C’est le refrain de nombre de candidats à l’élection présidentielle française : il faut défendre, rétablir notre identité. « Je suis le candidat de l’identité de la France, c’est ma spécificité » disait Eric Zemmour ce 7 janvier 2022. Peu après, dans Le Monde du 19 janvier, Jean-Luc Mélenchon entendait s’en rapporter à « l’identité française sur les droits de l’homme ». Dans un entretien à L’Express du mardi 22 décembre, M. Macron a promu l’idée d’une identité française. Pour sa part, Mme Pécresse a insisté sur la thématique de l’identité. Mais qu’est-ce que l’identité ? Celle-ci est souvent évoquée par rapport aux problèmes migratoires, mais l’immigration ne joue peut-être que comme le révélateur d’une identité française ou de son absence.Mais qu’est-ce que l’identité ? Celle-ci est souvent évoquée par rapport aux problèmes migratoires, mais l’immigration ne joue peut-être que comme le révélateur d’une identité française ou de son absence.

Ce qui identifie

L’identité se trouve en s’identifiant bien sût. Et à ce titre au moins, elle est d’abord individuelle. A l’origine, les premiers hommes se distinguent d’ailleurs sans doute de la nature végétale et animale par leur capacité à se reconnaître comme différents, c’est-à-dire s’identifier comme des êtres distincts de leur environnement. Alors l’homme devient une personne disposant d’une conscience de soi. Cette identité n’est pas statique. Elle se construit dans l’évolution de son être tout entier, mais aussi dans le rapport au monde et notamment aux autres, elle est façonnée par chacun en fonction de ce qu’il est, de ce qu’il fait, de ce qu’il devient. L’identité est le fruit de la liberté personnelle et de l’action humaine.  A ce titre l’identité de chacun est unique et fragile. Certains aujourd’hui voudraient la faire disparaitre. Il y a ceux qui rêvent d’un monde de clones égaux, ceux qui voudraient trouver la vie dans le métaverse virtuel que cherchent à construire Facebook (Meta) et Google. Mais ces créatures n’auraient pas d’identité parce qu’elles ne seraient pas identifiables comme des personnes, parce qu’elles n’auraient pas d’esprit, elles n’auraient pas d’âme au sens où l’homme grec vit de l’éclat de son âme, comme au sens religieux de principe vital relié à Dieu ; elles ne seraient pas des personnes parce qu’elles n’auront pas de libre arbitre au sens où Bergson dit que « C’est de l’âme entière, en effet, que la décision libre émane »[1].

Au demeurant, l’identité n’est ni un concept abstrait, ni une construction solitaire. Toute identité individuelle intègre l’ensemble des rapports signifiants que chacun noue avec autrui.  L’individu forge son identité dans sa relation avec la ou les communautés au sein desquelles il naît et vit. Car l’homme est aussi un animal social, il ne serait pas grand-chose sans l’apprentissage spontané ou enseigné dont il bénéficie de la part des groupes familiaux, tribaux, villageois, nationaux… qui l’accueillent et lui permette de grandir.  Il enrichit son identité en s’immergeant dans la culture par laquelle il apprend à se situer : une langue, une histoire, un patrimoine, des traditions, une religion ou des croyances, des héros, des mythes… dont le tout est partagé par une communauté comme une identité commune. Le langage est évidemment un facteur essentiel d’identification du groupe. Les nations se divisent par leur langue depuis le début des temps ainsi que le rappelle l’histoire de la tour de Babel. Les rares nations multilingues sont nécessairement fédérales, voire confédérales, de telle façon que les communautés linguistiques y décident prioritairement pour elles-mêmes de tout ce qui est en leur capacité. L’histoire, le partage d’un même passé est sans doute le second critère d’identification collective. Un peuple forge ses liens dans ses combats, réels ou mythiques, pour se défendre ou s’accroître. Il s’unit contre l’envahisseur, se rassemble pour étendre son territoire, se rassemble contre les mêmes fléaux. Une même religion favorise aussi la vie commune. Mais bien sûr ce sont encore les mêmes habitudes de vie, une même éducation, les mêmes us et coutumes, les mêmes pratiques alimentaires, vestimentaires, corporelles, médicales, familiales… qui réunissent les peuples. Il y a des degrés dans la congruité, dans l’importance des critères catalyseurs de toute identité. Ils sont plus nombreux dans les petites communautés, comme dans les villages protestants et catholiques qui se côtoyaient suspicieusement dans le sud de la France il y a encore peu. Ils sont moins nombreux à mesure que la collectivité s’agrandit. Mais il n’y a sans doute pas de nation possible sans une forme d’identité partagée, ne serait-ce que pour adhérer à de mêmes lois, accepter un gouvernement commun pour veiller à la sécurité de tous, forcer, le cas échéant, l’exécution des mesures de justice…

