La montée des populismes et la fragilisation des démocraties inquiètent de nombreux observateurs de la vie politique. Sergei Guriev et Daniel Treisman proposent dans leur livre une analyse des stratégies utilisées par les nouveaux dictateurs pour renforcer leurs pouvoirs et se maintenir à la tête de leurs pays respectifs, tout en faisant croire au plus grand nombre qu’ils respectent les principes de la démocratie pluraliste. Cette note présente les auteurs, la thèse du livre, son organisation et conclut par quelques commentaires généraux.

Les auteurs

Daniel Treisman est professeur de sciences politiques à l’Université de Californie à Los Angeles et associé au National Bureau of Economic Research. Il a publié dans les prestigieuses revues de sciences politiques et de sciences économiques américaines ; The American Economic Review et The American Political Science Review. Il travaille sur la politique et l’économie russe et en particulier sur les processus de consolidation démocratique, la corruption, la décentralisation et l’avènement des régimes autoritaires. Sergei Guriev est un économiste russe, ancien chef économiste de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et désormais membre du Centre for Economic Policy Research et directeur scientifique du programme de master et de doctorat en économie de l’Institut d’études politiques de Paris. En 2022 il est détaché à l’Institut universitaire de France.

La thèse

Le livre Spin dictator veut expliquer la nature des dictatures contemporaines (p. 20). A cette fin, il synthétise la littérature des sciences politiques et des sciences économiques contemporaines dans un modèle général et conclut que les spin dictators ne sont pas des tyrans violents de la vieille école qui auraient appris quelques nouveaux tours de passe-passe. Ce sont des dirigeants qui ont inventé une nouvelle méthode de gouvernement. Cette méthode repose essentiellement sur la manipulation des médias, la fabrication d’une popularité, un simulacre de démocratie, la limitation de la violence publique et l’ouverture sur le monde. Tous ces instruments donnent sa cohérence à ce nouveau modèle de gouvernance sans liberté qui gagne du terrain dans de nombreux pays.

L’objectif du livre est de réussir à comprendre le succès des spin dictators afin de proposer une stratégie permettant aux démocraties traditionnelles de s’y opposer ; « construire des ripostes efficaces » (p.   38). Le livre n’a pas en ce sens qu’une dimension positive (dire ce qui est). Il défend les valeurs des démocraties des pays occidentaux comme la France, l’Allemagne, l’Italie ou les États-Unis.

Le titre du livre, publié initialement en anglais en 2021, n’a pas été traduit et on comprend pourquoi. Il est très difficile de proposer une traduction de cette expression spin dictator. Les dictateurs du XXème siècle étaient des dictateurs de la peur (p. 37). Ils rejetaient ouvertement les valeurs de la démocratie pluraliste et utilisaient la force si nécessaire pour écarter leurs opposants. L’ancien dictateur réprime toute opposition, contrôle toutes les communications, punit tous ses détracteurs, impose une idéologie en s’attaquant à l’idéal démocratique et bloque la plupart des flux transfrontaliers de personnes et d’information. Il intimide (pp. 34-35). Cela explique la composition de l’indicateur qui permet de détecter un dictateur à l’ancienne : il n’y a quasiment pas de médias d’opposition, plus de 10 meurtres ont lieu chaque année en moyenne et plus de 1000 prisonniers politiques sont détenus pendant au moins un an dans les prisons du pays (p. 47).

Les nouveaux dictateurs ou spin dictators sont plus subtiles. Ce sont des dictateurs de la manipulation (p. 37). Cette dictature de la manipulation n’est pas nouvelle (p. 38) et trouve dans Le Prince de Machiavel ses origines. Le pouvoir doit « posséder l’art de simuler et de dissimuler » (p. 39). Ces stratégies cognitives doivent permettre d’être populaire et de défendre la démocratie pluraliste (p. 43), pour conduire au succès électoral. Les nouveaux dictateurs renouvellent ainsi les formes de la répression pour se maintenir au pouvoir (p. 44). Ils proposent un modèle de dictature plus centré sur l’adhésion de l’opinion publique que sur la répression violente (p. 36). Ils « altèrent l’information afin de renforcer leur popularité dans l’opinion et se servent de cette popularité pour consolider leur contrôle politique » (p. 44). Les auteurs proposent des indicateurs pour identifier précisément un spin dictator (p. 47) : il organise des élections, un parti d’opposition existe, des médias d’opposition sont présents dans le pays, il y a moins de 10 assassinats politiques d’État et moins de 1000 prisonniers politiques y sont détenus (p. 47).

