Il est facile de trouver le fil directeur de la vie et de l’œuvre de notre ami Florin : c’est la recherche de la liberté, la recherche de la vérité, la recherche de la charité.
La recherche de la liberté : Sa vie a commencé à Bucarest, mais quand il a douze ans sa famille va quitter la Roumanie parce que le Parti Communiste a pris le pouvoir en 1945 et la perspective d’un nouveau pogrom pousse les Juifs à s’exiler en Israël (Palestine à l’époque) et en France. Florin et sa famille sont des réfugiés politiques. Les premières années à Paris sont celles des études à l’Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs. La liberté : le jeune ingénieur et le jeune étudiant et docteur ès Sciences Physiques de Paris croit la trouver dans le socialisme français de l’époque, le Parti socialiste unifié qui rejette le communisme pour prôner l’autogestion. Le caractère de Florin le pousse toujours à militer, à s’engager. Cependant, après un passage très réussi dans les Universités américaines à partir de 1970 (New York University puis Northwestern à Chicago où il obtient son Ph.D. en Finance) sa liaison avec le socialisme va s’émousser et il est prêt pour participer à la grande aventure libérale de l’époque : les Nouveaux Economistes.
En 1977 se crée ce groupe d’économistes hostiles au socialo-communisme. Nous avions le vent en poupe depuis qu’existait le programme commun de la gauche, mais aussi parce que Thatcher et Reagan mondialisaient le libéralisme. Mais au départ je suis un peu inquiet d’avoir au moins deux équipiers connus pour avoir été « de gauche » quelques années plus tôt. Le premier était Florin, membre, nous l’avons vu, du PSU fondé par Michel Rocard, le deuxième était Jean-Jacques Rosa, jadis secrétaire du club Jean Moulin, club de réflexion socialiste. Mais après leur passage aux Etats-Unis, Florin et Jean-Jacques se rejoignent pour écrire L’économique retrouvée[1], ils étaient devenus libéraux et participaient dès 1976 à plusieurs rencontres d’économistes acquis à la Nouvelle Economie. Mais craintes étaient donc injustifiées : ils étaient devenus libéraux. Cela m’a appris quelque chose : l’important n’est pas d’être de gauche ou de droite, l’important est de rejeter le collectivisme socialiste et de rechercher la vérité. Et c’est bien le danger d’une victoire du programme socialo-communiste qui explique notre rencontre. On dira très vite que le « noyau dur » des Nouveaux Economistes était composé de Florin Aftalion, Henri Lepage, Pascal Salin… et votre serviteur.
La recherche de la vérité est la base de tout homme de science, et Florin ne cessera de soutenir qu’il n’y a aucune vérité scientifique dans le socialisme. C’est en 1978 que s’ouvre l’Université d’Eté de la Nouvelle Economie à Aix en Provence qui connaîtra cette année sa 37ème édition. Florin donnera la première leçon sur le thème de « la méthode de la science économique ». Mais c’est aussi en 1978 que Florin va publier Socialisme et Economie (Presses Universitaires de France, 1978), dont la couverture est précisément la tête de Karl Marx. Florin se paye sa tête et accumule tous les arguments qui peuvent convaincre que le socialisme n’a aucun rapport avec la science économique. Il renoue ainsi avec Frédéric Bastiat, que Florin va découvrir au contact de notre groupe et de l’ALEPS, dont Florin est administrateur : Bastiat et le Journal des économistes témoignaient que les socialistes ne pouvaient pas être des économistes.
D’ailleurs Florin réunira une série de textes de Bastiat qu’il publie dans la collection « Libre Echange » qui lui a été confiée (avec Georges Gallais-Hamonno) par les Presses Universitaires de France[2]. L’impact de cette collection sera considérable, on va en effet y éditer les œuvres de Hayek, de Nozick, mais aussi des « petits Français ». Ainsi la doctrine libérale sera-t-elle enfin connue dans ce pays socialiste, étatiste et jacobin depuis des siècles. Et pendant quelque cinquante ans, j’ai pu travailler avec Florin, et le mieux connaître, donc le mieux apprécier.
Florin a été un économiste, et je dirai mieux : un bon économiste.
Certes je ne suis pas expert en finances, et je ne pourrai rien dire de ses enseignements à l’ESSEC. Mais en compagnie de ses collègues Fred Jenny, André Fourçans et André Paul Weber (tous trois Nouveaux Economistes) l’ESSEC va se hisser au sommet des écoles de Sciences Economiques et Financières, Florin devient aussi monétariste il écrit avec Patrice Poncet, un « Que sais-je ? » sur le monétarisme[3].
