Ce journal qui voit le jour et qui vous est proposé ne sera pas bien sûr celui que vous pouvez encore trouver chaque matin au kiosque du coin de la rue. Il sera une revue trimestrielle ainsi que le sont souvent les revues universitaires ou scientifiques anglo-saxonnes qualifiées de Scientific ou Academic Journal. Notre revue emprunte aussi à la mémoire du Journal des économistes publié en France à partir de décembre 1841. Pendant près d’un siècle il a œuvré pour promouvoir les idées libérales et libre-échangistes sous la direction notamment de Gustave de Molinari et Yves Guyot et avec la collaboration des plus grands penseurs libéraux de l’époque, pour la plupart membres de la Société d’économie politique.Née dix ans après la Révolution de Juillet 1830 qui déjà décevait ceux, trop nombreux, qui avaient cru qu’elle ouvrirait une nouvelle ère de liberté, cette revue, instruite par l’échec de Royer-Collard, ne se voulait pas doctrinaire. Elle n’avait pas la prétention de délivrer des recettes universelles et voulait tout à la fois éviter « d’une part, le dédain profond du passé, de l’autre, une confiance imperturbable dans l’efficacité de quelques vues nouvelles » ainsi que l’écrivait Louis Reybaud dans son premier numéro[1]. Il y dénonçait la confusion des idées qui déjà régnait et conduisait à « cette impuissance dans la région des affaires, ces incertitudes, ces tâtonnements dont les Chambres actuelles nous ont donné tant de témoignages et tant d’exemples… Les points de repère généraux étant effacés, on se trouve en butte à toutes les variations de calcul, à toutes les erreurs d’optique ». Les temps ne changent guère et le besoin de clarification de la pensée et du débat reste le même. Le Journal des Libertés a vocation à y contribuer activement.
Une revue de la liberté
Ce Journal sera la revue de la liberté parce que nous croyons que celle-ci ne saurait être défendue, promue, étendue sans être portée par l’intelligence de l’esprit qui exige le travail de la raison et un débat ouvert à la passion des chercheurs de vérité. Le journal souhaite contribuer activement à l’enri-chissement de la pensée libérale pour que de nouvelles politiques puissent y trouver leur armature, leur rationnel. Les intellectuels sont moqués, mais ils font avancer la société à la mesure de la qualité de leur réflexion. En son temps, que le nôtre ne dépareille guère, le poète Heinrich Heine résumait en disant que « La pensée précède l’action comme l’éclair le tonnerre » pour mettre en garde les Français contre le totalitarisme naissant des Allemands sous le discours de Fichte et plus généralement d’une certaine philosophie germanique. Il voulait déjà dénoncer la déviance d’une adoration si absolue de la liberté qu’elle fut dénaturée aussi bien par Rousseau qui crut qu’il suffisait de la confier à l’Etat pour qu’elle existât, que par Kant qui en fit un nouveau dieu[2].
Pour notre part, pour essentielle que nous tenions la liberté, nous n’en serons pas des sectateurs. Car la liberté n’est pas une fin en soi, mais plutôt la condition indispensable à l’expression de toute personne à la recherche de ses fins. L’Homme ne peut pas épouser la condition humaine sans être responsable de lui-même. Il n’est pas seulement un animal social, il est un être pensant et responsable parce qu’il est un homme libre. Ainsi que l’exprimait Charles Monnard, un intellectuel Suisse du XIXe siècle, la liberté « n’est pas le but de la vie, mais la condition d’une vie complète, la condition de la civilisation, du développement de la pensée, de l’activité, de l’industrie, des lettres, des sciences, la condition du progrès de l’humanité »[3]. Elle est le préalable nécessaire et non suffisant car chacun peut, par définition, gâcher sa liberté, la mal user.
Mais sans elle, il n’y a pas de société politique mais seulement une vie de termitière. La liberté n’est pas une fin première, mais plutôt une fin seconde en ce sens qu’elle est toujours au service de quelque autre valeur ou vertu. Et néanmoins, elle est aussi constitutive de l’Homme, elle lui est consubstantielle en ce sens que sans liberté, il n’y a pas d’humanité. Cette liberté est parfois réduite à presque rien, à la liberté de penser au fond d’un cachot, mais elle est, là plus que jamais, la manifestation de l’existence humaine que reste alors ce brin de vie libre contre vents et marées, contre peine et prison, capable de se battre « contre toutes les tyrs et toutes les sodomes ». Elle est la flamme qui veille encore, même vacillante, quand plus rien ne paraît encore possible ; elle fait tenir l’homme debout parce qu’elle est son espoir, plus même, l’espérance qui perce ses ténèbres. La liberté est le ressort de son sursaut lorsqu’il lui est refusé tout droit ou qu’au contraire il est assisté jusqu’à l’infantilisation, cette forme moderne du despotisme archaïque que représente l’Etat-providence. La liberté appartient à la nature de l’Homme non pas comme un donné, mais comme un combat à livrer tous les jours et sans cesse à recommencer. Elle lui est constitutive non pas parce qu’il la possède, mais parce qu’il lui est propre de pouvoir la gagner pour s’élever dans son humanité.