Pour être encore plus clair, les anciens dictateurs comme Staline, Hitler, Mao, Mussolini, Idi Amin Dada n’avaient pas pour ambition d’être des démocrates (p. 25). Aujourd’hui Kim Jong-un en Corée du Nord communiste et Bachar al-Assad en Syrie – défenseur du socialisme arabe – ont gardé les habits de ces despotes du XXème siècle (p. 26).

Par contre, Viktor Orbán en Hongrie, Lee Hsien Loong à Singapour (depuis 2004), Najib Razak (2009-2018) en Malaisie, Nazarbaïev au Kazakhstan (1991-2019), Hugo Chavez au Venezuela (1999-2013), Poutine en Russie (depuis 2000), Erdoğan en Turquie (depuis 2003), Rafael Correa en Équateur (2007-2017) et Alberto Fujimori (1990-2000) appartiennent au club des nouveaux dictateurs qui veulent se faire passer pour d’humbles serviteurs du peuple (p. 26). Ils sont de gauche et de droite (p. 47), organisent des élections et clament à la face de leur peuple et du monde respecter la démocratie. La réalité est qu’ils cherchent juste à se maintenir au pouvoir par la manipulation de l’information. Ils façonnent l’opinion publique afin de créer les conditions d’un soutien populaire (cf. leur tableau récapitulatif p. 46). Ils préfèrent façonner l’opinion plutôt que de la réprimer. Ils inventeraient une dictature de l’image qui se substituerait à la dictature de la peur des totalitarismes du XXème siècle. Leur génial intuition pour monopoliser le pouvoir politique serait d’avoir compris que la violence physique n’est plus nécessaire. « Au lieu de terroriser les citoyens, un dirigeant habile peut les contrôler en remodelant leurs croyances par rapport au monde » (p. 26).

Le fait significatif serait alors que le nombre des dictateurs à l’ancienne aurait baissé alors que le nombre des spin dictators aurait considérablement augmenté au XXIème siècle. La part des dictatures de la peur plonge de 60% du total des dictatures dans le monde dans la cohorte des années 1970 à moins de 10% dans la cohorte des années 2000 (leur Figure 1.1, p. 48). Les dictateurs par la peur sont ainsi remplacés par les dictateurs par la manipulation (p. 49). Leur répression serait même devenue plus efficace (p. 49).

Les auteurs ne nient pas qu’un spin dictator puisse muer en dictateur traditionnel gouvernant par la peur. Ils prennent à cette occasion l’exemple de Vladimir Poutine. Lorsqu’il arrive au pouvoir en 2000 ce dernier se comporte tel un spin dictator, acceptant officiellement les principes de la démocratie tout en sapant les contre-pouvoirs pour les mieux concentrer entre ses mains. Lorsqu’il revient au pouvoir en 2012 il prend, au contraire, les habits d’un dictateur traditionnel qui gouverne par la peur. La distinction n’est donc pas binaire. Il s’agit plutôt d’une graduation. Aucune démocratie n’est parfaite, aucun régime n’est une « spin dictature » parfaite (p. 19).

Le livre

Le livre est divisé en deux parties. La première (L’art et la manière, pp. 59-230) se compose de cinq chapitres qui décrivent les nouvelles stratégies des dictateurs pour contrôler la société et se maintenir au pouvoir. Le chapitre 1 propose une introduction qui n’est autre que le résumé de la thèse du livre. Les chapitres 2 à 7 servent à valider, sur la base d’indicateurs statistiques qui ne sont pas présentés dans le livre mais qui sont disponibles sur internet, les différentes propositions faites dans toute cette partie. La seconde (Les raisons de ces transformations et les moyens de réagir, pp. 231-298) explique la transformation des dictateurs en spin dictator. Cette seconde partie apparaît plus comme une conclusion, ne serait-ce que par sa taille réduite, que comme une partie équivalente à la première partie très détaillée.

