Comprendre la crise pour mieux la gérer

L’été dernier —l ’été 2019— nous nous retrouvions une grosse centaine, de tous âges, pour discuter des enjeux majeurs que nous devons individuellement et collectivement relever : croissance, environnement, responsabilité de nos gouvernants comme de nos concitoyens, éducation, évolution des inégalités, populisme, nécessité de réformer, etc.  Aujourd’hui, dans ce numéro 9, nous publions deux textes inspirés directement de conférences données à cette occasion ; ceux des Professeurs Feldman et Salin. C’était il y a un an. Cet été 2020 nous n’aurons plus cette joie de nous retrouver car le COVID-19 s’est invité dans nos vies. Ainsi que les sages ne cessent de nous le rappeler : c’est bien souvent quand l’on est privé de quelque chose que l’on comprend combien elle avait de valeur pour nous !

Nous n’avions donc pas d’autres choix dans ce numéro que de faire une large place aux premières réflexions que peut et doit susciter cette crise. Réfléchir à une crise c’est réfléchir à ce qui l’a causée, parfois aussi aux raisons qui ont fait qu’elle s’est prolongée, voire aggravée, et surtout, aux moyens d’en sortir la tête haute. Et, évidemment, toutes ces questions sont liées les unes aux autres. Une mauvaise analyse de la crise, et des paramètres aggravants, ne peut que conduire à des politiques aux résultats désastreux. La politique du New Deal n’a pas permis de tirer hors de la Grande dépression les États-Unis et le reste du monde. Au contraire, elle les y a enfoncés car elle était fondée sur une mauvaise analyse de la crise et sur une fausse idée de ce qu’un gouvernement central est en mesure de réaliser. A l’opposé, le fameux miracle économique Allemand à la sortie de la Seconde Guerre mondiale doit beaucoup à l’intelligence d’un Ludwig Erhard qui connaissait l’importance d’une monnaie saine et de prix « libérés » pour lutter efficacement contre la rareté et orienter les efforts de reconstruction dans la bonne direction. Si les dons consentis par les américains dans le cadre du plan Marshall devaient expliquer cette reprise fulgurante de l’économie Allemande d’après-guerre, alors pourquoi n’avons-nous pas observé un rebond plus rapide et plus vigoureux encore en France ou au Royaume-Uni, pays qui avaient reçu deux fois plus de dons que l’Allemagne dans le cadre ce Plan ? Le fait qu’en France nous ayons choisi à l’époque de nous en remettre à des plans quinquennaux et que nous ayons attendu le 1er Décembre 1986 pour abroger une ordonnance de 1945 qui retirait aux citoyens français la liberté de fixer leurs prix y seraient-ils pour quelque chose ?

Vous trouverez donc dans les pages de ce numéro les premières pistes de réflexion sur les raisons de la crise—non pas du point de vue épidémiologique (à chacun ses compétences !) mais des points de vue économique et politique. Vous découvrirez également des propositions sur ce qu’il convient de faire et de ne pas faire. Ces pistes n’ont rien de terriblement original, en tous les cas pour ceux de nos lecteurs qui sont familiers de la pensée libérale ; mais il est urgent de les rappeler car nous en avons besoin. Cela est d’autant plus nécessaire que de toutes parts sont lancés des appels à une refondation de notre société, de nos économies, de notre façon de vivre.

Les deux Vargas

Le libéral n’est pas un conservateur. Il est certain que cette crise, comme toute épreuve, nous invite à repenser nos choix, en commençant par nos choix personnels. Est-ce que mes priorités sont les bonnes ? Quelle place dans ma vie pour ma famille, mes parents, mes amis, mes voisins, mon travail, la lecture, etc. ? Est-ce que je peux prendre moins ma voiture et travailler plus depuis chez moi ? N’est-il pas bien de passer plus de temps avec ses enfants ? Les produits alimentaires locaux n’ont-ils pas plus de saveurs que des produits venant de plus loin ?

Pour autant, rien ne nous pousse, dans ce contexte, à abandonner notre aspiration à la liberté. En particulier, rien ne justifie, aujourd’hui pas plus qu’hier, que certains cherchent à imposer leurs choix personnels aux autres individus. Il ne faut pas confondre « refondation personnelle » et « refondation de la société ». La première est plus que compatible avec la pensée libérale car le libéralisme repose sur l’idée que les individus ne sont pas parfaits mais néanmoins raisonnables et capables d’évoluer. La seconde, la « refondation de la société », est antinomique avec le libéralisme quand cette « refondation » passe par l’usage de la coercition physique.

