La principale cause de la hausse des prix est l’augmentation de la masse monétaire par le système monétaire-bancaire. La hausse peut être amplifiée par des catastrophes naturelles ou politiques, y compris des mesures inappropriées prises par le gouvernement : augmentation des dépenses publiques, des impôts et des taxes, réglementations qui rendent la production plus difficile et/ou réduisent la concurrence entre producteurs.

Cette constatation, ou devrions-nous dire, cette logique, n’est pas valable que pour la France ; elle est universelle. Nous proposons ici d’en détailler ses manifestations dans notre pays, la Roumanie.

  1. Introduction

Les économistes distinguent les causes monétaires de l’inflation (augmentation de la masse monétaire par la Banque centrale, en association avec les banques commerciales) et les causes non monétaires.

L’expansion monétaire provoquée par les banques centrales se manifeste, avec un certain décalage dans le temps (généralement entre un an et demi et deux ans), par une hausse des prix des biens : davantage de lei[1] courent après la même quantité de biens.

Cette augmentation des prix se produit à un rythme différent d’un produit à l’autre, étant influencée par une multitude de facteurs : l’intensité de la concurrence entre les producteurs, les possibilités d’augmenter la production, de substituer certains biens à d’autres, etc.

L’un des facteurs influençant les prix est l’intervention de l’État par le biais de taxes, de subventions et de réglementations.

Une erreur fréquente commise par nos gouvernements consiste à tenter de combattre les hausses de prix en les bloquant (ou les plafonnant). Des mesures de ce type ont toujours et partout eu les mêmes effets : la « disparition » des produits du marché ou un rationnement, ou encore l’apparition du marché noir, de la corruption, le tout sur fond de réduction encore plus prononcée de l’approvisionnement en biens désirés.

En bref, peu importe la gravité des déséquilibres sur un marché, les contrôles gouvernementaux des prix ne feront qu’aggraver la situation à long terme.

Dans ce qui suit, nous recensons les principales politiques mises en œuvre en Roumanie qui ont entraîné des hausses de prix plus rapides pour certains produits que pour d’autres. L’attention que nous portons à ces politiques ne doit cependant pas être interprétée comme une ignorance ou une minimisation de la responsabilité des autorités politico-monétaires dans l’augmentation généralisée des prix.

  • Analyse globale

Entre avril 2020 et avril 2022, période associée à l’introduction de mesures pour combattre les effets du COVID et les effets post-COVID, l’indice total des prix à la consommation (IPC) a augmenté en Roumanie de 17,45 %. L’IPC des produits alimentaires a augmenté de 14,40 %. L’IPC non alimentaire a enregistré une croissance rapide de 22,41% sur l’ensemble de la période. En revanche, l’IPC des services a connu un taux de croissance de 9,91 %, plus lent que tous les autres.

Ces chiffres – cumulés sur deux ans – sont comparables à ceux constatés sur les derniers douze mois. Sur la période janvier 2022 – janvier 2023, les prix à la consommation ont augmenté de 15,02% en général. Pour les biens alimentaires, qui représentent 32,26% du budget moyen, cette hausse a été de 22,47%. Les biens non-alimentaires et les services ont enregistré des hausses plus modérées mais significatives : 11,88% et, respectivement, 10,27%[2].

L’évolution du niveau général des prix des biens de consommation, avril 2020-2022

Source : INS (2022). Indice mensuel des prix à la consommation.  

Un examen plus approfondi des hausses de prix sur une période de 12 mois, en ventilant l’économie par secteur, révèle que certains, comme le logement et l’énergie, sont durement touchés, tandis que d’autres, comme les communications, ont connu des augmentations beaucoup moins fortes.

Pour la période la plus récente, nous avons utilisé les dernières données publiées par l’Institut National de Statistique (INS). Pour les interpréter correctement, les deux points suivants doivent être gardés à l’esprit :

– Lorsque des données sont disponibles auprès d’autres sources pour mars et avril 2023, elles signalent des augmentations de prix beaucoup plus importantes. Lorsque les données seront enfin publiées par l’Institut national des statistiques, nous verrons donc très probablement des augmentations significatives dans tous les domaines.

– L’augmentation du coût des transports est corrélée à l’augmentation générale des coûts de l’énergie. A en juger par la plus forte augmentation du coût du carburant, on peut s’attendre à une forte augmentation du coût des transports en général. Étant donné que le transport joue un rôle important dans le coût de tous les autres biens, il est raisonnable de s’attendre à de fortes augmentations de prix pour les autres produits.

