année à la France de l’ordre de 2,6 % du PIB. Le sous-développement de la capitalisation représente un manque-à-gagner de 1,8 points de PIB par an et le sous-dimensionnement des réserves des régimes en répartition nous pénalise à hauteur de 0,7 points de PIB21. Cela représente 60 milliards d’euro par an, soit un cinquième des retraites distribuées ou 3 750 euros par retraité chaque année. Si l’on se compare avec les plus prévoyants de l’Union européenne (Danemark, Pays-Bas, Suède), c’est même de l’ordre de 140 milliards d’euros qui manquent chaque année, soit 40 % des retraites distribuées ou 8 400 euros par retraité.

Corolaire : les prélèvements obligatoires finançant les retraites par répartition ont triplé depuis 1960. Les dépenses de retraites représentaient 13,6 % du PIB en 2019, contre 5,1 % du PIB en 1959. Alors que les retraites mobilisaient 13 % de dépenses publiques représentant 40 % du PIB en 1959, elles absorbaient 25 % des dépenses publiques représentant 55 % du PIB en 2019. La charge liée au versement des pensions a progressé bien plus vite que les autres dépenses publiques. Elle explique 55 % de la progression des dépenses de 1959 à 2019 et, indirectement, notre perte de compétitivité, la montée du chômage, multiplié par 4, et le caractère désormais systématique des déficits publics.

Le dernier équilibre des comptes publics date de 1974, année qui marque la fin du baby-boom selon l’INED, et la dette publique est passée depuis de 21 à 112,9 % du PIB fin 2021. L’absence d’anticipation financière du vieillissement s’avère particulièrement pénalisant pour la compétitivité et le pouvoir d’achat. Dans un travail récent nous montrons avec Cécile Philippe qu’en 2019 la France est le pays le moins compétitif d’Europe. Les excédents nets d’exploitation représentent à peine 16 % de la valeur ajoutée nette[23], soit 32 % de moins qu’au Royaume-Uni, 34 % de moins qu’en Allemagne, 38 % de moins que dans l’Union européenne, 46 % de moins qu’en Italie et Espagne et même 48 % de moins qu’aux Pays-Bas. Pour dégager 100 € d’excédent net d’exploitation, l’entreprise moyenne hexagonale devait s’acquitter de 168 € de prélèvements obligatoires nets de subvention en 2019, contre 79 € en moyenne dans l’Union européenne. Les cotisations sociales patronales, et notamment celles finançant les retraites, et la fiscalité de production pesaient deux fois plus sur la compétitivité que dans le reste de l’Union. Les prélèvements obligatoires représentaient 51 % du coût employeur pour un salarié moyen célibataire sans enfant, ce qui laissait 49 % de rémunération nette de cotisations et d’impôts, soit 7 points de moins que dans les grandes économies européennes. L’épargne longue, clef du développement de l’innovation depuis les premières révolutions industrielles manque cruellement depuis le passage en tout répartition, ce qui explique le retard accumulé dans les technologies d’avenir (digital…), mais aussi le déclin dans des domaines d’excellence anciens (médical…).

Un retard français récupérable, comme l’illustrent la CAVP et l’ERAFP

Comment introduire une dose plus significative de capitalisation permettant de préserver le pouvoir d’achat et la compétitivité ? Si une abondante littérature souligne que la capitalisation est plus rentable que la répartition, certains mettent en exergue les difficultés à faire monter en puissance la capitalisation. Pour autant, plusieurs expériences françaises montrent qu’il est possible de mettre en place des capitalisations collectives pour alléger le coût de financement des retraites.

L’existence et la réussite des capitalisations collectives est souvent occultée en France, qu’il s’agisse de celles du secteur public (ERAFP, banque de France, Sénat…) ou des professions libérales (pharmaciens…)[24]. Méconnues du grand public, elles sont des réussites à double titre.

D’une part, elles génèrent de l’ordre de 2 milliards d’euros par an de dividendes et plus-values permettant de préparer les retraites sans faire appel aux prélèvements obligatoires. Le taux de rendement interne des placements faits par l’ERAFP au nom des fonctionnaires était, fin 2020, de 5,4 % par an depuis 2006. Depuis sa création l’établissement a fait gagner de l’ordre de 15 milliards d’euros grâce à ses placements. La caisse de retraite des pharmaciens (CAVP) a permis, quant à elle, de faire économiser aux pharmaciens 1 milliard sur les 4,7 milliards de prestations distribuées grâce à ses placements en capitalisation sur les 30 dernières années. Ce financement, loin de nuire à la compétitivité, à l’emploi et au pouvoir d’achat, les favorise.

