La création de PSE mérite quelques réflexions sur l’art de nos collègues “ingénieurs économistes” de capter les rentes et privilèges étatiques. L’objet initial était de créer un centre de recherche et d’enseignement d’excellence de premier plan international en économie pour accroître la visibilité et la réputation internationale de leurs membres.  Les « ingénieurs économistes » français pensaient de la sorte regagner un prestige émoussé[1], la PSE devait le leur permettre. Elle serait l’équivalent de la fameuse London School of Economics (LSE). Mais à quel prix ?

Ingénieurs : ils sont issus des Grandes écoles (Polytechnique, Mines, Ponts, Normale sup), ou appartenaient à des centres de recherches publics indépendants des universités. Ainsi, les partenaires fondateurs ont été l’école des Ponts et Chaussées (EPC), l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), le centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’institut national de la recherche agronomique (INRA), l’école normale supérieure de la rue d’Ulm (ENS) et, in extremis, l’université de Paris 1 grâce à notre collègue Pierre-Yves Hénin ex-directeur du Centre pour la recherche économique et ses applications  (CEPREMAP) et Président de l’Université Paris Panthéon-Sorbonne entre 2004 et 2009 qui a réussi à négocier la participation de l’université de Paris 1 au pôle de PSE. A ces membres fondateurs, on peut ajouter des franchisés : le Centre Maurice Halbwachs (sociologie) et le Centre d’histoire économique et sociale François Simiand qui a rejoint cette fédération de centres de recherche et d’enseignement et des créations internes, l’Institut des politiques publiques (IPP), Le Laboratoire d’Economie Expérimentale de Paris de l’Université de Paris 1 (LEEP), et les conglomérats de centres de recherche internationaux auxquels PSE est associé comme J-PAL Europe – Laboratoire  d’action contre la pauvreté – ou le World Inequality Lab – une base de données sur les inégalités.

Mais la PSE a été créée et fonctionne dans un total désordre institutionnel engendré par une initiative politique arbitraire, une organisation administrative incontrôlée, un financement déséquilibré et des orientations scientifiques et pédagogiques discutables.

 

  1. Un désordre institutionnel

Le premier désordre est celui du transfert de la réputation (internationale) des membres de chaque centre de recherche ou d’enseignement pris séparément vers la réputation de PSE. Quand l’école des Ponts et Chaussées – ou l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne – investit[2] dans la matière grise de ses enseignants chercheurs et que ceux-ci vont utiliser le label PSE dans leurs publications, la réputation internationale se déplace de l’Ecole des Ponts – ou de l’université Paris 1 – vers PSE. En fait, la PSE siphonne, sans droit de propriété[3], la réputation acquise par les enseignants chercheurs des centres de recherche et d’enseignement partenaires de la fondation.

Le deuxième désordre est lié à la rémunération des membres affiliés ou associés à PSE. Pour attirer ces enseignants chercheurs, d’une part il faut leur donner des moyens financiers supplémentaires pour développer leurs réseaux au niveau international afin d’augmenter leurs publications dans des revues dites de haut niveau ; d’autre part il faut leur offrir une rémunération suffisante pour les conserver dans le giron de PSE. Comme les membres de cette petite élite bénéficient déjà du statut de fonctionnaire, les règles du cumul des rémunérations et des fonctions s’imposent : comment les respecter et simultanément atteindre les revenus des standards internationaux de rémunération ?

Le troisième désordre institutionnel est lié directement aux motivations initiales des fondateurs d’acquérir une réputation internationale en grimpant dans les classements internationaux des universités et centres de recherche au niveau mondial. L’idée de base était simplement d’additionner les publications des centres de recherche et d’enseignement pour grimper dans les standards de réputation internationale en exploitant la façon dont ces « classements » sont construits. Cette opération n’ajoute rien à la production d’idées scientifiques (nombre de publications par exemple) en économie puisque ces idées sont déjà produites séparément dans chaque centre de recherche membre de la fédération des institutions fondatrices. PSE n’a pas encore démontré que ce regroupement d‘établissements accroît la production de recherches de qualité. Elle a de manière factice combiné les publications des membres de chaque centre de recherche partenaire sous un seul label.