Les identités mêlées

Quelle est alors l’identité qui doit primer de celle de l’individu ou celle de la collectivité ? En fait, les identités s’interpénètrent. Sans le passé préservé par la communauté dans laquelle il vient à vivre, l’homme serait resté, au mieux un homme préhistorique, sans le bénéfice de l’histoire accumulée, sans la tradition qui conserve la mémoire et enseigne ce que d’autres ont parfois mis très longtemps à découvrir, à assimiler, sans cette transmission qui permet de partir d’un acquis pour aller plus loin. Il lui faudrait tout réinventer par lui-même et il n’en aurait pas le temps. Voilà pourquoi beaucoup de philosophes et de juristes anciens ont résolument ordonné l’homme au monde plutôt que l’inverse. Aristote tient que la Cité est première et doit être préservée contre l’individu car celui-ci n’est rien sans elle sinon un animal. Cicéron demande que l’homme se souvienne « qu’il n’est pas né seulement pour lui, mais pour les siens et pour sa patrie, et qu’il ne lui reste qu’une petite portion de lui-même dont il soit le maître »[2].  L’empereur Marc Aurèle soutenait autrement que le bien de la cité surpassait celui du citoyen. « Souviens-toi donc toujours, écrivait-il, que le véritable et naturel citoyen ne souffre jamais de ce qui ne fait pas souffrir la cité [3]». Rousseau a puisé dans la tradition antique pour, à son tour, devenir l’avocat d’une subordination sans condition de l’individu aux finalités de la cité et en y ajoutant une mystification démocratique selon laquelle la volonté générale poursuivrait toujours le bien commun. Après que la terreur y a trouvé son excuse, l’Etat providence en a fait son terreau.

Certes, le rapport de l’homme à la cité est celui de l’œuf à la poule. Où est la cause et où est l’effet ? Il ne saurait y avoir d’homme né de nulle part. Robinson Crusoé ne s’est pas trouvé sur son île par génération spontanée. Mais à l’inverse, il n’y a pas de cité sans hommes qui la constituent. Il faut à la fois l’homme et la cité. Chacun se conçoit par l’existence de l’autre, les individus génèrent la cité qui permet aux individus de se multiplier. Les choses ne se sont pas faites pour autant dans un ordre établi. Ceux qui ont essayé de trouver l’origine de la société dans un contrat social initial ont reconstruit une humanité qui n’a jamais existé, ils ont retrouvé une rationalité qu’aucun homme réel n’a jamais développée. Rousseau ou Hobbes ou Rawls imaginent des situations idéales, une communauté première et parfaite, improbable autant qu’introuvable. Cette fiction philosophique d’un contrat social initial porte en elle le danger d’imaginer que les hommes sont entièrement maîtres de leur destin. L’histoire ne saurait être que celle que les hommes nouent progressivement et naturellement dans les heurs et malheurs de leur vie, dans les arcanes de leur vie sociale, dans les relations établies en fonction de leurs sentiments et de leur raison, de leurs intérêts réciproques, de leurs inévitables querelles. S’il demeure toujours vrai que la cité et les hommes qui la composent se développent ensemble, il s’impose toutefois que la cité n’a pas de raison d’être autre que les hommes qui vivent d’elle autant qu’ils la font vivre. La cité vide n’est plus une cité, tandis que l’homme peut se suffire de sa famille et une fois sorti de l’enfance, même seul, il reste un homme, sans doute amputé de sa capacité sociale, limité dans son épanouissement, mais toujours homme. L’individu est diminué quand il est réduit à son identité collective. L’identité de la cité n’a d’autre objet que de permettre que s’y façonnent et s’épanouissent les identités individuelles. La finalité de la cité, où elle trouve son identité, est l’homme. Mais cette vie commune n’est possible que si les identités individuelles sont compatibles. Uniques, les hommes sont tous différents et développent donc des perceptions et des visions diverses sur certains sujets. La cité a pour fonction de définir des lois et d’établir des institutions capables de réduire les conflits et de les gérer en entravant le moins possible les libres expression et réalisation de chacun qui façonnent l’évolution des identités personnelles et collectives. Chaque pays le fait à sa manière qui tient compte de son historique et des sensibilités de ses citoyens.  Mais chaque pays ne peut le faire que pour autant que les identités des uns et des autres ne soient pas en totale antinomie, qu’il y ait des concordances possibles ou du moins des compromis acceptables.

