Le titre est certainement bienvenu. Mais à mon sens la leçon de libéralisme est manquée.

Faire l’éloge du libéralisme est courageux dans un pays où il est généralement honni. Les premières pages de l’ouvrage soulignent avec lucidité la mode intellectuelle dans notre pays : « nous vivons actuellement sous le règne des Grandes Peurs » et la panique une fois créée rien n’est plus facile que de « hausser le libéralisme au niveau de la plus effroyable des menaces » (p.16). Les libéraux français ? « Disparus, évanouis, enfouis ». La droite libérale ? Où est-elle passée ? D’ailleurs le mot « libéralisme » a perdu toute signification ; l’auteur cite fort à propos Hayek qui affirme que le principe du libéralisme est de « recourir le moins possible à la coercition » (p.19).

Mais dans les chapitres suivants il nous amène dans une galerie de portraits libéraux qui surprend. De façon surprenante il s’empresse de faire de Raymond Aron l’intellectuel libéral français le plus remarquable. Je partage l’opinion suivant laquelle Aron a combattu avec audace et efficacité le communisme, en son temps L’opium des intellectuels m’a persuadé que le marxisme était le poison du siècle. Au passage il est bon de se souvenir que Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont collaboré avec les Allemands, alors que Raymond Aron a rejoint Londres à l’appel de De Gaulle (p.41). Néanmoins Raymond Aron a versé dans la sociale démocratie assez vite, il a été le père spirituel de Barre, Jeanneney, Casanova, et il ne suffit pas d’être antimarxiste pour être libéral.

De mon point de vue, c’est précisément la définition du libéralisme qui ôte tout intérêt à l’ouvrage. « Il y a un libéralisme pour chacun et chacun est légitime à apporter sa pierre, c’est la singularité de cette idée » (p.44). Nous voici en plein relativisme, Et à la question posée « Qu’est-ce qu’être libéral ? » le lecteur aura pour réponse qu’être libéral c’est d’abord ne pas être économiste, et je trouve le trait injuste et offensant quand il accuse nommément le « quadrige économique tiré par Henri Lepage, Pascal Salin, Jacques Garello et Florin Aftalion » d’avoir réduit le libéralisme à sa seule dimension économique (p.44) alors même que ces économistes donnent à leur conviction libérale une dimension éthique. Par contraste il cite comme exemplaires Philippe Nemo et Gaspard Koenig, tous deux philosophes, même si leurs idées sont à l’opposé : ils sont de vrais libéraux qu’on peut rapprocher de Deleuze ! Je ne sais si mon ami Philippe Nemo, administrateur de l’ALEPS qui abrite le « quadrige » appréciera d’être mis au niveau de Koenig et dans la charrette de Deleuze ! Au fil des pages, l’auteur va distribuer des brevets de libéralisme à sa guise. Benedetto Croce, philosophe fasciste mussolinien serait tout aussi libéral que Luigi Einaudi (bien qu’économiste). Pour être libéral il suffit de pousser la porte de l’auberge espagnole. Le libéral, c’est « l’homme libéré », c’est l’intellectuel qui a le courage d’exprimer ses propres idées.

Cette approche incohérente et inconsistante est bien ce qui tue le libéralisme en France. Elle a permis à Georges Marchais en 1974 de proclamer « je suis un libéral » à l’époque où le libéralisme était aux yeux des Français porté par Valéry Giscard d’Estaing, qui n’était pas davantage libéral que le Président du PCF. Libéralisme avancé giscardien et liberté « réelle » marxiste pourraient converger. Aujourd’hui, dans les rangs de la droite, le libéralisme est évoqué par une infime minorité, mais pour en faire une philosophie « anglo-saxonne » donc inadaptée à la France, dit l’un des dirigeants des Républicains.

Dans les pages suivantes, se souvenant soudain qu’il a été historien et romancier, l’auteur entreprend de réécrire à sa manière le « cheminement de la pensée libérale » à travers les siècles, mêlant Montaigne et Voltaire, Say et Proudhon, Tocqueville, Constant et Stendhal. Il consacre un chapitre entier à deux dames porteuses du message libéral : Renée de France (?) et Germaine de Staël. C’est une histoire pour le moins « romancée » et elle confirmera bien dans l’esprit du lecteur que le libéralisme c’est la diversité.

Certes, à ce jeu, l’auteur attribue dans les pages qui suivent le label « libéral » à d’authentiques libéraux. Mais l’ostracisme à l’égard des économistes est toujours de rigueur : le libéralisme ne saurait être que politique, et le libéral n’a cure de la liberté économique. « La défense du libéralisme doit se recentrer sur la défense des libertés politiques et des libertés publiques » (p.119) D’ailleurs le libéralisme peut-il s’accommoder du capitalisme ? Cette question saugrenue à mes yeux s’explique par la confusion que crée le capitalisme de connivence (crony capitalism), alliance des milieux d’affaires et de la politique, bien soudée en France de Napoléon III à nos jours. Pourtant dans l’attribution du label « libéral » l’auteur ne se prive pas de compliments et de citations de « libéraux » qui pensent que la route du libéralisme passe par l’État, et concourent ainsi à la pensée unique.  

Si la diversité du libéralisme s’arrête aux portes de l’économie elle s’arrête aussi aux portes de la religion. Libéral et catholique, admirateur de Jean Paul II (et de sa définition du capitalisme) je me sens personnellement exclu de la pensée libérale par Joseph Macé-Scaron.

Un chapitre entier de son livre est consacré à « L’Église déformée », parce que « les religions contemporaines sont des monstres » (p.97). Certes il présente l’affaire à propos de l’Islam, et il cite à juste titre quelques bons auteurs, comme François Facchini (pourtant économiste et catholique !). Mais aucune religion ne trouve grâce à ses yeux : c’est « l’horreur religieuse » porteuse de guerre mais « lorsqu’elles ne partent pas en guerre nos religions contemporaines ont deux victimes de choix : les enfants et les femmes » (p.99). Et, en conclusion du chapitre, le lecteur est invité à écouter Salman Rushdie « avec le temps c’est la religion qui finira par amener les hommes à se détourner de Dieu » (p.103).

L’homme libéré de la religion pourra enfin s’occuper de l’essentiel : la politique, et l’auteur ne manque pas ici de donner deux conseils. Le premier est de cesser de « dresser un acte d’accusation de nos politiques » (p.119), il n’y a rien à craindre de la dictature d’Emmanuel Macron parce que les vraies dictatures sont celles de l’Iran et de la Chine (p.119). Le second est de « tenir bon » : « réapprendre à penser par soi-même », comme l’a fait Churchill, et pour ce faire « inaugurer réarmement moral » comme le demandait Lord Acton – dont je rappelle qu’il a été un libéral très croyant (p.122).  « Tenir bon c’est bien sûr rallumer les Lumières » (p.123). Je n’ai pas été ébloui. J’ai trouvé dans cet ouvrage tout et son contraire, un éloge et un attentat. 

Jacques Garello est professeur émérite de l’Université Aix-Marseille. Président de l’ALEPS de 1978 à 2015, il publie depuis 1981 La Nouvelle Lettre, hebdomadaire. Il a été l’un des créateurs du groupe des Nouveaux Économistes (1977) et a organisé 38 Universités d’Été de la Nouvelle Économie à Aix en Provence.

 
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Journal des Libertés

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