Les réflexions qui suivent ont été présentées le 10 octobre 2020 lors d’une conférence à Munich. Le but était de discuter des politiques environnementales dans une perspective de marché libre. Bien qu’il ne s’agisse pas là de l’un de mes domaines de recherche, j’ai depuis longtemps été intéressé par la théorie générale de l’interventionnisme et c’est cela qui a aussi motivé le présent commentaire de la politique climatique. Parfois, le regard neuf d’un outsider peut être utile. Si mes remarques incitent à réfléchir davantage sur les politiques en matière de changement climatique, elles auront rempli leur objectif !

Balazs Sebok / Shutterstock.com
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Je n’ai rien écrit sur l’environnementalisme depuis le début des années 1990. Étudiant à l’Université Technique de Berlin, j’avais rédigé un mémoire de séminaire sur le problème de la pollution de l’air. Comment traiter ce problème ? Que devrait faire l’État ? À cette époque, j’ai plaidé en faveur de la doctrine relativement nouvelle selon laquelle la contre-mesure la plus efficace serait l’introduction d’une bourse de certificats d’émission. Les entreprises qui polluent l’air sont censées acheter des « droits de pollution de l’air », par exemple en achetant des droits d’émission de CO2 sur un marché créé à cet effet. De cette manière, le principe pollueur-payeur est satisfait et les émissions totales admissibles pourraient être plafonnées par l’État sans entraver ou paralyser l’économie par une planification étatique arbitraire.

Depuis, ma réflexion s’est déplacée vers d’autres horizons, en particulier sous l’influence de l’école autrichienne, et plus particulièrement des écrits de Murray Rothbard (« Law, Property Rights, and Air Pollution », 1982) qui avait brillamment disséqué et critiqué les justifications traditionnelles des interventions étatiques, y compris dans le domaine des politiques environnementales. George Reisman mérite également une mention toute spéciale. Dans de nombreuses publications — en particulier dans son opus magnum intitulé Capitalism (1996) — il nous a livré une critique très approfondie des politiques environnementales interventionnistes. Dans la même veine d’idées, je voudrais aussi mentionner les travaux des économistes autrichiens Walter Block, Bob Murphy, Timothy Terrell, Bill Anderson, Roy Cordato, Edwin Dolan et Jonathan Newman.

Ces penseurs n’ont certes pas le monopole des bonnes idées et des arguments convaincants. Sur le thème de la protection de l’environnement et de la politique climatique, on trouve de nombreuses contributions de qualité qui viennent compléter, corriger voire prolonger les arguments des Autrichiens. Je pense en particulier à Terry Anderson et Richard Stroup, mais aussi et tout spécialement au statisticien Björn Lomborg de la Copenhagen Business School, qui mieux que tout autre a su rendre accessibles à un large public les problèmes économiques de la politique climatique. Son livre le plus récent (2020) a pour titre programmatique : False Alarm: How Climate Change Panic Costs Us Trillions, Hurts the Poor, and Fails to Fix the Planet. Les pages suivantes doivent être comprises dans ce contexte intellectuel. Mon objectif est de rendre la critique économique des politiques interventionnistes en matière de changement climatique claire et compréhensible.

Ces politiques interventionnistes ont trouvé d’éminents champions parmi les climatologues allemands : les professeurs Stefan Rahmstorf et Hans Joachim Schellnhuber (ci-dessous abrégé par ‘R&S’) de l’Université de Potsdam. Leur ouvrage, Der Klimawandel (2019 [2006]), a été vendu à plus d’un million d’exemplaires et est devenu la référence en la matière. Par conséquent, dans ce qui suit, j’utiliserai ce livre comme fil rouge pour présenter mes arguments[1].

Je commencerai avec quelques réflexions générales sur la relation entre militantisme climatique d’une part et, d’autre part, les sciences qui traitent traditionnellement des politiques de l’État_: philosophie politique, droit et économie. Ensuite, je vais tâcher de présenter la position des militants à partir du livre de R&S susmentionné. Suivra une discussion des conséquences probables du réchauffement, pour enfin aborder la question de la politique appropriée en matière de changement climatique.

  1. Militantisme climatique, propagande climatique et science économique

Comme bien d’autres non-experts, j’ai suivi avec un certain intérêt les débats entre physiciens, géologues et ingénieurs sur le réchauffement climatique. Il y a au fond de moi une âme et une formation d’ingénieur. Mais il ne m’a pas échappé que de tels débats glissent inévitablement sur les terrains de la philosophie politique, de la jurisprudence et de l’économie politique dès qu’on passe aux préconisations.

Autrement dit, tant que les physiciens, géologues, chimistes, météorologues et climatologues se limitent à l’exploration de notre environnement et à ses causes et effets, ils se tiennent à l’écart des philosophes, des juristes et des économistes. Mais dès l’instant où ils quittent le domaine des sciences naturelles pour s’efforcer de donner à d’autres des recommandations d’action — en particulier d’action politique — ils se retrouvent, qu’ils le veuillent ou non, sur le territoire des philosophes, des juristes et des économistes.

Cette constatation concerne tout particulièrement la politique climatique. Les climatologues de renom sont nombreux à être également très actifs sur le plan politique. En Allemagne, les professeurs Rahmstorf et Schellnhuber ne se consacrent pas seulement à la recherche sur le climat ; ils jouent également un rôle clé dans l’élaboration de la politique climatique. Ils portent pour ainsi dire deux casquettes : en tant que climatologues, ce sont des scientifiques, en tant que politiciens du climat, ce sont des militants.