La dernière distorsion que nous pouvons signaler est celle qui fait le plus peur aux chefs d’entreprises. Le sentiment général des chefs d’entreprises est résumé par Nicolas Chanut d’Exane dans une conférence réunissant chefs d’entreprises et universitaires : il est compliqué, explique-t-il, de contracter et d’établir des liens de confiance avec le monde de la recherche parce que les droits de propriété de ces institutions (y compris les fondations) sont mal définis et l’irresponsabilité institutionnelle y est la règle. Il aurait été plus simple de supprimer le monopole des grades des universités publiques (doctorat) offrant ainsi la possibilité aux grandes écoles et à des universités privées d’émerger et de se développer en situation de concurrence pour accroître la production, la diversification et la distribution des idées scientifiques en économie. PSE, comme le précisait en 2014 le journaliste Daniel Bastien dans les Echos, reste : « une institution atypique et singulière, fortement nourrie des écoles prestigieuses qu’elle fédère ». Ce diagnostic est toujours pertinent en 2019.

 

  1. Une genèse politique

Le principal artisan de la création de PSE, avec Daniel Cohen[4], a été Thomas Piketty (Normale Sup.) dont les affinités politiques marquées à gauche sont de notoriété publique, ce qui a entaché la crédibilité scientifique et qui a conduit fin 2010 début 2011 deux bailleurs de fonds privés, Henri de Castries patron d’AXA et Nicolas Chanut, patron d’Exane, à renoncer à leurs mandats de membre du conseil d’administration de PSE tant que Piketty serait à la tête de PSE. François Bourguignon, au demeurant un chercheur d’une grande qualité intellectuelle et morale, statisticien économiste de l’ENSAE, jugé moins marqué politiquement, lui a succédé. En 2013, Pierre-Yves Geoffard (membre du Cercle des économistes) lui aussi normalien, a pris sa relève. L’actuel directeur, Jean Olivier Hairault, ancien conseiller économique de Pierre Moscovici, est un universitaire pur, issu de Paris I.

Daniel Cohen, Thomas Piketty et Roger Guesnerie, les initiateurs du projet, ont réussi à convaincre le pouvoir politique de centre droit (le Premier Ministre était alors Dominique de Villepin) de créer cette institution en décembre 2006 et de la financer. Comment le Premier Ministre a-t-il pu être convaincu ? Vraisemblablement par le truchement du chef de cabinet de Matignon, un préfet dénommé Pierre Mongin (ENA promotion Voltaire, comme Villepin), dont le beau-frère n’était autre que Jean Michel Charpin, ancien commissaire au plan, socialiste notoire, ancien directeur de cabinet du ministre Jean Le Garrec (PS) qui a occupé divers postes au sein des gouvernements Mauroy et Fabius, membre du Conseil d’analyse économique (comme Piketty). Il a également été évoqué que Bruno Le Maire, ami de Piketty, normalien comme lui, aurait décroché la dotation de 20 millions d’euros pour PSE auprès du Premier Ministre avec sans doute des arrières pensés à l’encontre de Nicolas Sarkozy, rival de Dominique de Villepin, pour les présidentielles de 2007[5]. Toujours est-il que Dominique de Villepin a tenu des propos sans ambiguïté lors de la conférence d’ouverture du 29 septembre 2006 :

« Je vous confirme la création en 2006 sous le statut de campus de recherche, de l’École d’économie de Paris […] sous la conduite de Thomas Piketty […] Cette école sera installée sur le site du pôle d’économie de Jourdan et bénéficiera d’une première dotation de 10 millions d’euros. En rassemblant ces compétences, la France pourra disposer d’une École d’économie qui se situera d’emblée au premier rang européen. »

 

  1. Une administration incontrôlée

Il n’y a aucune gouvernance réelle de la PSE, administrée suivant les seuls choix d’un Conseil d’Administration composé à dessein. Sur les 17 membres de ce Conseil, 6 représentent les établissements fondateurs (Directeur de l’École des Ponts, Paris Tech, Président de EHESS ; Président de l’Université Paris 1, Directeur de l’ENS, et de l’Institut SHS, CNRS) ; 3 représentants des partenaires scientifiques (GENES, INED, IRD), 2 membres des partenaires privés (AFPSE et AXA) ; 3 personnes qualifiées (Banque centrale européenne, Ministère des finances, Président de PSE) et 2 membres du personnel enseignants de PSE (1 Paris et 1 PSE). Le décompte est vite fait, la majorité est dans les mains des Établissements fondateurs (6) et des partenaires scientifiques (3) et/ou de l’ENS-PSE (3 membres).