Les spin dictators disciplinent leur peuple i) en criminalisant leurs opposants, ii) en mobilisant les outils de la propagande moderne et iii) en n’interdisant par l’opposition, mais en limitant son développement.

  1. Le président Nazarbaïev du Kazakhstan, par exemple, a utilisé des accusations de blanchiment d’argent, de corruption et de possession d’armes pour poursuivre ses rivaux politiques ainsi que des journalistes. Il emprisonne non pour des raisons politiques, mais pour des raisons économiques.
  1. Les spin dictators utilisent aussi ce que les deux auteurs appellent « la propagande post-moderne » qui n’est autre qu’une dictature d’opinions. Presque tous les hommes forts du XXIème siècle, tels que Nazarbaïev, Chávez ou Erdoğan apparaissent à la télévision pour vanter leurs mérites. Ils s’attribuent tout ce qui va bien et accusent l’opposition et la propagande des pays étrangers pour tout ce qui va mal. Ils présentent les résultats décevants comme meilleurs que ceux obtenus par d’autres pays. Ils contrôlent les médias, mais n’utilisent pas la censure à grande échelle. Ils cooptent des patrons de presse et des journalistes en achetant leur silence et en les aidant à faire carrière. Le pouvoir coopte, il ne nomme pas.
  1. Ces spin dictators enfin n’interdisent pas l’opposition, mais l’empêchent d’utiliser tous les moyens dont elle devrait disposer pour arriver au pouvoir. L’existence même d’une opposition permet de faire croire qu’ils respectent la démocratie ; l’opposition devient l’idiot utile. Les médias pro-régime sont surpuissants et écrasent la voix des médias d’opposition.

La deuxième partie du livre explique ces évolutions par le cocktail de la modernisation (Chapitre 7) et propose des moyens pour agir contre la montée des spin dictators (Chapitre 8). Le cocktail de la modernisation comporte trois ingrédients : le passage de la société industrielle à la société post-industrielle, la mondialisation des économies et de l’information et l’ascension d’un ordre libéral international (p. 234).

Le développement économique crée les conditions de la modernisation et fait pression sur les gouvernements pour les rendre démocratiques (p. 235). Ce développement n’est pas qu’à l’origine d’une hausse du niveau de vie ; il augmente aussi le niveau d’éducation[1]. Ce qui constitue une menace pour les régimes dictatoriaux. Staline déclarait que l’éducation était une arme dont l’effet dépend de ceux qui la manient (p. 241). Il a alors remplacé les sciences sociales par l’étude du marxisme-léninisme et développé les mathématiques et la physique selon les normes mondiales. Mais même les grands mathématiciens ont une conscience (que l’on se souvienne de Sakharov, père de la bombe à hydrogène soviétique). Cela crée les germes de la dissidence (p. 242), cause des cas de conscience, un problème de convictions et de valeurs.

La croissance moderne a aussi changé les rapports de l’économie à la politique. Elle est portée par l’innovation, la créativité et l’immatériel. Elle est non planifiable. Staline pouvait espérer programmer une hausse de la production agricole en forçant les paysans à travailler. Il ne peut pas forcer les individus à innover (p. 239). Parmi ces nouveaux facteurs de croissance il y a les nouveaux moyens de communication et d’information. Ces techniques sont beaucoup plus décentralisées que la radio ou les télévisions qui donnaient au pouvoir, qu’il soit démocratique ou dictatorial, des moyens simples de propagande. Les médias modernes sont multidestinataires (p. 244), ce qui les rend plus difficile à contrôler. Ils facilitent la création de communautés et réduisent les coûts de l’action collective (p. 244). Le printemps arabe, par exemple, doit beaucoup aux réseaux numériques.

Les dictateurs ne peuvent rester indifférents à ces évolutions c’est pourquoi ils tentent de remplacer la peur par la manipulation. Utiliser plutôt que réprimer les nouveaux médias numériques leur donne accès à un réel potentiel de surveillance. Ils sont potentiellement totalitaires. Le spin dictator possède dès lors les moyens de bloquer le processus de démocratisation qui pourrait être engendré par la prospérité, l’éducation et les nouvelles technologies de l’information.

