Des événements tragiques qui ne devraient pas nous surprendre
Depuis que, le 24 février 2022, Vladimir Poutine a déclenché une guerre générale contre l’Ukraine, l’opinion européenne a compris que le régime russe bafouait tous les traités internationaux et n’acceptait pas que son voisin suive une voie démocratique, ni même qu’il ait une existence d’État indépendant. Or dès janvier 2015, l’opposant russe Boris Nemtsov avait préparé un rapport qui était la chronique annoncée de cette guerre (publié chez Actes Sud). Il eut à peine le temps de le terminer qu’il fut abattu par les balles d’un tueur professionnel sous les murs du Kremlin le 27 février 2015 ! Comme disait Felix Dzerjinski, le fondateur en 1917 de la Tcheka, maison-mère du KGB puis de son successeur le FSB – dont Poutine fut nommé directeur en 1998 – : « Le meilleur moyen de faire taire un homme est de lui mettre une balle dans la tête ». L’Europe est désormais confrontée à un conflit géopolitique touchant aux valeurs fondamentales de nos sociétés et nos dirigeants ont adopté des sanctions économiques de grande ampleur. Mais qui ne dispose pas de la force militaire n’est pas en situation de défendre ses valeurs.
C’est alors qu’une petite musique s’est fait entendre, tant chez des militaires que des diplomates, des journalistes et des universitaires qui, à mots couverts, excusent, voire justifient l’agression au nom de fumeuses théories géopolitiques datant du XIXe siècle – comme celle du Heartland ou celle opposée du Rimland. Ce discours relaie l’éditorial de l’agence russe RIA Novosti du 26 février 2022 qui annonçait – prématurément – la disparition de « l’Ukraine antirusse », « désormais rattachée au « monde russe, […] agissant comme une seule entité géopolitique ». Tous ces gens « oublient » que ce ne sont pas les territoires immobiles qui font l’histoire, mais la dynamique des peuples qui, depuis 1848 et le « printemps des peuples », revendiquent leur droit à disposer d’eux-mêmes, un droit réaffirmé solennellement en 1918 par le président américain Wilson. Et les Ukrainiens ont fait valoir ce droit en 1917, puis en 1991, et encore en 2014 place Maïdan à Kiev, et enfin en 2019 en élisant largement, et de manière démocratique, le président Volodymyr Zelenski. L’URSS avait d’ailleurs confirmé ce droit en imposant à l’ONU, de 1945 à 1991, une République socialiste soviétique d’Ukraine « indépendante ».
Aujourd’hui, cette petite musique prend son véritable sens quand l’ex-président russe Medvedev évoque une « Eurasie ouverte de Vladivostok à Lisbonne ». Et quand le très officiel Timofeï Sergueitsev exige une « dénazification » de l’Ukraine qui « sera inévitablement une désukrainisation » – dans sa démarche purement orwellienne, « nazi » signifie « démocrate » et exige l’extermination ou la « rééducation » de tous les Ukrainiens. Tout cela indique une logique génocidaire et rappelle la « dékoulakisation » lancée par Staline en 1929 avec un slogan fameux « Liquidons les koulaks en tant que classe » – une URSS purifiée de ses paysans libres – et le slogan hitlérien d’une Allemagne « judenrein » – purifiée des Juifs. Avec à la clef un double génocide : de race avec la Shoah et « de classe » en URSS – mêlant comme aujourd’hui en Ukraine, les dimensions culturelles, ethniques, sociologiques, religieuses et politiques.
Poutine reprend les ambitions et les méthodes de Staline
En réalité, « l’opération militaire spéciale » de Poutine ressemble fort à celle de Staline qui, en 1939-1940, se servit de l’enclume nazie pour frapper la Pologne, les États baltes et la Bessarabie roumaine. De même Poutine comptait sur la dépendance allemande au gaz russe pour empêcher toute réaction des Européens. Et, comme en 1939-1941, l’approche géopolitique en termes de zones d’influence et de glacis défensif n’est qu’un habillage idéologique pour masquer la volonté de reconstituer un empire russe, de renforcer une dictature et, last but not least, de piller les richesses agricoles et industrielles de l’Ukraine.