D’autre part, ces capitalisations collectives ont l’immense avantage d’être cogérées avec les partenaires sociaux ou sur une base professionnelle, ce qui contribue à développer une culture de cogestion conciliant les intérêts au lieu de développer les antagonismes.

En dépit de ces avantages, une grande partie des décideurs publics reste sur l’idée que les Français seraient opposés à un recours accru à la capitalisation collective, ce qui est fréquemment contredit par l’actualité sociale ou les sondages. Certains se souviennent de l’échec cuisant de la loi Thomas. Cette tentative d’instaurer des fonds de pension à la française était restée lettre morte, l’alternance de 1997 ayant conduit à l’abandon de ce texte sans qu’il ne soit jamais entré en vigueur.

D’autres ne réalisent pas que l’absence de capitalisation collective est problématique. Après tout, les Français s’organisent depuis des décennies, sur des bases individuelles ou avec leur entreprise. En 1964, quatre syndicats ont créé la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique (Préfon), ouverte aux fonctionnaires souhaitant constituer un complément retraite par capitalisation. En 1994, les professions libérales ont obtenu la création des contrats Madelin. En 2003, la loi Fillon a créé les Plans d’épargne retraite populaires (PERP), ouverts à tous. Les entreprises ne sont pas en reste, avec le développement des articles 83 ou des PERCO. La loi de 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE) a harmonisé ces dispositifs pour leur procurer une nouvelle jeunesse, même s’il n’est pas sûr que cela suffise[25]. Par ailleurs, les Français épargnent aussi bien au-delà des dispositifs dédiés spécifiquement à la retraite. Leur taux d’épargne figure parmi les taux d’épargne les plus élevés en 2019, avec 14,6 % du revenu disponible mis de côté, la 4ème position dans l’Union européenne. Pour autant, ces dispositifs facultatifs ne compensent pas le sous-développement français du deuxième pilier en capitalisation collective[26]. Ils ne couvrent pas tout le monde et la France reste une « capitalisation désordonnée ». Certains bénéficient à la fois de revenus du travail et du capital, au titre des retraites par répartition et de leur capitalisation. La majorité des retraités est moins bien lotie, avec la seule répartition. Étrangement, cette façon de faire est parfois présentée comme égalitaire, alors qu’elle génère une fracture entre les individus.

On entend parfois qu’une montée en puissance de la capitalisation serait impossible car elle obligerait « les actifs à cotiser deux fois ». Cette affirmation, doublement trompeuse, ne tient pas compte des montées en puissance des capitalisations collectives en France au profit des pharmaciens ou des fonctionnaires.

Précisons d’abord que les actifs n’auraient pas besoin de cotiser deux fois plus, même dans le cadre théorique d’un remplacement intégral de la répartition par la capitalisation. Dans ce scénario, qui n’est pas la recommandation des économistes, l’enjeu serait d’épargner 33 % des sommes assurant l’équilibre de la répartition si, comme Thomas Piketty, on considère que la capitalisation est 3 fois plus attractive que la répartition. Les gains liés aux placements financiers permettraient de générer les ressources complémentaires et laisser croire que le taux d’effort serait doublé n’est pas factuel.

Mais surtout, l’enjeu n’est pas de remplacer la répartition par la capitalisation, mais de les faire coexister pour que tous en profitent. Si l’on retient l’objectif de Philippe Trainar d’un tiers de capitalisation à terme, la transition impliquerait un effort représentant un sixième des cotisations alimentant la répartition. Nous sommes loin d’un doublement, ce qui explique comment la CAVP des pharmaciens a pu faire monter en puissance l’étage de capitalisation collective épaulant son régime de base répartition, tout en veillant à ce que ce dernier soit doté de réserves lui permettant d’amortir les chocs.

De même, la montée en puissance d’une capitalisation obligatoire dans la fonction publique depuis 2006 s’est faite sans doublement des cotisations. Les finances publiques ont été mises à contribution pour assumer le surcoût et la cotisation des fonctionnaires à l’ERAFP a été calibrée pour ne pas nuire à leur pouvoir d’achat. L’opération a été rentable d’un point de vue patrimonial, même en faisant l’hypothèse d’une montée en puissance intégralement financée par l’endettement public. Placer à long terme dégage, en effet, un gain significatif, les capitaux confiés à l’ERAFP se bonifiant à plus de 5 % par an, un taux bien supérieur au coût de l’endettement public. La montée en puissance de la capitalisation collective des fonctionnaires a été respectueuse des contribuables, à l’opposé des expédients conduisant à vider le Fonds de réserve des retraites (FRR) alors que son rendement est significativement supérieur au coût de la dette publique.