L’explication de l’émergence des spin dictators proposée par les auteurs permet d’écarter d’autres explications. Ce n’est pas tout d’abord parce que les peuples sont moins rebelles que les dictateurs peuvent se contenter d’être des manipulateurs (p. 50). Les enquêtes sur les valeurs ne permettent pas d’ailleurs de confirmer cette hypothèse d’un amollissement (p. 51). Le facteur technologique ne joue par ailleurs que marginalement. Ce n’est pas parce que les dictateurs disposent d’outils de contrôle plus performants (caméra, technologie de reconnaissance faciale, traceurs GPS, etc.) et que la probabilité d’identifier un opposant et de le sanctionner est plus grande, que le nombre de spin dictators augmente (p.49). De fait, les dictateurs de la peur utilisent eux-aussi ces nouvelles technologies (p.50). « Les progrès technologiques optimisent autant l’efficacité de la peur que celle de la manipulation » (p. 50). Les nouvelles technologies n’expliquent pas non plus pourquoi les spin dictators simulent d’être des démocrates (p. 50). On pense pourtant à la Chine qui, tout comme l’Arabie Saoudite, digitalise sa dictature. La Chine rend d’ailleurs les auteurs mal à l’aise, car elle est une dictature de la peur qui utilise aussi largement la manipulation (p. 53), mais qui dans les années récentes a utilisé sans hésitation la répression dans le Xinjiang et à Hong Kong, emprisonnant des journalistes et utilisant les techniques des anciennes dictatures (p. 54). L’émergence de la spin dictature ne s’explique pas non plus par la mauvaise qualité des institutions politiques. La qualité formelle des institutions ne suffit pas. Elle n’est pas un antidote suffisant, car les spin dictators ont pour stratégie de faire croire qu’ils sont démocrates (p. 56). Ils passent inaperçus, du moins dans un premier temps. Ces institutions formelles sont les élections multipartites, des contre-pouvoirs constitutionnels, des procédures juridiques et des instances judiciaires indépendantes (p. 55). Seule la résistance active des personnes qui possèdent une bonne éducation, des facultés de communication et des relations sur le plan international peuvent bloquer l’avènement des spin dictatures naissantes (p. 56). Ils documentent les abus du pouvoir, organisent des mouvements sociaux, les communiquent à l’opinion, etc.

Ce rejet de l’explication par la faible qualité des institutions et de l’explication par les nouvelles technologies de l’information conduit au thème du dernier chapitre du livre, le futur de la manipulation (Chapitre 8) dont la finalité est de construire une stratégie de défense de la démocratie contre le développement de la spin dictature.

La question est la suivante et relève de la prospective : le nombre des spin dictators va-t-il continuer de croître et ce type de régime peut-il menacer la démocratie libérale et enclencher un processus de fragilisation des démocracies ? Les démocraties libérales seraient exposées à un risque de manipulation des gens « simples, frustres et mécontents » qui, via des chaînes de télévision et des réseaux sociaux spécialisés, pourraient être séduits par des politiciens opportunistes (p. 297). Ce risque peut venir de l’intérieur comme de l’extérieur.

Plusieurs principes généraux sont posés pour limiter le développement des spin dictators.

  1. Il faut être intransigeant et sans complaisance avec le spin dictator (p. 287). Il ne faut pas être complice des dictateurs. La France a commis cette erreur avec de nombreux gouvernements de l’Afrique de l’Ouest (p. 285).
  2. Il faut soutenir le développement économique qui est l’une des conditions de la transformation des autocraties en démocraties (p. 288). L’intégration économique par le libre échange est un bon moyen de créer les conditions du développement et d’obliger les spin dictators à adopter la démocratie libérale. La démocratie par le libre-échange d’après la chute du mur de Berlin a été souvent critiquée, mais pour de mauvaises raisons (p. 284). Cela exige de rebâtir la confiance en l’intégrité, la compétence et le libéralisme des gouvernements démocratiques (p. 293).
  3. Il faut aussi défendre et réformer les institutions de l’ordre libéral mondial (p. 293). « Il est temps de fonder une alliance des démocraties libérales pour défendre la démocratie » (p. 295).

A l’intérieur il faut lutter contre l’exploitation par des politiciens opportunistes des frustrations d’une partie de l’électorat. Ces politiciens sont une menace pour les démocraties libérales. Contre cet opportunisme, la principale barrière à la montée de l’illibéralisme est la résistance active des gens informés (p. 56 et p. 298). Ce sont eux qui ont bloqué la tentative d’usurpation du pouvoir aux États-Unis. Des millions d’avocats, de juges, de fonctionnaires ont repoussé les initiatives nihilistes de la Maison Blanche (p. 56). C’est aussi leur action qui a empêché Berlusconi de rester au pouvoir.

