Priorité à l’école : il y a urgence à agir pour arrêter la dérive de notre pays et amorcer un renouveau salutaire. Encore faut-il poser le bon diagnostic, celui qui est fidèle et convaincant, et proposer les bonnes réformes, réalistes et efficaces. Le livre de Lisa Kamel-Hirsig est à ma connaissance ce qui répond le mieux à l’attente de plus des trois quarts des Français[1].

Je ne peux vous proposer d’en faire un résumé ; ce serait d’ailleurs vous priver de la lecture d’un ouvrage à l’écriture à la fois élégante et amusante, alliant l’ironie, la poésie, la précision et la révélation. Vous ne manquerez pas de piquer des expressions et des slogans pour harponner vos proches. Ce livre est un chef d’œuvre pédagogique.

Personnellement j’ai trouvé trois qualités majeures à la démonstration de Lisa Kamen-Hirsig :

  • la précision avec laquelle elle présente l’école actuelle, devenue une « grande garderie » : le mal est plus étendu et plus profond qu’on le croit ;
  • la lucidité des réformes à introduire : toutes inspirées par la fin du monopole de l’Éducation nationale, la liberté de choix des parents, l’esprit d’entreprise, la concurrence ;
  • la fidélité à la grande famille des « libéraux classiques » : ce n’est pas si fréquent et c’est une raison d’espérer.

La grande garderie

Ce qui se passe actuellement dans les écoles est inimaginable. LKH donne une image saisissante : la sexualité étant devenue la priorité de l’éducation scolaire depuis le grand ministère Pap Ndiaye, la maîtresse est invitée par IO (Instruction Obligatoire) à poser la question aux écoliers : « Que ferais-tu si tu changeais de sexe » (p. 55). Un chapitre entier (pp. 51 sq.) détaille la façon dont l’éducation sexuelle est dispensée, elle est conçue pour introduire dans la psychologie de l’enfant la théorie du genre, allant bien sûr jusqu’à la transsexualité. Les cours sont souvent confiés à des non-enseignants spécialistes de la question, membres d’associations LGBT (pp. 51 sq.). En dehors de la sexualité, un autre grand progrès de l’école est aujourd’hui de fabriquer des « éco-anxieux ». L’écologisme est parti à l’assaut de l’école, et a grandement servi aux enfants, qui savent désormais faire des « éco- gestes » comme la gestion des déchets, des papiers, les économies d’eau et d’énergie. Sauver la planète est évidemment l’objectif fixé à la jeunesse qui se mobilise d’autant mieux que tous les documents numériques sont conçus et diffusés pour accompagner les efforts du GIEC : l’échéance de la COP 2050 sera décisive.

Lisez, imprimez et faites connaître le chapitre consacré à l’écriture inclusive (pp. 72-84). Vous comprenez qu’il s’agit d’un combat principalement féministe, pour briser le pouvoir arbitraire que les hommes exercent sur les femmes depuis des siècles. Pourquoi l’addition d’un adjectif masculin et d’un féminin donnerait elle un masculin ? Pourquoi parle-t-on d’un témoin même quand c’est une femme qui témoigne, ou d’un comédien quand l’interprète est une femme ? Il faut établir l’ordre « analphabétique », ne tenir aucun compte de la grammaire et de la syntaxe héritées d’une période d’oppression et d’exploitation et porteuses d’une « discrimination sexiste ». LKH explique comment on peut présenter un homme qui est sage-femme, dont on dira qu’il est maïeuticien, avec trois variantes possibles : inclusive (à la portée de tous évidemment), binaire, et neutre. Le neutre est un pur régal. Évidemment, et à la différence de Monsieur Attal qui avait estimé que l’écriture inclusive ne méritait pas son attention, le Président Macron vient d’évacuer l’écriture inclusive de la Cité internationale de la langue française[2].