Le Journal des Libertés
Nous défendrons toutes les libertés, mais bien sûr, comme journal, nous serons attachés d’abord à la liberté d’expression. Elle est l’une des plus fondamentales de toutes les libertés parce qu’elle permet l’échange indispensable au progrès de la pensée et de la vie. Nous aurons le devoir de dénoncer avec certitude les impasses des idées qui ont conduit l’histoire aux pires désastres. Mais hors le domaine de la foi, qui relève d’un mode d’adhésion à la vérité, il conviendra de présenter nos opinions avec la prudence qui sied à l’imperfection de l’homme et aux limites de notre compréhension du monde. Dans tous les cas, c’est dans la liberté du débat et la confrontation incessante que s’affine la pensée et se forgent les convictions. Les lois faites pour museler la parole entretiennent l’erreur sans en rompre les fondements. Lorsque l’Etat prétend régir la vérité, il l’empêche d’éclore et c’est toute la vie sociale qu’il asservit. Nous veillerons toujours à rester à cet égard un Journal en liberté, d’autant plus ferme sur ces principes qu’il sera attentif aux autres opinions, ne serait-ce que pour mieux les démonter.
A cet égard, nous ne cantonnerons pas nos analyses au domaine économique, car nous considérons que la liberté est un tout comme l’est l’existence de l’Homme. Celui qui n’a pas le droit d’accéder à la propriété subit une atteinte à son individualité même tant il est vrai que comme le disait Bastiat, « L’homme naît propriétaire », en ce sens que la propriété lui est naturelle et le prolongement de lui-même, le moyen de sa liberté. Celui qui est empêché de disposer de ses libertés économiques peine à exprimer ses opinions et à les diffuser, ce que les régimes despotiques ont compris qui privent de papier et de machines à écrire leurs opposants pour que leurs samizdats ne puissent circuler qu’au gré de rares copies manuelles. Mais chacun comprend que cette liberté économique n’est qu’une condition de la vie libre qui peut mener à la vie bonne. Le Journal aura donc vocation à présenter, éclairer, discuter les idées libérales dans tous les domaines, économique et politique bien sûr, mais aussi ceux de la philosophie, de l’histoire… et plus généralement des sciences humaines autant que, le cas échéant, des sciences exactes. Notre équipe réunira des spécialistes de ces différentes disciplines, mais nous ne serons pas une revue spécialisée. Nous nous adresserons à l’honnête homme, fût-il universitaire. Par définition, nous serons attentifs à la diversité des expressions de la liberté et le débat sera ouvert.
Les approches libérales sont elles-mêmes diverses, presque par définition. Nous puiserons donc à toutes leurs sources. Nous serons à l’écoute de la tradition du droit naturel tout en rejetant avec Benjamin Constant la « liberté des anciens » prisonnière de la Cité pour lui préférer celle des modernes, apanage de l’individu. Avec John Stuart Mill, nous croyons en ce principe qui veut « que les hommes ne soient autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d’action de quiconque que pour assurer leur propre protection »[4].
Notre approche de la liberté consiste à réclamer une non ingérence des autres, et particulièrement du pouvoir, dans la gestion de nos personnes sinon dans les strictes limites nécessaires à la vie sociale. Il s’agit d’une définition négative qui permet de constater que dans les pays libres tout est possible sauf ce que la loi interdit tandis que le totalitarisme est caractérisé par le fait que rien n’y est possible sinon ce que la loi autorise. Pour le dire autrement, nous ne saurions adhérer à la conception rousseauiste de la liberté. Celle-ci travestit une nouvelle forme de tyrannie en accordant à chaque individu le droit de participer à la puissance publique elle-même dès lors habilitée à s’immiscer dans tous les aspects de la vie du citoyen. C’est pourquoi nous sommes en l’état plus que réservés à l’égard de ce nouveau pseudo-libéralisme mondain qui voudrait que la liberté soit autorisée par l’Etat.