Conclusion

Ce livre est donc une défense de la démocratie libérale, de ses institutions, mais aussi de ses valeurs, de son ethos puisqu’il se conclut par cette phrase, « l’arme la plus forte de l’Ouest, bien que certains la jugent désormais ternie » est « l’idée de la démocratie libérale ». Une démocratie qui se développe avec l’intégration économique, la mondialisation. La mondialisation est porteuse de modernisation et la modernisation a déjà obligé les dictateurs à renoncer aux méthodes de gouvernement les plus violentes. Il est possible d’aller encore plus loin si on garde sa confiance dans l’idéal des démocraties libérales.

La thèse soutenue dans ce livre est assez proche de la thèse d’Hayek développée dans La route de la servitude. Hayek s’interrogeait sur la manière dont le droit international peut réussir à pacifier les relations dans le monde et protéger l’Ouest contre l’esprit dictatorial qui s’était construit à l’Est (URSS). La thèse de nos auteurs est aussi ouvertement idéaliste puisque leur optimisme repose sur la force de l’idée de la démocratie libérale. Le moment de la spin dictature ne serait que temporaire. Car ces dictatures n’offrent aucune idéologie solide pour résoudre les problèmes économiques et sociaux des sociétés post-modernes et des chocs qu’impose la mondialisation. La démocratie libérale, ou le modèle occidental, reste l’avenir pour tous les pays du monde.

La thèse reproduit enfin certains des travers des sciences économiques et politiques modernes. Très attentive à la qualité du diagnostic – la montée de la spin dictature – elle ne s’attarde pas sur la définition des mots en particulier de l’expression démocratie libérale. Elle n’explique pas non plus de façon précise ce qu’est un prisonnier politique ou un meurtre politique, et de tels problèmes de définition fragilisent l’indicateur sur lequel est construit l’argumentaire.

Les chapitres prospectifs ne sont d’ailleurs pas ou rarement construits avec la même exigence que celle que l’on trouve dans la partie consacrée au diagnostic. La partie normative, la défense de la démocratie libérale, néglige la littérature sur les défaillances de la démocratie et les tendances des démocraties libérales à devenir des démocraties illimitées où la majorité détient tous les pouvoirs, ce qui peut conduire à l’hostilité de minorités qui progressivement voient dans les leaders populistes et illibéraux une alternative à un discours majoritaire qui ne laisse pas sa place à la liberté de conscience et d’expression.

La référence à la littérature sur les fake news, et le référentiel qu’exige une telle expression – on sait qui détient la vérité – est bien l’expression de questions restées sans réponse dans ce livre qui est ouvertement élitiste puisque seules les masses incultes sont susceptibles de basculer dans le populisme et d’être séduites par les spin dictators alors que les élites qui se dressent contre la menace des spin dictators n’auraient pour seule motivation que de sauver la démocratie libérale. Un tel message est probablement simpliste, car les élites des démocraties avancées sont porteuses aussi de valeurs et d’intérêt qui les poussent à défendre le consensus et à s’opposer à de réformes d’ampleur, notamment celles des régimes économiques et sociaux mis en place en Europe à la fin de la seconde guerre mondiale.

Le livre est donc passionnant, il défend une position ouvertement favorable à l’articulation de politiques d’intégration économique et de défense de la liberté politique, mais n’est pas nécessairement utile pour éclairer les débats autour des menaces populistes de gauche comme de droite dans un pays comme la France.


[1]    Partout dans le monde, les inscriptions à l’université n’ont cessé d’augmenter, tant dans les démocraties que dans les dictatures, avec une hausse de 10 à 39 % des étudiants en fin de cursus depuis 1970 (p. 268).

About Author

François Facchini

François Facchini est Professeur Agrégé des Universités en Sciences Économiques. Il est en poste à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et responsable du Programme Politiques Publiques du Centre d’Économie de la Sorbonne (CES). Il a récemment publié Les dépenses publiques en France, De Boeck Supérieur (2021).

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