Parallèlement, certains analystes proposent de faire un « retour à l’histoire », mais évitent soigneusement de remonter au-delà de 1991. Or entre Ukraine et Russie les relations ont été marquées avant 1917 par l’oppression de l’empire tsariste – la « prison des peuples » –, puis par la terreur et le génocide infligés aux Ukrainiens par le régime de Lénine-Staline. Un génocide à la fois ethno-culturel contre les élites et « de classe » contre une paysannerie indépendante qui refusait la collectivisation et ne fut asservie qu’après la famine organisée contre elle par Staline en 1932-1933 – 4 à 5 millions de morts de faim –, qualifiée par les Ukrainiens de Holodomor. Rappelons que Rafael Lemkin, le grand juriste polonais, né à Lvov/Lviv, qui inventa en 1944 le terme de « génocide » et fut le promoteur de la Convention de l’ONU sur le génocide en 1948, caractérisait le Holodomor comme un génocide.
Vladimir Poutine lui-même ne remonte pas l’histoire au-delà de l’attaque du IIIe Reich le 22 juin 1941. Tout comme Medvedev qui proclame que le peuple ukrainien « n’est composé que de nazis zoologiques, d’assassins et de collaborateurs » et que « l’Ukraine s’est mentalement transformée en IIIe Reich ». Mais aucun des deux n’accepte, en tant que citoyen soviétique puis russe, de condamner officiellement l’effroyable alliance entre Hitler et Staline, qui donna le coup d’envoi de la Deuxième Guerre mondiale. Comment les Polonais, les Ukrainiens et les Baltes pourraient-ils oublier que le 23 août 1939 fut signé entre les deux dictateurs totalitaires un pacte qualifié par antiphrase de « non-agression » dont les protocoles secrets prévoyaient le partage de la Pologne et l’extension de la sphère d’influence soviétique ? Ni oublier qu’un traité d’ « amitié » entérina, le 28 septembre, la disparition pure et simple de l’État polonais, puis en juin 1940 celui des trois États baltes et de la Bessarabie, et leur annexion à l’URSS et leur communisation ? Tout comme Poutine envisage de supprimer l’État ukrainien indépendant et, à terme, d’obliger les Ukrainiens à rejoindre « l’unité de toutes les Russies », comme le proclame Kyrill, le patriarche orthodoxe de Moscou qui était dès les années 1970 un agent du KGB.
Et que dire du massacre de centaines de civils à Boutcha dont Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, déclare qu’il s’agit d’une « mise en scène ukrainienne » ? Déjà en 1942, Staline avait déclaré « les yeux dans les yeux » au général polonais Wladyslaw Sikorski – le chef du gouvernement polonais en exil à Londres – qu’il ignorait tout du sort de 15 000 officiers polonais disparus en 1939 … alors que par un ordre du Politburo du 5 mars 1940, il les avait fait exécuter d’une balle dans la tête, dont les 4 404 assassinés à Katyn. Quand en 1943 les nazis découvrirent le charnier et le filmèrent, Staline les accusa d’avoir monté une mise en scène et d’être responsables du massacre.
L’alliance entre Hitler et Staline entérinait une attaque frontale des régimes totalitaires contre les pays démocratiques et les droits de l’homme. Or si l’attaque de Poutine ambitionnait à court terme de s’emparer de l’Ukraine, elle vise en réalité toute l’Europe, ses valeurs et ses principes. Que de chemin parcouru à reculons, depuis 1991, par la Russie où Poutine réinstaure un totalitarisme de basse intensité qui ressemble de plus en plus au régime soviétique des années 1970, ! Nul doute qu’Andreï Sakharov, Vladimir Boukovski, Alexandre Soljenitsyne et Jean-Paul II – ces hommes qui combattirent pied à pied le totalitarisme soviétique et furent l’honneur de la Russie, de la Pologne et de l’Europe au XXe siècle – seraient à la fois bouleversés et furieux, et secoueraient un peu plus rudement les consciences occidentales.