Nous serons attentifs aux enseignements de l’école autrichienne de Carl Menger, de von Mises qui privilégie l’action humaine, les choix individuels de chacun, comme moteur du monde, ou plus encore, de Friedrich von Hayek. Celui-ci considère que le meilleur ordre humain est celui qui s’établit spontanément à partir de l’échange libre des individus dans ce qu’il nomme une catallaxie, cette « espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à travers les actes des gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats »[5]. Cet ordre n’est pas immuable et évolue « par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché »[6]. Pour permettre que la liberté des uns n’empiète pas sur celle des autres, il s’inscrit dans le respect d’un état de droit qui est lui-même sans cesse à redéfinir.
A cet égard, le libéralisme trouve des racines puissantes dans l’Ecole de Salamanque qui, à l’aube de la Renaissance, a éveillé le monde à l’économie de marché et ouvert les nations au commerce des produits et des idées dans la pratique du droit des gens. L’un des fondateurs de cette école, Francisco de Vitoria, a permis de distinguer l’ordre de la Cité de l’ordre moral en soutenant que « la finalité de la communauté […] n’est […] pas de conduire les hommes vers le bien moral, mais vers leur bien naturel, qui est de combler leurs impuissances »[7], rappelant tout à la fois deux principes fondamentaux structurant toute société libre, à savoir que l’Etat n’a à intervenir que là où l’homme est impuissant, selon le principe de subsidiarité, et qu’il n’a pas à définir le Bien, au travers d’une morale, car « il y a plusieurs inclinations naturelles et donc plusieurs principes »[8], mais seulement à favoriser le bien commun comme le moyen de vivre ensemble.
C’est pourquoi nous reprendrions volontiers le mot d’ordre de cet autre journal éphémère, L’Avenir, incarnant le courant catholique libéral, né au lendemain de la Révolution de Juillet 1830 à l’initiative de MM Lacordaire et de Lamennais : « la liberté ne se donne pas, elle se prend ». Mais en même temps nous suivrons la consigne de celui qui les rejoignit très vite et participa activement à la vie du journal, Charles de Montalembert, « d’aimer et servir toutes les libertés »[9] sans les réticences de nombre de ses amis catholiques-libéraux.
Finalement c’est dans cet esprit que notre Journal sera celui des Libertés plutôt que seulement celui de la liberté. Parce qu’il faut ancrer la liberté, il faut lui donner corps, l’incarner. La liberté n’est que ce que nous en faisons dans nos écoles, dans nos écrits, dans nos discours, dans nos familles, dans nos métiers, dans nos bureaux et ateliers, dans nos partis et nos assemblées, dans nos universités, nos communes, nos associations… La liberté n’est pas abstraite, elle vit au travers de nos vies, elle se nourrit de nos héritages et de notre culture autant que de nos attentes et de notre espérance, elle se renforce de l’assise de nos propriétés. Comme les fleurs, il lui faut des racines pour s’élever vers le ciel et le soleil.
Mais la liberté n’est là que pour donner forme à l’éducation que nous voulons pour nos enfants, au quotidien que nous souhaitons vivre, à la retraite que nous espérons pouvoir passer heureuse, à notre bonheur comme à celui de nos familles et autres communautés… Nous aborderons à cet égard, par exemple, aussi bien les questions fondamentales que posent déjà et que lèveront plus encore demain les progrès de l’intelligence artificielle, jusqu’au transhumanisme, et la question du bien commun, que les solutions imaginables pour rendre aux individus le plus possible la responsabilité de leur propre vie en leur laissant le choix de leurs assurances sociales, la faculté de cotiser dans des retraites par capitalisation, ou la liberté de choisir l’école de leurs enfants au travers du bon scolaire. Nous discuterons des meilleurs moyens de valoriser les fruits de l’effort, du travail, de l’innovation aussi bien que les enjeux européens et plus généralement les questions institutionnelles…
Le préalable de la liberté
Certes, la question est encore de savoir si la liberté n’a pas besoin d’être soutenue pour s’exercer, si ceux qui ont plus ne doivent pas aider ceux qui ont moins pour leur permettre de disposer d’une liberté effective. Une nouvelle doxa interroge les consciences : A quoi sert d’être libre d’acheter de quoi se nourrir et se vêtir à celui qui est démuni de tout ? Mais cette question n’est trop souvent posée que pour déposséder les hommes de leurs libertés C’est à partir de cette analyse que s’est développé l’Etat-providence avec la bonne intention de transformer des libertés « formelles » en libertés « réelles » au risque désormais plus qu’avéré que la providence enchainât à son tour ceux qu’elle voulait libérer.