Religion et immigration

A ce titre, la question ne peut pas ne pas être posée de savoir si l’éclatement des religions et l’importance de l’immigration sont susceptibles, en France notamment, de brouiller l’identité nationale au point de risquer de remettre en cause la capacité de vivre ensemble des populations rassemblées sur le territoire national et peut-être la paix sociale. Il faut d’ailleurs à cet égard reconnaître que dans la campagne électorale présidentielle de 2022, le mérite d’Eric Zemmour aura été de permettre que cette question soit exposée et discutée. Ce qui ne veut pas dire bien entendu que ça suffise pour faire un bon programme politique.

La France a été longtemps un pays presque entièrement chrétien et très majoritairement catholique. Elle était considérée comme la fille aînée de l’Église. Désormais le catholicisme est y devenu une religion très minoritaire. En 2018, notent Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely[4], seulement 27% des nouveaux nés ont reçu le baptême contre 52% en 2000. Il y a désormais moins de 2% de la population qui a une pratique religieuse catholique régulière. Les Français ont toujours besoin d’une sorte de spiritualité. Mais les marches blanches ont remplacé les processions. D’autre religions se développent, des sagesses orientales aux évangélistes et à l’islam bien sûr du fait notamment de l’augmentation massive de l’immigration d’origine musulmane.

Dans une publication du 23 juin 2020 l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) note qu’en 2018, 31,4 % des enfants nés en France ont au moins un parent né à l’étranger. Deux bons connaisseurs du phénomène migratoire, Patrick Stefanini[5] et Didier Leschi[6], observent que les immigrés résidant en France et nés étrangers à l’étranger représentent à peu près 10% de la population, en hausse de 20 à 25 % sur vingt ans et de 100% par rapport aux années 1930. La proportion des immigrés de première et deuxième génération représenterait 21% à 27% de la population, soit la proportion la plus élevée d’Europe. Ils constatent notamment la forte hausse des titres de séjour accordés (83% de plus en 2019 qu’en 2000) aux demandeurs d’asile. La France pratique volontiers une politique de regroupement familial doublée de la possibilité pour un Français issu de l’immigration de faire venir en France, sans condition de revenu, de logement ou d’emploi, un conjoint né et résidant à l’étranger. Le nombre de mineurs étrangers relevant de l’aide sociale à l’enfance est passé de 5 000 en 2014 à 40 000 fin 2018 et il ne cesse de s’accroître. Il faut y ajouter un nombre indéterminé de « clandestins », estimé à 900 000 sur le territoire français y compris les départements d’Outre-Mer.  L’Aide Médicale d’Etat, créée en 1999 pour 75 000 bénéficiaires, a profité en 2018 à 320 000 migrants irréguliers. Bien entendu, l’immigration n’est pas la même partout et certaines villes ou certains quartiers montrent une concentration exorbitante d’immigrés. A La Courneuve, 75% des 0-18 ans sont nés de parents immigrés extra-européens. A Villetaneuse et Clichy-sous-Bois, ce sont respectivement 73 % et 72 % des enfants qui sont nés de parents extra-européens. Mais la région parisienne n’a pas le monopole de l’immigration non européenne. Dans l’aire urbaine de Limoges, les enfants de parents immigrés extra-européens représentent 27,5% des 0-18 ans, voire dans certains quartiers jusqu’à 61 % ! En 1990, ils n’étaient que 10,2%. Dans le quartier de Corgnac / Val de l’Aurance, la hausse est de 262 % pendant la même période 1990-2017. Dans la ville de Panazol, proche de Limoges, ils étaient 1% en 1990 ; en 2017, c’est 15%. A Rennes, les enfants de parents immigrés extra-européens représentent 22,8% des 0-18 ans vivant dans l’aire urbaine en 2017. Le taux monte à 51 % pour le quartier du Blosne, et à 50 % pour Villejean / Beauregard….