Le lien entre la théorie et la pratique, la fusion de l’expert et du conseiller, n’est généralement pas inquiétant et serait même plutôt souhaitable. Tout le monde voudra entendre les conseils bien intentionnés d’experts[2]. Il est également logique que les médecins déconseillent la consommation d’alcool et de nicotine ou même plaident en faveur de restrictions légales (même s’ils consomment eux-mêmes ces substances intoxicantes). Il n’est pas non plus surprenant que les mécaniciens automobiles recommandent des contrôles réguliers des freins, du niveau d’huile et de la pression des pneus. Leur travail implique ou, du moins, suggère un certain ensemble de préférences. Et dans de nombreux cas, presque tout le monde laisse volontiers l’expert non seulement fournir des conseils mais aussi coordonner leur mise en œuvre. On n’est que trop heureux de leur laisser certaines décisions pratiques si l’on ne se sent pas directement concerné et si l’on ne connaît pas vraiment la situation. C’est la raison pour laquelle si peu de citoyens s’intéressent de près à la réforme de l’administration publique.

Mais lorsque ces conditions préalables ne sont pas remplies, la situation apparait toute différente : Dans sa propre maison et sur son propre corps, on ne permet pas aux experts professionnels de faire tout ce qu’ils veulent. Le plombier doit poser les tuyaux dans ma maison où moi je le souhaite, selon mes besoins personnels et mes préférences esthétiques, et non pas seulement là où les tuyaux s’intègrent le mieux « d’un point de vue purement technique » (quoi que cela puisse avoir son importance). Le chirurgien ne doit en aucun cas me couper les chairs comme il lui convient ou comme il lui semble bon, mais selon les spécifications de ma volonté. Il peut légitimement penser que, sans une opération urgente du foie, je mourrai bientôt. Mais je veux, moi, avoir la possibilité de choisir librement entre une vie plus courte sans chirurgie et une vie plus longue avec toutes les conséquences que la chirurgie entraîne. Le virologue peut me prévenir du risque de la grippe si je me rends à l’université ou si j’assiste à une conférence sans protection respiratoire. Mais je veux pouvoir déterminer moi-même si le jeu en vaut la chandelle.

La politique climatique a longtemps été un terrain d’expérimentation pour les experts scientifiques et pour les partisans d’une politique climatique (interventionniste) radicale. En effet, la plupart des citoyens — tout comme la plupart des économistes – ne prenaient pas la chose très au sérieux. La plupart des gens ne se sentaient pas directement concernés et ne voyaient pas, peu ou prou, la nécessité de se faire une idée sur ces questions complexes. Les partisans de la mise en place d’une politique climatique drastique par l’État ont su mettre à profit cette liberté.

Dans les années 1990 et 2000, les militants pour le climat sont parvenus à diffuser, non seulement leurs connaissances scientifiques, mais aussi leurs préférences et préjugés politiques, grâce à un travail de lobbying acharné dans les médias, dans les comités gouvernementaux et dans les administrations publiques (en particulier les commissions scolaires). Ils ont pu également mettre à profit une coopération planétaire étroite avec tous ceux qui partagent leur point de vue. Les fruits de ce dur labeur sont aujourd’hui bien visibles et l’opinion publique en Allemagne et dans de nombreux autres pays est totalement sous l’influence de cette propagande.

Parler de propagande, comme je viens de le faire à l’instant, n’est pas en l’occurrence inconvenant. L’activisme risque toujours de se transformer en propagande. Le livre mentionné plus haut, Der Klimawandel, démontre amplement que ce danger menace même les écrits d’universitaires établis. R&S consacrent les 72 premières pages de leur court texte à une description de l’histoire du climat, du réchauffement climatique actuel, ainsi que des conséquences probables du changement climatique. Ces pages sont suivies d’un plaidoyer de 56 pages pour traiter ce problème climatique au moyen de solutions fortement interventionnistes. Jusqu’ici tout va bien. A cela près qu’un examen plus approfondi révèle plusieurs frontières troublantes avec la propagande. La propagande est la représentation manipulatrice d’un fait ou d’un problème. La propagande n’essaie même pas de permettre aux lecteurs de se forger leur propre jugement. La propagande vise à masquer (ou nier) systématiquement tout autre point de vue afin qu’un seul et unique point de vue apparaisse correct ou pertinent.

Dans un essai célèbre, John Stuart Mill a soutenu que la meilleure façon d’argumenter (et la plus efficace) consiste à présenter les idées de son contradicteur sous leur meilleur jour. L’adversaire doit apparaître paré de son armure de pied en cap avant que l’on ne commençât à disséquer ses points faibles.

Il est regrettable que l’on ne trouve rien de cela dans Der Klimawandel, surtout en ce qui concerne le volet purement scientifique. Nulle part les objections à la thèse du livre ne sont présentées et réfutées de manière factuelle. Au chapitre 4, alors qu’ils discutent du « changement climatique dans le débat public_», R&S se contentent de noter qu’il existe un consensus scientifique écrasant sur les causes humaines du changement climatique. A partir de là, toute représentation prétendument équilibrée de la climatologie que proposeraient les médias deviendrait à la fois inquiétante et irritante. Les médias accorderaient alors une attention excessive à des contre-arguments qui, compte tenu de l’avis unanime des experts, ne la méritent pas. Bref, la recherche d’un équilibre journalistique est, selon nos auteurs, complètement déplacée en la matière. R&S suggèrent d’ailleurs qu’un tel équilibre remonte à « des campagnes de désinformation ciblées financées par des secteurs de l’industrie » (p. 81). Nos deux auteurs n’entendent pas pêcher de cette manière et répéter cette même erreur, à supposer que cela en soit une. S’ils font référence à plusieurs reprises à divers écrits et sources d’information, jamais en revanche, ils ne font le moindre effort pour expliquer les positions opposées.