Dupliquer l’ERAFP des fonctionnaires au profit de tous les salariés du privé

Aujourd’hui, l’enjeu est de généraliser la capitalisation collective qui profite déjà à une minorité de fonctionnaires et de professions libérales. Dans un travail récent, CroissancePlus et l’Institut économique Molinari proposent la mise en place d’un Établissement de retraite additionnelle des salariés du privé (ERASP). Il serait alimenté par un prélèvement sur la masse salariale et fonctionnerait en capitalisation, sur les mêmes règles que l’ERAFP du public, au profit de tous les salariés du privé. La mise en place de cette capitalisation collective serait neutre pour les employeurs et salariés. Les prélèvements sur la fiche de paie non générateurs de droits sociaux seraient, en effet, concomitamment réduits pour éviter toute augmentation du coût employeur ou réduction du pouvoir d’achat des salariés. Dans l’hypothèse d’une cotisation de 2 % de la masse salariale du privé complétant les cotisations retraites actuelles (28 % des salaires bruts), cet établissement détiendrait 32 % du PIB en rythme de croisière. D’ici 60 ans, il créerait une richesse nette annuelle représentant 0,8 % du PIB[27], finançant les retraites sans nuire à la compétitivité ou au pouvoir d’achat. Le bon sens plaiderait pour que cet établissement soit hébergé par l’Agirc-Arrco. Cela lui permettrait de bénéficier des avantages d’une gouvernance paritaire, au sein d’une caisse de retraite ayant fait montre d’une grande responsabilité, avec notamment un fonctionnement en points et des réserves permettant d’amortir les chocs.

Le refus de la capitalisation a longtemps été un marqueur politique, une grande partie de la gauche s’étant désolidarisée des positions de Jean Jaurès des années 1910 en faveur de la capitalisation collective. Mais la donne a bien changé avec la création du Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES) en 2002 par la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et la CGT, la montée en puissance de l’ERAFP cogéré avec les syndicats depuis 2006 ou les manifestations organisées par les syndicats de la Banque de France en 2020 pour préserver leur capitalisation retraite. S’opposer à la capitalisation collective apparait de plus en plus comme une démarche partisane déconnectée des enjeux sociaux. Si l’épargnant qui place en actions s’enrichit plus vite que le salarié, à quel titre refuser la démocratisation de la capitalisation collective ?


[1]                 En 1958 Paul Samuelson envisage le cas d’une économie où il serait impossible d’accumuler des capitaux, ceux-ci fondant comme neige au soleil. Les retraites seraient financées exclusivement en répartition, les actifs transféreraient une partie de leurs revenus aux retraités en espérant que les générations suivantes fassent de même. Cette répartition dégagerait un rendement « implicite » lié au taux de croissance de la population : à taux de cotisation inchangés, la répartition rapportant un « taux d’intérêt biologique » équivalant au taux de croissance de la population. Si le taux de croissance de la population était équivalent au rendement des marchés financiers, il y aurait même équivalence entre le rendement « implicite » de la répartition et explicite de la capitalisation. Samuelson, P. (1958). « An Exact Consumption-loan Model of Interest with or without the Social Contrivance of Money, » Journal of Political Economy, volume LXVI décembre n°6 pp. 467-482.

[2]                 Sauvy, A. (1978), La tragédie du pouvoir. Quel avenir pour la France, Calmann-Lévy, p. 265.

[3]                 Gallais-Hamonno, G. et Arbulu, P. (1995). « La rentabilité réelle des actifs boursiers », Économie & Statistique, n°281 pp. 3-30.

[4]                 Garello, J. et Lane, G. (2008). Futur des retraites & retraites du futur, vol. I : Le futur de la répartition. Aix-en-Provence : Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, par exemple p. 169 et p. 192.

[5]                 Davis, E.P. (1995). Pension Funds: Retirement-Income Security and Capital Markets, an International Perspective, Clarendon Press, Oxford.

[6] Léa Bouhakkou, Alain Coën et Didier Folus (2020), “A portfolio approach to the optimal mix of funded and unfunded pensions,” Applied Economics, vol.52, issue 16, 1733-1744. DOI:10.1080/00036846.2019.1678728.

[7]                 Natixis. (2020). France : Quelle serait la situation des retraités s’ils avaient eu des fonds de pension depuis le début des années 1980 ? ([Flash Economie] no 1) (p. 5). Paris.

[8]                 Davanne, O. et Pujol, T. (1997). « Analyse économique de la retraite par répartition », Revue française d’économie, volume XII hiver, pages 40-41.

[9]  Davanne, O.  Lorenzi, J.H. et Morin, F. et al (1998). Retraite et épargne, Conseil d’Analyse économique, juillet 2017.