Mais, sans doute comme dans beaucoup de conseil d’administration, celui-ci devient vite une chambre d’enregistrement. Les décisions scientifiques réelles sont dans les mains de ceux qui font vivre PSE  au travers des comités d’orientation, de pilotage et la direction exécutive. Celle-ci à l’heure actuelle est formée du directeur, Jean-Olivier Hairault (depuis janvier 2019), de la secrétaire générale, Marie Philipon (pilier de l’administration depuis le début de la création de PSE) et du directeur de la recherche, Jean-Marc Tallon qui est aussi directeur du PjSE (Paris).

Il existe bien un Conseil scientifique, présidé depuis plusieurs années par Pierre-André Chiappori, normalien, Professeur à l’université de Columbia à New York. Ce Conseil est composé uniquement de professeurs extérieurs qui donnent un avis (une réunion annuelle). Mais ces Conseillers, étrangers, ne portent aucune responsabilité dans les carrières et la rémunération des enseignants-chercheurs. Ils sont choisis pour cautionner l’image de marque de réputation internationale (avec 3 Prix Nobel : MacFadden, Mirrlees[6] et Hart) et entretenir l’image d’une neutralité « scientifique » de l’école et de sa gouvernance.

Enfin, il existe aussi un Comité d’orientation, organe consultatif sur toutes les questions scientifiques et académiques qui rassemble toutes les composantes de PSE. Cette « assemblée générale », comme toutes les assemblées générales, est dans les mains de la direction exécutive et de ceux qui prennent la parole et sont capables d’impressionner les collègues. En cela PSE ne diffère pas du fonctionnement d’un département d’économie ordinaire.

 

  1. Un financement déséquilibré

Déséquilibré dans sa structure, puisqu’il est essentiellement public, mais aussi dans ses résultats.

L’école repose sur une dotation composée essentiellement de fonds publics d’un montant total de 20 millions d’euros non consommables[7] et investis en produits financiers qui rapportent un revenu annuel moyen de 1 million d’euros par an. À cela s’ajoutent 4 millions d’euros de la part des quelques malheureux partenaires privés : American Foundation for the Paris School of Economics[8], AXA[9], Boussard et Gavaudan Gestion[10] , Exane[11], Air France, Total, Banque de France Euro system, Comité Colbert (industrie du Luxe), la compagnie Ecrehous (dont le dirigeant est aussi Emmanuel Boussard) et le réassureur SCOR, dont on se demande bien comment ses bailleurs de fonds privés se sont laissés embarquer dans une telle opération de prestige sinon par des amitiés de réseaux (comme Emmanuel Boussard un ancien de Normalien ou encore Henri de Castries camarade de promotion de Dominique de Villepin à l’ENA ou encore le PDG de SCOR Denis Kessler, proche de Dominique Strauss-Khan).

Aux sommes d’origine publique, il faut ajouter 49 millions d’euros, au titre de la restructuration et de l’extension du campus Paris Jourdan construit en 1940, somme payée par la région île de France pour un montant de 31 millions d’euros, par l’Etat pour un montant de 14,5 millions et le reste, 3,5 millions d’euros, par le Département de Paris. Le Président Huchon[12] a signé le projet de convention de cofinancement et la politique de subventions destinées à cette institution a été continuée par la droite sous la présidence de Valérie Pécresse. Comble de l’ironie, les bureaux des associés à PSE en provenance de Paris 1, sont loués à l’Université de Paris 1 au profit de PSE et non de la région qui a financé la réhabilitation. PSE est en effet régulièrement en déficit depuis sa création, déficit absorbé par le revenu des intérêts du capital de la fondation à la hauteur de 1 million d’euros. Notons que l’apport des fonds privés à PSE est ridiculement bas si on le compare avec celui de la Toulouse School of Economics, aujourd’hui présidée par le Prix Nobel Jean Tirole[13].