De toute évidence, ils pensent qu’aucune personne intellectuellement décente et honnête ne saurait être en désaccord avec eux.  Quiconque pense différemment de R&S sur le climat et le réchauffement climatique est forcément un « négationniste du climat » — un criminel redoutable, tel un négationniste de l’Holocauste – ou, seconde possibilité, un lobbyiste ou un électeur de Trump[3]. En un mot : ceux qui pensent différemment ne sont pas réfutés par R&S, mais ridiculisés, insultés et vilipendés. Les auteurs veulent manifestement laisser au lecteur l’impression qu’un seul point de vue – le leur — est moralement défendable.

  • La position des militants pour le climat

Quoi qu’il en soit, comment classer et évaluer leur position du point de vue de l’économie politique ?

La structure logique de leur argument repose – comme dans le cas de la pollution atmosphérique – sur une théorie des pièges à la rationalité. Le problème du climat découlerait de la contradiction entre les intérêts individuels et le bien commun. L’accès à l’air atmosphérique étant gratuit pour les producteurs et les consommateurs, les individus agissent de manière assez rationnelle, de leur point de vue personnel, en utilisant les sources d’énergie les moins chères – principalement les combustibles fossiles — pour produire de l’énergie. Ce faisant, ils respectent également les droits de propriété de chacun. Et pourtant, ils agissent contre la qualité du résultat global lorsqu’ils utilisent du pétrole et du charbon pour chauffer les maisons, faire fonctionner des usines et déplacer les gens et les choses d’un endroit à un autre. En effet, la combustion de pétrole brut et de charbon augmente la teneur en CO2 de l’atmosphère de notre planète, ce qui, selon R&S, entraîne inévitablement un réchauffement climatique considérable. Le réchauffement climatique entraîne alors de nombreuses conséquences négatives, notamment le retrait des glaciers et des mers de glace polaires, le dégel du pergélisol et des calottes glaciaires au Groenland et de l’Antarctique, ainsi que des changements dans les courants océaniques, des conditions météorologiques extrêmes plus importantes et plus fréquentes, une extinction plus rapide des espèces et la propagation accrue des maladies.

D’un point de vue économique, il n’y a pas grand-chose à dire sur ces enchaînements physiques et biologiques. Cependant, je dois avouer ne pas avoir trouvé les présentations et explications présentés par Der Klimawandel bien convaincantes et cela pour quatre raisons.

Tout d’abord, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, R&S ne prêtent aucune attention aux avis qui divergent du leur. Ils affirment qu’il existe un large consensus chez la quasi-totalité des experts et que les opinions minoritaires sur le réchauffement climatique sont le fait d’ignorants et de lobbyistes. Cela est intellectuellement peu convaincant. A titre de comparaison, j’ai lu les livres de Gregory Wrightstone (Inconvenient Facts, 2017) et Bruce Bunker (The Mythology of Global Warming, 2018), qui eux ne se contentent pas de remettre en cause le supposé consensus climatologique, mais présentent et discutent également de nombreuses thèses alternatives sur le réchauffement climatique. J’attendais de R&S – qui après tout enseignent à l’université publique — qu’ils abordent au moins quelques-unes des thèses opposées à la leur – peut-être en se concentrant sur les plus importantes – et nous expliquent en quoi elles sont erronées. C’était chose possible, même dans le contexte d’un ouvrage assez court conçu pour une audience large. Mais malheureusement, les auteurs n’amorcent pas la moindre tentative en ce sens, se contentant de dénigrer toutes les opinions dissidentes en général, sans se soucier d’entrer dans les détails. C’est trop mince pour moi et c’est une première raison d’être sceptique.

Une deuxième raison est liée à la science du climat qui est encore très jeune dans son ensemble. A-t-elle vraiment déjà mis à jour et compris tous les effets de rétroaction complexes entre le gaz trace CO2 et les grandes macro-variables telles que la vapeur d’eau, les courants océaniques, les nuages, les précipitations, etc._?

Troisièmement, je doute des prévisions de la climatologie, car ces prévisions ne sont pas basées sur des expériences en laboratoire, mais obtenues à l’aide de modèles et de simulations. Il faut dûment tenir compte de cette réalité. Les prévisions climatiques ne sont qu’indirectement basées sur des mesures. Elles sont le produit direct de modèles et de simulations assistées par ordinateur. Le problème fondamental de cette technique est que la moindre petite erreur – que ce soit dans les données initiales ou dans la modélisation des interactions complexes en un nombre innombrable de variables – peuvent avoir des effets dramatiques sur le résultat final. (Ajoutez à cela le problème connexe de la vulnérabilité à la manipulation politique.) Il est donc permis d’avoir des doutes. Les modèles et simulations climatologiques actuels sont-ils vraiment fiables ? Déterminent-ils quantitativement le lien entre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique aussi précisément et sans équivoque que le prétendent les activistes de la cause climatique ? L’analogie avec la météorologie vient ici naturellement à l’esprit. Si les températures locales des prochains jours peuvent être assez bien prévues, par contre les prévisions météorologiques scientifiques pour les prochaines semaines, mois et années sont souvent pires que celles des paysans. Il est bien connu que les prévisions météorologiques à long terme ne sont guère fiables. La prudence est donc de rigueur lorsque quelqu’un affirme – fut-il même un honnête expert — pouvoir déterminer le réchauffement climatique des cent prochaines années avec des marges d’erreur suffisamment faibles.

