de François Facchini

De Boeck Supérieur, 2021 (315 pages)

Sans le savoir les Français en viennent au libéralisme. Une grande majorité d’entre eux est en révolte contre les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales. Ils constatent avec amertume que l’argent qu’on leur retient est gaspillé : des dépenses publiques trop lourdes, des bureaucrates trop nombreux et bien payés. A mon sens il ne reste à ces Français que deux petits pas à faire : trop d’impôts c’est trop d’Etat. Et les cadeaux de l’État se payent cher.

L’ouvrage de François Facchini (De Boeck, éd. Coll. Supérieur, février 2021) nous permet de convaincre notre entourage mais aussi le grand public de ce que les dépenses publiques sont un mal français, et un mal incurable. Bien que la maladie se soit aggravée depuis quelque cinquante ans, elle est de tous les temps dans notre pays.

L’ouvrage est riche en données chiffrées, et on sait que les chiffres permettent de convaincre – ce que je déplore d’ailleurs parce que d’autres chiffres comme ceux de Piketty peuvent conclure à l’inverse que l’État n’en fait pas assez et ne travaille que pour les riches. Mais fort adroitement, les chiffres et les courbes de François Facchini sont accompagnés d’analyses plus significatives à mes yeux. Un grand mérite de cet ouvrage est de prendre le problème des dépenses publiques par le bon bout. Les dépenses publiques et leur croissance ne sont pas une fatalité économique ou financière, et ne doivent rien à la science économique, trop souvent assimilée à la macro-économie keynésienne. Les dépenses publiques sont le résultat d’une structure politique et sociale, elle-même héritée d’une longue histoire. Ainsi un chapitre entier (pp. 101-137) est-il consacré à présenter les idées qui, au cours des siècles, ont encouragé à la dépense publique ou au contraire choisi la rigueur fiscale et budgétaire. Ce débat d’idées porte sur la place de l’État dans la société, et cela se traduit dans la constitution, la législation, le jeu de la démocratie.  

Dans le chapitre suivant François Facchini explique pourquoi la France a une tradition étatique et jacobine qui l’a poussée sans cesse vers les excès de l’État Providence. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec l’ouvrage de Jean Philippe Feldman sur « l’exception française »[1]. Aujourd’hui on peut repérer ce qui pèse le plus lourdement dans le sens de la croissance permanente des dépenses publiques : la multiplication des services publics monopolistiques, comme celui de l’Éducation Nationale, la puissance de syndicats politisés et la rigidité du marché du travail, le poids et la formation de la classe politique dirigeante, la logique électorale qui pousse les candidats à promettre des avantages catégoriels démagogiques.

François Facchini a aussi à mes yeux le courage de montrer et d’expliquer comment les dirigeants français n’ont jamais tenté les réformes qui ont conduit de très nombreux pays à stabiliser ou réduire les dépenses publiques.

Car réduire les dépenses publiques n’est pas impossible, certains pays dépensiers sont devenus « frugaux ». Comment ont-ils réussi leur transition ? C’est l’objet d’un autre chapitre passionnant de l’ouvrage, où l’on trouve l’énumération des réformes décisives, dont la privatisation, la mise en concurrence, l’éducation économique des jeunes générations, la rupture avec le tout idéologique et le tout politique. Pourquoi pas en France ?

Ces nécessaires réformes structurelles sont d‘autant plus indispensables que l’obsession dépensière coûte cher à la croissance française, diminue la compétitivité des entreprises françaises, mais aussi gaspille le capital financier disponible et pire encore le capital humain.

Est-il nécessaire enfin de dire qu’à la différence des écrits des thurifères du socialisme cet ouvrage est remarquable par sa rigueur scientifique ? Faisant honneur à l’Université (François Facchini est professeur à Paris 1) les notes, les sources bibliographiques et statistiques sont nombreuses et précises, avec bibliographie et Index analytique sur 20 pages. Voilà un travail sérieux pour des étudiants sérieux ou voulant le devenir.

Voilà aussi un message libéral de grande qualité, et je ne peux m’empêcher de vous livrer quelques extraits de la conclusion de l’ouvrage (p. 289) :

La France a une histoire singulière qui révèle une idéologie favorable à la socialisation des choix de consommation, et qui a un coût en matière de croissance économique et de progrès social.

[…] La présentation des expériences étrangère a montré que la réforme de l’État pouvait se construire autour de politiques de privatisation qui peuvent toucher des secteurs aussi  variés que la sécurité sociale (santé, retraites, famille et assurance chômage) les services publics (éducation, infrastructure, justice, etc.) et les entreprises publiques, mais aussi des politiques de baisse du nombre des agents publics grâce à l’e-gouvernement ou à des politiques de réforme des statuts des agents publics et de contractualisation.

[…] Si ceux qui gouvernent ont intérêt à la dépense publique ils soutiennent un régime de connaissance qui baisse le prix des informations pro-dépenses publiques et augmente celui des informations favorables à la réforme du secteur public. Ils insistent sur ce qui se voit, les effets positifs de la dépense, et négligent ce qui ne se voit pas, ses effets négatifs.

Ces fortes idées sont évidemment celles d’un universitaire libéral, d’un économiste « autrichien » et d’un membre du Comité de rédaction du Journal des Libertés : rien d’étonnant, mais quel bonheur !


[1]    Jean-Philippe Feldman L’Exception française (Odile Jacob,2020)

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