[10]                Piketty, T. (2013). Le capital au XXIème siècle, Seuil, pages 751 et suivantes.

[11]   Son modèle, basé sur la théorie du portefeuille, explique pourquoi la diversification entre capitalisation et répartition fait sens, même lorsque cette dernière a un rendement « implicite » faible. La répartition contribue à couvrir des risques auxquels les individus peuvent être confrontés au cours de leur vie. Elle permet notamment à une génération de profiter du capital humain de la prochaine génération. Merton, R. C. (1983). « On the Role of Social Security as a Means for Efficient Risk Sharing in an Economy Where Human Capital Is Not Tradable. » In Financial Aspects of the United States Pension System, edited by Z. Bodie and J. Shoven, pp. 325–358. Chicago: Chicago University Press.

[12]                Bodie, Z. Merton, R.C. et Samuelson, W.F. (1992). « Labor Supply Flexibility and Portfolio Choice in a Lifecycle Model », Journal of Economic Dynamics and Control, vol. 16, n° 3, pp. 427-449.

[13]                Heeringa, W. (2008). « Optimal Lifecycle Investment with Pay-As-You-Go Pension Schemes: A Portfolio Approach », Document de travail n° 168, De Nederlandsche Bank, Amsterdam.

[14]                Devolder, P. et Melis, R. (2015). « Optimal mix between pay as you go and funding for pension liabilities in a stochastic framework », Astin Bulletin, The Journal of the IAA, Volume 45, Numéro 3, Septembre 2015, pp. 551-575.

[15]                Folus, D. (2015), Vers une épargne-retraite obligatoire en France ? Enjeux de la transition, note de la Chaire Transitions démographiques, transitions économiques (TDTE), Caisse des dépôts, janvier, page 7.

[16]                Bouhakkou, L., Coën, A. et Folus, D. (2019). supra, page 1 DOI:10.1080/00036846.2019.1678728.

[17]                Trainar, P. (2017). « La création de fonds de pension est-elle encore utile dans les économies avancées ? », Revue d’économie financière, N° 126 2017/2 , pages 123 à 142.

[18]                Branko, M. (2016). “Increasing Capital Income Share and its Effect on Personal Income Inequality,” LIS Working Paper Series, No. 663, 33 pages.

[19]                Les données montrent qu’en France la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée a progressé depuis 1990, comme l’illustre le rapport récent co-signé par la CFDT, CFE-CGC, CFTC, CPME, Medef, et U2P consultable : https://bit.ly/3OyAte9.

[20]                Marques, N. (2000), « Le monopole de la Sécurité sociale face à l’histoire des premières protections sociales », Journal des Économistes et des études humaines, Vol. 10, numéro 2/3, Juin/Septembre 2000, pp.315-343, https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/jeeh-2000-0204/html

[21] Marques, N. et Philippe, C. (2019). Retraites françaises, sortir de l’impasse, préparer l’avenir (p. 68). Paris-Bruxelles : Institut économique Molinari avec Contrepoints. https://bit.ly/3xG16GX.

[22]                La dette des régimes de retraite français représentait en 2015 entre 310 % et 450 % du PIB, selon le taux d’actualisation retenu. Le taux d’actualisation de 2 % en termes réels, plus prudent et proche des scénarios de progrès de productivité du COR, représentant la fourchette haute de cette estimation. Conseil d’orientation des retraites (2018), « Engagements, réserves et dettes du système de retraite », Séance plénière du 11 juillet 2018 à 9h30, 16 pages.

[23] Marques, N. et Philippe, C. (2022). La fiscalité française contre la compétitivité et le pouvoir d’achat (p. 56). Paris : Institut économique Molinari. https://bit.ly/3y7DIng.

[24]                Voir toutefois Monique Durand, « Mixer répartition et capitalisation : ça marche ! L’expérience des pharmaciens », Journal des libertés, n°7, hiver 2019, 167-174. https://bit.ly/3O7RlbC.

[25]                En 2019 les dispositifs type PER représentaient 4 % des cotisations retraite et 2 % des prestations retraite, soit autant qu’en 2005. Le poids de ces produits dans la retraite n’a pas significativement progressé depuis 15 ans, en dépit des efforts déployés par les réseaux de distribution, ce qui laisse à penser qu’ils ne sont pas de nature à permettre de combler rapidement le retard français.

[26]                Garello, J. (2022). « L’âge de la retraite n’a que peu d’intérêt », Contrepoints, 26 mars, https://bit.ly/39CXHAK

[27]                 Cet établissement collecterait 0,5% du PIB en cotisations et distribuerait 1,3% du PIB en retraites.

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