La quatrième raison de mon scepticisme découle également de mon expérience de l’usage des modèles quantitatifs dans ma propre discipline ; discipline qui s’attache elle aussi à comprendre des systèmes complexes – je parle bien entendu de l’économie. Les économistes tentent, depuis bien plus longtemps que les climatologues, de prédire les variables macroéconomiques les plus importantes – en particulier l’inflation des prix, le chômage et la croissance – à l’aide de modèles et de simulations macroéconomiques. Les résultats ont été terriblement médiocres. A moyen et long terme, les modèles sont presque toujours faux. Il en va de même pour de nombreuses autres prédictions. Je me contenterai de ne citer ici que quelques-unes des fausses prévisions économiques les plus spectaculaires. Dans les années 1960, les économistes français prédisaient que l’économie américaine envahirait et écraserait le monde occidental si les pays européens ne mettaient pas immédiatement en place des politiques fortement protectionnistes. On a d’ailleurs entendu le même type de prédiction dans les années 80 aux États-Unis à l’égard du Japon : sans un protectionnisme américain vigoureux, l’Amérique deviendra bientôt une colonie japonaise. Dans les années 1970, un monopole mondial de la société américaine IBM était prévu à très court terme dans l’ensemble du secteur technologique et, en 1972, le Club de Rome annonçait l’épuisement imminent des ressources, en particulier des combustibles fossiles, s’il n’y avait pas un renversement radical et immédiat de la politique économique.

Quoi qu’il en soit, toutes ces considérations, bien qu’importantes, n’affectent que marginalement le sujet dont je veux vous entretenir ici. Mon sujet n’est pas de savoir si les températures sur notre planète seront plus élevées dans cent ans qu’elles ne le sont aujourd’hui. Je ne suis pas plus concerné ici par le lien qui peut exister entre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique, ni par la contribution humaine au réchauffement climatique. D’un point de vue économique, des questions très différentes sont au premier plan : Pour quels groupes de personnes un réchauffement climatique hypothétique serait-il fondamentalement avantageux ou désavantageux ? Comment les dommages causés par le réchauffement climatique peuvent-ils être ramenés dans un rapport raisonnable à ses avantages ? Ce rapport avantages-dommages peut-il être amélioré grâce à une intervention gouvernementale ? C’est vers ces questions que nous nous tournons à présent.

  • Les conséquences du réchauffement climatique

Pour aller droit au but, nous pouvons supposer, pour les besoins de l’argumentation, que R&S ont raison sur toutes les autres questions. Supposons donc que les émissions non-contrôlées de CO2 par nos sociétés industrielles modernes conduisent à un réchauffement climatique important. Supposons en outre que cela conduise à la fonte des glaciers, au déclin de la glace de mer polaire, au dégel du pergélisol et des calottes glaciaires au Groenland et en Antarctique, ainsi qu’à des changements dans les courants océaniques, des conditions météorologiques extrêmes, et une extinction accrue des espèces accompagnée d’une propagation accrue des maladies.

Le réchauffement climatique présente des avantages et des inconvénients

Il est évident que l’ensemble de ces changements créerait à la fois des inconvénients et des avantages pour l’humanité dans son ensemble. Les inconvénients proviennent principalement des coûts liés à l’adaptation aux nouvelles conditions et à la perte de certaines zones et villes en raison de l’élévation du niveau de la mer. D’un autre côté, il y aurait aussi des avantages à ce que de grandes parties de la surface de la terre, qui auparavant ne pouvaient être cultivées qu’à des coûts élevés, soient désormais accessibles aux grandes cultures et au développement urbain et aux entreprises industrielles.

Ces avantages et inconvénients n’affecteraient pas tout le monde de la même manière. Tôt ou tard, de nombreuses personnes devraient quitter leur domicile pour s’installer dans de nouvelles zones favorisées par le réchauffement climatique afin de ne souffrir d’aucune altération de leurs conditions de vie matérielles. D’autres seront conduits à épargner davantage ou à attirer des capitaux étrangers et pourront ainsi compenser les conditions de vie plus défavorables en investissant plus de capitaux. D’autres encore pourraient rester dans leur quartier résidentiel traditionnel et bénéficier de meilleures conditions de vie. Les propriétaires de terres situées dans les pays bénéficiant du nouveau climat bénéficieraient de l’afflux de migrants à mesure que la valeur de leurs terres augmenterait. En revanche, la valeur de la propriété dans les pays défavorisés baisserait.

Nous pourrions élargir et approfondir ces considérations par des détails supplémentaires, mais le résultat fondamental resterait inchangé. Il peut se résumer en trois points. Premièrement, les conséquences du réchauffement climatique mentionnées par R&S apporteraient à la fois des avantages et des inconvénients à l’économie dans son ensemble. Deuxièmement, géographiquement et socialement, ces avantages et inconvénients ne seraient en aucun cas égalitaires, mais favoriseraient plutôt certaines personnes et désavantageraient d’autres. Troisièmement, cette inégalité matérielle pourrait avoir des effets à long terme, surtout si elle ne pouvait être compensée par des migrations ou une augmentation des dépenses en capital.

Droits de propriété et conflits

Avant d’approfondir les idées des militants en faveur du climat, nous devons d’abord clarifier une question fondamentale relative aux inégalités matérielles que nous venons de souligner. On prétend souvent que les inégalités conduisent à un conflit entre les favorisés et les défavorisés. Toutefois, il n’en est pas nécessairement ainsi. Un conflit survient lorsque différentes personnes revendiquent le même bien. Mais l’inégalité ne conduit pas nécessairement à des conflits. Cela ne conduit pas à des conflits si les droits de propriété ont été clarifiés dès le départ c’est-à-dire si on sait précisément qui a le droit de revendiquer quelle propriété. La propriété privée est une grande réussite culturelle, précisément parce qu’elle freine les conflits et oriente l’énergie humaine vers des entreprises productives, plutôt que de la laisser mijoter dans la gestion des différends.

