J’observe avec désespoir que l’âge de la retraite, déjà au cœur de la campagne des présidentielles, s’annonce aujourd’hui comme le champ de bataille entre la majorité présidentielle et ses opposants. 

En effet une réforme des retraites (que le Président entendait « boucler à l’été 2023 ») ne saurait consister à avancer ou retarder l’âge de la retraite. Il y a à cela deux raisons : l’une, bien évoquée dans l’article de Nicolas Marques, c’est que discuter de l’âge de la retraite c’est s’enfermer stupidement dans le système de répartition, en voie d’explosion quoi qu’on fasse, l’autre c’est qu’on néglige la voie du salut, choisie depuis longtemps par la plupart des pays de l’OCDE : amorcer le plus vite possible la transition de la répartition à la capitalisation.

L’individu ou l’État ?

Il nous paraît normal que la gestion des retraites soit en France, pour l’essentiel, confiée à une administration appelée Sécurité Sociale. Mais la gestion des retraites est-elle par nature un service public ?

Je vais faire un court rappel historique.  Il faut se rappeler que c’est le gouvernement de Vichy qui en mars 1941 a créé le système de la retraite des vieux travailleurs. Le ministre René Belin, ancien dirigeant de la CGT, va réaliser ce que le Front Populaire n’avait pu faire : substituer les assurances « sociales » aux assurances privées auxquelles on reprochait d’avoir ruiné les assurés (en fait c’est l’inflation galopante qui a détruit toutes les positions créditrices entre 1932 et 1940)[1].

Tout le monde oublie ce détail historique, on croit, comme Xavier Bertrand l’a dit, que « la répartition est un acquis social chèrement obtenu par les luttes syndicales », et on se réfère au Conseil National de la Résistance, alors que cet organisme dominé par les communistes n’a fait que rependre le système créé par Vichy.

Ce rappel historique est nécessaire pour comprendre que la gestion de la retraite n’est entrée dans le droit public français que par hasard, et ne correspond à aucune nécessité économique, financière, sociale. Je soutiens au contraire que la gestion des retraites par une administration publique qui, de plus, s’enferme dans le système par répartition, est la plus inefficace et la plus injuste qui soit.

C’est ce qu’ont compris nombre de pays étrangers dont les uns ignorent purement et simplement la répartition et dont les autres sont passés progressivement à la capitalisation. Le sens du progrès ne fait pas de doute : Il faut réduire au minimum la part de la répartition dans l’ensemble du système (ce qu’on appelle en général le « premier pilier ») pour renforcer un deuxième pilier, celui des retraites collectives par capitalisation, et pour mettre en place un troisième pilier, celui des retraites individuelles par capitalisation.

Un premier pilier pour garantir un filet social

Je ne veux pas m’étendre sur le premier pilier, sinon pour dire qu’il occupe désormais une place marginale dans la plupart des pays qui ont réformé. Je reviens à des données établies pour 33 pays il y a quelques années, mais à mon sens elles ne peuvent qu’être confirmées avec le temps[2].

Le premier pilier est presque toujours en répartition. Mais plusieurs pays garantissent le montant des pensions : quelques pays baltiques et scandinaves (Pologne, Finlande, Suède, Danemark, Lettonie) et les pays à système « notionnels » (Allemagne, Italie).   Ce qui est commun à tous ces pays est que le premier pilier, presque toujours géré par l’État ou l’une de ses administrations, est un simple « filet social », qui garantit un minimum vieillisse, et qui est financé non par des cotisations mais par des ressources budgétaires, au nom de la solidarité nationale (impôt sur le revenu en général).

Un deuxième pilier collectif

Sur le deuxième pilier, Nicolas Marques a raison de souligner que la capitalisation, si décriée par la classe politique pour des raisons purement idéologiques, est bienvenue en France pour certaines catégories de personnes : quelques professions, comme celle des pharmaciens, mais aussi les fonctionnaires et certains bénéficiaires de « régimes spéciaux ». Ceux qui accèdent à la capitalisation paient moins et touchent davantage.

 Il y a tout un volet de la législation française construit autour de l’idée de « participation » (les salariés participent au capital de l’entreprise, qui trouve ainsi des moyens de se financer et d’améliorer ses performances, ce qui grossira le montant des retraites). Les PERCO Plans d’Épargne retraite collectifs, et les Plans d’Épargne des Entreprises (PEE) introduits par la réforme Fillon, les plans Madelin pour les « travailleurs non salariés » sont en capitalisation. Mais pourquoi réserver la capitalisation à des privilégiés ? Je rappelle aussi que ce « deuxième pilier » ne concerne en général que les retraites complémentaires. Signe de la logique jacobine et étatiste : pour limiter les déficits du régime général, le gouvernement a voulu faire main basse sur les fonds accumulés par les AGIRC et ARRCO, et même les mutuelles : malheur aux retraites complémentaires gérées en capitalisation, puisqu’il leur reste encore quelques fonds de tiroir. 

Finalement, je crois que le deuxième pilier français a besoin d’être sérieusement consolidé, et tranche avec ce qui se fait à l’étranger. Dans 20 pays il est obligatoire. Dans 13 pays il est volontaire et totalement libre (Australie, Estonie, Royaume Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède) ou établi après des négociations collectives (Australie, Belgique, Danemark, USA, Finlande, Irlande, Pays Bas). Dans ces pays le deuxième pilier est en capitalisation. Par contraste, dans les pays où le deuxième pilier est obligatoire il est totalement organisé par la loi (nationale ou régionale), il peut même être en répartition (Belgique, Canada, Japon, France).