Le rôle providentiel de Gorbatchev
Ils avaient bénéficié dans leur combat du soutien plus ou moins volontaire d’un homme, Mikhaïl Gorbatchev. C’est par défaut que Gorbatchev fut coopté, le 11 mars 1985, par le Politburo aux fonctions de secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique – et en même temps chef de l’État et chef des armées. Brejnev était mort en 1982, son successeur Andropov en 1984 et le suivant, Tchernenko, en 1985. Et les autres membres du Politburo étaient aussi des vieillards datant de l’époque stalinienne. La présence de Gorbatchev au Politburo suffit à démontrer son profil de parfait apparatchik soviétique de très haut niveau, totalement conforme aux critères de sélection du régime – la loyauté absolue au Parti et à l’idéologie marxiste-léniniste. D’ailleurs, les mentors de sa carrière étaient les communistes orthodoxes les plus fanatiques du Politburo : Mikhaïl Souslov, l’idéologue en chef, déjà sous Staline et jusqu’à sa mort en 1982 ; et Iouri Andropov, chef du KGB de 1967 à 1982. Ses origines paysannes – avec un grand-père envoyé au Goulag et un père directeur de kolkhoze arrêté, torturé puis relâché en1938 – et sa formation de technicien agricole semblaient seulement indiquer une certaine compétence à s’occuper de l’agriculture soviétique qui, depuis la collectivisation forcée de 1929-1930, était ruinée et ne parvenait pas à nourrir la population.
Lorsqu’il accéda au pouvoir suprême, Gorbatchev était encore totalement imbibé de la propagande mensongère qui présidait au fonctionnement du régime depuis ses débuts. Il ignorait encore tout d’informations décisives réservées au secrétaire général du Parti, avant qu’il ne prenne conscience de l’état désastreux de l’URSS, après les années de « stagnation » de l’ère Brejnev et en raison d’une course aux armements avec les États-Unis qui ruinait le pays. Très marqué par la terreur stalinienne et conscient de la nature terroriste du régime, Gorbatchev reçut dès sa prise de pouvoir les dirigeants des « partis-frères » d’Europe centrale et orientale et les avertit qu’il ne faudrait plus compter sur les chars soviétiques pour se maintenir au pouvoir. En totale contradiction avec son prédécesseur Andropov qui, ambassadeur soviétique à Budapest en 1956, avait été le grand organisateur de l’écrasement de la révolution anticommuniste.
Parallèlement il engagea un dialogue avec les États-Unis, pour un désarmement réciproque, en particulier nucléaire. Plus ou moins conscient que l’URSS avait perdu la Guerre froide, il imaginait pouvoir réformer le système soviétique en le mettant sur la voie de la démocratisation – avec la glasnost, la « transparence », qui souleva un peu le couvercle de la censure dans tous les domaines – et de la production – avec la perestroïka qui instilla une goutte d’économie de marché dans une économie entièrement étatisée, dite « administrée ». Mais le système totalitaire de basse intensité qui était en place – avec un Parti communiste (PCUS) de 20 millions de membres et un KGB de 700 000 salariés – n’était pas réformable. Il fonctionnait selon un logiciel qui reposait sur des monopoles intangibles – politique, idéologique, des moyens de production et de distribution des biens matériels –, ainsi que sur la terreur de masse et son souvenir rappelé régulièrement. Ce type de logiciel ne supporte aucune modification et la moindre velléité de le modifier suffit à le faire sauter. Ce qui se produisit dès 1988-1989.
En manipulant le logiciel, Gorbatchev a voulu marier l’eau et le feu et a fait entrer en confrontation violente le monopole politique du PCUS face à desélections en partie libres, le monopole idéologique face à la liberté d’expression et de création, le monopole de l’économie étatisée et planifiée face à laliberté d’entreprise et de commerce, le contrôle et la vassalisation de nombreux pays face à l’aspiration des peuples à disposer d’eux-mêmes et à retrouver leur identité nationale écrasée par « l’internationalisme prolétarien », la « dictature du prolétariat » et la terreur utilisée comme moyen de gouvernement face au respect de la personne humaine. Ce fut la grande illusion de Gorbatchev de croire que ce système était réformable.
C’est d’ailleurs ce qui provoqua sa perte politique quand il décida d’instiller une goutte de démocratie électorale dans le système politique. Or, depuis Lénine, chaque élection en URSS – puis dans tous les régimes communistes – était régie par le principe : « un mandat à pourvoir, un seul candidat désigné par le Parti ». En 1988, Gorbatchev décida, pour la première fois, d’autoriser des candidatures multiples pour désigner les délégués à la XIXe Conférence du PCUS, ce qui lui permit de se débarrasser – au nom de la « démocratie socialiste » – d’une partie de la vieille nomenklatura qui bloquait ses initiatives. Cela signifia semi-liberté de candidatures, différents programmes électoraux, des débats inédits et un choix pour les électeurs membres du Parti. Or tout ce processus se déroulait au sein du Parti et restait largement contrôlé.