Les inégalités qui résulteraient du réchauffement climatique à la R&S ne conduiraient donc pas nécessairement à des conflits, tant que toute personne défavorisée respecte la propriété des bénéficiaires. Mais même si des conflits naissaient de l’envie ou de relations de propriété peu claires, la propriété privée resterait le meilleur moyen de les résoudre. L’histoire économique moderne en fournit un nombre impressionnant de preuves. En Allemagne et dans tous les autres pays économiquement très développés, l’industrialisation des deux derniers siècles a entraîné d’énormes changements qui ont non seulement apporté des avantages, mais aussi de nombreux inconvénients et de nombreuses inégalités. Néanmoins, les conflits ont pu être réduits au minimum, précisément parce que le principe de la propriété privée était respecté par presque toutes les parties concernées.

Les similitudes avec le problème climatique sont évidentes. En fait, à plus petite échelle, l’industrialisation a produit exactement les conséquences qui, selon R&S, résulteraient du réchauffement climatique pour l’ensemble de l’économie mondiale. L’industrialisation a également eu pour conséquence des mutations très profondes. Ses avantages et ses inconvénients, eux non plus, n’étaient égalitaires ni en termes géographiques ni en termes sociaux, mais favorisaient plutôt certaines personnes et en défavorisaient d’autres. Elle aussi a provoqué ou intensifié de grandes inégalités sociales, inégalités qui, elles aussi, n’ont pas pu être complètement compensées par la migration ou l’augmentation des dépenses en capital.

Inconvénients allégués du réchauffement climatique (I) : adaptabilité limitée des humains

Quelles sont les conséquences attendues du changement climatique selon les militants du climat ? Comment prouvent-ils que les effets du réchauffement climatique d’origine humaine «_seront principalement négatifs » (p. 88) ? Il est intéressant de noter que R&S admettent sans détour qu ’« un climat chaud […] n’est a priori ni pire ni plus hostile à la vie qu’un climat plus froid_» (p. 78). Mais alors, comment parviennent-ils à la conclusion que les effets négatifs « l’emportent de loin » (ibid.) ? Ils soulèvent deux considérations pour cela.

Le premier argument est : « […] que les écosystèmes et la société sont très adaptés au climat du passé. » (Ibid.) Citons-les plus longuement :

« De graves problèmes surviennent en particulier lorsque le changement se produit si rapidement qu’il submerge l’adaptabilité de la nature et des personnes. […] Les gens peuvent s’adapter à de nouvelles circonstances — mais un climat en évolution rapide entraîne une perte d’expérience et de prévisibilité et ne peut donc pas être utilisé de manière optimale pour l’agriculture. (p. 78) »

« Une courbe de réchauffement climatique en dehors de la fenêtre de tolérance [c.-à-d., le changement de la température moyenne mondiale amorcé par l’homme ne devrait pas dépasser 2°C dans l’ensemble et en même temps le taux de changement de température pour la terre ne devrait pas être supérieur à 0,2 ° C par décennie] [entraînerait] des conditions environnementales au-delà de tout ce qui l’humanité civilisée a jamais connu […]. » (p. 97)

« […] sans limiter le changement climatique à un maximum de 2°C, une adaptation réussie au changement climatique serait difficilement possible. S’il faisait 3, 4 ou même 5°C plus chaud dans le monde, nous atteindrions des températures qui n’existent pas sur terre depuis plusieurs millions d’années. Les limites de l’adaptabilité seraient dépassées pour de nombreux écosystèmes. » (p. 113)

Ces affirmations suscitent toute une série de questions auxquelles R&S, malheureusement, ne répondent pas. Comment définissent-ils exactement l’adaptabilité humaine et ses limites ? Existe-t-il un moyen de les mesurer ? Quelles sont les causes de l’adaptabilité ? Comment les auteurs savent-ils que l’être humain ne pourrait pas s’adapter à une augmentation de la température globale de 4 ou 5°C ? Mais, même en dehors de ces lacunes regrettables, l’argument dans son ensemble est chargé d’une contradiction logique fondamentale et contredit également l’expérience historique.

R&S affirment qu’une restructuration radicale de la société industrielle est justifiée en raison de la capacité d’adaptation limitée de l’humanité. Cette affirmation est une contradiction dans les termes. Les politiques préconisées avec une grande insistance par R&S représenteraient sans aucun doute un bond « au-delà de tout ce que l’humanité civilisée n’a jamais connu ». Et nous devrions croire qu’elles sont nécessaires parce que les êtres humains ne peuvent pas faire face à des conditions radicalement nouvelles ?

Mais l’argument de R&S contredit également l’expérience historique de l’industrialisation. L’industrialisation a entraîné des changements beaucoup plus forts et plus rapides (quoiqu’à une échelle géographiquement plus réduite) que ce à quoi on devrait s’attendre dans le cas du réchauffement climatique selon les prévisions des militants pour le climat. La capacité d’adaptation de l’humanité est clairement beaucoup plus grande que ce que R& S ne supposent, et nos professeurs ne font pas la moindre tentative pour prouver leur affirmation de quelque manière que ce soit. La voiture, l’avion, les voyages dans l’espace, l’énergie atomique, la biologie moléculaire et bien d’autres choses qui façonnent notre milieu de vie aujourd’hui et auxquelles même des gens très simples se sont très bien adaptés, étaient jusqu’à relativement récemment « au-delà de tout ce que l’humanité civilisée a jamais connu ».

La perte d’expérience et de prévisibilité causée par de nouvelles circonstances n’est en aucun cas un problème qui se présenterait sous un nouveau jour suite à un réchauffement climatique. C’est un problème qui se pose avec tout type d’innovation et de changement à grande échelle. C’est un problème auquel les individus et les familles, les entrepreneurs et les employés sont confrontés au quotidien et qu’ils résolvent plus ou moins bien chaque jour.