Détail des variations de prix janvier 2021-2023

SecteurVariation des prix Janv. 2021 – Janv. 2022Variation des prix Janv. 2022 – Janv. 2023
Aliments et boissons sans alcool+9,33%+23,00%
Alcool et tabac+6,61%+8,92%
Vêtements et chaussures+3,75%+9,02%
Habitation  
Appartements, Bucarest+18,30%+3,38%
Immobilier, Roumanie+22,30%+3,89%
Loyers+3,51%+14,1%
Energie+15,95%+17,15%
Essence, prix à la pompe+41,37%+0,22%
Gazole, prix à la pompe+ 58,30%+19,53%
Transports+15,06%+7,67%
Télécommunications+1,63%-0,01%
Santé+3,30%+7,48%
Education+5,24%+7,69%
Loisir et culture+4,55%+7,87%
Divers biens et services+7,19%+12,61%

Source : INS (2022, 2023), Imobiliare.ro (2022, 2023), UNTRR (2022)

3.   Les plus fortes augmentations de prix

Sur la période février 2021 – février 2022, les plus importantes hausses de prix ont été enregistrées dans les secteurs habitation (3.1), carburant (3.2) et énergie (3.3). Les prix ont continué d’augmenter sur les douze derniers mois (données janvier 2022 – janvier 2023), à des taux différents. L’impact des hausses récentes dans les domaines de l’immobilier (3,89%), des carburants (9,38%) et de l’énergie (24,14%) vient donc s’ajouter à celui particulièrement élevé de l’année précédente[3].

3.1. Logements

La Roumanie a le taux d’accession à la propriété le plus élevé, non seulement dans l’Union européenne, mais même dans le monde : 96,1 % en 2020. Dans l’UE, au pôle opposé se trouvent l’Allemagne, avec seulement 50,5 %, et la Suisse, avec seulement 42,3 %. La France est à 64,1%.

Cela explique pourquoi la part des loyers dans l’IPC n’est que de 0,98 %. Autrement dit, l’IPC ne reflète absolument pas la hausse des prix à laquelle est confrontée un locataire d’une ville universitaire. Dit autrement, l’IPC, dont les poids sont calculés sur la base de l’enquête sur le budget des familles, n’est pas représentatif du locataire roumain car lui-même est « non représentatif » d’une « nation de propriétaires ».

La population roumaine diminue en raison d’une émigration massive et d’un taux de natalité insuffisant pour compenser la mortalité. Au 1er janvier 2022, la population était inférieure de 0,6 % à celle d’il y a un an, poursuivant ainsi la tendance des dernières années. On pourrait donc s’attendre à une baisse de la demande de logements, mais ces anticipations sont invalidées dans certaines situations qui retiennent l’attention des médias de masse. Il s’agit des loyers et des prix des logements dans certains centres universitaires. L’idée que le marché immobilier est « atypique » et que les lois économiques ne s’y appliqueraient pas est ainsi entretenue de manière injustifiée, nécessitant diverses interventions des autorités. Cette liste comprend bien entendu le contrôle des prix, une politique dont l’inefficacité et la nocivité ont été prouvées et reconfirmées au fil des millénaires.

Les gens n’ont pas besoin de logement en général, ils ont besoin d’un logement où ils veulent vivre leur vie, où ils peuvent bâtir leur carrière et où ils pensent que leurs enfants seront mieux lotis. Ainsi, même dans le contexte de l’effondrement démographique général de la Roumanie, certaines zones enregistrent un afflux migratoire interne. Les plus connues sont certains centres universitaires, industriels ou touristiques. Là-bas, la demande de logements augmente à un rythme plus rapide que l’offre, ce qui se reflète dans la hausse des prix des logements et la hausse des loyers.

Une ville illustre bien ce phénomène, Cluj. Cluj est un centre universitaire qui attire plus de 90000 étudiants (plus d’un tiers de sa population permanente), dont 3 à 4000 étudiants étrangers, le plus nombreux contingent étant celui des Français. De très nombreux étudiants commencent à travailler pendant les études et décident de s’établir à Cluj, poursuivant une carrière dans l’une des nombreuses entreprises des domaines de l’informatique, des services, de l’industrie etc. qui sont localisées dans la région. Ils intègrent ainsi une force de travail relativement bien qualifiée et rémunérée, avec des revenus bien au-dessus de la moyenne nationale ce qui accroît d’autant la pression sur les prix.

Contrer ces hausses de prix ne peut se faire qu’en réduisant la demande ou en augmentant l’offre de logements. La réduction de la demande pourrait passer par des politiques absurdes telles que : fermer les universités qui attirent les étudiants de tout le pays, chasser les investisseurs qui offrent aux diplômés des emplois mieux rémunérés que dans leur ville d’origine, décourager les touristes et les étudiants étrangers, etc. Évidemment, la solution rationnelle est d’augmenter l’offre de logements, qui dépend largement des autorités locales, même dans un pays aussi centralisé que la Roumanie.

