J’ai connu Georges Lane dans le cadre des séminaires d’économie Autrichienne qui se tenaient à l’époque à l’ESCP Business School, avenue de la République à Paris puis au siège de l’ALEPS Mac Mahon. Au cours de ces séminaires, auxquels participaient essentiellement des doctorants et des économistes confirmés, des travaux portant sur des thèmes très variés étaient présentés et discutés. Lors de ces réunions, Georges attachait une grande importance, et parfois s’en tenait à ce point, à l’examen de la bibliographie et tout le monde attendait impatiemment le moment où il déclarerait magistralement : « La bibliographie ! ». Il faut dire qu’il traquait d’un œil attentif sur son ordinateur portable les moindres manquements… Ces séances étaient suivies d’un moment convivial autour d’une bière.

Pour prolonger ces conversations, nous avions décidé, Georges et moi, de nous retrouver à mon bureau rue de Bellefond vers les treize heures. Mais il lui arrivait souvent d’oublier l’heure, probablement trop absorbé par une lecture ou un travail en cours, et je le voyais alors débarquer tout essoufflé mais soulagé de constater que je l’avais attendu. Il faut dire que Georges se refusait à utiliser un téléphone portable et que nous communiquions par courriel ce qui, dans certains cas, nécessite un temps de réaction plus grand. Peut-être était-ce sa façon de reconnaître que le temps n’existait pas !

Georges Lane n’est plus. Il est parti sur la pointe des pieds. Ces derniers jours d’Octobre, nous nous étions retrouvés pour déjeuner dans un restaurant de la rue de Maubeuge où nous avions nos habitudes ; repas qui se transformaient en de longues séances et rien ne laissait présager cette fois-ci qu’il s’agissait d’un adieu.

Ces séances, qui s’égrenaient au fil de l’année, se tenaient de façon informelle tous les quinze jours. C’était là qu’il testait toutes les découvertes de la quinzaine, parlant de ses préoccupations du moment. Lors de cette dernière rencontre il avait parlé entre autres choses d’un ouvrage qui était en cours de rédaction et pour lequel, d’ailleurs, il hésitait encore quant au choix de l’éditeur. Le livre devait porter sur la monnaie et lorsque je lui demandais exactement ce qui l’intéressait, il me renvoyait vers son blog qu’il alimentait toutes les semaines. Pour quiconque connaissait les centres d’intérêt de Georges Lane en économie, il est assez facile de présumer que le sujet des crypto monnaies était appelé à prendre une large part dans cette nouvelle contribution à la théorie monétaire. Une raison supplémentaire d’espérer que cet ouvrage voit le jour.

Le dernier courriel que j’ai reçu de Georges Lane est daté du 23 novembre 2019.  Il me proposait justement à la lecture un texte sur les cryptos monnaie qu’il envisageait de soumettre lors d’un séminaire du 16 décembre 2019 à la Sorbonne.

Plusieurs thèmes, outre les crypto monnaies, le préoccupaient constamment. Un sujet particulièrement essentiel à ses yeux était la notion de temps. Pour lui le temps n’existait pas ; toute l’activité économique se résumait dans l’échange. L’échange, moment unique où se formait la valeur d’un bien exprimé en prix, en monnaie. Pour corroborer ses développements en la matière, il s’appuyait sur les conférences de l’astrophysicien Etienne Klein qui se plaisait à dire : « Comment se fait-il que ce mot imprécis soit reconnu sous la forme d’une variable mathématique — La science du temps, c’est la vie. »

Puisque le temps c’est la vie, pour Georges Lane, et que la vie c’est l’échange, le temps se réduit au moment de l’échange ; aux opérations de transaction. Ainsi le temps se confond à l’acte d’échange et devient négligeable voire n’existe pas.

Un philosophe l’a beaucoup préoccupé l’année dernière, c’est Henri Bergson. Probablement ses deux textes sur le temps : « Durée et simultanéité », où l’auteur veut confronter sa conception de la durée avec les vues d’Albert Einstein et « La pensée et le mouvant » dans lequel il déclare que l’intelligence produit de l’immobile et fixe le cours du temps et du changement. Ces lectures ont donné naissance à de longs monologues lors de nos déjeuners. Monologues que j’écoutais avec beaucoup d’attention.

Une autre de ses préoccupations majeures était l’œuvre de Jean Baptiste Say. Georges Lane déclarait à qui voulait l’entendre que le « Catéchisme d’Économie Politique » était suffisant pour saisir la pensée de l’économiste français du 19ème. Que tout y était et que tout en dérivait. Mais Georges Lane revenait surtout sur les principes de l’échange, de la valeur et de la monnaie…

Il y a quelques temps déjà nous avions approché Olivier Pichon pour faire quelques émissions à TV Libertés dont certaines sont encore visibles. Malheureusement, une bonne partie a été effacée suite à l’initiative de YouTube de supprimer le compte de la télévision internet. Nous n’avons malheureusement pas conservé, ni TV Libertés d’ailleurs, les vidéos en question. Il s’est agi essentiellement de parler du système bancaire, de la sécurité sociale et des crypto monnaies et, bien entendu, de l’euro qu’il qualifiait malicieusement de « ce que l’on dénomme monnaie ».

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Georges Lane était Docteur d’État en sciences économiques avec une thèse qui portait sur « L’inflation et la demande de réserves internationales. ». Il enseigna sa discipline à l’Université de Paris-Dauphine en tant que Maitre de Conférences. Ces dernières années jusqu’en 2018, il fut également chargé de cours à l’Institut Catholique d’Études Supérieures (ICES) à la Roche-sur-Yon.

Il participa aux travaux du Centre de Recherche de Théorie Économique Jean Baptiste Say dirigé par le Professeur Pascal Salin et dont il était membre.

Les grands thèmes de recherche auxquels il a consacré sa vie furent la retraite, l’assurance et la sécurité sociale. Rappelons enfin le grand attachement qu’il avait pour Jacques Rueff auquel il se référait souvent. Georges Lane repose à présent au cimetière de Montmorency où il fut enterré le 4 février 2020.

Maximilien Lambert. Titulaire d’une licence et d’un DES de l’Université Paris 1, il dirige un cabinet d’expertise comptable après avoir était commissaire aux comptes pendant 15 ans. Passionné d’économie autrichienne, il participe à des séminaires organisés sur ce thème par le Pr. Jörg Guido Hülsmann.

 
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Journal des Libertés

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