Enfin et surtout, on peut être écologiste, féministe et « inclusiviste », mais cela n’empêche pas d’être aussi de gauche. Ainsi l’école doit­­-elle dénoncer les inégalités et les supprimer : en classe bien sûr mais aussi en préparant les jeunes esprits à la révolution sociale et politique. Désormais existe un « Indice de Position Sociale » qui permet de connaître les niveaux de revenus, de formation, d’activité de la famille de l’écolier. Cet IPS, déjà contestable comme information des enseignants, est maintenant joint au livret scolaire de l’écolier ! Derrière cette chasse aux inégalités s’abrite une attaque contre l’école privée, que seuls les riches peuvent se payer bien sûr. LKH démontre que le privé sous contrat est ouvert à un public très large (IPS très variable) et qu’en transmettant un vrai savoir les établissements privés offrent une chance de succès et réduisent ainsi les inégalités (p. 144). Mais l’école publique condamne les jeunes à la médiocrité, ils finissent par n’aimer ni le succès ni la concurrence. « Pas touche à Charly » est une fable distribuée en classe, elle illustre ce que l’école peut apprendre aux enfants pour leur démontrer l’injustice sociale qui règne dans notre pays (p. 69). Elle a été rédigée par un disciple de Bourdieu :

« Le jeune Gustave est un SDF arrêté par les flics, il est heureusement secouru par une militante des Restos du cœur. Mais comment en est-il arrivé à ce niveau de misère ? Par l’avidité et le manque de reconnaissance de son patron. Gustave craint d’avoir perdu Charly dans la rafle qui l’a amené au poste. Mais qui est Charly ? Le suspense dure longtemps : finalement Charly est un chariot de supermarché. »

Édifiant ! Madame Duflo, prix Nobel d’économie, demande que l’on apprenne aux enfants la pauvreté (p. 198). Quel passeport pour la vie !

La conclusion de cette analyse de la grande garderie est d’une grande lucidité. Finalement le service public de l’éducation nationale a pour mission de former des citoyens-types, de bons Français attachés aux valeurs de la République (dont on ne sait d’ailleurs ce qu’elles sont – en dehors de la laïcité !). Ici Emmanuel Macron est bien dans la tradition de gauche, son discours de la Cité ne fait aucun doute. C’est de la « bigoterie républicaine » (p. 86).

Demandez le programme : liberté scolaire

A mes yeux le deuxième mérite de LKH est d’indiquer clairement la solution. Aujourd’hui le débat politique s’attarde volontiers sur les maux dont souffre la société française, et rejoint en cela les préoccupations d’une large partie de l’opinion : plus de trois quarts des Français pensent que « ça va mal ». La critique est aisée, mais l’art est difficile : qui propose des réformes efficaces, réalistes et immédiates ? Certains envisagent même de confier l’organisation de la concurrence scolaire à l’État (p. 151) !

C’est au contraire par la libre concurrence entre écoles librement créées et gérées que l’on peut trouver la solution. Cette solution n’a rien d’original : la culture française a pu se transmettre grâce à la diversité des foyers de réflexion et de formation. Aujourd’hui des écoles totalement indépendantes ont été créées par des familles, par des entrepreneurs[3]. Mais il faut généraliser ce qui est embryonnaire, et rompre le monopole de l’Éducation nationale. Comme le rappelle LKH, 80 % des Français souhaitent le libre choix de l’école. Or ce n’est évidemment pas le cas. La carte scolaire, les ghettos des ZEP, enferment des centaines de milliers de jeunes dans « la grande garderie ». La liberté doit être la plus large possible, précise LKH : dans la création des établissements, dans le choix des enseignants, de la pédagogie, des programmes. A cette liberté institutionnelle s’ajoute nécessairement la liberté intellectuelle : accepter la diversité des auteurs, alors qu’aujourd’hui du Bellay et La Fontaine sont exclus, promener les jeunes dans les humanités : l’histoire, la littérature, la philosophie, l’économie. J’ai bien aimé que LKH consacre un chapitre à l’économie pour en dire l’essentiel : c’est l’échange, c’est la rencontre de personnes qui font des choix personnels et différents[4]. L’histoire nous apprend que le libre échange a toujours favorisé la paix alors que les États préfèrent le protectionnisme pour rester maîtres chez eux et tenir leurs « sujets » coupés du reste du monde et aux ordres des dirigeants politiques. L’économie, poursuit LKH, a aussi pour mérite de développer l’esprit d’entreprise que l’on trouve chez tous les enfants. L’entreprise, elle aussi, repose sur l’échange et l’ouverture. Mais l’esprit d’entreprise est cassé dans l’école actuelle et il est pénalisé dans la réalité par la fiscalité et la règlementation.