Inconvénients allégués du réchauffement climatique (II) : problèmes sociaux et éthiques

Le deuxième argument avancé par R&S pour prouver les conséquences essentiellement négatives du réchauffement climatique concerne ses effets sociaux inégaux. Les pays industrialisés aux climats tempérés et froids peuvent s’attendre à de meilleures conditions météorologiques, tandis que l’agriculture dans « de nombreuses régions subtropicales et maintenant arides_» devra gérer des pertes dues à la chaleur et au manque d’eau. « Tel est le fardeau moral du changement climatique anthropique : les plus pauvres, qui n’ont guère contribué au problème eux-mêmes, peuvent avoir à payer de leurs vies pour un changement climatique. » (p. 75) Ailleurs, R&S remarquent dans le même ton : « De plus, de nombreuses personnes devront souffrir d’événements extrêmes tels que des sécheresses, des inondations et des tempêtes (en particulier des cyclones tropicaux). Le changement climatique que nous provoquons soulève donc de sérieuses questions éthiques. » (p. 78)

Ces questions éthiques sont développées un peu plus par nos auteurs alors qu’ils reviennent sur les conséquences d’une politique de laisser-faire, c’est-à-dire d’une politique qui « accepte un changement climatique incontrôlé avec approbation » (p. 89). Une telle politique, écrivent nos auteurs,

« […] ferait porter presque tout le fardeau de la libre utilisation de l’atmosphère comme dépotoir sur les générations futures des pays en développement particulièrement sensibles au climat. Nombreux sont les groupes non-gouvernementaux préoccupés des questions environnementales qui voient dans cette perspective le point culminant dans l’amoralité de l’exploitation historique du « tiers monde » par les pays industrialisés, qui sont responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre passées […] » (pp. 89f)

Cet argument est également extrêmement faible. Cela devient clair une fois que nous discutons des trois questions fondamentales qui sont réellement en jeu ici. La première de ces questions est de savoir si une personne A est autorisée à se comporter ou à prendre des décisions telles que cela entraîne des inconvénients pour une autre personne B. Et la réponse habituelle – et correcte – à cette question est : cela dépend. Les entreprises qui se font concurrence sur le marché causent sans aucun doute de nombreux inconvénients à leurs concurrents. Si vous épousez la femme de votre cœur, vous ferez de nombreux concurrents malheureux. Ceux qui font circuler des pensées confuses peuvent parfois jeter la politique de tout un pays ou du monde entier sur la mauvaise voie. Et pourtant, on pourrait difficilement conclure de ces circonstances que la concurrence entre entrepreneurs et courtisans ne devrait pas être autorisée ; ou que seules les expressions d’opinion autorisées par l’État seraient licites. Et cette considération fondamentale peut également s’appliquer directement à la question climatique. De toute évidence, il n’est pas vrai que le réchauffement climatique doit être rejeté ou évité d’emblée pour la seule raison qu’il présente des avantages pour certains pays et des inconvénients pour d’autres.

La deuxième question fondamentale est de savoir, dans le cas où la partie défavorisée était pauvre, si la réponse à la première question serait différente ? Encore une fois, cela dépend. Les entreprises bien capitalisées sont en concurrence avec les entreprises à faible capitalisation. Les belles filles sont courtisées non seulement par des hommes beaux et riches, mais aussi par des hommes ni beaux ni riches. De nombreux autres exemples peuvent être trouvés sans difficulté. Évidemment, les riches concurrents sont autorisés à faire valoir leurs atouts, même si les outsiders n’y sont pour rien dans le fait qu’ils sont en position de faiblesse. Le Bayern Munich est le meilleur club de football en Allemagne, il fait recette et cela lui permet d’employer les meilleurs joueurs, du coup il gagne encore plus souvent. Cela est-il injuste ? Ramené à la question du réchauffement climatique, il s’ensuit que celui-ci ne doit pas être rejeté ou évité d’emblée sur la seule base qu’il créerait des avantages supplémentaires aux pays riches et des inconvénients supplémentaires aux pays pauvres.

La troisième question fondamentale est de savoir si la pauvreté du tiers monde a été ou est causée par les pays industrialisés, de sorte qu’il y aurait une dette financière des pays industrialisés qui pourrait enfin être au moins partiellement effacée par la réduction des émissions de CO2. Cette question appelle deux réponses.

Tout d’abord, il faut souligner qu’il n’y a absolument aucun lien nécessaire entre les obligations financières des pays industrialisés et la politique climatique. En d’autres termes, si de telles obligations existaient réellement, il n’y aurait aucune raison particulière de les racheter sous la forme d’une politique climatique. Des paiements de transfert ou des investissements directs pourraient également être effectués dans les pays créanciers sans même la moindre restriction sur les émissions de CO2.

Deuxièmement, il convient de souligner que « l’exploitation historique du ‘tiers monde’ par les pays industrialisés » (p. 90) n’est rien de plus qu’une légende marxiste. Ce n’est que si l’on adopte le point de vue de la théorie de la valeur du travail – totalement intenable – que l’on peut arriver à l’idée que la seule façon de s’enrichir est d’exploiter les autres. De fait, ce n’est clairement pas le cas. Ce n’est pas le cas des riches et des pauvres d’un même pays. Cela n’affecte pas non plus les relations entre les pays riches et les pays pauvres. La grande majorité des matières premières que les consommateurs des pays industrialisés ont obtenue du tiers monde a été payée et non volée. Pendant la période coloniale, les consommateurs des pays industrialisés subventionnaient même les colonies, car ils payaient non seulement les coûts des installations de production et des plantations dans les colonies (par le prix des marchandises), mais aussi (par les impôts) les dépenses de l’administration coloniale. La prétendue exploitation du tiers monde était en effet une énorme affaire de subventions pour les résidents (notamment pour les colons) de ces pays. Rien ne prouve ce fait de manière plus impressionnante que le déclin économique qui s’est produit dans de nombreuses régions du tiers monde après la fin de la période coloniale.