Le problème n’est d’ailleurs pas tant dans le fait qu’il s’agisse d’étrangers que dans leur difficulté à s’intégrer. Les immigrés d’origine musulmane n’ont pas nos mœurs ou nos habitudes vestimentaires, culturelles, alimentaires…, mais surtout, ils sont de plus en plus nombreux à revendiquer leur différence. Les kebabs et les bars à chicha se multiplient ; il y aurait eu déjà près de 10 000 établissements de kébabs en France en 2017[7].  Plus encore, ils tiennent à garder leur propre identité : J. Fourquet et J.L. Cassely[8] soulignent que la proportion de nouveau-nés ayant reçu en 2015 un prénom d’origine arabo-musulmane se situait à 25% en Val de Marne, 35% dans le Val d’Oise, 40% en Seine Saint Denis. Il y a presque, pour nombre d’entre eux du moins, une volonté d’afficher leur propre identité liée notamment à leurs racines et préceptes religieux qui sont beaucoup plus inclusifs que ne le sont aujourd’hui ceux de la chrétienté française désormais très amoindrie.

Peut-on partager des identités opposées ?

Certes, lors de la Révolution, puis au XIXème siècle, la France a déjà connu une sorte de guerre civile larvée entre les partisans de l’ancienne monarchie associant le trône et le goupillon d’une part et les tenants d’une laïcité militante et exclusive. Ce qui conduisit le gouvernement Freycinet à interdire en 1880 les Jésuites, à les chasser et à menacer toutes les congrégations non autorisées, puis aux fermetures d’établissements religieux et aux expulsions, nombreuses, des congrégations requises en 1902 par le gouvernement de Combe. Mais les Français partageaient une histoire commune si ancienne qu’ils ne pouvaient pas se diviser fondamentalement sur ce seul sujet. D’autant plus que, d’une certaine manière, la notion même de laïcité trouve son fondement même dans le christianisme qui sépare le politique et le religieux : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Cette distinction avait ainsi déjà opéré en occident une transformation de la conception sociale par rapport à l’antiquité dont les dieux jouaient avec les hommes et enfantaient leurs héros tandis que le roi, chef des armées et de la justice, était aussi le grand prêtre comme Nestor, au temps de l’Iliade, en son palais qui était aussi son temple et son palais de justice. La Révolution française n’a peut-être été aussi violente que parce qu’elle achevait l’accouchement laborieux de la laïcité portée par l’occident chrétien.  En distinguant le domaine civil du domaine religieux, le christianisme a permis leur cohabitation, même si ce fut une longue histoire pleine de soubresauts, en même temps qu’il a institué en sanctuaire des libertés le domaine personnel de la conscience, mais aussi de son expression dans l’action humaine, la charité, au-delà de la loi civile. C’est sans doute ce qui fit que, malgré les invectives réciproques, les Français surent se réconcilier. Dans son article 2, la loi de Jules Ferry du 28 mars 1882 sur l’organisation de l’enseignement primaire prévoyait : « Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse en dehors des édifices scolaires ». Jules Ferry insistait aussi sur la convergence des enseignements : « L’instituteur ne se substituera ni au prêtre ni au père de famille ; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque enfant un honnête homme »[9]. Puis le pape Léon XIII demanda aux catholiques français de rallier la République. Après avoir depuis 1884 souhaité la fin du conflit ouvert entre la République et l’Église de France, le 17 février 1892 est publiée une interview du souverain pontife dans Le Petit Journal, grand quotidien populaire, dont le propos ne saurait être plus clair : « Je suis d’avis que tous les citoyens doivent se réunir sur le terrain légal ; chacun peut garder ses préférences intimes ; mais dans le domaine de l’action il n’y a que le gouvernement que la France s’est donné. La République est une forme de gouvernement aussi légitime que les autres. »

Mais l’islam est né dans la confusion du politique, du religieux, du droit et du militaire et c’est pourquoi il ne peut pas réussir sa mue démocratique et peine à se confronter à la modernité, pourquoi aussi il ne peut être libéral qu’à titre utilitaire mais pas fondamentalement puisque Dieu y reste cause de tout. Les tentatives, comme celle de Kemal Atatürk, pour sortir l’islam de sa pensée totalisante et soumise ont dû se forger par la force et n’ont pas résisté longtemps aux mouvements islamistes qui ont repris partout de la vigueur depuis les années 1970. L’Islam est plus qu’une religion. Il a été fondé dans la soumission de la société au religieux. Mahomet incompris à La Mecque s’est enfui en 622 à Médine pour en devenir tout à la fois le chef religieux, politique et militaire. Il y a gouverné la Cité sous une loi unique, la sienne, supposément dictée chaque nuit par l’ange Gabriel. Bientôt les tribus juives furent pourchassées et fréquemment exterminées ou déportées. Puis l’extension de l’Islam fut entreprise par la conquête plus que par la persuasion. Le pillage et le partage du butin, instaurés en règle, incitaient à élargir toujours les conquêtes de l’État islamique permettant aux arabes de vivre des tributs payés par les vaincus et les populations non converties qui n’appartenaient donc pas à l’Oumma, la communauté des croyants.