Devant le succès de son opération, et désireux d’accéder comme ses collègues occidentaux au statut de « président » de l’URSS – alors qu’il n’était « que » secrétaire général du Parti –, Gorbatchev voulut, en 1989, étendre le processus à l’élection générale d’un Congrès des députés du peuple, sorte de parlement, et c’est là qu’il perdit le contrôle : Andreï Sakharov remit d’emblée en cause le monopole du parti unique, les Baltes revinrent avec force sur l’alliance Hitler-Staline de 1939-1941, Boris Eltsine joua à fond la carte de la Fédération de Russie contre l’Union soviétique et les chefs des républiques « socialistes » désirèrent devenir les présidents de leur pays.
Le putsch raté des « conservateurs » en août 1991 fit le reste et provoqua un effondrement spectaculaire et ultra-rapide de l’URSS, puis de tout le système communiste dont l’URSS était la matrice et le moteur depuis 1917 – avec le sous-système des partis formé de l’Internationale communiste puis de près de 90 partis communistes dans le monde, celui des partis-États qui formaient le « camp socialiste » (démocraties populaires, Chine, Vietnam etc.), et celui des alliances (cristallisé autour des thèmes de la défense de la classe ouvrière, de la paix et de la décolonisation).
La prise de pouvoir du KGB
La rapidité de cet effondrement stupéfia le monde … et Gorbatchev lui-même. En réalité, le système créé par Lénine en 1917 était non viable depuis le début, puisqu’il reposait fondamentalement sur les mensonges de « l’avenir radieux » communiste – une immense tragédie humaine –, du merveilleux « Plan quinquennal » – un désastre économique et écologique – et de « l’internationalisme prolétarien » – l’oppression et l’asservissement de dizaines de peuples –, et surtout sur la terreur incarnée par les sigles Tcheka-GPU-NKVD-KGB – avec des millions de morts à la clef. Dès que Gorbatchev signifia que la terreur ne serait plus appliquée – en libérant Sakharov, en n’intervenant pas directement contre Solidarnosc et les premières élections totalement libres en Pologne en 1989, ni ensuite contre la chute du Mur –, toutes ses illusions, bien intentionnées, sur la réforme de l’URSS s’effondrèrent comme un château de carte, laissant la Russie à la merci d’une bande de kagébistes mafieux conduite depuis près d’un quart de siècle par Vladimir Poutine.
La mort de Gorbatchev a suscité une quantité d’hommages dans le monde entier – à l’exception de la Russie où ne fut même pas décrété un deuil national, Poutine se faisant remarquer par son absence aux obsèques. Ces louanges sont incontestablement justifiées car, Volens Nolens, Gorbatchev fut un acteur majeur de la fin de la Guerre froide, d’une certaine libéralisation démocratique et économique de l’URSS, puis de la chute du Mur de Berlin qui a permis aux pays d’Europe centrale et orientale de s’engager dans la voie de la démocratie, de l’État de droit et de l’économie de marché. Enfin, il a présidé, impuissant, à l’implosion de l’URSS, ce qui a mis fin au premier régime totalitaire de l’Histoire, fondé par Lénine, porté par Staline au statut de super-puissance et qui était au centre du vaste et puissant système communiste mondial. Mais dans tous ces domaines, il n’a fait qu’accompagner la défaite totale de l’URSS dans la Guerre froide et l’échec radical du système inauguré le 7 novembre 1917.
Pourtant, dès 1994-1995, une fraction dure du KGB décida de reprendre le contrôle du pouvoir et chargea Vladimir Poutine de ce travail d’infiltration de ses hommes dans tous les rouages de la nouvelle administration. Un plan couronné de succès en 2000 avec l’élection de Poutine à la présidence qui inaugura un double processus de reconstitution de la puissance soviétique, sur le modèle impérial tsaristo-bolchevique de re-création d’une zone d’influence englobant le « monde russe » – tous les territoires où l’on parle russe ! –, et sur le modèle dictatorial à la fois autocratique et du parti unique – en créant un récit national pseudo-historique centré autour de la victoire de 1945 sur le nazisme, tout niant de manière forcenée l’alliance de l’URSS et du IIIe Reich entre août 1939 et juin 1941, alliance qui, à partir de juin 1940, et jusqu’en 1945, définit un immense espace allant de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique d’où toute pensée et pratique démocratique et tout respect de la personne humaine avaient disparu.