A juste titre LKH entre dans les détails concrets de la liberté scolaire : le libre choix des parents peut être assuré par diverses méthodes, depuis des exemptions par les établissements de frais de scolarité et de cantine ou des exemptions fiscales, ou des bons scolaires, ou des bourses d’études, etc. Les pays en tête du classement PISA sont ceux où l’État n’intervient pratiquement pas dans le système scolaire. Quant aux enseignants il faut revaloriser leur mission : ils doivent transmettre la culture au lieu de collaborer à la politisation de l’école. Aujourd’hui des dirigeants de l’Éducation nationale ont le front d’assurer qu’ils n’ont pas besoin d’enseignants de qualité, car ceux qui sortent de la botte des grands concours ont mieux à faire que d’aller enseigner, le marché du travail leur est ouvert (p. 119). Aux enseignants fonctionnaires LKH adresse un vigoureux défi : cessez de cultiver vos privilèges et soyez dignes de la belle mission de transmettre le savoir.

Le libéralisme classique

L’ouvrage de Lisa Kamen-Hirsig est authentiquement libéral. C’est ce qui fait aussi mon admiration. En effet trop d’intellectuels se présentent (notamment sur les plateaux de télévision) comme des libéraux. En un sens cela m’enchante parce que la cote du libéralisme semble ainsi en hausse, c’est nouveau. Mais se dire libéral ne suffit pas à l’être. Il y a ceux qui confondent liberté et pouvoir de faire et dire n’importe quoi. Il y a ceux qui veulent faire appel à l’État pour instaurer le libéralisme (puisque tout progrès en France ne saurait passer que par l’État), ils se retrouvent volontiers autour d’Emmanuel Macron. Il y a ceux qui fabriquent leur propre libéralisme – en ressuscitant les physiocrates ou les tenants de l’ordolibéralisme par exemple.

Le libéralisme doit être présenté et diffusé dans toute sa rigueur. D’une part il a une dimension anthropologique : il repose sur ce qui caractérise l’être humain, sur ce qui l’élève au-dessus de toute créature animale, végétale, minérale : la liberté, la responsabilité, la propriété et la dignité. D’autre part il appelle un environnement institutionnel précis : le pouvoir minimal, la subsidiarité, l’état de droit, le libre marché. Ces principes se reconnaissent dans ce qu’on appelle « libéralisme classique », sachant que la branche la plus moderne du libéralisme classique est celle de l’école autrichienne.

Lisa Kamen-Hirsig cite en référence des noms d’intellectuels français dont le libéralisme classique peut s’enrichir, j’ai relevé par hasard Philippe Nemo, Chantal Delsol, Françoise Thom, Gustave Thibon, Bernanos, Patrice Jean, Jean-Paul Brighelli ; elle remercie Cyrille Coiffet, David Lisnard, Olivier Méresse, et elle fréquente l’ALEPS et l’IREF puisqu’elle a participé cette année à « l’Université d’été » à Aix, et au « Week End Libéral » de Patrick de Casanove à Saint-Paul-lès-Dax. Et elle cite naturellement Frédéric Bastiat (p. 153) :

« Le plus pressé, ce n’est pas que l’État enseigne, mais qu’il laisse enseigner. Tous les monopoles sont détestables, mais le pire de tous c’est le monopole de l’enseignement. »

Je suis sûr qu’avec un ouvrage comme celui-ci les libéraux classiques peuvent faire corps. Lisa Kamen-Hirsig aura trouvé le catalyseur d’une réaction libérale commune – nous avons besoin d’engagement et d’union.


[1]    Lisa Kamen-Hirsig, La grande garderie, Albin Michel (2023) 288 pages.

[2]    On peut se référer à l’article publié dans la Nouvelle lettre le 30 octobre 2023 : La Cité Internationale de la Langue Française https://nouvelle-lettre.com/la-cite-internationale-de-la-langue-francaise/.

[3]    C’est le sens des initiatives prises par Anne Coffinier avec la Fondation pour l’école, et maintenant la Fondation Kairos.

[4]    Cf. mon article : L’ignorance économique des Français : pourquoi ? in Nouvelle Lettre (catégorie Fondamentaux) du 13 septembre 2023 https://nouvelle-lettre.com/lignorance-economique-des-francais-pourquoi/

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Jacques Garello

Jacques Garello est professeur émérite de l’Université Aix-Marseille. Président de l’ALEPS de 1978 à 2015, il publie depuis 1981 La Nouvelle Lettre (nouvelle-lettre.com). Il a été l’un des créateurs du groupe des Nouveaux Économistes (1977) et a organisé de nombreuses Université d’Été de la Nouvelle Économie à Aix-en-Provence.

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