Malheureusement, c’est l’un des domaines dans lesquels la Roumanie se classe le plus mal dans le classement international Ease of Doing Business réalisé jusqu’en 2020 par la Banque mondiale. Ainsi, pour ce qui est de la facilité qu’il y a à faire des affaires, la Roumanie a été classée 55ème sur 190 pays et juridictions. L’un des 12 critères pris en compte pour cet indicateur est la facilité d’obtention des permis de construire, et la Roumanie se classe ici au 147ème rang mondial.

En d’autres termes, il y a 146 pays où la délivrance d’un permis de construire nécessite moins de 24 procédures, prend moins de 260 jours en moyenne et coûte moins de 2% de la valeur de la construction, les valeurs moyennes pour notre pays.

Le nombres des permis de construire pour l’immobilier résidentiel a diminué en Roumanie de 18,5% (-7% en surface) en janvier 2023 par rapport à janvier 2022. Le recul est constaté dans 7 régions sur 8. Le nombre d’autorisations pour l’immobilier non-résidentiel a augmenté de 2,8%, mais la surface a baissé de 7,6%[4].

Parmi les domaines qui entrent dans le calcul de cet indice sur la qualité de l’environnement des affaires il en est un seul pour lequel la Roumanie se classe encore plus mal que dans le domaine de l’obtention des permis de construire, c’est celui du raccordement électrique. Notre pays se classe au 157ème rang mondial car les autorités de régulation ont permis à ce secteur d’être à l’abri d’une concurrence effective et donc indifférent aux demandes des clients potentiels. Ainsi, par rapport à la Roumanie, seuls 33 pays dans le monde ont besoin de plus de 9 procédures, 174 jours d’attente et un coût supérieur à 4 fois le revenu annuel moyen. Des pays comme l’Angola ou l’Irak sont meilleurs que la Roumanie de ce point de vue.

Bien sûr, on peut aussi invoquer l’augmentation des coûts des constructeurs, tant en matériaux qu’en main-d’œuvre. Les causes étaient multiples et se sont succédées dans le temps : les incertitudes générées par les mesures de lutte contre la pandémie, les coûts directs générés par le confinement (fermetures d’entreprises produisant des matériaux de construction) ont ensuite été suivis de la relance de projets immobiliers et de travaux publics dans la mesure de la levée des restrictions. A tout cela se sont ajoutées en 2022 les incertitudes provoquées par la préparation et le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine et la perturbation des flux de production et des chaînes d’approvisionnement.

En termes nominaux, le salaire moyen dans la construction a augmenté de 11,54 % (février 2022 par rapport à février 2021). Le salaire moyen dans la construction est légèrement inférieur au salaire moyen dans l’économie, avec une faible tendance à se rapprocher de cette moyenne, passant de 93% à 94% du salaire moyen en février 2021-2022.

La pseudo-solution des autorités a consisté à exonérer les salariés de ce secteur du paiement de la contribution de 3,5 % du salaire brut au pilier II du système de retraite, basé sur la capitalisation des contributions en comptes individuels. En d’autres termes, les promoteurs immobiliers ont été incités à réduire le salaire brut versé aux employés sans réduire leur salaire net maintenant, mais au prix d’une réduction d’un montant de leur retraites futures.

Tout cela s’est produit, comme mentionné, dans le contexte de politiques monétaires et budgétaires souples. La hausse des prix était inéluctable, les mesures prises par les autorités étaient inefficaces (« exempter » les travailleurs de cotiser à leur propre retraite est carrément néfaste), la débureaucratisation et l’accroissement de la concurrence en supprimant les barrières artificielles ne restaient que des déclarations d’intention, sans impact pratiquement significatif.

  • Carburant

Les taxes et accises appliquées à la production, à la distribution et à la commercialisation des carburants en Roumanie sont responsables d’une part importante du prix payé par les consommateurs finals « à la pompe ».

En 2022, le droit d’accise sur l’essence sans plomb est de 2458,10 lei / tonne, soit environ 1,89 lei / litre[5], et le droit d’accise sur le diesel est de 2052,89 lei / tonne, soit environ 1,73 lei / litre. Étant donné que la TVA de 19 % s’applique, y compris sur les droits d’accise, dans la situation où les produits pétroliers eux-mêmes seraient gratuits – si leur prospection, leur extraction, leur raffinage, leur transport et leur distribution ne coûtaient rien – le consommateur roumain continuerait à payer à la pompe autour de 2,25 lei pour un litre d’essence et 2,06 lei pour un litre de diesel.