L’Islam est donc autant une religion qu’une nation. L’Iran de Khomeyni s’est appelé République islamiqued’Iran en 1979 ; en 2014, le califat autoproclamé en Irak et en Syrie a pris le nom d’État islamique (Daech). L’Islam est un droit autant qu’une foi. Et il est un droit tatillon, exigeant, menaçant. Le Père Henri Boulad, jésuite égyptien, observe que l’islam est un tout, « il se veut à la fois religion, Etat et société […]. Dans l’islam se mêlent indissolublement le sacré et le profane, le spirituel et le temporel, le religieux et le civil, le public et le privé »[10]. Mais dès lors qu’il est un droit et que ce droit est dicté par Dieu, l’islam ne peut pas céder le pas à un droit civil. Il se trouve intrinsèquement, par son essence même, incapable de respecter l’état de droit d’une nation laïque. Il y a donc un conflit évident et obligatoire d’identité.

La République française a encore essayé de concilier son identité laïque avec l’islam par la loi Séparatisme du 24 août 2021 qui répond à des objectifs louables de paix publique qu’une Charte de l’Islam de France établie par le Conseil français du culte musulman – CFCM – début 2021 vient conforter. Mais les engagements contenus dans cette Charte sont surprenants tant ils sont contraires aux enseignements mêmes du Coran qui subordonne le temporel au religieux et qui confond la communauté des croyants et la communauté politique. Cette charte précise notamment « qu’aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens ». Elle affirme: « Ni nos convictions religieuses ni toute autre raison ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République ». Sauf que seulement cinq des huit fédérations du CFCM ont approuvé ce projet de Charte et certaines d’entre elles ont annoncé que ça n’était encore qu’un projet à perfectionner ! Les deux fédérations de l’islam turc (CCMTF et Milli Gorus) et Foi et pratique (proche du mouvement piétiste conservateur Tabligh) n’ont pas voulu s’engager à signer le document en l’état. Et le CFCM ne représentait déjà lui-même que moins de la moitié des 2 500 mosquées de France et seules 400 d’entre elles ont participé à l’élection des membres du CFCM. Depuis, le CFCM a volé en éclat, seules les associations opposées à la Charte étant restées au sein de cette fédération. Ce qui oblige le gouvernement à repenser la représentation de l’islam en France. Mais ces conflits soulignent surtout qu’en effet, l’islam ne peut pas signer des engagements de se soumettre au droit français en tous ses éléments sauf à se renier en bien des domaines.  On peut considérer ainsi que l’identité profonde de l’islam, ancrée dans un substrat religieux contraint et très juridique, dispose d’une identité en contradiction sur différents points majeurs avec l’identité de la France. La question de la compatibilité de ces deux identités est donc posée.  Et à dire vrai leur incompatibilité semble en l’état avérée. Il ne s’agit pas de dire que tous les musulmans sont des terroristes, mais qu’ils s’identifient par une affirmation forte de choix religieux (l’islam) et juridiques (la charia), et accessoirement de choix comportementaux, alimentaires, vestimentaires… qui en découlent et rendent difficiles leur intégration au sein de la communauté nationale. On peut même penser qu’ils sont suffisamment nombreux dans suffisamment de quartiers urbains importants pour considérer qu’ils n’ont pas besoin de s’intégrer, voire pour penser qu’à terme ce sont les autres qui devront s’assimiler à eux. Leur choix de plus en plus marqué de continuer à utiliser l’arabe pour s’exprimer entre eux plutôt que le français en est le témoignage.

Une nouvelle identité ?

Faudrait-il alors reconstruire une nouvelle identité ? Surement, notre identité nationale évoluera. A terme, sans doute, elle restera marquée par l’inclusion d’une forte présence musulmane. Mais aujourd’hui, le risque est celui que l’islam cherche, conformément à sa propre tradition, à dominer la société dans laquelle il s’insère. Ce qu’il pourra faire s’il y est suffisamment présent et fort de ses convictions.