L’absence regrettable de tout procès contre les crimes perpétués par l’URSS
Cet état de fait, qui a abouti aujourd’hui à l’agression de l’Ukraine et à ses innombrables tragédies, n’a été possible que parce que les crimes immenses du régime soviétique n’ont jamais été condamnés officiellement par des instances russes. En effet, l’URSS, qui avait pourtant fait subir durant des décennies à sa population – et en particulier à une quinzaine de peuples indépendants – et à huit pays d’Europe centrale et orientale, des crimes abominables – crimes de guerre, crimes contre l’humanité et même crimes de génocide –, sortit de sa défaite de la Guerre froide « la tête haute ».
Les principales structures criminelles – le Parti communiste, le KGB, l’Armée rouge – ne furent nullement inquiétées ou furent reconverties sous d’autres appellations. Et surtout l’ensemble du personnel dirigeant, y compris le plus compromis, réussit à laisser passer l’orage et à se réorganiser afin de s’emparer à nouveau du pouvoir, autour d’un noyau dur du KGB, de l’armée et de la jeune garde du Parti. C’est ce noyau, source du mensonge et de la violence, que l’Occident a, par insouciance et naïveté, laissé prospérer depuis 1992 et surtout 2000 sous la férule de Vladimir Poutine qui laisse croire aux Russes que s’ils ont perdu la Guerre froide, ce fut en raison du « coup de poignard dans le dos » de la « cinquième colonne » de Gorbatchev, et que la Russie demeure la grande puissance mondiale de l’avenir face à un Occident décadent et lâche.
L’ex-URSS, redevenue Russie, a, de ce point de vue, connu un sort très différent de l’Allemagne nazie. Et le 9 décembre 1942, le célèbre écrivain allemand Thomas Mann, qui parlait à la BBC depuis octobre 1940, prononça en direction de ses compatriotes un discours révélateur intitulé « Ce que le monde souhaite, c’est terminer la guerre militairement, radicalement et à jamais » :
« Le fait que les hommes d’État russes, anglais et américains s’abstiennent de s’adresser directement à vous, Allemands, signifie qu’on ne souhaite, d’aucune façon, une capitulation prématurée qui laisserait plus ou moins intacte la machine de guerre allemande, une capitulation signée avec des arrière-pensées, qui pourrait servir des desseins trompeurs et qui ne serait offerte que pour obtenir une trêve, fût-elle de quelques dizaines d’années : ce qu’on souhaite, c’est terminer la guerre militairement, nettement, radicalement et à jamais. Aucun bluff, tel que le coup de poignard dans le dos, aucune illusion nationaliste telle qu’on s’en donne à soi-même, en disant : “Nous n’avons pas été vaincus sur le champ de bataille”, ne doit plus être possible. La seule expérience qui puisse amener l’Allemagne à la raison, l’expérience de la défaite catastrophique, indéniable et tangible, l’expérience de l’occupation et de l’interdiction temporaire du pays de toutes les dispositions prises pour rendre, en permanence, toute agression impossible, cette expérience ne saurait vous être épargnée, à vous Allemands, et elle ne le sera pas. Ce sera une dure expérience. »
Cette expérience, les Allemands la connurent à partir de 1945 : un pays n’ayant plus d’existence étatique, plus de capitale, partagé entre quatre zones d’occupation, stigmatisé par les procédures de dénazification et les procès des principaux dirigeants nazis – en particulier l’emblématique procès de Nuremberg –, vivant durant des années dans une misère générale, avec une zone d’occupation soviétique marquée par des centaines de milliers de viols et par le pillage général de toutes les ressources.
Les Russes, eux, échappèrent à la punition de puissances extérieures, mais ils laissèrent une bande d’hommes du KGB, associée au grand banditisme, s’emparer des richesses du pays, contrôler le pouvoir et reprendre une expansion impérialiste tout en ne respectant aucune règle du droit international.
A la tête de cette bande, Vladimir Poutine à qui, avec une dizaine de spécialistes, je consacre début novembre un Livre noir de Vladimir Poutine (Perrin/Robert Laffont) qui, nous l’espérons, permettra aux Français de mieux comprendre à quelles menaces ils sont confrontés.