Le 25 avril 2022, l’essence coûtait en moyenne en Roumanie 7,84 lei / litre tandis que le diesel coûtait en moyenne 8,72 lei / litre. Sans la TVA et les accises, l’essence aurait coûté 4,7 lei/litre et le diesel 5,6 lei/litre. Pas moins de 39% de l’argent payé pour l’essence et 36% de l’argent payé pour le diesel va au budget de l’État au titre de la TVA et des droits d’accise.

La formule des droits d’accise, qui est liée au taux de change, a vu les droits d’accise sur l’essence et le diesel augmenter de 3,6 % en 2022 par rapport à 2021. Comme les prix du carburant affectent les prix de tous les produits sur le marché, qui doivent être transportés pour être vendus, toute augmentation du prix des carburants produit un effet domino qui entraîne une augmentation de tous les prix sur le marché. Les hausses de prix généralisées entraînent une baisse du taux de change utilisé pour calculer la valeur des droits d’accise. On a donc affaire à un cercle vicieux qui contribue encore plus à l’augmentation du prix des produits et services et à la perte du pouvoir d’achat des Roumains.

Les incertitudes, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et les sanctions politiques qui ont suivi l’invasion russe en Ukraine ont contribué partiellement à la hausse des prix du combustible. Cette tendance avait commencé déjà un peu avant la levée des restrictions anti-pandémie pour atteindre environ 7 lei (essence et gazole) la veille de l’invasion, une hausse de plus de 50% par rapport aux niveaux enregistrés durant les restrictions. La tendance a continué durant la première moitié de 2022. En juin, les prix ont franchi le seuil de 9 lei/litre et en réaction, les autorités ont décidé de compenser 0,5 lei du prix à la pompe pour tous les consommateurs. Cette mesure est restée en vigueur seulement six mois (du 1er juillet au 31 décembre 2022) et a engendré moins de distorsions que le plafonnement des prix décidé par d’autres pays comme la Hongrie. En rétrospective, la mesure de compensation adoptée en pleine panique apparaît toutefois peu justifiée, puisque les prix ont baissé pour atteindre des niveaux comparables à ceux d’avant l’invasion[6].

La bonne nouvelle dans le domaine des combustibles ne vient donc pas du volet fiscal mais du marché du pétrole et du gaz : selon l’indice des prix de la production industrielle, sur la période Janvier 2022-Janvier 2023, le prix dans l’extraction du pétrole et du gaz naturel a grandement diminué, ceux de la fin de la période ne représentant plus que 79,92% de leur niveau initial. Cela présage d’une hausse plus modérée du prix à la pompe, voire de sa diminution, sauf évènements militaires et politiques imprévus.

  • Energie

Les prix de l’énergie[7] ont augmenté en Roumanie parce qu’ils ont augmenté dans toute l’Europe en général, mais aussi parce que la Roumanie a adopté les mauvaises politiques, telles que la loi sur le plafonnement et la compensation. Il est probable que cette loi ait provoqué une augmentation des prix beaucoup plus importante que celle que nous aurions connue en son absence.

Les prix ont augmenté rapidement au second semestre 2021, pour les consommateurs industriels dans un premier temps puis pour les ménages, ce qui n’a pas manqué d’alimenter l’inflation en 2022 – avec des effets majeurs sur le budget des consommateurs qui vont au-delà des factures d’énergie elles-mêmes. L’IPPI de février 2023 (+21,58%) montre une hausse de 55,97% des prix dans le secteur de la production et de la distribution des énergies électrique, thermique, gaz naturel, eau chaude et air conditionné. Cela représente plus du double de la hausse constatée par l’IPC pour l’énergie électrique, gaz et chauffage central. Il semble donc que les prix à la consommation ne reflètent pas encore toutes les hausses de coûts qui pèsent déjà sur les producteurs.

Les lois qui ont été adoptées en Roumanie pour plafonner et compenser les prix de l’énergie ont accru l’incertitude et aggravé la situation. Dans leur forme actuelle et éventuellement définitive, les règles de plafonnement et compensation parviennent à limiter les coûts énergétiques pour les consommateurs domestiques et industriels en transférant une partie du coût au budget de l’État.