En 2015-2016, les recettes de PSE avoisinaient 8,4 millions d’euros en provenance des partenariats scientifiques, des contrats de recherche et des subventions étatiques en particulier de la région île de France. Les dépenses se sont montées à 9,4 millions d’euros soit un déficit de 1 million d’euros comblé par les recettes des produits financiers. Ce mode de gestion perdure depuis la création de cette institution. Ces frais sont sous-estimés au sens où les personnels sont payés par les établissements d’origine qui se sont regroupés, PSE se contentant d’ajouter un supplément de rémunération[14] à ceux qui participent au fonctionnement de cette institution : enseignants-chercheurs et étudiants (sous forme de bourses).

Le tableau 1 ci-dessous illustre notre argument. Les résultats financiers présentés dans les rapports d’activité sont succincts avec des variations dans la présentation, mais les lignes 8 et 9 montrent clairement la faiblesse intrinsèque de l’institution, c’est la gestion du portefeuille de la dotation initiale qui maintient à flot PSE. Deux épées de Damoclès pèsent sur cette École : une crise financière sévère et la suppression de la dotation non consomptible par le fait du Prince.

L’ambition d’être « conseillère du Prince » et guide de l’action politique fondée sur une méthodologie « scientiste » est affichée clairement par PSE. La plupart des contrats et des partenariats, et donc du financement, viennent d’organismes publics nationaux, internationaux ou de chaires d’organismes publics. On y trouve : Banque de France-euro system, Hospinnomics (financé par les Hôpitaux de Paris sous l’impulsion de Martin Hirsch), la chaire Travail (financée par la Mairie de Paris, Pôle Emploi, l’Unédic et deux directions du Ministère du travail : la DARES, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, et la DGEFP, Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle), la chaire Economie de la dépendance des personnes (financée par la banque postale, MuRé, Mutex et la fondation Medric). Ajoutons à cela que deux projets financés par la politique d’investissement dans la recherche publique (Labex OSE et Equipex) de l’Etat ont apporté des ressources supplémentaires sur dix ans de 14,5 millions d’euros soit 1,4 million d’euros par an et ont permis de créer l’IPP et le LEED. Les partenaires scientifiques : tels GENE (INSEE, CREST etc.) l’Instituts Quételet, Louis Bachelet, IODS INSEAD ; CEPII, CEPREMAP ou J-PAL, concourent plus modestement au financement. Tous ces partenaires sont des établissements publics. La région de l’Île de France et l’État central complètent ce tableau en versant des subventions.

 

Tableau 1. Évolution des résultats d’exploitation de PSE de 2008 à 2018 (en milliers d’euros)

Direction : Mandat 5 ans Bourguignon Geoffard Hairault
2008-2009 2009-10 2010-11 2011-12 2012-13 2013-14 2014-15 2015-16 2016-17 2017-18
1- Dotation non consomptible 20739 18840 19215 20280 20280 20280 20215 20215 20215 20215
2 – Dotation consomptible 3460 3460 3460 3460 3460 3785 3720 3720 3720 3720
3 – Dotation consommée 1765 1386 695 2565 NC 1435,8 1301,4 1058,1 1033 1020,5
4 – Apport d’actifs sans droit de reprise NC 315 305 NC NC 305 305 305 305 305
5 – Total Fonds propres 22434 21229 22285 21175 22934,2 22938,6 23181,9 23207 23219,5
6 – Recettes 2 404 4602 5351 5860 5942 7319 8303 8439 8625 10825
7 – Dépenses 4 677 5900 6810 7251 7152 8058 9279 9470 9564 11515
8 – Résultat d’exploitation -2 273 -1298 -1459 -1391 -1210 -739 -976 -1031 -939 -690
9 – Résultat financier 1317 1989 1257 998 860 902 1310 1278 894 599
10 – Résultat exceptionnel 955 -18 4 -2 -200 -4 70 103
11 – Excédent ou perte 0 691 -202 -411 -346 161 134 243 25 12

Sources : Rapports d’activité de 2008 à 2018.