R&S prennent le contre-pieds de la réalité. On pourrait soutenir, avec beaucoup plus de pertinence, que le réchauffement climatique apporterait au contraire des avantages tardifs et acquis de longue date aux populations des pays développés. Pendant des siècles, ils ont peuplé des régions froides et inhospitalières et les ont rendues fertiles grâce à un travail acharné, tandis que d’autres se sont mis à l’aise au soleil. Les pays industrialisés génèrent maintenant des températures plus élevées grâce à leurs émissions de CO2 et réduisent ainsi (de façon bien involontaire) les adversités naturelles qui leur ont tant coûté dans le passé.

De nombreuses autres remarques et considérations pourraient être ajoutées à ce stade, mais il devrait être clair maintenant qu’il n’y a pas de voie directe entre la science du climat et la politique climatique. Qu’ils le veuillent ou non, les militants du climat doivent se rendre sur les terrains des juristes, économistes et philosophes. Et ici, ils ne font pas bonne figure, pour autant que l’on puisse en juger à la lumière du texte standard que nous offrent R&S. Même si le réchauffement climatique était une conséquence nécessaire d’un développement économique non maîtrisé, il est beaucoup moins évident que ses effets négatifs l’emporteraient sur ses effets positifs. En tout cas, R&S ne l’ont pas montré, et encore moins prouvé.

  • Interventionnisme climatique

Passons maintenant à la politique climatique. R&S recommandent une politique qui vise à éviter le plus complètement possible toutes les émissions de CO2 par le biais de réglementations, d’interdictions et de subventions gouvernementales (stratégie d’évitement). L’alternative fondamentale est bien sûr de ne pas prendre de telles mesures et de faire confiance aux acteurs du marché pour qu’ils prennent les décisions les plus appropriées dans chaque cas afin de s’adapter au réchauffement climatique alors inévitable (stratégie d’adaptation).

R&S rejettent la stratégie d’adaptation du laissez-faire pour les raisons qui viennent d’être évoquées : l’incapacité des populations à s’adapter et les effets non égalitaires du réchauffement climatique. Ils ne mentionnent que brièvement quelques contre-arguments économiques. Ils écrivent :

« Certains économistes affirment, par exemple, qu’il serait beaucoup moins coûteux de déplacer les populations des îles de la mer du Sud menacées par l’élévation du niveau de la mer vers l’Australie ou l’Indonésie au frais des pays industrialisés plutôt que de surcharger l’économie de restrictions sur les émissions de gaz à effet de serre. » (p. 90)

En effet, ce raisonnement semble tout à fait sensé. C’est juste dommage que R&S ne nomment pas de noms et ne renvoient pas leurs lecteurs à ces économistes judicieux afin qu’ils puissent se forger leur propre opinion. Quoi qu’il en soit, les professeurs de Potsdam ne peuvent pas être d’accord avec ces économistes. Pourquoi ? Ils écrivent :

« Ce faisant, cependant, les problèmes sociaux et éthiques sont oubliés et il y a un grand danger que de telles considérations ouvrent une boîte de Pandore géopolitique. » (p. 90)

Or, on peut accuser les économistes de bien des choses, mais ils n’oublient presque jamais les problèmes éthiques et sociaux de la politique économique. Il est cependant vrai que la grande majorité d’entre eux n’est pas en guerre avec le système de marché en tant que tel et avec l’éthique de la propriété privée. Ils ne considèrent pas d’emblée problématique que les gens changent le monde, mais en même temps s’adaptent aux changements de leur environnement social et naturel. Aux yeux de la grande majorité des économistes — et de la grande majorité tout court –, il est normal que les gens se déplacent vers des endroits différents lorsqu’ils découvrent qu’ils vivent dans une zone inondable. Il en va de même si, alors qu’il n’y avait eu aucune inondation auparavant, des inondations sont à présent causées non-intentionnellement par les activités d’autres personnes. Et même si certains déclenchent des inondations intentionnellement, cela pourrait être parfaitement légitime et entraîner l’obligation pour d’autres de s’y adapter. En effet, la question fondamentale est toujours de savoir si les pollueurs ont le droit de faire ce qu’ils font.

La politique migratoire du gouvernement fédéral allemand et la politique Covid offrent des exemples similaires. Les deux situations ont conduit à un changement massif de l’environnement social en Allemagne, et de nombreux citoyens ont alors décidé de partir à l’étranger ; certains ont même renoncé à leur citoyenneté. La politique du gouvernement tout comme la réaction des migrants sont considérées par la grande majorité des citoyens comme légitimes. D’un point de vue logique, il n’y a pas la moindre différence avec les changements de l’environnement naturel qui sont causés par les actions de certains et qui conduisent d’autres à réagir.

Mais encore, dans quelle mesure de telles considérations ouvrent-elles « une boîte de Pandore géopolitique » ? Quels maux peut-on trouver dans cette boîte ? Le mal de la responsabilité personnelle dans les limites de la propriété privée ? Le mal d’avoir à résoudre soi-même des problèmes avant de demander ou d’imposer une solution aux autres ? Ou – et voilà ! – le mal de l’adaptation, c’est-à-dire l’exigence que chaque personne s’adapte au développement général de l’économie mondiale, et aussi au réchauffement climatique qui peut résulter de cette évolution ?

R&S n’abordent que brièvement et superficiellement de telles considérations. Selon eux, elles découlent d’une vision économico-utilitariste du monde, alors que leur stratégie préférée d’éviter toute émission de CO2 émane de la pensée scientifique. Cette catégorisation ne semble pas être correcte, mais c’est une question secondaire. Rentrons plutôt dans le vif du sujet.