Or, c’est bien d’une « refondation par le haut » dont on nous parle sans cesse ces derniers temps. Refondation économique à travers un endettement nouveau (un budget de l’Union Européenne pour 2021-2027 qui tournerait aux alentours des 2.000 milliards d’euros) et des choix d’investissement qui sont faits à notre place –mais avec notre argent—par les experts du monde de demain. Les appels à un protectionnisme « raisonné », à une indépendance économique nationale ou continentale participent de la même « refondation » :  ce ne sont pas vous et moi qui choisirons volontairement notre dose personnelle de « circuit court, » ce sont « nos experts » qui décideront de ce qu’il est bon pour nous de consommer.

La nécessité d’un « refondement par le haut » paraît une évidence à bon nombre de nos concitoyens car c’est ainsi qu’elle est présentée par de nombreux intellectuels qui pèsent sur l’opinion publique. Durant ce confinement j’ai eu l’occasion par exemple d’écouter sur une radio (publique) un texte rédigé par la romancière française Fred Vargas[1]. Le message nous était lu avec en musique de fond un violoncelle–qui pour moi évoquait autant sinon plus la fin du monde qu’un nouveau monde, mais je vous laisse en juger. La romancière, avec il faut le dire beaucoup de talent, nous invite à ouvrir les yeux, à faire preuve de clairvoyance, et pour elle cela consiste à rejeter les bases de notre « monde d’avant ». Elle nous exhorte à :

« [u]ne prise de conscience profonde, si nouvelle et si perspicace qu’en effet quand cette épidémie sera passée, la volonté d’un autre monde d’une large refonte se dressera face à ce que l’on qualifie déjà de monde d’avant…

Nous assistons bel et bien à l’effondrement de notre aveuglement. A la fin de ces certitudes confortables qui régnaient il y a quatre mois encore. »

Certes il n’y a pas dans cette lettre d’appel lancé au gouvernement et l’on peut encore rêver que ces clairvoyants-là ne chercheront en aucune façon à imposer leurs choix aux autres. Mais le terrain est bien préparé pour que ceux qui s’aventureraient à franchir le Rubicon ne rencontrent pas trop d’opposition…

Heureusement d’autres voix se sont exprimées sur ce même sujet et j’ai ainsi eu la possibilité durant ce confinement de lire plusieurs interviews de Mario Vargas Llosa. Permettez-moi de partager ici quelques extraits d’un long interview de ce prix Nobel de littérature réalisé par l’hebdomadaire Le Point[2]:

« Les ennemis de la démocratie ne sont pas en dehors de la démocratie, ils sont à l’intérieur. Le populisme a différents visages et l’un de ses plus sinistres est celui qui considère la liberté comme un amusement inutile. »…

« Allons ! Un ordre sans liberté est un ordre injuste, on le sait et on le voit tous les jours dans les pays où elle a disparu. Ce qui se passe, surtout, c’est qu’en Europe en ce moment on est complètement perdu. On est aveugle, assommé, terrifié par les statistiques, les chiffres quotidiens de la mort qui nous fait redécouvrir notre statut d’être transitoire. On ne sait rien sur ce virus ou du moins pas assez pour en découvrir l’antidote. On le trouvera, mais en attendant on fait revenir le Moyen Âge : la peste noire du XIVe siècle est devenue notre référent ! »…

« Après le confinement et la défaite du virus, c’est une crise économique sans précédent qui nous attend et nous devons être préparés à y faire face. Aucun pays ne sera à l’abri. Je ne crois pas être pessimiste, mais réaliste. Simplement, les pays où règne la liberté seront mieux lotis pour rebondir, pour choisir la civilisation contre la barbarie. Rien de plus tragique qu’un pays pauvre sans liberté. »

Je ne partage peut-être pas entièrement l’opinion de ce grand libéral Péruvien sur la gravité de la crise économique dans laquelle nous nous trouvons (sauf bien entendu si nos gouvernements jettent de l’huile sur le feu des blessures liées au confinement). Mais surtout je trouve dans ces réflexions une vraie clairvoyance, nourrie par des décennies de combat contre des gouvernements qui « se sont amusés » des libertés pour promouvoir leurs rêves d’un autre monde.  Et, avec lui, je suis intimement persuadé que « les pays où règne la liberté seront mieux lotis pour rebondir ». Les pages qui suivent finiront, je l’espère, de vous en convaincre.


[1]              Le podcast se trouve encore à l’adresse suivante : https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-20-mai-2

[2]              https://www.lepoint.fr/culture/mario-vargas-llosa-le-coronavirus-ravit-tous-les-ennemis-de-la-liberte-31-03-2020-2369432_3.php

Pierre Garello est Professeur d’économie à Aix-Marseille Université (AMSE) où il co-dirige un Master d’économie du droit. Il est éditeur du Journal des économistes et des études humaines (www.degruyter.com/view/j/jeeh) et Président de l’Institute for Economic Studies – Europe (www.ies-europe.org).

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Journal des Libertés

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