 

Dix ans après sa création, l’apport des entreprises privées est toujours minime dans le financement du budget de cette institution en dépit des efforts faits ou prévus pour augmenter la présence de partenaires autres que l’État français. Ainsi 10 projets de partenariat sont en cours de prospection dont les thèmes sont liés à la recherche appliquée.

Ces projets sont disparates et révèlent l’hétérogénéité des chercheurs et de leurs réseaux personnels. Ils ne participent pas d’un paradigme scientifique ayant pour but de développer la science économique dans ses fondamentaux.

 

  1. Des résultats pédagogiques modestes autour d’une politique scientifique discutable

Qui enseigne-t-on, et sur quels sujets ? PSE compte 220 étudiants en Master dont 58% d’étrangers pour 4 Masters et 140 enseignants chercheurs. Ce qui est peu comparé, à titre d’illustration, à l’Université de Paris Dauphine qui compte 307 doctorants, 585 enseignants chercheurs, 22 maitrises et 4514 étudiants dans cette filière. PSE n’a pas la dimension de Sciences po ni de Dauphine. Elle n’est pas adossée à une institution plus importante comme Harvard ou le MIT où on trouve toutes les disciplines rappelle Francis Kramarz, professeur à Polytechnique et directeur du CREST (Centre de recherche en économie et statistique)[15].

La formation dispensée à PSE est centrée sur 4 Masters : analyse et politiques économiques, politique publique et développement, analyse coûts bénéfices des décisions économiques, économie et psychologie. De fait, des pans entiers de cette discipline sont absents de la formation des futurs doctorants. Le programme de master APE propose une formation généraliste à la recherche en économie théorique et appliquée. Il n’y a pas beaucoup d’originalité dans le cursus de ces masters. En revanche, il y a un manque saisissant.

La seule originalité est celle de l’analyse des décisions économiques par le prisme de la psychologie (ou des sciences cognitives neurologie incluse). C’est le seul programme de recherche qui le distingue des autres départements d’économie. En soi cette incursion d’une branche de la psychologie appliquée au comportement « rationnel » cher aux ingénieurs économistes n’est pas un point négatif. Les économistes sont réputés pour avoir appliqué leur paradigme fondé sur la rationalité des comportements individuels à la politique, à la sociologie, au droit etc. en agaçant les autres chercheurs en sciences sociales par leur impérialisme. On assisterait au pire à une tentative de destruction des hypothèses au fondement de la théorie économique au mieux à une fertilisation croisée entre les deux disciplines.

Cependant, la stratégie consistant à investir dans l’analyse béhavioriste ou comportementale est risquée car, paradoxalement, ce programme va à l’encontre de plus d’un siècle d’efforts de la part des économistes pour construire leur discipline en s’émancipant de la psychologie.  Il y a, sans doute, de la part de nos aînés, des raisons pour cela. L’expérience, dans notre discipline, de ces phénomènes d’engouement pour l’application des méthodes de la physique à la finance ou des sciences expérimentales comme la médecine[16] à la réfutation des théories ou de la psychologie aux comportements des acteurs économiques sont souvent des voies mortes parce qu’elles se trompent sur les questions fondamentales que se posent les économistes. Par exemple, le comportement rationnel n’a jamais été une prémisse de la théorie économique, même si on le présente souvent comme tel, « La thèse fondamentale de la théorie est au contraire que la concurrence est ce qui oblige les gens à agir rationnellement pour pouvoir subsister » [Friedrich Von Hayek (1979)][17].

Le manque saisissant est l’absence totale de cours sur la théorie des choix publics et de la bureaucratie alors que la recherche à PSE est largement centrée sur l’évaluation des politiques publiques.  Cette réticence s’explique de diverses manières. Avinash Dixit (1996)[18] propose trois raisons pour rendre compte de cette anomalie.