Les retraites libres

Le troisième pilier est en capitalisation, et volontaire. Il existe dans 22 pays sur les 33. C’est l’assuré qui choisit son fonds de pension ou sa compagnie d’assurance, la concurrence est ouverte, même si les financiers doivent présenter des garanties effectives. Si les employeurs abondent aux retraites de leurs salariés, ils doivent avoir l’accord du salarié pour le gestionnaire retenu.

Les performances de ce troisième pilier sont remarquables : cotisations abaissées, pensions améliorées. Faut-il s’en étonner ? Certainement pas pour ceux qui croient aux vertus de la liberté et de la responsabilité. Quand la retraite devient une affaire personnelle, qui varie avec le tempérament, l’âge et la situation de famille, les choix sont les mieux adaptés. Encore faut-il que le choix soit possible, d’où la nécessité d’une concurrence en matière de retraites. Or, le monopole des « assurances sociales » interdit toute initiative au futur retraité.

La preuve a été faite que des individus de toutes conditions peuvent prendre les meilleures décisions, surtout lorsqu’ils bénéficient d’une information permanente sur la tenue de leur compte – ce qui est facile avec la capitalisation. On a vu très souvent des individus ayant plusieurs comptes d’épargne ouverts dans différents fonds de pension ou sociétés d’assurance privées.

La gestion patrimoniale

On parle parfois d’un « quatrième pilier » : les individus, en dehors de toute retraite collective ou mutuelle, et au-delà des obligations légales (très nombreuses en France), cherchent à constituer une épargne et un capital pour constituer et valoriser un patrimoine sous forme de propriété mobilière ou immobilière.

On peut se demander si la gestion patrimoniale est encore permise en France à l’heure actuelle. La question se pose depuis le rapport de l’an dernier, rédigé à la demande du Président Macron, dont les rapporteurs éminents ont été Olivier Blanchard et Jean Tirole[3]. Ces économistes ont soutenu que l’héritage était contraire à l’égalité des chances, de sorte que les impôts sur les successions devraient permettre de redistribuer 19 milliards d’euros pour doter tous les jeunes d’un capital financier qui leur permettrait d’investir dans leur capital humain.

Sans aller jusqu’à ces analyses extrêmes, force est de constater que les Français qui, individuellement, veulent gérer leur patrimoine de manière à vivre en séniors sans soucis financiers majeurs ont beaucoup de mal avec les administrations publiques :

  • Veulent-ils constituer une épargne liquide ? On sait que le livret A est leur placement préféré. Mais d’une part il est d’un rapport ridicule, aujourd’hui négatif par l‘effet de l’inflation, d’autre part cette épargne n’est capitalisée que dans le cadre de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui ne finance que la Banque Publique d‘Investissement elle-même guidée par France Stratégie,  nouveau nom du Commissariat au Plan. On est évidemment loin de la gestion habituelle d’un fonds de pension !
  • Veulent-ils se couvrir avec une assurance-vie ? Après avoir longtemps encouragé les épargnants, le législateur a inversé la tendance, puisqu’il y avait une matière fiscale importante et possédée par des Français en général aisés : l’égalitarisme exigeait un statut moins favorable, de sorte que les rapports des contrats sont soumis à un prélèvement forfaitaire de 12,8 %.
  • Veulent-ils investir dans la pierre, pour ne pas avoir un loyer à payer plus tard, ou pour percevoir les revenus d’une habitation louée ? Mais le montant des loyers est contrôlé, et parfois bloqué dans certaines métropoles, et les charges nouvelles engendrées par les normes écologiques rendent la propriété immobilière ruineuse.
  • Veulent-ils gérer un portefeuille de titres[4] ? Les revenus n’échapperont pas longtemps au fisc (en dépit du remplacement de l’ISF par l’IFI).

Je fais le tour des questions que peuvent se poser les Français de tous âges quand ils commencent à penser à leurs vieux jours. Il apparaît qu’ils peuvent difficilement échapper à la vindicte fiscale et réglementaire. La plupart d’entre eux ont perdu toute confiance dans le régime général des retraites, et tout espoir de constituer un patrimoine durable.

Il est donc temps d’amorcer une réforme qui ne s’est pas encore produite. Mais évidemment ce n’est pas en discutant de l’âge de la retraite et en ignorant toute perspective de capitalisation dans des piliers libérés que l’on résoudra quoi que ce soit. La réforme annoncée va s’ouvrir sur un champ de bataille miné, et l’explosion ne fait pas de doute.


[1]                 Cf. la thèse de Nicolas Marques sous ma direction Sécurité sociale ou protections sociales : une analyse économique institutionnelle, Aix en Provence, 1995.

[2]                 On peut trouver le tableau détaillé des pays dans le deuxième tome de notre ouvrage Jacques Garello et Georges Lane : Futur des retraites et retraites du futur » Les retraites du futur : la capitalisation, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2008 pp. 65-71.

[3]                 Les grands défis économiques, Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, Juin 2021. Disponible en ligne : https://bit.ly/3tZteEa

[4]                 Dans Marx à la corbeille : quand les actionnaires font la Révolution, Philippe Manière (éditions Stock, Paris, 1999) expliquait que la plupart des salariés américains possédaient un portefeuille de titres – mais pas souvent de titres émis par la société qui les employait.

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Journal des Libertés

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