Plafonnement des prix et compensation des factures énergétiques en Roumanie

  Consommation antérieure  Prix maximum avec TVA pour le consommateur final
ElectricitéPersonnes0 – 100 kWh / mois0,68 lei / kWh
100,1 – 255 kWh / mois0,8 lei / kWh
> 300 kWh / mois1,3 lei / kWh
EntreprisesSans limite1 leu / kWh pour 85% de la consommation 1,3 lei / kWh pour le reste
Santé et éducationSans limite1 leu / kWh
GazPersonnesSans limite0,31 lei / kWh
Entreprises< 50 000 kWh / mois0,37 lei / kWh

 Source : ANRE (2022)

Cette stratégie se traduit malheureusement et en toute logique par une augmentation du coût total – somme du coût payé par les consommateurs et de la part du coût payé par l’Etat – plus forte car la concurrence, qui incite habituellement les vendeurs à vendre au meilleur prix possible, a été supprimée du système. Pour aggraver les choses, les montants prélevés sur le budget de l’État pour compenser la hausse des coûts de l’énergie rendent l’équilibre budgétaire encore plus précaire que d’habitude ce qui incite les politiciens à envisager de nouvelles actions qui seront encore plus préjudiciables à l’économie, comme un retour à la progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques[8].

En Europe, la consommation de gaz a fortement augmenté au premier semestre 2021, mais s’est ensuite effondrée en raison des prix élevés. Partout où c’était possible, notamment dans la production d’électricité, les producteurs européens ont recouru au charbon, entraînant une augmentation rapide du prix des quotas de CO2 vert. Cela a conduit beaucoup à considérer le modèle de marché européen de l’énergie comme le principal responsable de la hausse des prix. Bien que les certificats verts ajoutent des coûts supplémentaires à certains types d’énergie, leurs prix et leurs règles étant restés les mêmes, les prix de l’électricité n’ont pas augmenté « à cause des certificats verts ». Les prix ont augmenté en raison des pénuries de gaz, aggravées à dessein par Gazprom à partir de l’été 2021. L’affirmation selon laquelle il y avait de la spéculation sur le marché des quotas et donc une augmentation des coûts des quotas de CO2 verts était en fait une fausse nouvelle.

Les prix du gaz naturel pour les consommateurs non résidentiels ont augmenté de près de 80 % entre le début de l’année et novembre 2021, tandis qu’ils restaient plus ou moins inchangés pour les consommateurs résidentiels. La consommation industrielle est en baisse depuis l’été 2021, ce qui explique en partie pourquoi le PIB de la Roumanie a chuté au quatrième trimestre et l’inflation augmenté. Ainsi, les hausses des prix de l’énergie ne sont pas causées par la libéralisation du marché de l’énergie. Il n’y a pas eu d’augmentation des prix après la libéralisation des prix du gaz pour les ménages à l’été 2020. Au contraire, les prix ont chuté d’environ 27 % et ont continué de baisser jusqu’à l’été 2021, lorsqu’ils ont commencé à augmenter dans toute l’Europe.

Prix ​​du gaz méthane en Roumanie pour le consommateur final entre décembre 2019 et avril 2022

Source : Glăvan, B. (2022). Sur la base des communiqués de presse de l’INS

Les prix de l’énergie sont également affectés négativement par le retard des investissements dans le développement de nouvelles capacités de production d’énergie. Il y a plusieurs causes à cela, toutes liées à différentes institutions de l’État roumain :

– Il existe des fonds de l’UE à la disposition de la Roumanie spécifiquement destinés à ce secteur, par le biais du Fonds de modernisation de l’UE, mais le ministère de l’Énergie n’a pas fait les démarches nécessaires pour y avoir accès.

– Les entreprises énergétiques roumaines, dont le gouvernement roumain est actionnaire, sont tenues par le gouvernement de verser jusqu’à 90 % du bénéfice net lié à 2021 sous forme de dividendes. De plus, l’État roumain, en sa qualité d’actionnaire, a massivement profité de la hausse des prix de l’énergie à partir de 2022, en y associant des mesures de compensation partielle pour les catégories vulnérables. La mise en place de ces mesures a été hésitante, générant de l’incertitude, une charge administrative difficile à surmonter pour les bénéficiaires potentiels, perturbant l’activité du producteur Hidroelectrica (fournisseur d’électricité à moindre prix), dont le système de facturation a été complètement submergé par l’avalanche de demandes. (Les dernières factures reçues par certains consommateurs datent de juin 2022).

– La loi offshore, que la Roumanie avait accepté de modifier depuis 2008, attend toujours à ce jour d’être ratifiée.

L’énergie en général a un impact énorme sur la compétitivité de l’économie. L’énergie bon marché rend les producteurs locaux plus compétitifs sur le marché mondial, tandis que l’énergie chère rend tout simplement certaines activités impraticables. Compte tenu de l’implication significative du gouvernement roumain dans le secteur de l’énergie, à la fois par une politique fiscale hostile et par la détention de participations importantes dans des sociétés énergétiques, c’est probablement le secteur par lequel l’État roumain a le plus d’impact sur l’augmentation du coût de la vie.