La première est que les enseignants chercheurs de PSE, en tant que conseillers du Prince, travaillent pour l’Etat et les administrations qui mettent en œuvre des politiques publiques interventionnistes. Or, la théorie des choix publics démontre non seulement l‘inanité de ces interventions mais dévoile également que les groupes d’intérêt sont bien souvent derrière elles, les hommes politiques étant fréquemment les premiers, voire les seuls, bénéficiaires. Être conseiller du Prince soulève ainsi des problèmes éthiques non négligeables, puisqu’une analyse positive de l’État conduirait bien souvent à conseiller aux Princes qui nous gouvernent de s’abstenir de toute intervention dans l’économie comme dans le social. Chose qui serait incompatible avec la stratégie de financement ainsi que l’idéologie pro étatique dominante dans l’école.

La deuxième raison proposée par Avinash Dixit réside dans le fait que les théories du choix public sont en général peu formalisées. Or les enseignants chercheurs de PSE, qui ont pour beaucoup des formations d’ingénieurs, sont dans l’incapacité de concevoir le « correctement scientifique » en dehors d’une formalisation mathématique au prétexte que la formalisation verbale cache des hypothèses implicites. Un mauvais argument, au demeurant, tant la formalisation mathématique est pleine d’hypothèses implicites difficiles à détecter pour quiconque n’a pas reçu un bagage mathématique de haut niveau (par exemple en postulant sans justification des fonctions d’utilité quasi linéaires, ce qui élimine l’effet revenu des variations de prix et permet d’obtenir des résultats moins ambiguës mais incorrects du point de vue de l’analyse économique).

La troisième raison porte sur l’aspect règles du jeu économique par opposition aux résultats du jeu lui-même. La théorie des choix publics, issue des travaux de James Buchanan et Gordon Tullock (1965)[19], déplace en effet la question fondamentale de l’économie politique sur les raisons des règles de l’interaction sociale, politique et économique et cela au détriment d’une réflexion sur les résultats de ces interactions. Mais cela va une fois encore à l’encontre de ce qui intéresse les financeurs publics qui demandent une évaluation des politiques publiques afin justement de vérifier si les résultats d’une interaction ont été modifiés par l’intervention de l’Etat.

Pour autant, il importe de ne pas être trop sévère à l’égard de PSE en dehors de son péché originel d’avoir été créé arbitrairement par le fait du Prince : la compétition sur le marché des idées est indispensable et tous les courants de l’analyse économique et méthodologique, même les plus discutables comme celui du scientisme affiché de PSE, peuvent s’exprimer tant qu’ils n’ont pas pour but d’imposer un monopole étatique sur la pensée économique. Ce dont on peut douter en observant la création de cette école aux prétentions intellectuelles démesurées.

 

  1. Conclusion

La dépendance de PSE à l’égard de l’État perdure et obère le prestige de cette institution sur deux points.

Le premier est celui d’un regroupement disparate d’économistes ou de chercheurs en sciences sociales issus des grandes écoles pour satisfaire un intérêt particulier : grimper dans les classements internationaux et ajouter des revenus supplémentaires au salaire de certains fonctionnaires. Cela permet aussi de gonfler le prestige des « insiders » qui sont affiliés ou associés à PSE en profitant des réseaux des grandes écoles dont ils ne sont pas issus tout en profitant de la réputation et des rémunérations supplémentaires offertes par PSE.

Le second point est que cette école est une nième institution de recherche au service de l’État. Sous l’angle de la recherche appliquée, PSE n’est pas une innovation. Dans le paysage de la recherche publique en France, la stratégie de PSE a été mise en œuvre depuis très longtemps avec les appels d’offres des administrations adressées aux équipes d’enseignants-chercheurs de n’importe quel laboratoire de recherche dans n’importe quelle université. Cela a toujours constitué un moyen d’ajouter un complément de rémunération pour les économistes et d’établir un lien de dépendance entre l’administration et les équipes de recherche qui vivent de ces appels d’offres (économie de l’éducation, économie de la santé économie de la défense, etc.). Malheureusement, les travaux d’évaluation et d’expertise des politiques publiques de ces équipes de recherche n’aboutissent pas à une plus grande efficacité des politiques économiques pour la raison simple que la politique économique pratiquée par les hommes politiques n’a pas pour but premier d’améliorer le bien-être de la population mais plutôt de : 1) faire en sorte que les hommes politiques soient réélus et 2) permettre aux bureaucrates qui mettent en œuvre la politique économique de la détourner pour poursuivre l’extension de leur administration dont ils tirent pouvoir et revenu. La « fausse » naïveté des chercheurs de PSE comme de tous les autres qui pratiquent cette activité vient ou bien de leur méconnaissance de la théorie des choix publics ou de leur incrédulité à l’égard de cette discipline, tant ils sont imprégnés de la mystique de l’État.

