Je voudrais remercier Pierre, l’IES-Europe et l’IREF de m’avoir invité à nouveau à l’Université d’été[1]. L’année dernière, m’appuyant sur mon expérience personnelle, ma présentation portait sur les défis auxquels un homme politique libéral est immanquablement confronté. Compte tenu de la situation politique, non seulement en France et au Royaume-Uni, mais aussi dans toute l’Europe et aux États-Unis, nous nous réunissons cette année encore à un moment qui est difficile pour les libéraux.

Au Royaume-Uni, Liz Truss a proposé un budget basé sur une politique de l’offre mais qui prévoyait aussi un accroissement substantiel de la dette, ce qui n’a pas manqué d’effrayer les marchés et d’apporter de la confusion chez les gens qui avaient une notion autre de ce qu’est un budget de libre-marché. Nous avons également eu un gouvernement conservateur qui a essayé de faire un socialisme plus authentique que celui des socialistes. En France et dans d’autres pays de l’UE, nous assistons à la montée du populisme, dont une grande partie est illibéral.

Pendant la crise de la Covid, il y a eu floraison de projets venus de la société civile, par essence non étatiques et le plus souvent développés au niveau local. Mais nous avons également constaté une dépendance accrue à l’égard du gouvernement, ce qui laisse à penser que de nombreuses personnes souhaitent toujours l’intervention du gouvernement.

Et il y a bien d’autres raisons encore de considérer ces temps comme des temps difficiles pour un libéral. Sans être exhaustif, en voici quelques-unes.

–   À l’époque de l’argent bon marché et des taux d’intérêt bas, nous avons assisté à une inflation des prix des actifs et des logements, creusant ainsi l’écart entre les riches et les pauvres. Il est donc devenu difficile pour les jeunes d’acheter leur propre logement, d’accéder à la propriété.

–   Ensuite, il y a eu l’inflation des prix à la consommation et une crise du pouvoir d’achat.

–   Au Royaume-Uni, nous avons vu des secteurs récemment privatisés – tels que les secteurs de l’eau et des chemins de fer – faire faillite, ou demander plus d’argent aux contribuables.

–   Le comportement des gouvernements chinois et russe a présenté et continue de présenter des défis pour ceux d’entre nous qui croient au libre-échange.

–   Bien que nous sachions que le libre-échange fait de nombreux gagnants et représente un coût ponctuel pour une petite minorité seulement, les voix de ceux qui perdent sont devenues plus fortes alors que les gagnants, dispersés et non-organisés, restent silencieux.

–   La liberté d’expression est menacée, dans la sphère publique comme dans nos universités.

Je suis désolé de vous déprimer tous de la sorte. Mais, comme je le répète à loisir aux membres de mon équipe : « Ne m’apportez pas des problèmes, apportez-moi des solutions! ». Alors, que peut-on faire ?

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Oui, nous pouvons et devons continuer à critiquer les politiques des gouvernements nationaux ou locaux, en espérant qu’un nombre significatif de nos concitoyens prêtent attention à nos arguments. Il est même possible que nous gagnions les débats, mais cela ne suffira pas pour obtenir le changement dont nous avons besoin. Pour réussir, nous devons réexaminer certains de nos principes de fonctionnement.

Commençons par reconnaître que nous ne partons pas d’un état de nature. Nous partons de là où nous en sommes aujourd’hui…  Il y a un État et des gouvernements qui sont en place et des programmes gouvernementaux. Alors, lorsqu’un gouvernement non libéral s’écarte de son chemin pour proposer une solution de marché, félicitons-le, utilisons-le comme exemple.

Mais nous devons également proposer des solutions libérales. Or, s’il y a des désaccords chez les libéraux en ce qui concerne le rôle que doit assumer l’État, tous s’accordent cependant à reconnaître la valeur précieuse des actions de la société civile ; le rôle bénéfique de toutes ces organisations qui opèrent pour ainsi dire entre l’individu et l’État. Nous parlons ici des familles, des églises, des mosquées, des synagogues, des clubs sportifs, des associations caritatives locales, etc.

Certes, nous valorisons également ce que Mises appelait « la coopération sociale ». Nous voulons que les entrepreneurs fassent des profits pour créer des emplois et de la richesse. Mais en tant que libéraux, nous nous sommes laissé dépeindre comme des individus sans cœur, uniquement motivés par le profit. Nous devons détruire cette image.