4.   Impact sur les ménages à faible revenu

Le revenu brut moyen des ménages roumains était de 6 055 lei/mois au quatrième trimestre 2021, soit 2 395 lei/personne.

De ce revenu, les Roumains investiront en moyenne 0,3%, paieront 32,1% en impôts, dépenseront 60,6% en consommation et 7% supplémentaires en production et autres dépenses. Le pourcentage de 32,1 % payé en impôts n’inclut pas la TVA, ce qui signifie que jusqu’à 12,8 % des 67,6 % des dépenses totales d’un ménage pourraient en fait être imposés sous forme de TVA, ce qui porte la charge fiscale totale du ménage roumain moyen à 44,9 %.

Les données de l’Institut national des statistiques montrent une image dans laquelle le pourcentage le plus élevé des dépenses moyennes des ménages (32,3 %) est représenté par la nourriture et les boissons non alcoolisées, et le deuxième pourcentage le plus élevé (16,3 %) est représenté par les coûts de la maison, y compris chauffage, électricité et eau courante. Cependant, la situation est tout à fait différente lorsqu’on regarde les ménages à faible revenu. D’après les données du même rapport, il existe 3 catégories de ménages où le « chef de ménage » gagne moins que la moyenne nationale :

– les retraités gagnent en moyenne 77,28% du revenu moyen par personne,

– les travailleurs du secteur agricole gagnent en moyenne 58,83% du revenu moyen,

– les chômeurs doivent gérer, en moyenne, seulement 32,66% du revenu moyen.

Les personnes ayant des revenus inférieurs à la moyenne consacreront en règle générale un pourcentage plus élevé de leurs dépenses à l’achat de nourriture et de boissons non alcoolisées (jusqu’à 42,4 %), mais affecteront généralement des pourcentages similaires pour couvrir les frais de logement (environ 16%). Selon une étude de 2021 commandée par la BCR, les Roumains donneront la priorité aux dépenses de santé, d’alimentation et de logement avant tout.

Sur la base des informations ci-dessus, nous pouvons anticiper que les futures augmentations des prix des denrées alimentaires et les augmentations déjà visibles des prix de l’énergie et du carburant auront un effet négatif sur le bien-être des Roumains et sur leur capacité à couvrir le coût de la vie. Le taux élevé de propriétaires sauvera de nombreux Roumains à très faible revenu de l’extrême pauvreté, mais ils seront confrontés à des difficultés importantes pour se procurer ne serait-ce que le strict nécessaire.

  • Recommandations et conclusions de politique publique

#1 Simplification fiscale. Compte tenu des derniers développements en Roumanie et de l’intention du gouvernement actuel de réintroduire un impôt progressif sur le revenu des personnes physiques, la recommandation politique numéro un que nous devons faire est de simplifier les choses.

En théorie, la Roumanie a un taux fixe d’impôt sur le revenu des personnes physiques (10 % du revenu imposable), cet impôt passant après le paiement des contributions sociales qui représentent 37,25 % du salaire brut. Dans la pratique, il existe déjà un grand nombre d’exonérations et de déductions pour différentes catégories de travailleurs et un nombre croissant de taux d’imposition différents pour les revenus provenant de sources autres que les salaires. Il est déjà assez difficile pour certains concitoyens de déposer leurs déclarations de revenus correctement remplies. L’introduction d’un régime d’impôt progressif sur le revenu compliquerait encore les choses et conduirait très probablement à une diminution des recettes nettes d’impôt sur le revenu.

Soyons clairs, nous ne suggérons pas la suppression des réglementations existantes qui ont pour effet de taxer certains secteurs à un taux inférieur.

Le débat sur le maintien ou la suppression des réglementations existantes qui ont pour effet de taxer à un taux inférieur certains secteurs ne peut être tranché ici. Bien que ces réglementations compliquent souvent les choses, elles sont certainement en partie responsables de la compétitivité de la Roumanie dans ces secteurs. Le cas du développement de l’industrie informatique est l’un des exemples les plus clairs de cette compétitivité accrue. A terme, une telle exonération est difficilement justifiable auprès de l’opinion publique pour une profession aux revenus nettement supérieurs à la moyenne. La possibilité de telles exonérations est une invitation à de coûteuses batailles politiques entre différents groupes de contribuables, amplifiant les incertitudes fiscales. Si nous visons à réintroduire un taux d’imposition véritablement fixe, égal et universel, il devrait être fixé au niveau le plus bas appliqué dans l’un des secteurs de l’économie roumaine.