 

Épilogue

Comme le rappelle la Cour des comptes, la dotation initiale qui devrait permettre de financer les dépenses, avoisinant 9 millions d’euros par an, n’est pas suffisante. Pour respecter le ratio actuel des revenus tirés des produits financiers, elle devrait s’élever à 200 millions d’euros. On en est très loin à moins de faire un hold-up sur les stocks d’or thésaurisés dans les caves de la banque de France.

La dépendance de PSE à l’égard de ceux qui la financent, la course aux contrats et la chasse à la subvention pour échapper à la contrainte d’un déficit payé par les seuls intérêts de la dotation vont inciter les chercheurs qui en vivent à sacrifier leur indépendance intellectuelle pour entrer dans une course effrénée à la recherche de rentes publiques ou aux chaires pseudo-privées. Cet environnement va stériliser leur créativité et les soumettre à la pensée unique. Le mode de financement, la structure fédérative et le mode de gouvernance ne sont pas adaptés aux ambitions des ingénieurs sociaux qui travaillent dans cette institution. La fusion des établissements fondateurs dans PSE et la privatisation de cette institution serait sans doute une solution alternative plus conforme aux ambitions de la Paris School of Economics.

« Qui gladio ferit gladio perit »[20] : Qui se sert de l’épée périra par l’épée. C’est là une leçon que devraient retenir tous ceux qui travaillent dans cet établissement.

[1] Ce besoin de prestige peut résulter de la concurrence exercée par les diplômés d’HEC et de l’ENA qui ont pris les postes de haute administration dans les grandes entreprises ; postes réservés autrefois aux ingénieurs issus des Grandes Écoles comme les Mines ou les Ponts. Le CNRS et l’université ne sont pas nécessairement reconnus comme des institutions suffisamment prestigieuses compte tenu de la valeur des formations reçues dans ces Grandes Écoles.

[2] Financement de voyages aux États-Unis pour présenter des papiers, échanges de postes et coopération avec des étrangers pour lier des relations d’amitiés avec des chercheurs étrangers ayant déjà une réputation et offrant l’accès à des publications dans des revues de haut niveau ; mise à disposition de bases de données extrêmement coûteuses qu’un chercheur indépendant ne peut payer sur ses propres deniers, mise à disposition d’un bureau, d’un secrétariat, de techniciens, d’informaticiens et aussi d’une synergie avec des économètres, statisticiens  etc.

[3] Les établissements fondateurs ont donné leur accord pour une signature commune sous la bannière de PSE à condition que l’institution d’origine de l’auteur soit mentionnée. Mais le lecteur retient PSE et non pas l’institution d’origine de telle sorte que la réputation internationale a été transférée totalement à PSE.

[4] Daniel Cohen est un normalien, Professeur à l’école normale et à l’université de Paris 1, très engagé à gauche et Président du Conseil scientifique de la fondation Jean-Jaurès. Il a été aussi directeur du CEPREMAP, membre du Conseil d’Analyse Economique et « Senior Advisor » à la banque Lazard.

[5] À l’époque, Le Maire est le collaborateur de Dominique de Villepin, Premier ministre de Chirac. Sarkozy est à Beauvau. Thomas Piketty s’engagera auprès de Ségolène Royal la candidate du Parti socialiste pour la campagne présidentielle de 2007.

[6] Décédé en Août 2018.

[7] À la demande de Thomas Piketty qui ne voulait pas que PSE dépendent des subventions publiques pour garder une autonomie en matière de recherche et pour contraindre les chercheurs à faire appel aux fonds privés au grand désespoir de Laurent Mauduit ? Voir Laurent Mauduit, Les imposteurs de l’économie, Don Quichotte (2012/2017).