En l’état, les Français conscients de tels débordements possibles sont interpellés sur des mesures qui limiteraient les flux migratoires. On peut en effet d’abord chercher à mieux connaître la situation en instaurant des statistiques ethniques, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Il est possible de fixer des quotas d’immigration par pays et par métier, en collaboration avec les branches professionnelles comme au Canada, en Australie, en Suisse et, depuis le 1er janvier 2021, au Royaume-Uni. Il peut être envisagé de supprimer l’Aide médicale d’État, ou a minima, la limiter aux seuls cas d’urgence et de contagion, comme nos voisins européens, de n’accorder de prestations sociales qu’après cinq ans de résidence en France, de durcir les conditions du regroupement familial et d’obtention de titre de séjour, de plafonner les allocations familiales versées aux étrangers, de supprimer le droit du sol pour l’acquisition de la nationalité française, de remettre en cause les facilités d’accès au territoire français des ressortissants de certains pays du Maghreb, de refuser  les ressortissants des pays à risque, d’exiger une très bonne compréhension de la langue française et la justification de revenus avant toute naturalisation, de limiter le nombre d’enfants d’origine étrangère dans les classes, de traiter rapidement les dossiers des immigrants irréguliers et les reconduites aux frontières et de mieux encadrer leurs recours… Il ne faut tolérer de la part des étrangers aucune violation délictuelle car comment les intégrer s’ils ne vivent pas en paix parmi nous. Il faut plus généralement mettre un terme à l’Etat-providence, véritable pompe aspirante de l’immigration.

Mais les solutions techniques ne seront rien si les Français eux-mêmes ne partagent plus une même identité et ne sont pas prêts à la défendre, à la protéger, à la promouvoir, à la partager. Dans un ouvrage courageux, la jeune journaliste Claire Koç[11] raconte ses difficultés à s’intégrer dans une France qui n’aime plus ni elle-même ni les étrangers. Arrivée très jeune en France avec ses parents turcs et alévis, elle dénonce sans haine les politiques françaises qui ont abandonné l’école à la médiocrité en la nivelant par le bas et qui achètent, mal, la paix sociale à coups de subventions et de politiques de discrimination dite « positive » qui en fait sont des aveux « d’incompétence et d’assistanat » consistant à accorder sur des critères de race ou de situation sociale des diplômes ou des emplois au rabais pour ne pas avoir été capable de délivrer une instruction publique qui élève tous ceux qui le méritent. Elle décrit comment la société française fait tout pour ancrer les étrangers dans leurs propres traditions plutôt que de leur proposer les nôtres. Les programmes de langue et de culture d’origine dans les écoles françaises, avec des professeurs d’origine étrangère, dissuadent les enfants de s’assimiler. Si notre pays, la France, « est en voie de partition,_… c’est moins à cause des immigrés que du fait de ces élites bien-pensantes qui dissuadent les filles et fils d’immigrés de deuxième, troisième ou dixième génération de s’intégrer ». Ce sont eux qui ont «_pris la pelle pour creuser le trou de l’identité française », par exemple le député Aurélien Taché qui a comparé sur un plateau de télévision une jeune fille de 12 ans portant le voile à une jeune fille à qui on mettrait un serre tête : « le Degré zéro de l’absurdité bien-pensante » dit-elle. Nous en sommes là sans doute parce que les Français eux-mêmes ne savent plus qui ils sont. Comment savoir qui on est quand on peut changer de genre, de nom ou de conjoint en un clic ? Les Français n’ont plus guère d’identité et la nation qu’ils forment n’en a donc plus non plus. Ce qui rend possible tout délitement social, toute rupture douce ou brutale, ce qui exacerbe les divisions à défaut de partager un récit commun, des références morales et historiques, des genres de vie, des aspirations… suffisamment proches pour pouvoir les réunir volontiers. Ils ont peu à peu vidé leur identité de son contenu. Nous ne savons plus faire partager notre culture et nos identités parce que nous ne les connaissons plus, parce que ne savons plus qui nous sommes. C’est aussi à nous de savoir convaincre ceux qui se réfugient chez nous de la valeur de notre civilisation.


[1] Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Félix Alcan, 1908, p. 128.

[2] De finibus, Livre II, chapitre XIV.

[3] Pensées pour moi-même, Livre X, 33.

[4] La France sous nos yeux, Seuil, 2021, p. 342.

[5] Immigration – Ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020.

[6] Ce grand dérangement, Gallimard, 2020.

[7] Ouvrage cité, p. 419.

[8] Ouvrage cité, p. 380.

[9] Cité par Lucien Jaume dans la revue Commentaire n°155.

[10] Christophe Geffroy et Annie Laurent, L’islam, un danger pour l’Europe ? Ed. La Nef, 2009, pp. 78-79.

[11] Claire, le prénom de la honte, Albin Michel, 2021.

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Journal des Libertés

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