#2 Maintenir des facilités fiscales pour les PME. Une autre mention importante doit être faite concernant l’impôt roumain sur le revenu des micro-entreprises (3 % d’impôt sur le revenu pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros, ou 1 % pour les micro-entreprises comptant au moins 1 salarié). Avec la taxe de 5% sur les dividendes, cet impôt sur le revenu offre l’un des ensembles de conditions fiscales les plus attractifs pour les entrepreneurs dans l’Union européenne. La possibilité donnée aux entreprises de choisir, sous certaines conditions, entre être assujetti à l’impôt sur les bénéfices de 16% ou à l’impôt sur le revenu, est un autre facteur clé de l’attractivité du pays sur le marché mondial de l’investissement. Et dans ce cas, la recommandation est que ces facilités fiscales soient au moins maintenues et, si possible, améliorées pour rendre la Roumanie encore plus attractive pour les investisseurs.

Cependant, le gouvernement a décidé d’adopter une stratégie opposée pour 2023 : il a réduit de manière significative le plafond de revenus en-dessous duquel les micro-entreprises peuvent choisir entre impôt sur le revenu et impôt sur les bénéfices et a ajouté de nouveaux domaines d’activité pour lesquels l’impôt sur les bénéfices est la seule possibilité de taxation. Une autre restriction introduite cette année élimine le choix entre les deux systèmes d’imposition pour les entreprises qui n’ont aucun salarié.

#3 Réduire les dépenses budgétaires et améliorer le taux de recouvrement des impôts existants. Afin de lutter contre le déficit budgétaire, le gouvernement roumain devrait viser à réduire les dépenses publiques et à améliorer le taux de recouvrement des impôts déjà en place. Contrairement à ce qui a été observé ces dernières années, il devrait résister à la tentation d’augmenter le nombre d’emplois du secteur public (certains déguisés en protection sociale, d’autres de simples sinécures qui scandalisent l’opinion publique) et cesser d’inventer de nouveaux impôts et d’augmenter les taux de ceux déjà existants.

#4 Réduction des droits d’accise sur les carburants et des taxes sur l’énergie. Sur la base des données présentées dans cette étude, il est clair qu’une réduction des droits d’accise sur les carburants et une réduction des taxes sur l’énergie auraient un effet positif net sur l’économie roumaine. Il faut en effet se souvenir qu’en présence d’un fardeau fiscal excessif, les réductions ou élimination des impôts conduisent à l’augmentation de l’activité économique et autres ajustements décrits par la courbe de Laffer, ce qui entraîne une augmentation du montant total collecté par l’État par le biais des impôts.

#5 Réduire la charge non fiscale de la législation et de la réglementation. Outre les recommandations ci-dessus, qui visent spécifiquement le système fiscal, la Roumanie devrait prendre des mesures pour réduire la charge non fiscale de la législation et de la réglementation. Celles-ci devraient inclure une réduction quantitative des réglementations en général et une amélioration de la stabilité du cadre législatif. Les décisions ne doivent pas être prises du jour au lendemain. Les citoyens et les entreprises devraient disposer de suffisamment de temps pour se préparer avant l’entrée en vigueur de nouvelles règles.L’incertitude budgétaire est un aspect négatif qui doit être considérablement réduit. Cette incertitude a déjà atteint un niveau difficile à supporter. Par exemple, le Code fiscal a subi des modifications avec un impact majeur par ordonnance d’urgence du 28 décembre 2022, leur entrée en vigueur étant prévue pour le 1er janvier 2023. Cela s’est fait bien que l’article 4 du code fiscal prévoit que les modifications ne peuvent être apportées que par une loi organique et au moins 6 mois avant leur entrée en vigueur, qui ne peut intervenir qu’à compter du début de l’année fiscale. En d’autres termes, ces changements auraient dû être votés au Parlement au plus tard le 30 juin. Fondamentalement, le simple respect de l’article 4 du code fiscal constituerait une amélioration significative par rapport à la situation actuelle. Le respect des lois fiscales par le gouvernement est une aspiration légitime et minimale des citoyens.

#6 Éliminer ou réduire les goulots d’étranglement mis en évidence par le rapport Ease of Doing Business. Les problèmes mis en évidence par les indicateurs de classement pour lesquels la Roumanie a des scores très faibles doivent être traités en priorité : obtention des permis de construire (score 58,4), raccordement au réseau électrique (score 53,7), résolution des insolvabilités (score 59,1). Parallèlement, les bons scores doivent être préservés ou améliorés, là où ils existent : facilité d’exportation (note 100/100), création d’entreprise (note 87,7), facilité de paiement des impôts (note 85,2).