Le marxisme sous toutes ses formes, chinoise, soviétique, cubaine ou autre, n’a jamais été que la forme paroxystique du collectivisme doux qui a envahi en particulier les vieux pays occidentaux comme si leurs citoyens étaient las de s’y prendre en charge et préféraient s’abandonner dans les bras du Léviathan comme d’autres imaginaient autrefois, à en croire Dostoïevski, qu’ils pouvaient laisser le Grand Inquisiteur penser pour eux pour autant qu’il les nourrisse. Le « hic » de cette vision irénique au point d’être diabolique des libertés réelles est que finalement, pour favoriser la liberté, l’Etat veut l’exercer à la place de ceux qu’il se donne mission de protéger alors qu’il les prive de leur libre arbitre soit par engourdissement dans la prise en charge totale de leur vie qui leur désapprend les exigences du choix, soit, notamment pour les récalcitrants, par l’enfermement au prétexte de ne pas contaminer les autres.
A vouloir libérer les hommes à leur place, l’Etat dévore ceux qu’il nourrit, il détruit l’homme dont l’être est par essence dans la liberté de découvrir et devenir ce à quoi il est appelé, dans une liberté qu’il doit acquérir par lui-même, à défaut de quoi elle ne serait plus sa liberté et ne lui permettrait plus d’être lui-même. A vouloir définir les conditions de la liberté réelle des hommes, l’Etat perd le sens des limites, manque inéluctablement de discernement sous la pression de ceux qui s’habituent tant à recevoir qu’ils demandent à disposer de toujours plus. A vouloir faire le bien, l’Etat se substitue à ceux qui doivent le faire, et d’abord pour eux-mêmes, selon l’observation de John Stuart Mill selon laquelle « [l]a seule liberté digne de ce nom est de travailler à notre propre avancement à notre gré, aussi longtemps que nous ne cherchons pas à priver les autres du leur ou à entraver leurs efforts pour l’obtenir »[10].
Pour notre part, nous resterons ferme sur l’idée que le meilleur moyen de permettre à tous de disposer de libertés réelles, c’est de leur en garantir le droit et de limiter autant que possible les entraves à leur exercice. Sauf bien entendu pour ceux qui n’en ont pas la capacité que notre humanité commune conduit naturellement à assister avec le souci constant de les aider à recouvrer, quand c’est possible, l’autonomie qui les fera grandir par eux-mêmes.
« Les idées font du vent, mais le vent pousse le monde » aurait dit Bernanos. Nous souhaitons souffler le vent de la liberté. Merci, lecteurs, de nous y aider en diffusant nos articles et en souscrivant à ce projet.
[1] Reproduit par l’Institut Coppet
[2] Cf. Isaiah Berlin, La liberté et ses traîtres, Rivages Poche, 2009, p. 128.
[3] Pierre Bessard, Charles Monnard, L’éthique de la responsabilité, Institut Libéral, 2014, p. 53.
[4] John Stuart Mill, De la liberté, Folio essais, 2014, p. 74.
[5] Droit, législation et liberté, PUF 2007, préface de P. Nemo, p. 532.
[6] Ibidem.
[7] Francisco de Vitoria, De la loi, Cerf, 2013, p. 70.
[8] Idem, p. 77.
[9] Extrait de son discours au congrès organisé en août 1863 à Malines par les catholiques belges auxquels le liait son mariage avec Anna de Mérode, d’une grande famille de ce pays qui dès 1830 s’était donné une constitution libérale inspirée des principes de Lamennais. Sous les applaudissements de 3 000 personnes, il y revendiqua contre l’Etat « cette liberté de conscience qui est à la fois le droit, le mérite et le danger suprême de l’homme ». Il conclut par cette exhortation « Marchez hardiment contre la tyrannie, contre les monopoles, contre l’ignorance, contre les préjugés,… Marchez au nom de la liberté et de la vérité, avec la conviction que la vérité a besoin de la liberté et n’a plus besoin d’autre chose ». Cf. Charles de Montalembert, L’Eglise libre dans l’Etat libre, Cerf, 2010.
[10] De la Liberté, p.79
1 Commentaire
[…] Delsol, dans le premier numéro du très prometteur Journal des Libertés, montre quant à lui que la liberté n’est pas une fin en soi, mais « une condition […]