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Pour commencer, soyons clairs : être en faveur du marché ne signifie pas nécessairement être en faveur des grandes entreprises. Lors d’une de mes premières réunions au Parlement européen, je me souviens que le dirigeant d’une grande entreprise m’avait confié apprécier la législation européenne proposée car elle permettait de se débarrasser de toutes ces « start-ups de garage ». Je lui ai répondu que les start-ups d’aujourd’hui emploient plus de personnes, offrent plus de choix aux consommateurs et permettront à l’économie de croître. Dénonçons également le capitalisme de connivence ou l’État-providence des entreprises. Comment en sommes-nous arrivés à une situation où, lorsqu’une banque est techniquement en faillite, elle est renflouée grâce à l’argent des contribuables ?!

Vous avez sans doute aussi noté qu’à chaque fois que nous, libéraux, insistons sur la nécessité d’un État limité, on nous accuse de ne pas nous soucier des pauvres. Nous devons donc montrer l’existence de moyens alternatifs pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Nous savons qu’il existe de nombreuses organisations caritatives non gouvernementales qui font un excellent travail, mais si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous devons admettre que, si l’État-providence était aboli demain, les organisations de la société civile ne seraient pas en mesure de combler toutes les lacunes.

Nous devrions donc nous impliquer plus directement et soutenir les organisations non gouvernementales. « Non gouvernementales » ne signifie pas toujours « privées à but lucratif » ; cela inclut également toutes ces organisations de la société civile, les organisations caritatives, les coopératives. Sommes-nous capables de trouver une cause commune au-delà du spectre idéologique ? Lorsque je travaille avec les organisations caritatives de mon quartier, certaines personnes me disent se reconnaître dans le socialisme autogestionnaire, d’autres sont plus à l’aise chez les sociaux-démocrates ou encore chez le représentant local des conservateurs, mais la plupart d’entre elles ne sont pas des idéologues. Ce sont simplement de bonnes personnes qui cherchent à résoudre un problème local. Même s’ils sont sociaux-démocrates, ils seront probablement d’accord avec nous sur le fait que les banques ne devraient pas être renflouées avec l’argent des contribuables.

L’un de mes collègues à la Chambre des Lords affilié au Parti travailliste a récemment déclaré dans un discours que « l’État ne peut pas tout faire ». Alors, faisons ensemble en sorte que le secteur non étatique se développe et s’accroisse, et affirmons clairement que les libéraux veulent une société civile plus forte.

Si vous allez sur Internet ou assistez à des séminaires ou universités d’été sur le libéralisme, vous en apprendrez davantage sur les écrivains libéraux qui vantent les vertus du libéralisme. Mais je crois que nous devons faire plus que simplement écrire ; nous devons retrousser nos manches et faire partie de la solution.

Le Mahatma Gandhi a dit un jour « Si nous pouvions nous changer nous-mêmes, les tendances du monde changeraient aussi » et « Nous n’avons pas besoin d’attendre de voir ce que font les autres. » Ce que l’on peut résumer ainsi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».

En tant que libéraux, nous sommes donc sans aucun doute confrontés à des temps difficiles, mais cela ne doit pas nous surprendre car, nous le savons, la bataille pour la liberté n’est jamais terminée. En 1989, à la fin de la guerre froide, Francis Fukuyama a été le premier à clamer « La fin de l’histoire » mais il a aussi été le dernier homme à proclamer le triomphe de la démocratie libérale. En 2017, au Royaume-Uni, n’avons-nous pas failli élire un gouvernement marxiste! Je ne ferai pas de commentaires sur les récentes élections parlementaires françaises…

Comme l’a écrit Hayek : « Pour conserver leur emprise sur l’esprit des hommes, les vérités anciennes doivent être reformulées dans le langage et les concepts des générations successives.” (La Constitution de la liberté)

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Alors continuons à diffuser le message, par exemple lors de l’université d’été et dans nos groupes de réflexion. Mais nous devons aussi défendre le libéralisme en proposant des réformes libérales réalistes basées sur la façon dont le monde est aujourd’hui – non sur le monde tel que nous aimerions qu’il soit –, en trouvant un terrain d’entente avec les amis de la liberté, même s’ils ne sont pas des libéraux, en montrant la faisabilité et en développant des solutions non-étatiques à des problèmes concrets. Bref, en incarnant le changement que nous souhaitons pour notre monde.


[1]    NDR : Nous reproduisons ici le discours prononcé par Lord Syed Kamall à l’occasion de l’ouverture de l’Université des libéraux le 11 juillet 2024.

About Author

Lord Syed Kamall

Syed Kamall est professeur de politique et de relations internationales à l’Université St Mary’s de Twickenham, consultant auprès de l’Institute of Economic Affairs et membre conservateur de la Chambre des Lords. Il a été ministre du gouvernement britannique et membre du Parlement européen de 2005 à 2019. Il s’est exprimé sur un large éventail de sujets, mais sa passion est de soutenir et de développer la société civile locale non étatique.

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