[8] Fondation de droit américain présidé par Georges du Ménil, avec Pierre-André Chiappori et Pierre Yves Geoffard comme  membres du Board, cette fondation américaine, au financement plutôt opaque, lève des fonds à l’américaine en organisant des dîners de gala, et finance, entre autres, des programmes d’échange de chercheurs de PSE avec leurs homologues américains sur des périodes courtes de 10 jours ce qui leur permet de constituer un réseau qui offrira à terme l’accès aux revues américaines de prestige, publications qui seront utilisées pour sélectionner et promouvoir la carrière des membres de cette Ecole. Elle lève aussi des fonds spécifiques pour des projets visant à améliorer l’enseignement de l’économie dans les lycées.

[9] AXA est la première marque mondiale d’assurance. L’AXA Research Fund finance des chaires avec une dotation de 200 000 euros chaque année sur 5 ans, des bourses post doctorales et des prix.

[10] Boussard & Gavaudan Holding Limited est un fonds de type fermé enregistré à Guernesey, un paradis fiscal. Le patron, Emmanuel Boussard, est un ancien normalien.

[11] Exane est une entreprise d’investissement spécialisée dans l’intermédiation d’actions, des dérivés d’action et de l’Asset management. Depuis 2006, Exane s’est engagé dans un projet citoyen de soutien à la recherche et à l’enseignement supérieur, un secteur désormais au cœur de la croissance mondiale. Le Groupe a déjà noué six partenariats avec l’École d’économie de Paris, l’École d’économie de Toulouse, Paris Tech, l’Université Paris Dauphine, HEC et l’ESSEC. Le PDG était à l’époque Nicolas Chanut. Exane, dans son programme d’aide à la recherche et l’enseignement supérieur, met 1 million d’euros sans condition sur les thèmes mais sur l’efficacité budgétaire du projet.

[12] Homme politique, condamné pour prises illégales d’intérêt à six mois d’emprisonnement avec sursis, 60.000 euros d’amende et un an de privation des droits civiques et civils, c’est-à-dire à un an d’inéligibilité qui l’empêchera de se représenter à la Présidence de l’Île de France. En 2015, son successeur sera Valérie Pécresse. Elle inaugurera, en février 2017, le Campus Jourdan, et en 2018 fera nommer Jean Paul Huchon, Président Honoraire de l’Île de France pour services rendus à l’Île de France.

[13] À titre de comparaison, l’école d’économie de Toulouse (TSE) a été dotée initialement par l’État de 13,6 millions d’euros dont 90 % étaient non consommables et a obtenu du secteur privé une dotation d’un montant de 33 millions d’euros dont 32 n’étaient pas consommables. L’État s’est alors engagé à mettre la même somme que le secteur privé en dotation non consommables ce qu’il a fait en apportant 30 millions d’euros. L’école de Toulouse se trouve alors à la tête d’une dotation de 63 millions d’euros non consommables qui produit un revenu annuel moyen sous forme d’intérêt de 3 millions d’euros (2,2 millions en 2016 et 4,5 millions en 2015 par exemple).

[14] Jugée par les enseignants chercheurs de PSE comme relativement faible comparée aux standards internationaux, voire à leurs collègues de l’école de Toulouse.

[15] Interview Daniel Bastien les Echos 23/06/2014 à https://www.lesechos.fr/23/06/2014/LesEchos/21713-049-ECH_paris-school-of-economics–la-petite-ecole-qui-monte.htm

[16] On peut se reporter à l’ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg (2016), Le négationnisme économique, Champ Actuel Flammarion, pour un plaidoyer pour la méthode expérimentale en économie.

[17] Friedrich Von Hayek (1979) Law, Legislation and Liberty, Vol.3 The political Order of a Free People, Competition and rationality, p.75.

[18] Avinash Dixit (1996), The Making of Economic Policy, CES MIT Press.

[19] James Buchanan et Gordon Tullock (1965) The Calculus of Consent, Ann Arbor Paper back. Voir aussi Geoffrey Brennan & James Buchanan (1985), The Reason of Rules – Constitutional political economy, Cambridge University Press.

[20] Renzo Tossi (2010), Dictionnaire des sentences latines et grecques, Jérôme Million, p.598.

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Journal des Libertés

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