Selon R&S, la stratégie d’adaptation pose en son cœur un problème d’optimisation économique. L’objectif est de maximiser le « bénéfice total de la protection du climat ». Ce bénéfice total est à son tour égal aux dommages climatiques évités, moins les coûts d’évitement et d’adaptation (voir p. 91). R&S procèdent ensuite à la critique de cette approche avec des arguments qui trouvent notre approbation et dont nous n’avons donc pas à discuter ici. Cependant, il serait erroné de déduire, comme ils le font, qu’ils ont ainsi donné des raisons suffisantes pour rejeter la stratégie d’adaptation du laissez-faire. Le défaut fondamental de tout leur argument est la façon dont ils posent le problème. Il est tout à fait inapproprié de réduire la stratégie d’adaptation à un problème d’optimisation macroéconomique. C’est faux dès le départ. L’adaptation au développement économique et au réchauffement climatique n’est pas un problème d’optimisation mathématique pour les responsables d’une commission centrale de planification. C’est plutôt un défi pour l’action individuelle, pour les ménages, les associations et les entreprises. C’est un défi que tous les acteurs relèvent avec des initiatives personnelles et en concertation contractuelle avec d’autres.

Les agents d’une économie de marché n’ont pas à s’inquiéter du total des dommages climatiques attendus et des coûts d’adaptation. Tout ce qu’ils ont à faire est d’essayer de trouver des solutions adaptées à leur propre vie. Ils ne décident pas sur la base de données macroéconomiques, mais sur la base des revenus et des coûts monétaires qui, d’après leurs propres évaluations, sont associés à diverses stratégies alternatives.

L’économie de marché est le cadre réglementaire qui garantit que ces décisions décentralisées s’enchaînent en un tout cohérent_; qu’elles se complètent et se corrigent ; qu’elles résolvent les grands problèmes de l’humanité sans perdre de vue les nombreux petits objectifs personnels qui doivent également être poursuivis. L’économie de marché ne suit pas de plan central. Elle est animée par d’innombrables plans qui ne se juxtaposent pas, mais sont liés les uns aux autres dans des réseaux qui se chevauchent. Dans le passé, elle a amplement montré sa supériorité sur la planification du gouvernement central. Il est donc tout-à-fait logique que les économistes s’appuient sur elle pour s’attaquer aux problèmes environnementaux.

Cette approche basée sur le marché n’a clairement pas sa place dans l’orbite intellectuelle sur laquelle flottent R&S. A leurs yeux, les marchés ne peuvent « trouver que partiellement les bonnes réponses au problème climat-énergie », du moins si cela se produit « à partir d’une impulsion interne » (p. 104) des marchés. Les professeurs de Potsdam recommandent donc que :

« [les gouvernements] façonnent activement la transformation du système énergétique : par exemple, grâce à des conditions qui détournent des décisions d’investissement catastrophiques à long terme et des incitations qui attirent le capital disponible vers des entreprises promouvant la durabilité ». (ibid.) En d’autres termes, dans leur réflexion, tous les problèmes et toutes les solutions sont adaptés à l’état d’esprit de planificateurs centraux — de personnes comme eux. Toute leur politique tient ou s’effondre avec la conviction qu’ « il n’y a pas d’alternative réaliste à l’approche de cause à effet » (p. 95) — c’est-à-dire, à la politique climatique interventionniste. Comme nous l’avons vu, cependant, il ne peut être question de cela. Il existe une alternative. Cela s’appelle le capitalisme. Et il n’a pas besoin de trembler face aux effets du réchauffement climatique.


[1]    Le livre n’a pas encore été traduit en anglais, ni d’ailleurs en français. Cependant, Rahmstorf a publié un texte en anglais, de structure similaire mais avec un co-auteur différent : David Archer et Stefan Rahmstorf, The Climate Crisis: An Introductory Guide to Climate Change (2010).

[2]    Bien que la combinaison de la recherche scientifique et de l’activisme politique puisse bel et bien conduire à une fertilisation croisée, elle n’est pas sans dangers pour la science. Il n’est pas toujours constructif d’aligner les questions de recherche et les concepts scientifiques avec les préoccupations des personnes pratiques. En outre, les préjugés politiques peuvent colorer les questions de recherche et la mener dans des impasses. Dans le pire des cas, le jugement scientifique peut être corrompu. Le résultat de l’enquête est alors donné politiquement. Le chercheur s’emploie simplement à trouver les données et les méthodes qui permettront d’aboutir au résultat souhaité. Ces dangers existent dans toutes les disciplines scientifiques qui ont de quelconques implications politiques, en particulier en économie et en climatologie. Le grand Leibniz faisait remarquer, avec beaucoup de justesse, que même les théorèmes géométriques seraient contestés si la géométrie avait la moindre importance politique.

[3]    « Cette faction de négateurs du réchauffement climatique d’origine humaine est arrivée au pouvoir avec l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, notamment grâce à des contributions financières massives de l’industrie des énergies fossiles. » (p. 80). L’Institut Heartland et le Comité pour un avenir constructif aux États-Unis mèneraient leurs travaux avec des « experts auto-proclamés_» et des « pseudo-experts » (p. 81). Ces organisations ont des soutiens sombres (ibid.). Les doutes sur la science du climat sont tout aussi artificiellement semés que les doutes sur la nocivité des produits du tabac (p. 82). En Allemagne, l’Institut européen pour le climat et l’énergie (EIKE) aurait « un site Web plein de fausses informations sur le climat » (ibid.) et « les membres de l’EIKE déterminent les thèses climatiques non scientifiques de l’AFD. » (ibid.)

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Journal des Libertés

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