Très vite Florin va devenir un bon économiste. Hayek disait en effet « un économiste qui n’est qu’un économiste n’est pas un bon économiste ». Suivant les préceptes d’Hayek, auquel il a également consacré un article en 1983[4], il démontre qu’il est aussi un historien avec la publication en 1987 de L’Economie de la Révolution française(Pluriel, 1987 suivie d’une édition revue et augmentée aux Belles Lettres en 2007). Nous sommes à la veille du bicentenaire de ladite Révolution, et Florin, comme bien d’autres historiens et philosophes, dit toute la vérité sur ce qui s’est passé dès le début du règne de Louis XVI, héritier d’une dette publique énorme contractée par le roi Soleil et alourdie pendant la longue et inconsciente Régence. Ceux qui aujourd’hui soutiennent que la dette publique est sans importance puisqu’on peut l’annuler sans dommage pourraient relire l’histoire à la lumière du livre de Florin, ils apprendraient que les Necker sont toujours à l’œuvre et que l’affaire se termine par une révolution, à un prix humain et financier dramatique.
C’est pour éviter une révolution annoncée par le programme commun de la gauche que Florin, en tête des Nouveaux Economistes, a participé en 1986 au succès des rares politiciens libéraux de l’époque : Madelin, Novelli, Million, Longuet, la « bande à Léo ». Nous sommes devenus des familiers de Raymond Barre en 1978, nous nous sommes mobilisés et nous avons amené à l’Assemblée et aux ministères quelques belles personnalités libérales. Malheureusement le Premier Ministre Chirac entre 1986 et 1988 a dilapidé ce crédit libéral, et nous voilà dans l’opposition. Nous sommes même en opposition avec nos anciens amis puisque nous faisons campagne en 1992 contre le traité de Maastricht alors que les élus libéraux (dont Madelin) soutiennent le traité. Au passage Florin rappelle les positions libérales sur l’Europe en contribuant à l’ouvrage collectif l’Europe déraisonnable (Valmonde, 1992)[5].
Après l’économiste, le nouvel économiste et le très bon économiste, je voudrais maintenant évoquer l’homme et ses convictions. Florin a toujours été un homme de sincérité et de sensibilité, je dirai un homme de charité, au sens de l’amour des autres. Cela se sentait dès le premier contact, il n’est pas surprenant que nous ayons été en liens d’amitié pendant près de cinquante ans. Mais cela s’est vu d’abord à travers ses engagements successifs : il n’a jamais cherché le pouvoir ni même la renommée, même s’il a été honoré par plusieurs prix (comme celui du livre libéral) et par plusieurs distinctions privées. Il a cherché la vérité, et il est toujours resté fidèle à ce qu’il ressentait, à ce qu’il apprenait au fil de sa vie. Je voudrais insister sur un point fondamental : il a toujours été fidèle non seulement à sa religion, mais aux valeurs morales qui allaient avec son judaïsme. Ce n’est pas le seul fait qu’il ait enseigné à l’Université de Tel Aviv, c’est aussi ce qu’il a écrit et commenté à propos des Rosenberg[6]. Il a eu le courage de dire que le fait que les Rosenberg étaient juifs ne les excusait pas d’avoir été d’authentiques espions pour le compte des soviétiques. Comment des Juifs pouvaient-il travailler pour les communistes artisans de la shoah ? se demandait-il. Il est certain que ses racines et sa foi lui a inspiré la charité, c’est-à-dire l’amour des autres, et lui ont permis de sauvegarder l’espérance dans les moments difficiles que nous réservent la vie et la maladie, moments qu’il a d’autant plus ressentis que sa sensibilité était extrême. Il a trouvé son bonheur épanoui et serein aux côtés de son épouse Sandra et de sa fille Sarah. Que Dieu l’accueille en sa maison, les prières de bien de ses amis l’accompagneront.
[1] L’économique retrouvée – Vieilles critiques et nouvelles analyses, sous la direction de Florin Aftalion et Jean-Jacques Rosa, Economica (1977).
[2] Frédéric Bastiat, Œuvres économiques, Textes présentés par Florin Aftalion, Collection Libre-Echange, PUF (1983).
[3] Florin Aftalion et Patrice Poncet, Le monétarisme, Coll. « Que sais-je ? » PUF (1984). Suivrons d’autres Que sais-je ? sur les taux d’intérêt, le taux de change, la théorie moderne du portefeuille ou encore le MATIF.
[4] Florin Aftalion, « La théorie sociale de F.A. Hayek », Commentaire, 1983/4, Numéro 22, pages 337-344.
[5] Voir aussi sa contribution à l’ouvrage collectif, L’Euro de tous les risques, François Xavier de Guilbert, 1998.
[6] Florin Aftalion, La Trahison des Rosenberg, Jean-Claude Lattès (2003).