Alors que notre revue entre dans sa deuxième année, nous percevons un peu mieux chaque jour combien la tâche que nous nous sommes fixée est lourde mais aussi passionnante.
La tâche est lourde. Diffuser et faire progresser la pensée libérale en France n’est pas une mince affaire ! De nombreux obstacles se dressent sur notre chemin, et plusieurs contributions dans ce numéro les prennent pour cibles, parce qu’ils comptent probablement parmi les plus encombrants. Il y a par exemple la confusion sémantique à laquelle s’attaque Alain Laurent dans « Vrai et faux libéralisme ». Cette confusion n’est pas le simple fruit du hasard. Elle est le fruit empoisonné, explique le philosophe, d’un « travail de détournement, retournement et finalement presque de ‘grand remplacement’ lexical et idéologique ». C’est ainsi que pour certains intellectuels contemporains le libéralisme du 21ème siècle serait diamétralement opposé au libéralisme classique. Traduire : le libéralisme classique n’est plus adapté au monde moderne !
C’est un autre glissement sémantique, à moins qu’il ne s’agisse d’un mauvais jeu de mots, générateur de confusion dans les esprits de nombreux de nos contemporains, qui est l’objet de l’article de Jacques Garello : le glissement du « service public » vers « les services publics ». Le service public c’est ce que l’Etat, dans un esprit de subsidiarité, peut faire pour notre société. C’est donc, par définition, quelque chose de limité à ce que les économistes dénomment les « biens publics » — et les économistes libéraux s’empressent en général d’ajouter que l’initiative privée peut parfois produire, voire même prendre à sa charge, ces biens et services très spécifiques. Mais en France on a inventé « les biens publics par décrets ». Le décret remplace alors la science. Jacques Garello revient sur le moment clé où ce fâcheux élargissement a été opéré sous la houlette de « l’école du droit public de Bordeaux ».
Pascal Salin de son côté entreprend un travail lui aussi essentiel qui consiste à clarifier le concept de démocratie. Le terme est très positivement connoté à tel point que tout le monde se plaît à le reprendre : démocratie libérale, sociale démocratie, république démocratique, esprit démocratique, etc. Mais démocratie et liberté sont-elles vraiment compatibles ? Par une analyse détaillée, Pascal Salin nous explique que si le respect par chacun des droits de propriété légitimes d’autrui constitue une règle socialement utile et « moralement universalisable », à l’inverse la démocratie est « le lieu de rencontre des intérêts et, éventuellement, des morales personnelles [qui] sont nécessairement incompatibles. » Aussi, faut-il se garder des simplifications qui consistent à associer trop rapidement démocratie et liberté pour les opposer au couple autoritarisme-totalitarisme. En fait la démocratie est au meilleur d’elle-même lorsqu’elle s’accompagne du respect de la propriété ; ce qui peut être le cas au sein de l’entreprise. C’est dans cette direction qu’il faut aller : une démocratie de propriétaires !
Quant à Alain Mathieu, il nous rappelle la nécessité de rester éveillés et pragmatiques. Qui connaît l’OLAF ? L’Office européen de Lutte Anti-Fraude. Je dois avouer que c’est en lisant l’article d’Alain Mathieu que j’en ai découvert l’existence. L’OLAF est à classer parmi la myriade d’agences, d’autorités, de conseils, de commissions, qui sont censés veiller au bon déroulement de la démocratie et protéger nos libertés. Alain Mathieu nous guide dans les arcanes de la bureaucratie bruxelloises et nous emmène à l’évidente conclusion : l’OLAF ne fait pas le boulot. Plus important, il analyse les causes de ses dysfonctionnements et ce faisant nous apprend à nous garder des solutions faciles. La vigilance est de rigueur.
Si la tâche qui consiste à présenter et développer les idées libérales est souvent difficile elle est aussi, je le disais, passionnante. La tâche est passionnante parce qu’au détour de ce cheminement consistant à approfondir, clarifier, revigorer la pensée libérale nous trouvons de réelles pépites et des horizons nouveaux. Victoria Curzon-Price, par exemple, au détour d’une explication de texte très utile sur les rapports tendus qu’entretiennent aujourd’hui l’Union européenne et la Suisse, nous livre en cadeau l’histoire du Pont du diable. Le Pont du diable… Il paraît que tous les enfants suisses en connaissent l’histoire. Quel dommage que nos dirigeants l’ignorent ! S’ils prennent le temps de la lire ils comprendront mieux ce qui est en jeu dans les négociations entre la Confédération et l’Union Européenne : une question de confiance, une question de souveraineté, une question de respect de la parole donnée. Ainsi la preuve est-elle faite : lorsque l’on s’accroche à de vraies valeurs on peut grandir plus vite et plus droit.
Jean-Philippe Feldman et Erwan Queinnec, chacun dans un domaine spécifique, nous ouvrent de nouvelles perspectives. Le juriste nous explique comment « mettre en place de véritables institutions de la liberté » au niveau de l’Union européenne. Pour cela il faut, comme toujours, commencer par analyser les déficiences des institutions actuelles. Ce qu’il fait à merveille et qui le conduit à proposer cinq réformes parmi lesquelles on trouvera une redéfinition des compétences de l’Union. Il faut également, dit-il, « graver dans le marbre une conception exacte de la subsidiarité, non plus descendante du niveau ‘supérieur’ aux niveaux ‘inférieurs’, mais remontante ». En bref, il faut abandonner ce qui a jusqu’ici été la spécificité des institutions européennes et qui de toute évidence ne fonctionne pas. De son côté le politologue et gestionnaire, Erwan Queinnec, prend le contrepied d’une idée malheureusement bien ancrée dans la pensée dominante : une incompatibilité fondamentale entre les libertés individuelles et le marché d’une part et le souci d’une amélioration de notre environnement. Il montre, grâce à une argumentation minutieuse qui consiste en particulier à expliquer « à la façon autrichienne » les mécanismes marchands, que liberté et écologie peuvent former un tandem gagnant.
Pour ma part, je m’attache à mettre en évidence un autre tandem gagnant : celui qui associe le désir de lutter contre le populisme et le désir de répandre une culture économique solide ; tant il est vrai que les mouvements populistes se développent invariablement sur le terreau de l’inconnaissance.
Il me reste à présent à vous souhaiter une bonne lecture ; y compris celle des deux recensions d’ouvrages (l’un sur la démocratie et l’autre sur les penseurs « de gauche ») qui déboucheront peut-être sur de nouvelles lectures estivales. En espérant surtout que ces pages vous conduiront à partager notre passion pour les idées de la liberté.