#7 Numérisation des services. La numérisation des services publics entamée lors de la pandémie de COVID-19 doit être poursuivie et son rythme accéléré. Les opportunités offertes par la numérisation sont nombreuses et peuvent aider à moderniser les institutions de l’État, à accroître leur efficacité et à optimiser l’utilisation des ressources. La numérisation pourrait améliorer considérablement le score de certains des indicateurs déterminants la qualité de l’environnement des affaires. La Roumanie dispose des ressources et du capital humain nécessaires pour devenir beaucoup plus compétitive. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la numérisation des services publics n’est pas une fin en soi, mais un moyen de rendre l’activité plus efficace. Les procédures inutiles ne doivent pas être rationalisées, mais complètement éliminées.

#8 Amélioration des infrastructures. La Roumanie doit améliorer ses infrastructures, en particulier les infrastructures de transport, afin de réduire les coûts de transport, augmentant ainsi la compétitivité des producteurs roumains sur le marché mondial. La Roumanie doit construire les autoroutes tant attendues et retardées à plusieurs reprises, et elle doit mieux entretenir les réseaux routiers et ferroviaires existants.

Un aspect spécifique de l’infrastructure est lié au transport de l’énergie, en particulier du gaz naturel et de l’électricité. Dans le cas de la Roumanie, les principaux opérateurs, respectivement Transgaz et Transelectrica, sont des entreprises publiques. La stratégie de diversification et d’interconnexion est un élément indépendant de la stratégie nationale de la Roumanie. La réalisation des objectifs fixés nécessite une meilleure coopération au niveau régional, de l’Union européenne et international. Cela nécessite un effort matériel soutenu, ainsi qu’une stratégie stable. Les réacteurs 3 et 4 de la centrale nucléaire de Cernavoda seront prêts en 2030-2031 au plus tôt, le dernier changement significatif de partenaires principaux ayant eu lieu en 2021.

#9 Renforcer l’état de droit. L’État de droit doit être protégé et renforcé. Un État de droit fort offre à l’économie et à la société en général la stabilité nécessaire, garantissant le respect et la protection des droits de chacun. Pour nous rapprocher de cet objectif, nous avons besoin de lois et de règles claires, appliquées de manière uniforme. Lorsque les règles sont claires et faciles à comprendre leur application devient plus facile. Un pouvoir judiciaire indépendant et impartial est également essentiel pour assurer le règlement équitable, transparent et rapide des différends. Enfin et surtout, l’existence d’institutions qui fonctionnent efficacement permet aux citoyens et à l’environnement des entreprises de mieux contribuer au développement de la société.

#10 Prévisibilité. L’objectif politique sans doute le plus aisément réalisable est de garantir un environnement commercial et réglementaire prévisible, car il s’agit d’une condition préalable pour les investisseurs en général, et plus encore pour ceux qui investissent dans des projets à long terme tels que l’énergie. L’adoption de la loi dite « offshore », qui a été considérablement retardée et modifiée au cours de 5 ans de discussions, a conduit au blocage de l’exploitation du gaz naturel du plateau continental de la mer Noire.

L’amélioration des infrastructures, associée à un environnement législatif prévisible et à des politiques fiscales compétitives, fera plus pour élever le niveau de vie des gens que n’importe quel programme d’aide d’État.


[1]    Lei, pluriel de leu, nom de la monnaie roumaine qui signifie lion.

[2]    Sources : https://bit.ly/46lCmUT. Pour les indices des prix de la production industrielle : https://bit.ly/46mOWDG. Pour l’évolution du coût salarial : https://bit.ly/3XnWCkJ. Prévisions : https://bit.ly/3CKtcUx Tendances 2022 par rapport à 2021 : https://bit.ly/3XpNXhR (Nouvelles commandes dans l’industrie manufacturière).

[3]    https://bit.ly/46lCmUT

[4] Source : https://bit.ly/3Pt2xD6. Graphiques de construction pluriannuels : https://bit.ly/3peO974.

[5]    Le 8 avril 2023, le taux de change était d’environ 5 lei pour un euro.

[6] https://www.peco-online.ro/istoric.php

[7] https://insse.ro/cms/ro/content/resursele-de-energie-date-provizorii-97

[8]    Rappelons en effet que la Roumanie a adopté une « flat tax » en 2005. Voir à ce sujet Nicolas Lecaussin, IREF 2013 : https://bit.ly/3NLwKfy.

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Radu Nechita, Christian Nasulea & Diana-Florentina Nasulea

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